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Le graffiti à  Beyrouth : trajectoires et enjeux dà¢â‚¬â„¢un art urbain émergent

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par Joséphine Parenthou
Sciences Po Aix-en-Provence - Diplôme de Sciences Politiques 2015
  

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3. Une capitale cosmopolite, entre cultures moyen-orientales et européennes

La prépondérance de la scène hip-hop dans l'univers des graffeurs n'exclue pas d'autres influences, qui englobent ces différents acteurs dans un univers artistique plus large et cosmopolite. Les capitales auraient une forte tendance à accueillir des étrangers et seraient le lieu d'échanges internationaux privilégiés. Mais il faut préciser à nouveau la place particulière qu'occupe Beyrouth au sein du Maghreb - Mashrek : contrairement à d'autres capitales dans des pays plus instables, à l'instar de Bagdad ou du Caire, elle apparaît comme un lieu d'expression artistique extrêmement libre et diversifié. Cette liberté d'expression permet par exemple de bénéficier des influences et productions occidentales. Pour Wyte, la libre diffusion des cartoons Français et Américains a constitué un socle d'inspiration conséquent dans sa pratique du dessin, puis du graffiti, en particulier Bugs Bunny, Tom & Jerry, puis Dragon Ball Z. Les bandes dessinées importées sont aussi un puits de références pour nombre de graffeurs, qu'il s'agisse des comics américains de Marvel et DC Comics (en particulier Transmetropolitan), ou des illustrateurs comme Moebius. Les arts classiques ne sont pas à négliger, un graffeur comme Zed puisant la majorité de ses thèmes chez les

70 Nous remarquons d'ailleurs que le « blase » est loin d'être une pratique propre aux auteurs de graffiti et concerne la scène hip-hop de manière beaucoup plus étendue.

71 Ibid., p. 109.

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peintres français et italiens - inspiration remarquable à son style, plus tourné vers la fresque et les compositions picturales propres aux tableaux classiques. Cette liberté passe également par une absence de censure sur internet, instrument privilégié des jeunes graffeurs pour s'inspirer de différents courants et comprendre comment un graffiti se réalise ; Internet agit comme un puissant complément à l'apprentissage de terrain, ce que relate Anahi Alviso-Marino en retraçant le parcours d'un jeune street artiste yéménite : « il découvre - en s'informant principalement sur internet - les techniques du graffiti, du pochoir (stencil), du collage de photographies et de la peinture murale »72.

De plus, Beyrouth catalyse et réinterprète cultures moyen-orientales et européennes. Dans les lieux de rencontre précédemment cités, étudiants bilingues, Français, Allemands, Américains expatriés au Liban côtoient quotidiennement les nationaux. Cet aspect cosmopolite présente aussi l'avantage de réunir diverses classes d'âge, et il n'est pas rare de voir, à Radio Beirut, les graffeurs et leurs parents se réunir et échanger à l'occasion d'un concert de hip-hop, de jazz, ou de rock... Arabes. En effet, si l'on s'intéresse de plus près à la scène artistique libanaise, on remarque avec quelle régularité des champs artistiques originellement américain ou européen ont été réadaptés à la culture libanaise, recréant des scènes locales à part entière. Lorsque nous parlons de cette scène artistique, nous la distinguons de la « musique commerciale, destinées à faire rêver des peuples réprimés à tous les points de vue », dont l'illustration la plus manifeste seraient les chanteuses libanais Haïfa Wehbé ou Nancy Ajram73. Il est nécessaire de reconnaître, avec Carole Corm, que ces milieux artistiques ne sont encore accessibles qu'à une certaine élite culturelle et avertie, dont les graffeurs font partie. Influences et publics nationaux et internationaux se retrouvent et échangent dans les mêmes lieux, apprécient le même type d'artistes. Ces derniers y trouvent d'ailleurs l'opportunité, autant qu'ils en sont le produit, de réaliser des oeuvres originales ; nous pensons par exemple à Zeid Hamdan, Naâman (chanteur de reggae libanais) ou le groupe de rock Mashrou' Leila, qui remplit désormais des salles comme l'Alhambra à Paris ou le Royal Albert Hall de Londres. Le groupe Acid Arab, dans son oeuvre et sa composition, représente ce métissage culturel par excellence : formé de deux Français et d'un percussionniste jordanien, ils déclarent sans ambages leur attachement au Liban et rappellent la qualité du public libanais. Leur style de musique est électro et influencé par la scène française, mais leur marque de fabrique consiste à agrémenter leurs sets de musiques orientales traditionnelles. Ils décrivent eux-mêmes leur production comme « an oriental acid music which combines the coldness of techno and the emotional and dramatic power of the East ». Finalement, l'étroitesse de cette scène artistique, pourtant en pleine expansion, constitue un point de rencontre et un lieu de

72 ALVISO-MARINO, Anahi, « Les murs prennent la parole. Street art révolutionnaire au Yémen », p. 321, in BONNEFOY, Laurent, CATUSSE, Myriam (dir.), op. cit..

73 CORM, Carole, op. cit., p. 103.

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discussion privilégiés entre graffeurs et artistes, menant à des collaborations et inspirations extrêmement diverses.

L'engagement dans la carrière opère plus de façon incrémentale : il n'existe pas de volonté a priori de faire du graffiti, et la carrière se construit peu à peu. De même, la carrière graffiti ne relève pas d'une extrême rationalité, les choix opérés par les graffeurs sont autant conscients qu'inconscients, déduits de leur situation particulière et du contexte dans lequel ils évoluent.

Les trajectoires universitaires des graffeurs sont extrêmement semblables, tournées vers les arts et le graphisme. Néanmoins, elles agissent comme un facteur de maintien et de renforcement dans la carrière plus qu'elles n'expliquent l'engagement d'un individu. Quant aux trajectoires professionnelles, elles restent lâches et en formation, mais elles restent peu tournées vers une carrière d'artiste graffeur à temps plein.

La scène graffiti beyrouthine s'insère et se développe dans et grâce à une scène artistique et intellectuelle plus large. En particulier, l'influence de la scène hip-hop, très active à Beyrouth, agit comme une référence culturelle et une opportunité de développement. Le reste de la scène culturelle à Beyrouth rassemble cette « élite » intellectuelle beyrouthine, et contribue au développement du capital social des graffeurs.

Les pairs sont essentiels à l'engagement et au maintien de l'individu. La rencontre avec le mentor marque, hormis quelques exceptions, le point d'entrée dans la carrière d'un graffeur.

À retenir

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III. UNE PRATIQUE ALTERNATIVE COMME INSTRUMENT D'INTÉGRATION SOCIALE ?

Les graffeurs proviennent de milieux sociaux particuliers, qui peuvent faciliter l'engagement, au terme d'une analyse a posteriori, plus qu'ils n'en sont l'unique cause. Pourtant, cette analyse vient contredire les premiers travaux sur le graffiti, perçu comme vandalisme ou, par suite, comme sous-culture représentant des groupes socialement, économiquement ou politiquement dominés. L'origine moyenne - haute des graffeurs nécessite de se questionner sur le rôle que peut avoir le graffiti sur leur positionnement social : est-ce, comme dans le cas new-yorkais des années 1980, l'apanage de catégories, toutes aussi élevées qu'elles soient, marginalisées dans le champ social libanais ? Le graffiti a-t-il un effet sur le positionnement social de ses acteurs ? Serait-ce, dès lors, un instrument d'intégration sociale ? Ou, encore, les graffeurs ne peuvent-ils s'engager dans cette voie que parce qu'ils sont déjà intégrés - en somme, le graffiti ne se comprendrait-il que comme la confirmation de positions sociales héritées ?

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