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Le graffiti à  Beyrouth : trajectoires et enjeux dà¢â‚¬â„¢un art urbain émergent

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par Joséphine Parenthou
Sciences Po Aix-en-Provence - Diplôme de Sciences Politiques 2015
  

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A. Des parcours universitaires et des choix professionnels similaires ?

L'école constitue l'un des premiers lieux de socialisation secondaire, là où l'enfant, puis l'adolescent, se confronte et crée des liens autres que ceux issus de la famille. Bien que les stades de l'éducation primaire et secondaire importent moins, celui du passage à l'université éclaire la manière dont les acteurs se rencontrent entre eux, évoluent dans des cercles de sociabilité et d'apprentissage semblables. On pourrait, a priori, s'attendre à ce qu'ils exercent des professions similaires ; en réalité, l'ambivalence des trajectoires professionnelles mérite de se demander s'il existe encore un lien entre profession, graffiti et groupe de pairs. Y a-t-il, à un moment, une sorte de déconnexion entre graffiti et projet professionnel ? Le graffiti serait-il relégué à une activité de loisir ou à une période plus « adolescente », qui provoquerait une rupture de la forme d'engagement ?

1. Des trajectoires universitaires quasi-identiques

L'université occupe un rôle central dans la carrière des graffeurs : il s'agit à la fois d'un lieu d'apprentissage technique, intellectuel, et d'apprentissage social. Peut-être étrangement, la proportion de graffeurs à s'être rencontrés à l'université semble moindre que celle fruit de rencontres « impromptues »

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ou « hasardeuses ». « Étrangement » puisque, sur les quatorze graffeurs dont on connaît le parcours universitaire, neuf d'entre eux étaient à l'Université libanaise, en section Beaux-Arts. Quant aux spécialités les plus courantes, on retrouve les secteurs du graphisme, du multimédia, voire de l'animation. Le reste d'entre eux opte également pour des études tournées vers les secteurs artistiques, culturels ou d'architecture, dans d'autres universités comme l'Académie libanaise des Beaux-arts, ou la Holy Spirit University of Kaslik (USEK). Seul Meuh n'a pas étudié dans ces domaines, étant détenteur d'un master d'histoire, de journalisme (USJ Paris), ainsi que d'une spécialisation en géopolitique nucléaire obtenue à Londres. Cette « exception » se comprend par son arrivée tardive à Beyrouth, comme son entrée dans le graffiti, conditionnée par ses rencontres au Liban. Lorsqu'on les interroge sur leur investissement dans des études artistiques, les Beaux-arts en priorité, certains avancent le même type d'arguments que ceux retenus lorsqu'ils expliquent leur activité de graffeur : le secteur artistique répondrait à une nécessité intérieure, un besoin, discours qui se greffe à l'idée de régime vocationnel de l'art développée par Nathalie Heinich44. Ces discours sont alors plutôt portés vers cette idée de l'art comme affaire fortement individuelle, toutefois ponctuée de pragmatisme :

- Comment est-ce que tu as choisi ça, l'animation ? Est-ce lié au graff ou...?

- Kabrit : Euh... je sais pas d'abord, peut-être trois ans avant que je rentre dans le, dans la fac, je savais

que j'allais rentrer en art donc je me suis dit « ok my next, my next level is you to go somewhere ». I was staying in Lebanon parce que je pouvais pas quitter à l'époque, j'avais même pas l'idée de quitter à l'époque. Je me suis pas dit « ok, peut-être je pars quelque part », je me suis dit « ok khalass45 je rentre à l'Alba » et... après la première année, déjà la première année je suis rentré en arts graphiques, en graphic design, et en publicité et du coup en deuxième année j'avais fait un cours d'animation et... on m'a dit qu'il y a un cours, une spécialisation en animation. Je me suis dit « ah, c'est génial quoi ! L'animation ». Mais... j'étais jamais en, j'étais vraiment très intrigué par l'animation à part que... ouais, j'aimerai bien continuer. Parce que j'aime bien l'animation c'est sûr mais... C'est juste par chance je pense, le fait d'avoir, d'avoir un cours d'animation.

Cette « chance » relève plutôt de la possibilité, grâce à l'offre de formation, de rentrer en animation. Plus loin dans les entretiens, il apparaît que d'être en art pour pouvoir satisfaire ce besoin46 importe plus que la

spécialisation elle-même. Ainsi, c'est étudier dans les arts qui importe, plus que de se spécialiser dans le graphisme ou l'animation 3D.

44 HEINICH, Nathalie, Du peintre à l'artiste. Artisans et académiciens à l'âge classique, Paris, Éditions de Minuit, collection Paradoxe, 1993.

45 Khalass = « assez », « ça suffit ».

46 « Through art I was searching for a small way of freedom, like a way to reach existence in such world, be heard, to inspire people », Spaz

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L'entrée dans ce type d'université constitue une période charnière, puisqu'une formation en art préfigure la légitimation du graffiti : je fais du graffiti, mais je suis aussi artiste, je sais dessiner, animer, peindre sur d'autres supports et dans d'autres sujets. D'ailleurs, si la socialisation primaire de ces acteurs a dans une certaine mesure influencé ou conditionné ce type de parcours universitaire, son importance n'est pas totale et les contre-exemples subsistent. Le père de Wyte, qui l'encourageait à dessiner plus jeune, souhaitait néanmoins que son fils devienne médecin et rejette désormais son parcours artistique, d'autant plus qu'il est centré sur le graffiti plutôt que sur les beaux-arts et l'art classique. Deuxièmement, l'étape universitaire se révèle centrale dans - et a contrario des représentations de soi des acteurs - la constitution d'une communauté de pratiques47. L'espace et le temps de l'université deviennent des lieux de socialisation et de renforcement des liens acquis par le biais d'une formation partagée. Vulbeau, cité par Beuscart et Grangeneuve48, montre comment, en France, les graffeurs sont souvent étudiants aux Beaux-Arts. Pour autant, il s'agit bien d'un renforcement des dispositions et relations acquises, ainsi que de l'engagement, plus qu'une découverte du graffiti grâce aux autres étudiants. Qui plus est, ce renforcement, que Muriel Darmon appelle plus adroitement le « maintien dans l'engagement »49, est facilité par la concentration des universités et donc des graffeurs sur Beyrouth. Exist, Spaz et Sup-C se sont rencontrés avant l'entrée dans le supérieur, mais c'est en optant pour le même type de formation, dans la même université et la même ville, qu'ils ont pu s'installer en colocation et développer concrètement leur pratique.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand