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Les litiges entre parents à  propos de la circoncision de leur enfant

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par Ismahène Chamkhi
Université de Nantes - Master 2 Droit Privé Général 2013
  

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Section II - Une prérogative parentale appartenant aux deux parents

53. Les parents disposent donc, en principe, du droit et de la liberté de circoncire leur enfant, cette décision faisant partie des attributs de leur autorité parentale.

Reste encore à rechercher comment ce droit doit-il s'exercer. Le contentieux, depuis 1973, fait état de nombreux balbutiements jurisprudentiels sur la question. Mais progressivement la règle a finit par se clarifier et l'on peut aujourd'hui affirmer que la circoncision de l'enfant est un choix éducatif qui doit être pris par les deux parents. Ce principe de la nécessité du double accord (II) découle du classement de la circoncision rituelle dans la catégorie des actes non usuels de l'autorité parentale (I).

I - Origine du principe : la circoncision rituelle qualifiée d'acte non usuel de l'autorité parentale

54. La classification de la circoncision rituelle dans la catégorie des actes non usuels de l'autorité parentale, ne transparaît pas toujours dans le raisonnement des juges. Ils se contentent parfois de dire que l'accord des deux parents est nécessaire, sans en expliquer la raison. Parfois les juges ne laissent transparaître qu'une partie de leur raisonnement, n'en marquant pas les différentes étapes. Par exemple, ils vont s'attardent sur la preuve du caractère rituel de la circoncision mais ne prendront pas le

47 Philippe Malaurie et de Hugues Fulchiron, La Famille, Défrénois, 4ème édition, page 648.

48 Dans un arrêt Cass Civ 1ere 11 juin 1991, la Cour de cassation a reconnu au juge du fond un pouvoir souverain d'appréciation de « l'opportunité » de la conversion d'une adolescente catholique à la secte des Témoins de Jéhovah. (TGI Versailles du 24 septembre 1962, note Carbonnier, Recueil Dalloz 1963, page 52).

49 Voir en ce sens, §136 et suivants.

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soin d'en conclure que c'est un acte non usuel de l'autorité parentale.

55. Ce n'est qu'en 2012 pour que la règle a été clairement posée50 . Il s'agit d'un arrêt rendu par la Cour d'appel de Grenoble le 23 octobre 2012* : « Attendu qu'il n'est nullement soutenu que la circoncision serait médicalement nécessaire ; que dès lors, elle ne constitue pas un acte usuel au sens de l'article 372-2 du Code civil et requiert l'accord des deux parents ; Or, attendu que Mme s'oppose à ce qu'elle soit pratiquée sur son fils ; qu'il convient par conséquent de débouter M. de sa demande de ce chef

».

56. Le raisonnement des juges se fait donc en deux temps. Ils recherchent d'abord si la circoncision litigieuse était ou non médicalement nécessaire. En l'absence de nécessité médicale, l'acte sera qualifié de « circoncision rituelle » (A). Ensuite, cette circoncision rituelle sera classée dans la catégorie des actes non usuels de l'autorité parentale, nécessitant par conséquent l'accord des deux parents (B).

57. Notons en marge qu'une tentative a été faite par la Cour d'appel de Versailles de faire abstraction du motif de la circoncision (apparemment rituel en l'espèce) et de se concentrer uniquement sur le critère d'intervention chirurgicale : «la circoncision constitue un acte chirurgical qui relève des deux parents » 51. En effet, qu'importe le motif ayant conduit les parents à faire circoncire leur enfant (thérapeutique ou rituel), cette intervention constitue objectivement une intervention chirurgicale d'ablation du prépuce (à plus forte raison lorsque l'intervention est pratiquée par un médecin chirurgien). Une telle définition, fondée exclusivement sur la technique opératoire, est séduisante. Les faits sont purgés de toute coloration religieuse ou coutumière. Le juge français retrouve ainsi ses repères dans l'application d'un droit cartésien loin de la complexité de notre réalité sociale52. Mais cette solution reste un cas isolé. La règle en ressort renforcée : il faut chercher le motif rituel (ou l'absence de nécessité médicale) pour conclure à l'acte non usuel de l'autorité parentale.

50Avant 2012, deux décisions particulièrement bien motivées ont été rendues. Mais celles-ci ne marquent pas chaque étape du raisonnement des juges : CA Rennes 4 avril 2005* : « L'exercice en commun de autorité parentale permettra à la mère de refuser qu'une telle intervention soit pratiquée, dès lors que la circoncision n'est pas un acte usuel au sens de l'article 372-2 du Code Civil, mais un acte important et unique dans la vie de l'enfant nécessitant l'accord des deux parents. » ; et CA Nancy 5 octobre 2009* : « La protection et l'éducation de l'enfant, qui doit aussi s'entendre comme l'éducation religieuse, sont les raisons d'être de l'autorité parentale. Compte tenu de l'importance que revêt toute décision en matière de pratique religieuse, il n'est pas envisageable que cette décision soit prise sans l'accord des deux parents qui exercent en commun l'autorité parentale. Il convient par conséquent d'interdire que la circoncision de l'enfant, envisagée par la mère, soit pratiquée, sans l'accord du père ».

Dans les deux arrêts il manque la recherche du caractère religieux ou médical de la circoncision. Dans le deuxième, il manque aussi l'emploi exprès du terme « acte usuel », celui-ci est implicite lorsque la Cour qualifie l'acte d' important.

51CA Versailles 15 mars 2007*.

52 La technique n'est pas nouvelle. Il existe en effet une tendance judiciaire marquée à fermer les yeux sur la coloration religieuse du litige. Et cette négation est parfois même expresse (CA Paris, 4 février 1959, JCP 1960, II, n°11632, note L. de Narois, considérant que la délivrance du guet ou « lettre de répudiation » par l'époux juif à son épouse divorcée afin que celle-ci puisse se remarier religieusement est un acte « entièrement dépourvu de signification et de portée religieuse »).

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A - L'absence de nécessité médicale ou la présence d'une circoncision rituelle

58. La jurisprudence ne connaît que deux catégories de circoncisions : « thérapeutique » et « rituelle ». On observe qu'en cas de désaccord entre les parties sur les motifs de la circoncision, la seule déclaration du parent ayant ordonné l'opération ne suffit pas53.

59. Dans la recherche de la preuve du caractère médical ou rituel de la circoncision, une première distinction, fonction de la qualité du circonciseur, s'impose :

(1)Lorsque le circonciseur est religieux ou coutumier (par exemple un
Rabbin Mohel non médecin) la classification sera aisée et ne fera pas

l'objet d'un débat : il s'agira d'une circoncision rituelle54.
(2)Lorsque la circoncision a été faite par un médecin ou un chirurgien en cabinet ou en milieu hospitalier, la qualification sera alors plus difficile. Le seul fait qu'une circoncision ait été effectuée en milieu hospitalier, ne permet pas de retenir le motif thérapeutique55. Le juge pourra se référer à un ou plusieurs certificats médicaux56, fournis par les parties ou ordonnés par lui.

60. Les juges sont-ils plus méfiants en présence d'un certificat médical étranger ? La question ne s'est pas encore posée dans le contentieux. Selon une réponse Ministérielle, il existerait certaines fraudes à la Sécurité sociale. Des parents feraient passer, avec la complicité du chirurgien, une circoncision rituelle pour une opération thérapeutique et de telles fraudes seraient fréquentes par l'usage de certificats médicaux étrangers. On peut donc imaginer que le juge civil se montre lui aussi prudent à l'égard de tels modes de preuve.

61. En l'absence de certificat ou de rapport d'expert/médecin, les juges auront recours à un faisceau d'indices permettant de rechercher le motif ayant poussé le (ou les) parent(s) à faire circoncire l'enfant. Il se référeront par exemple à la date et le lieu de la circoncision. Ainsi, une Cour d'appel a pu juger que « si (le père) soutient que cette circoncision a été pratiquée avec l'accord de la mère et pour des raisons médicales, on comprend mal qu'elle eut été pratiquée en Tunisie pendant les vacances des enfants et en l'absence de la maman »57.

62. Citons aussi une décision d'une autre Cour d'appel : «S'agissant de la circoncision, c'est en vain que le père soutient que des raisons médicales l'ont contraint à faire

53Par exemple : CA Aix 9 janvier 2007* ; CA Nancy 5 octobre 2009* ; CA Poitiers 11 mai 2011*; CA Grenoble 23 octobre 2012*.

54Par exemple Cass. Crim. 8 novembre 1976* ; Cass 1ère Civ. 18 mai 1989*. 55 CE 3 novembre1997*.

56CA Paris 29 septembre 2000* (la Cour qualifie l'acte de circoncision « à des fins rituelles », en expliquant que « cet acte chirurgical ne s'imposait pas d'après les certificats médicaux versés au débat »).

57CA Aix-en-Provence 9 janvier 2007*.

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effectuer cette opération durant les vacances en Algérie, les motifs indiqués (eczéma, mycoses) n'étant pas urgents et étant plus utilement pris en charge dans la durée en France par un traitement et des soins réguliers »58.

63. La plupart du temps, les juges se contenteront d'une définition négative de la circoncision rituelle. Le silence des parties, ou l'absence de preuve de la nécessité médicale de l'opération, suffiront à qualifier l'acte de rituel.

B - La circoncision rituelle qualifiée d'acte non usuel

64. La jurisprudence, après une difficile construction jurisprudentielle, a finit par dégager le principe selon lequel la circoncision rituelle est un acte non usuel de l'autorité parentale59 (2). Ces hésitations jurisprudentielles s'expliquent (et sont excusées) par la difficulté de la question (1).

1. La difficulté de la question

65. La notion même d'acte usuel est équivoque et fait débat. Il est impossible d'établir une nomenclature des actes de l'autorité parentale en y discernant les « actes usuels ». En l'absence de définition légale , il revient aux juges la mission de dessiner les frontières entre les actes usuels et les actes non usuels de l'autorité parentale.

66. La circoncision est à la fois un acte religieux et un acte médical (même si les juges concentrent leur raisonnement sur l'aspect religieux de la circoncision, celle-ci n'en reste pas moins doublée d'un caractère chirurgical). Or, en ces deux matières, les frontières entre actes usuels et non usuels laissent subsister quelques zones d'ombre. En l'absence d'une jurisprudence fournie sur ces questions, les théories doctrinales méritent elles aussi d'être soulevées.

67. En matière d'actes médicaux sur la personne de l'enfant, la plupart des auteurs considèrent qu'un grand nombre entrent dans la catégorie des actes usuels60. Pour certaines catégories d'actes médicaux, la thèse est moins certaine. La présomption de l'article 372-2 s'applique certainement s'il s'agit d'interventions obligatoires (comme les vaccinations) ou de routine. On peut l'admettre ainsi pour les demandes d'interventions plus exceptionnelles dans le domaine chirurgical notamment, dès lors que les risques paraissent très limités (réduction d'une fracture, appendice sans complication). Mais le praticien semble devoir exiger l'accord des deux parents pour une opération de quelque gravité61.

68. La question qui se pose est donc celle de savoir si la circoncision, d'un point de vue strictement médical, est une intervention chirurgicale comportant des risques limités ?

58 CA Poitiers 11 mais 2011*

59 Un doute subsiste par ailleurs s'agissant de la circoncision thérapeutique. Le contentieux n'est pas encore assez fourni pour savoir si celle-ci entre ou non dans la catégrorie des actes non usuels de l'autorité parentale.

60 G. Cornu ; L. Leveneur, La famille, Montchretien, 1995, n° 1150. 61Raymond Legeais, L'autorité parentale, 1973, Defrenois, page 87.

69.

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L'auteur Malek Chebel consacre toute un chapitre de son ouvrage aux « risques liés à la circoncision »62. Il explique que cette opération est « bénigne au plan technique et sans conséquences notables au plan traumatologique ». Mais des risques, notamment d'hémorragie, existent. Tout dépendra de « la technique même du circonciseur qui est en cause, du nombre d'enfants à circoncire et des précautions médicales et hygiéniques ». Par exemple, les risques d'hémorragie peuvent être évitées par le contrôle des facteurs coagulants de l'enfant et, si nécessaire, par l'injection d'antihémophiliques63.

70. La position des juges sur le sujet est difficile à cerner. Le TGI de Paris le 6 novembre 1973* parle d' « intervention relativement bénigne ». Dans le même sens, le Tribunal administratif de Marseille le 25 avril 1991* parle d' « opération bénigne que constitue une circoncision rituelle sous anesthésie générale ». Mais ces positions concernent des circoncisions pratiquée par un médecin. La solution jurisprudentielle aurait peut-être été différente face à un circonciseur coutumier (non médecin).

71. En matière d'éducation religieuse, la qualification d'acte usuel ou d'acte non usuel est débattue en doctrine64. Un auteur a pu écrire qu 'en ce qui concerne les démarches religieuse, le double consentement paraît indispensable quand il s'agit de prendre parti sur un principe (demande de baptême ou de circoncision). Mais par la suite la présomption de l'article 372-2 recouvrera les actes et demandes qui ne sont que la mise en oeuvre d'une orientation déjà arrêtée65.

2. La solution jurisprudentielle

72. Rares sont les décisions dans lesquelles les juges emploient expressément les termes d'« acte non usuel » de l'autorité parentale. La notion est implicite lorsque les juges énoncent que la circoncision est un acte relevant des deux parents66.

62 Malek Chebel, préc., page 26.

63 En effet, une ablation maladroite peut déchirer les petites veines du prépuce de manière à les rendre difficiles à soigner. Ce risque est sensiblement augmenté dans le cas des enfants hémophiles, lesquels sont souvent circoncis dans des services spécialisés. Après avoir contrôler les facteurs de coagulation de l'enfant et si ce dernier s'avère être hémophile, le médecin sera contraint de lui administrer préalablement des injections antihémophilliques, seule façon d'éliminer les dangers encourus par l'absence d'agglutinines.

64 Par exemple , Philippe Malaurie, qui se base sur une typologie du contentieux, affirme que la pratique religieuse est généralement considérée par la jurisprudence comme un acte usuel, bénéficiant de la présomption d'accord prévue par l'article 373-2 ». (Recueil Dalloz Sirey 1991, jurisprudence, page 521, note sous Cass 1ère civ, 11 juin 1991).

Dans un sens contraire, Jacqueline Flauss-Diem affirme que l'éducation religieuse de l'enfant n'est pas un acte usuel (Dictionnaire du Droit des Religions, sous la direction de Francis Messner, CNRS Editions (sous Droit de la famille, pages 207 et s.).

65Raymond Legeais, L'autorité parentale, 1973, defrenois, page 87.

66Civ 26 janvier 1994* ; CA Toulouse 30 mars 1994* ; CA Paris 29 septembre 2000* ; CA Versailles 15 mars 2007* ; CA Rennes 18 mars 2008* ; CA Nancy 5 octobre 2009* ; CA Versailles 10 juin 2010* ; CA Lyon 10 janvier 2011* ; CA Bordeaux 27 mars 2012* ; CA Grenoble 23 octobre 2012*.

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73. C'est en 2005 que les juges ont qualifié expressément la circoncision rituelle d'acte non usuel67. Cette solution a été confirmée en 2012 : « Attendu qu'il n'est nullement soutenu que la circoncision serait médicalement nécessaire ; que dès lors, elle ne constitue pas un acte usuel au sens de l'article 372-2 du Code civil »68.

3. Justifications de la solution

74. La solution, protectrice du consensualisme, est à saluer. Mais une réserve doit être émise quant aux justifications ayant mené à une telle solution. En effet, pour justifier la qualification d'acte non usuel, les juges ont employé plusieurs qualificatifs décrivant la circoncision, notamment celui d'acte « important »69. Mais certains juges ont préféré employer le qualificatif d'acte « grave »70, ou encore d '« atteinte directe au corps de l'enfant petit »71. En l'absence de justification objective (par exemple une expertise médicale qui s'emploierait à démontrer scientifiquement la « gravité » de l'intervention), l'emploi de ces derniers qualificatifs est critiquable. Il est contraire au principe de neutralité qui exige du juge une auto-interdiction de porter un jugement de valeur sur la religion ou sur la croyance en cause.

75. Nous rejoignons (sur ce point) le commentaire de Cyrille Duvert, selon lequel « Le choix d'un engagement religieux ou sa confirmation, et plus encore sa traduction par un signe corporel, constituent sans nul doute des actes importants mais ils ne sont pas pour autant nécessairement des actes graves. On rejoindrait ainsi le critère proposé par un auteur (H. Fulchiron) engageant l'avenir de l'enfant et nécessitant, à ce titre, l'accord des deux parents, tout en évitant les discussions sur les habitudes culturelles en vigueur dans tel ou tel milieu confessionnel : pour les juifs comme pour les musulmans pratiquants, la circoncision n'est pas un acte grave ; elle est en revanche certainement un acte important » 72.

76. Le contentieux de la circoncision fait ainsi transparaitre un débat encore plus large qui sont est celui de la recherche de critères objectifs d'identification des actes usuels et non usuels de l'autorité parentale73.

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