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Laà¯cité et droit du travail : la question du fait religieux en entreprise.

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par Kaouther Bouferroum
Faculté de Droit de Toulon - Master 1 Droit "Entreprise et patrimoine" 2015
  

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Chapitre II. Laïcité et entreprises privées

Au sens large, « l'entreprise est une unité économique et juridique produisant des biens et des services pour les vendre sur un marché afin de réaliser un bénéfice »48. Mais en matière de relations entre employeur et salariés, c'est à la lumière du droit du travail qu'il conviendra d'étudier la chose. Cependant, en ce qui concerne le thème de ce mémoire, il n'existe pas à ce jour de référence explicite à la laïcité dans le Code du travail. La question était alors restée en suspens, jusqu'au récent projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs présenté le 9 mars 2016 en Conseil des ministres par Mme la ministre du Travail Myriam El Khomri. En effet, son article 6 dispose que :

« La liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses, ne peut connaître de restrictions que si elles sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ».

C'est d'ailleurs la formulation qu'avait retenu la commission Badinter dans son rapport remis au gouvernement le 25 janvier 201649. Il s'agissait ainsi d'introduire pour la première fois la question du fait religieux dans le Code du travail - qui jusqu'à présent traite bien des libertés individuelles et collectives mais élude les convictions religieuses des salariés - afin de formaliser la jurisprudence française et européenne existante à ce sujet.

Cette proposition n'a pas été sans soulever de nombreux débats dans la sphère politico-médiatique, houleux pour la plupart. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle cette mesure a finalement été abandonnée le 5 avril 201650.

48 CAPUL Jean-Yves, GARNIER Olivier, Dictionnaire d'économie et de sciences sociales, Paris, Hatier, juin 2005, 576 pp.

49 Cf. Annexe 2 (rapport Badinter)

50 http://www.lemonde.fr/politique/article/2016/04/06/projet-de-loi-travail-les-deputes-suppriment-une-mesure-controversee-sur-les-libertes-religieuses-en-entreprise_4896704_823448.html (consulté le 29 avril 2016)

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A défaut de loi, le principe est que la laïcité n'a pas lieu de s'appliquer au sein des entreprises privées (§1). Le Code du travail admet néanmoins une entorse à ce principe, dès lors que les restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives seraient justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (§2).

§1 Principe de non-application de la laïcité

S'il n'est pas fait mention à proprement parler de la laïcité dans le Code du travail, son livre premier consacre plusieurs articles prohibant toute discrimination des salariés en raison notamment de leurs convictions religieuses. L'article L.1132 dispose en ce sens qu' « aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte [...], en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation « ou identité » sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap ».

Le domaine d'application de ce principe semble a priori très large, puisqu'il s'étend même aux stages et périodes de formation dans l'entreprise. Et, si la liberté religieuse et notamment celle de la manifester n'est pas explicitement mentionnée, l'interdiction de discrimination en raison de celle-ci est clairement établie. Mieux, l'article L.1132-1 ne fait pas de distinction entre une mesure discriminatoire directe ou indirecte. La loi du 27 mai 200851 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations a permis d'identifier ces deux cas de figure :

51 Loi n°2008-496 du 27 mai 2008, JORF du 28 mai 2008

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- La discrimination directe est celle qui, en raison notamment de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, d'un individu à une ethnie, ou encore du fait de sa religion, de ses convictions, de son âge, de son handicap, de son orientation ou de son identité sexuelle, entre autres, fait en sorte qu'il est traité « de manière moins favorable qu'une autre [personne] ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable »52 ;

- La discrimination indirecte est, quant à elle, « une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés »53.

Aussi, c'est en vertu de ce principe d'interdiction de mesures discriminatoires à l'encontre des salariés qu'un certain nombre d'arrêts abondent en ce sens (A.). Cependant, il convient d'évoquer le cas particulier des entreprises dites « de tendance », pour lesquelles il semble admis qu'elles puissent faire une entorse à ce principe (B.).

A. Contentieux judiciaire

Un contentieux relativement important existe en matière de discriminations religieuses, ce qui a contribué ainsi à mieux cerner les cas visés en l'absence de texte législatif clair à ce sujet :

Dans un jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Paris le 17 décembre 200254, le licenciement d'une salariée qui refusait de se conformer à l'interdiction qui lui avait été faite au moment de sa mutation au siège social de porter un voile islamique a pu être considéré comme nul, dans la mesure où elle était déjà en contact avec la clientèle avant sa mutation tout en étant voilée. De plus, cette mesure discriminatoire était fondée sur les convictions religieuses de la salariée et constituait ipso facto un

52 Ibid.

53 Ibid.

54 CPH Paris 17 décembre 2002, n°02/03547

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trouble manifestement illicite ; dès lors que l'employeur était incapable de fournir des éléments objectifs étrangers à cette discrimination tenant à justifier sa décision de licencier la salariée, le juge des référés a pu ordonner à bon droit la réintégration de celle-ci à l'entreprise.

Dans un arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 19 juin 200355, il en est de même pour une salariée qui s'était vue notifier par son employeur une lettre de rupture de son contrat de travail, laquelle faisait expressément référence au refus de celle-ci de renoncer au port du voile islamique. Le juge a ainsi ordonné la poursuite du contrat de la salariée, dès lors que le port du voile islamique ne soulevait aucun problème particulier dans ses contacts avec la clientèle.

Dans un arrêt rendu cette fois par la chambre sociale de la Cour de cassation le 19 mars 201356, une salariée qui occupait les fonctions de directrice adjointe au sein d'une crèche gérée par une association avait été licenciée du fait qu'elle refusait de renoncer au port du voile islamique à son retour de congé parental. Elle avait d'abord fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire avant d'être licenciée pour faute grave, au motif « qu'elle avait contrevenu aux dispositions du règlement intérieur de l'association en portant un voile islamique »57. La Cour de cassation, dans le premier épisode du feuilleton Baby-Loup, a estimé que la clause litigieuse58 du règlement intérieur instaurait « une restriction générale et imprécise »59, ne répondant pas ainsi « aux exigences de l'article L.1321-3 du Code du travail et que le licenciement, prononcé pour un motif discriminatoire, était nul »60.

Enfin, dans un arrêt rendu le 15 janvier 2013 par la Cour européenne des droits de l'Homme61, l'interdiction qui avait été faite à une salariée de porter une croix de

55 CA Paris 19 juin 2003, n°03-30212

56 Cass. Soc. 19 mars 2013, n°11-28.845

57 Ibid.

58 « Le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s'appliquent dans l'exercice de l'ensemble des activités développées par Baby Loup, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu'en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche »

59 Cass. Soc. 19 mars 2013, n°11-28.845

60 Ibid.

61 CEDH 15 janvier 2013, arrêt Eweida et a. c/ Royaume-Uni

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manière visible sur son lieu de travail, alors que d'autres salariés de l'entreprise avaient été autorisés auparavant à porter des vêtements à connotation religieuse, tels que le turban ou le voile, sans que cela n'ait d'impact négatif sur l'image de l'entreprise, a pu être jugée comme discriminatoire.

Ce florilège de décisions fait ainsi montre du souci des juges à l'égard de la liberté religieuse des salariés, et qu'ils peuvent être de ce fait particulièrement sévères en matière de discrimination religieuse.

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