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Le graffiti à  Beyrouth : trajectoires et enjeux dà¢â‚¬â„¢un art urbain émergent

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par Joséphine Parenthou
Sciences Po Aix-en-Provence - Diplôme de Sciences Politiques 2015
  

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2. Influence de la scène hip-hop

L'arrivée dans la capitale facilite aussi symboliquement l'engagement : historiquement, les scènes graffiti se sont développées au sein d'un ensemble plus large, le hip-hop, d'abord conçu aux États-Unis et en Europe comme une contre-culture, avant d'être requalifié plus récemment de sous-culture. Contrairement à Lachmann qui analyse les tagueurs new-yorkais au travers de la figure du déviant et du concept de sous-culture, il est ici préférable de reprendre le terme de Carole Corm, lorsqu'elle parle d'avant-garde musicale65. Comment effectivement, et probablement de manière rhétorique, affirmer une contre-culture quand aucune culture officielle n'est définie ou, qu'à l'inverse, cette scène hip-hop n'a pas été labellisée comme « contre » ou « sous » culture ? Dans tous les cas, l'émergence de cette scène musicale et, plus largement, artistique, à partir des années 1990 se révèle indispensable au développement du graffiti : à la fois par l'influence qu'elle produit sur les graffeurs, et par les pratiques artistiques conjointes des graffeurs et musiciens. Les groupes de rap libanais qui émergent durant les années 1990 et, surtout, à partir des années 2000 proviennent, comme les graffeurs, de milieux plutôt aisés, à la différence qu'ils sont rapidement rejoints par des Palestiniens, puis des Syriens. L'essor de la scène musicale hip-hop comprend des courants divers comme le rap, le slam, le RnB et le beatbox. Les représentations musicales permettent d'attirer les jeunes dans des endroits très particuliers, généralement une rue ou deux, baptisées « capitales de la fête » pour quelques années, avant que les pubs et restaurants ne se déplacent ailleurs ; cela amène à une « forme de nomadisme festif nocturne, où les différents publics sont toujours susceptibles de se croiser. »66. Dans les années 2000, le quartier de référence était Hamra : toute l'activité hip-hop se concentrait dans une sorte d'ébullition musicale permanente, au sein du quartier festif de Beyrouth. Nicolas Dot-Pouillard raconte comment le bar-concert Ta Marbouta, fondé en 2006, se voulait à l'avant-garde et se faisait l'hôte des « concerts de groupes de rap palestiniens venus des camps de réfugiés », à l'image de « Kabiteh Khamse - Bataillon 5 - originaire du camp de réfugiés de Burj al-Barajné »67. D'ailleurs, bien que les graffeurs reconnaissent l'influence du hip-hop américain et français, les artistes ayant profondément participé à leur définition de soi proviennent des pays limitrophes et se sont produits à Beyrouth à un âge où ils étaient capables de s'y identifier ou d'assister directement aux représentations : Aksser, Katibeh Khamseh, Rayess Beck, El-Rass, Dizaster en font partie. Plus récemment,

65 CORM, Carole, « Une véritable avant-garde musicale », La pensée de midi, 2007/1 (n° 20), p. 102-114.

66 DOT-POUILLARD, Nicolas, « Boire à Hamra. Une jeunesse nostalgique à Beyrouth ? », p. 126 in BONNEFOY, Laurent, CATUSSE, Myriam (dir.), Jeunesses arabes. Du Maroc au Yémen : loisirs, cultures et politiques, Paris, La Découverte, 2013, 368 p.

67 Ibid., p. 130.

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Chyno, Ramallah Underground (bien qu'ils habitent toujours en territoires palestiniens), Edd Abbas, Mad Prophet ont acquis leurs lettres de noblesse face à d'autres, plus jeunes et dont on attend qu'ils « fassent leur preuves ». Ils se produisent désormais à Mar Mikhaïl, nouvel endroit branché des nuits beyrouthines, dans des pubs tels que Radio Beirut. Les jeunes, déjà engagés dans le graffiti ou non, peuvent se regrouper dans des endroits tels que celui-ci et y rencontrer les plus âgés, ce qui concoure à la création de nouvelles sociabilités, dans et en dehors du graffiti. Cette émulation est renforcée par le fait que ce courant musical s'envisage comme un mode de vie (Spaz, Exist) avec, en son centre, l'esprit hip-hop. Carole Corm exprime justement comment le hip-hop constitue un puissant facteur d'identification :

Si l'on cherche une appartenance nationale, c'est dans le rap ou le hip-hop que l'on trouve le plus de libanité. Chantant en arabe, les rappeurs crient le malaise d'une jeunesse et d'une société qui n'en peut plus d'un destin si incertain, parfois sur un ton agressif, parfois sur le mode de la dérision. (...) Les chansons racontent les pots-de-vin, la superficialité de la société, l'ignorance des marchands de disques quant aux groupes de rap... Le rap devient un mouvement qui grandit au fil des années. L'affaiblissement économique, la progressive disparition de la classe moyenne et les forces politiques internes que le gouvernement ne contrôle que par Finul interposée, vient grossir le cahier de doléances des rappeurs68.

Le rappeur Edd Abbas, Radio Beirut, photo
personnelle

(c) Secret Walls x Beirut

L'influence de la scène hip-hop, antérieure à la pratique du graffiti, est réaffirmée lorsque graffeurs et musiciens travaillent conjointement et se développent l'un l'autre. Tout d'abord, certains rappeurs ou musiciens de hip-hop ont pu apporter avec eux des états d'esprit, mais surtout69 des techniques artistiques de graffiti observées ou expérimentées, des influences et des styles, français ou allemand par exemple. Ensuite, le nombre d'événements conjoints a fortement augmenté depuis 2013/2014, en particulier avec l'importation à Beyrouth, par Chad the Mad, du concept Secret Walls. Il s'agit de battles de dessin en live entre deux artistes, qu'ils soient graffeurs ou non, reconnus ou non. Seul le noir est accepté, les travaux

68 CORM, Carole, op. cit., p. 108.

69 En particulier pour les musiciens les plus connus et qui ont eu l'occasion d'avoir (comme les graffeurs) une socialisation ou une expérience à l'international.

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préparatoires et références interdits, et le temps est limité à 90 minutes pour peindre une toile de 1,80 x

1,80 m.

D'une part, cela offre une visibilité aux graffeurs vis-à-vis d'artistes et publics issus d'autres milieux et, d'autre part, plusieurs rappeurs sont invités à animer musicalement la compétition. HeadBusta70, fondateur de Bandit Bay et du collectif sha3be, participe également de ce syncrétisme artistique, en organisant divers événements de hip-hop. Ceux-ci se déroulent généralement dans les mêmes lieux, Radio Beirut ou le bar-boîte Yukunkun, instituant une certaine régularité. Les artistes présents sont également souvent les mêmes, et bénéficient d'un public régulier. Le dernier événement de ce type auquel nous avons assisté se déroulait en juillet 2015, et rendait flagrante la collaboration entre musiciens et graffeurs : les uns incitaient le public à acheter les toiles des autres, lesquels peignaient affiches et dédicaces en l'honneur de leurs collègues et/ou amis. Les jumeaux Ashekman synthétisent cette relation quasiment directe entre le graffiti et l'univers plus large du hip-hop, puisqu'ils sont à la fois rappeurs et graffeurs. Leur discours et la justification de leur art ne change pas selon qu'ils endossent la casquette de graffeur ou celle de rappeurs : « le rap libanais s'adresse à la jeunesse « qui veut parler des problèmes politiques sociaux » »71, ce qu'ils avaient déjà décrit à propos du graffiti dans certaines de leurs interviews.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault