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La prime pour l'emploi (PPE) un outil de politique publique à  fonctions multiples, un sujet permanent de réforme et de redéfinition.

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par Thierry GATINES
UPMF Grenoble 2  - Master 2 Evaluation et management des politiques sociales 2015
  

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B - Analyse séquentielle de la Prime pour l'emploi : un recentrage

L'analyse séquentielle (C.O. Jones) et l'analyse cognitive des politiques publiques

(P. Muller) représentent, à l'égard de la PPE et de ses objectifs originels, des cadres théoriques qui vont permettre un recentrage. Partant du contexte et de l'analyse qui a conduit du besoin social au dispositif, analysant le problème social et déterminant le rôle des acteurs dans le processus public, et enfin, partant des référentiels global et sectoriel du début des années 2000, en identifiant le rapport entre eux (RGS), représentent les

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actions constitutives d'une démarche conduisant à la compréhension de cette politique publique de lutte contre la pauvreté (laborieuse), les inégalités, l'exclusion induite, et les trappes à inactivité possibles, et ce par la mise en oeuvre d'une politique active de l'emploi.

a - Contexte et analyse qui conduit du besoin social au dispositif

S'agissant de la période de création du dispositif de la PPE, le contexte économique était celui de la fin des années 90. Le contexte politique de cette même époque, assorti d'exemples étrangers ayant de fortes similitudes avec ce qui deviendra en 2001, en France, la Prime pour l'emploi, déboucha (de façon un peu hasardeuse, après censure du Conseil constitutionnel, comme il a été vu) sur la mise en oeuvre d'un dispositif singulier utilisant le crédit d'impôt. Dans les faits, c'est bien l'analyse du contexte de l'époque qui pose les fondations du dispositif mis en oeuvre en réponse au besoin social.

Le besoin social était de faire baisser la pauvreté, et de réduire les inégalités, ces deux points étant une source d'exclusion sociale (problème à résoudre).

Politiquement, afin d'éviter une assistance coûteuse, le dispositif à mettre en place devait induire une lutte contre la pauvreté passant par le travail (ou la mise au travail), et se devait donc aussi de lutter contre la pauvreté laborieuse63. Pousser la population au travail nécessitait qu'il existe une différence substantielle entre revenu d'activité et d'inactivité (afin de lutter contre les trappes), et imposait de rendre le travail des personnes peu qualifiées plus rémunérateur, plus intéressant (au sens « intéressement ») (« Making work pay »).

« Selon l'INSEE, un travailleur pauvre est une personne qui s'est déclarée active (ayant un emploi ou au chômage) six mois ou plus dans l'année, dont au moins un mois en emploi, et qui vit au sein d'un ménage pauvre. Selon l'INSEE, il y avait 1,09 million de travailleurs pauvres en 1997 et 0,99 million en 2001 (au seuil à 50% du revenu médian). Au seuil à 60% du revenu médian, les travailleurs pauvres sont au nombre de 2,08 millions en 1997 et de 1.97 million en 2001 » (Commission familles, vulnérabilité, pauvreté, 2005 : p. 26).

A titre d'exemple, « 93% des français déclaraient en 2004 être préoccupés à titre personnel par la pauvreté. La pauvreté est ainsi la principale préoccupation des français, avant le cancer (90%), le chômage (90%) et les problèmes liés à l'environnement (87%). Pour 82% des français interrogés, la pauvreté a augmenté en 2004. Les français sont ainsi 14% de plus qu'en 2002 à ressentir que la situation se dégrade. Pour un français sur trois (30%), la pauvreté c'est ne pas avoir de logement ; pour 45% c'est ne pas manger à sa

faim ; pour 10% seulement c'est être au chômage depuis plus de 10 ans » (Commission familles, vulnérabilité, pauvreté, 2005 : p. 106).

63 Selon le proverbe du XVème siècle « aide toi et le ciel t'aidera », et pour éviter que « le paresseux appelle chance le succès du travailleur » (proverbe d'origine britannique).

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Sous contrainte budgétaire, la solution de lutte contre la pauvreté (situation extrême des inégalités) passait prioritairement par la mise au travail. Mais même en situation d'emploi, dans certains cas, la pauvreté persistait : c'est la pauvreté laborieuse. Alors « comment pouvoir vivre dignement de son travail ? Un travail qui procure les moyens d'une existence décente ? Un travail qui permette d'envisager plus sereinement l'avenir de ses enfants ? » (Commission familles, vulnérabilité, pauvreté, 2005 : p. 23).

La nouvelle équation sociale a rapidement été de combiner les revenus du travail et les revenus de la solidarité (en évitant ainsi les trappes à inactivité). Elle a été également d'avoir une politique économique et sociale plus favorable à l'emploi et plus redistributive, conjuguant ainsi solidarité et dignité, notamment en lutte contre l'exclusion sociale (Commission familles, vulnérabilité, pauvreté, 2005).

Ainsi, avec la PPE, une nouvelle figure du travailleur précaire assisté prenait forme, en témoignage d'une interpénétration croissante de l'assistance et de l'emploi précaire (Martin, Paugam, 2009). De plus, outre leur condition de vie et le lien complexe qui peut exister entre le fait d'avoir un emploi (souvent un emploi aidé ou à temps partiel) tout en bénéficiant d'un minimum social, l'accès à l'emploi des bénéficiaires de minima sociaux a été pris en considération (Pla, 2006), donnant ainsi naissance à un nouveau régime de mise au travail (Martin, Paugam, 2009).

S'agissant des réformes de la PPE, seule celle de 2009 présente une réelle singularité de contexte. En effet, cette dernière réforme, traitant de l'articulation entre RSA et PPE (la réforme considérée comme la plus importante), a été entreprise sur fond de crise économique majeure, bien qu'à cette époque, l'importance de celle-ci n'était pas encore perçue : forte montée du chômage, de la pauvreté, des inégalités, et des situations de précarité face au problème de l'emploi, avec détérioration rapide des finances publiques (DARES, 2012).

Le dispositif de la PPE contribue donc à une réduction de la pauvreté (laborieuse), rendant le travail plus rémunérateur (Making work pay), luttant contre l'exclusion sociale qui peut en découler, et luttant pour une diminution des inégalités (vertu redistributive). Elle va dans la direction d'une mise au travail (par intéressement), en luttant contre les trappes à inactivité (notamment pour les minima sociaux et les temps partiels).

b - Problème social et rôle des acteurs

Face au problème social, « au possible nous sommes tenus » (Commission familles, vulnérabilité, pauvreté, 2005 : p. 5), au sens où les pouvoirs publics se doivent d'appliquer un remède au problème, ou du moins en rechercher un. L'Etat ne peut, en protection de sa légitimité et de son hégémonie, laisser pour comptes une population, victime des imperfections du marché, ou simplement victimes d'elle-même (par exemple, par incapacité à se prendre en charge, par manque de moyens, vieillesse,

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mauvaise santé, handicap, chômage structurel etc.). L'Etat a un devoir d'assistance vis-à-vis de la population, au-delà des systèmes d'assurance qu'il peut mettre en place, afin de pallier, par exemple, au manque d'anticipation des agents (chômage, retraite, santé...), ou à une « myopie spatio-temporelle » (peu ou pas de visibilité dans le temps pour une situation donnée). L'Etat tire ainsi de ses actions publiques sa légitimité et son pouvoir.

C'est ainsi qu'un problème, général, visible, touchant une assiette significative de la population, et humainement ou moralement (ou politiquement) intolérable, (ici la pauvreté laborieuse, les inégalités, et l'exclusion qui peut en résulter), appelle à une action des pouvoirs publics, allant du besoin social au dispositif, en surveillance du seuil d'intensité à partir duquel l'action publique se doit d'intervenir (notamment seuil de pauvreté, minima sociaux, et SMIC).

Le rôle de l'Etat est d'être « responsive » (conscient des problèmes et des demandes de la population), « accountable » (rendant des comptes), et « problem solving » (étant capable de résoudre les problèmes). C'est ainsi que les pouvoirs publics peuvent mener une politique économique et sociale plus favorable à l'emploi et plus redistributive, en créant également un engagement collectif sur la qualité des emplois (Commission familles, vulnérabilité, pauvreté, 2005).

Concernant la PPE, l'action s'est mobilisée au coeur des gouvernements successifs (du gouvernement Jospin, en 2001, au gouvernement Fillon, pour la dernière réforme). « C'est parce que pour une part de plus en plus importante de la population, les minima sociaux sont devenus des maxima indépassables et que, pour une proportion de plus en plus importante des ménages, le travail ne permet pas de franchir le seuil de pauvreté, qu'il faut transformer nos prestations sociales » (Commission familles, vulnérabilité, pauvreté, 2005 : p. 23).

S'agissant d'une mesure fiscale (et sociale), la PPE dispose d'un mode de décision publique réduit : Gouvernement, Assemblée Nationale, Loi de finances publiques (Doligé, 2008), avec la participation pour son époque du commissariat général au Plan (CGP), du Conseil d'analyse économique (CAE) ou du cabinet du Premier ministre (Colomb, 2012-1). Outre les aspects de cohésion sociale, d'emploi, et de travail, la PPE met en oeuvre, pour l'essentiel, le Ministère des finances.

Ces politiques ne sont pas organisées autour d'une profession ou de groupes de pression. Essentiellement, les hauts fonctionnaires ont la main sur la définition des orientations des politiques de l'emploi. Ces acteurs décisifs détiennent, en un certain sens, le bénéfice de la définition de la politique publique pendant un temps donné. Ils sont, pour un temps, en charge de produire la politique publique. La composition de ce groupe évolue toutefois au gré des nominations ministérielles et des mobilités professionnelles (Colomb, 2012- 1).

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c - Référentiel global, référentiel sectoriel, et rapport global sectoriel (RGS)

Cette analyse s'inscrit dans les travaux de science politique et de sociologie traitant de l'analyse cognitive des politiques publiques (Colomb, 2012-2). « De ce point de vue, nous comprenons les politiques publiques moins comme des fonctions visant à réduire les désajustements sociaux que comme des manières de voir et de transformer la réalité » (Colomb, 2012-2 : p. 33). A ce titre, « la catégorie politique de l'emploi correspond alors à une représentation du monde, construite par l'interaction entre une série d'acteurs décisifs au sein des scènes de production de politique publique et alimentée par des influences politiques, économiques, idéologiques extérieures. Ces scènes ne fonctionnent pas en vase clos, mais c'est en leur sein que sont interprétés les discours extérieurs et formulées les orientations des politiques publiques » (Colomb, 2012-2 : p. 33).

Ainsi, naît le référentiel sectoriel d'une politique publique, plus ou moins intégré dans le référentiel global du « Monde dans lequel chacun vit », et en interrelation permanente avec lui. Le concept de référentiel doit être compris comme « un système de représentation produit par et faisant sens pour les acteurs du secteur dans une situation donnée » (Jobert et Muller, 1987 : p. 15). Ce référentiel est imprégné par la domination au Monde, en balisage des controverses et des conflits, donnant les contraintes aux politiques, notamment face au contexte du moment. En effet, ce référentiel est le champ au sein duquel s'organisent les conflits et les affrontements de la Société, il est un rapport au Monde, en ce sens, que les groupes sociaux pensent leur position par rapport au Monde.

Les acteurs de l'époque ont ainsi analysé ces référentiels et ont défini la représentation du système à réguler pour traiter l'intervention, de façon qu'elle soit acceptée par l'opinion publique et « compatible » et « missible » au référentiel global. Cette approche a permis de traiter le sujet par le biais de l'image que se font les intéressés du problème et des mesures envisagées en solution (avec prise en compte des décalages et des distorsions possibles). Ce travail concoure au processus de globalisation et d'hégémonie de l'Exécutif.

A cheval entre deux Mondes (le référentiel global et le référentiel sectoriel), le travail de médiation peut ainsi s'accomplir. Conduit par les acteurs du moment (les médiateurs), il permet de décoder et recoder le réel afin de mettre les idées en actions, en les faisant accepter par la population, et en présentant ce changement comme inévitable, comme une réalité du moment, s'appuyant sur la Société toute entière (hiérarchie des normes légitimée). L'intégration des référentiels sectoriels au global est bien une image codé du réel, donnant du sens au travers des normes et des référents politiques concernés. Les médiateurs chargés de décoder et de recoder l'action (l'Etat en action), doivent en effet particulièrement considérer la manière dont est perçue la politique par les individus, sur le plan sociologique (Perret, 2008).

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Pour la PPE, nous ne pouvons pas parler strictement de « médiateurs », au sens de Jobert et Muller, car il n'est pas retrouvé de groupe professionnel sectoriel construisant ces politiques (Jobert, Muller, 1987). La PPE a été une représentation du réel, une théorie de l'action, et elle a donné du sens, ce qui, dans toutes ses différentes lectures, a contribué à donner les conditions de la régulation et de l'hégémonie à l'Exécutif.

Quels sont, dans le dispositif de la PPE, l'image véhiculée, les valeurs de bien ou de mal, les normes (l'impératif de l'action), voire la relation causale exprimant la théorie de l'action, jusqu'à l'image même de l'action (exprimant un sens immédiat) ? Le sens est à trouver dans une approche qui se fait par l'action et non par les idées. En effet, selon la définition de Meny et Thoenig, la politique publique est un ensemble de mesures concrètes, de décisions plus ou moins autoritaires et normatives, inscrites dans un cadre général d'actions, concernant un ou plusieurs destinataires ou objectifs à atteindre. Elle permet notamment d'observer l'Etat par le bas et en détail (l'action de l'Etat). Elle est nécessaire à la Société à gérer sa propre historicité, c'est-à-dire à générer sa propre reproduction et évolution.

Dans tous les cas, elle n'est pas la transformation d'un paradigme, car elle met en oeuvre les croyances des acteurs, et non une vérification expérimentale. Elle est une simple mise en cohérence, par l'élite dirigeante, d'une Société sectorisée face au global, mêlant valeurs, normes, algorithmes, et images (notamment les classes riches et les classes pauvres, dans le cas de la PPE). Dans l'image véhiculée, il pouvait être déchiffré que les pouvoirs publics oeuvraient en direction d'un lissage des inégalités, d'une aide en direction des travailleurs pauvres, d'une main tendue en faveur d'une reprise d'activité ou d'un maintien dans l'emploi, en lutte contre la pauvreté. Cette image était colorée d'un principe méritocratique (« aidez-vous et le ciel vous aidera » : entendre « travaillez et l'Etat vous aidera »). Le message véhiculé en direction du patronat était que cette mesure fiscale ne mettait pas à contribution les employeurs et n'alourdissait pas le coût du travail, en maintien de la rentabilité et de la compétitivité.

Deux référentiels sectoriels sont essentiellement concernés par la PPE : celui de la pauvreté et des inégalités et celui du marché du travail.

Le premier référentiel des politiques de l'emploi prend naissance dans les années 60. Le second référentiel des politiques de l'emploi naît progressivement dans la seconde moitié des années 70, dans un contexte de crise économique durable (Colomb, 2012-1). Il est à préciser qu'il n'y a un changement de référentiel uniquement quand il y a une dissonance insupportable dans le rapport entre le référentiel global et le référentiel sectoriel (RGS), ce qui a été le cas ici face désormais à la fin sonnée des Trente Glorieuses et l'apparition d'une crise économique chronique. Se développèrent alors « de nombreux instruments de politiques de l'emploi qui feront florès par la suite » (Colomb, 2012-1 : p. 63). C'est ainsi que les réformes progressives du système d'assurance chômage, par exemple, permettent de comprendre ce passage progressif vers un nouveau référentiel avec notamment la mise en cause progressive du chômeur comme victime de la

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conjoncture économique (Colomb, 2012-1). Le référentiel sectoriel de l'emploi représente l'image dominante du secteur (l'image sociale).

Ce référentiel sectoriel appelle une mise en cohérence, sur le plan de la construction sociale, avec les autres référentiels sectoriels, et avec le référentiel global (encastrement du sectoriel dans le global avec hiérarchisation des objectifs).

Le second référentiel sectoriel concerné par la PPE est celui de la lutte contre la pauvreté et les inégalités. « Même si la question de l'accès aux droits sociaux a une longue histoire, elle allait être placée au centre de l'action sociale à partir des années 1960, et être constituée en tant que référentiel de la lutte contre la pauvreté. Des acteurs administratifs ainsi que des acteurs professionnels, surtout associatifs, allaient être au centre de la traduction d'un référentiel sectoriel compatible avec le référentiel global » (Hamel, 2009). L'accès aux droits sociaux, notamment les minimas sociaux, ont donné la substance à ce référentiel sectoriel.

Il est à souligner, qu'il peut être considéré que la pauvreté et le chômage (au sens de la politique de l'emploi qui s'y rattache) ne relèvent plus complètement d'une logique de découpage sectoriel, vu aujourd'hui son ampleur et son atomisation (Hamel, 2009).

S'agissant d'une mesure de nature « assistancielle », la PPE n'a pas subie de critique ou tension majeure de l'opinion publique (les critiques sont arrivées dans les faits des personnalités politiques, toutes tendances confondues, et ont été inhérentes à la pertinence et aux impacts même du dispositif). L'imbrication de cette mesure sectorielle dans le global (RGS) s'est réalisée sans tension particulière, elle a été naturellement intégrée et acceptée par l'opinion publique, sans dissonance particulière, sûrement aidée par les exemples étrangers.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus