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La prime pour l'emploi (PPE) un outil de politique publique à  fonctions multiples, un sujet permanent de réforme et de redéfinition.

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par Thierry GATINES
UPMF Grenoble 2  - Master 2 Evaluation et management des politiques sociales 2015
  

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CONCLUSION GENERALE

La PPE depuis 2001, par le biais d'un crédit d'impôt récupérable, a une fonction redistributive centrale à travers l'incitation au retour à l'emploi et au maintien de l'activité (particulièrement par l'intéressement des minimas sociaux). Elle ne cherche pas cependant à compenser l'insuffisance des revenus liée à une faible durée de travail annuelle. Elle ne concerne que les actifs au travail ayant des revenus se situant entre

0,3 et 1,4 SMIC (triple condition de ressources, d'activité, et de revenu et configuration du foyer fiscal : voir annexe 5). Elle se pose en double lutte : celle contre la pauvreté laborieuse, en redistribuant du pouvoir d'achat aux travailleurs et aux ménages pauvres, et celle contre les trappes à inactivité (et l'exclusion sociale qui peut en découler), en créant un écart entre revenu d'activité et d'inactivité, rendant le travail plus rémunérateur (Making work pay) sur l'exemple proche des dispositifs britannique et américain. La PPE, instrument de soutien aux bas revenus, est à la fois une mesure sociale et fiscale (effet global), qui permet de majorer le taux de salaire net sans accroître le coût salarial, en maintien d'une rentabilité des entreprises et d'une compétitivité du modèle français (Périvier, 2003). La PPE est d'autre part une mesure contra cyclique, venant en amortisseur de chocs exogènes, et elle permet également d'éviter « l'effet Matthieu » (consistant à donner davantage à ceux qui ont déjà : c'est-à-dire accorder des avantages sociaux plus élevés aux classes moyennes qu'aux classes pauvres) (Elbaum, 2011). Enfin, elle induit un principe Méritocratique, au sens du proverbe du XVème siècle « aidez-vous et le ciel vous aidera » : au sens «travaillez et l'Etat vous aidera » (aide par le travail).

D'initiative socialiste, partant du contexte économique et politique de son époque, mais aussi d'exemples étrangers l'ayant en partie inspirée, la PPE est passée par plusieurs réformes et revalorisations, l'ayant « modelée » et « précisée » au fil du temps et des périodes d'alternance et de cohabitation vécues depuis 1981, traduisant ainsi la volonté des gouvernements successifs de soutenir le revenu des travailleurs modestes autrement que par les revenus du travail (Bonnefoy et al, 2009). La PPE, au travers de ses différentes réformes, a contribué à gommer certaines externalités négatives découlant d'inégalités sociales. Cependant, il subsiste encore des niveaux d'inégalité moralement et socialement inacceptables (Piketty, 1997).

Ce dispositif a cependant toujours suscité de riches interrogations : la Prime pour l'emploi a-t-elle un impact redistributif, stimule-t-elle l'emploi (Pisany-Ferry in OFCE, 2003), notamment l'emploi des femmes (Cahuc, 2002), est-elle socialement juste (Dupond, Sterdyniak, 2001), est-elle compréhensible, attractive, et efficace (Sirugue, 2013), peut-elle poursuivre plusieurs objectifs en même temps (Dupond, Sterdyniak, 2001) ? Enfin, quelles perspectives d'avenir pour la Prime pour l'emploi (Sirugue, 2013) ?

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Une reformulation simplifiée du questionnement permet de poser une question plus claire : pourquoi la Prime pour l'emploi n'a-t-elle pas fonctionné, et quelles sont ses perspectives d'avenir ? (question centrale).

L'analyse a été conduite à l'aune de la pertinence, de l'efficacité, et de l'efficience du dispositif de la Prime pour l'emploi (problématique), s'appuyant sur un comparatif avec des dispositifs étrangers présentant des similitudes avec la PPE (l'EITC américain et le WFTC britannique), et s'appuyant notamment sur les cadres théoriques proposés par Charles O. Jones (analyse séquentielle des politiques publiques) (Jones, 1970), par Pierre Muller (Analyse cognitive des politiques publiques) (Jobert, Muller, 1987 ; Muller 2000, 2013 ; Muller, Surel, 2000), et par Amartya Sen, s'agissant des aspects de justice sociale (Approche par les capabilités) (Sen, 2003).

En réponse à la question de Pisany-Ferry en 2003, et selon la démonstration et l'analyse menées, il peut être affirmé que l'objectif de redistribution de la PPE n'est pas atteint. La redistribution est insuffisante en volume, et décentrée par rapport à la réelle cible de la pauvreté, même laborieuse. En effet, la Prime pour l'emploi n'a qu'un effet redistributif limité, de part un ciblage insuffisant et de part la modicité des montants distribués (Legendre et al., 2004). D'autre part, elle ne bénéficie qu'aux personnes en emploi, les plus démunis, les personnes sans emploi, ou à temps très partiel, ne font en effet pas partie de la cible. De ce fait, 84,5 % des bénéficiaires de la PPE ne sont pas en situation de pauvreté (Cour des comptes 2006 ; Cour des comptes, 2011), et « la Prime pour l'emploi ne réduit que de 0,5 point le taux de pauvreté des personnes en emploi » (Bonnefoy et al., 2008 - 2 : p. 4).

Enfin, son « décentrage » vient de l'exclusion de son bénéfice des personnes ayant des revenus d'activité inférieurs à 0,3 SMIC, et son extension à des personnes ayant des revenus d'activité supérieurs à 1,4 SMIC. Cet aspect, à l'évidence, amoindrit le caractère purement redistributif de la PPE dans la mesure où la prise en compte de certaines situations familiales permet notamment à des personnes disposant d'un revenu d'activité atteignant 2,1 SMIC d'en bénéficier (Bonnefoy et al., 2008 - 2).

Déjà en 2008, il pouvait être lu que « la PPE devrait disparaître au profit du RSA qui en récupérerait ainsi l'enveloppe budgétaire » (Cahuc et al., 2008 : p. 158), et que du moins, dans tous les cas, il conviendrait d'organiser autrement son recentrage sur les premiers déciles : « ce serait un objectif que d'annuler dès que possible la prime dont bénéficient les 50 % plus aisés » (Cahuc et al., 2008 : p. 159). Dans tous les cas « aujourd'hui, la PPE est particulièrement diluée, ce qui est largement dénoncé... ... Ce constat justifie d'envisager des mesures de recentrage » (Hirsch, 2008 : p. 197).

« Quoi qu'il en soit, l'introduction de la PPE a permis de réduire le taux moyen des prélèvements nets sur les individus les plus modestes appartenant à un ménage mono-actif qui ne pouvaient profiter des baisses d'impôts car ils étaient non imposables » (Périvier, 2003 : p. 307).

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En réponse à la question de Pisany-Ferry en 2003, il peut être affirmé que la PPE a un impact très faible sur l'offre de travail et très incertain sur l'emploi. En augmentant le gain financier procuré par l'emploi, la PPE cherche à stimuler l'offre de travail. Mais, en réalité, la prime peut exercer deux types d'effets antagonistes sur les comportements d'activité :

-un effet de substitution : la hausse de la rémunération du travail rend celui-ci plus attractif que l'inactivité (impact positif) ;

-un effet de revenu : l'augmentation du pouvoir d'achat de chaque heure travaillée permet aux individus, à revenu constant, de travailler moins (impact négatif).

La Prime pour l'emploi peut par ailleurs décourager l'activité du second travailleur dans les couples biactifs, en raison de la contrainte du plafond de revenu global, calculé au niveau du ménage (Cour des comptes, 2006). De plus, les dispositifs fiscaux proposant des crédits d'impôt aux ménages dont un des membres, préalablement inactif, reprend un emploi, visent à augmenter l'offre de travail, mais leur efficacité reste toutefois faible tant que leur impact anticipé est réduit par les effets désincitatifs d'autres transferts (Fougère, 2006).

L'ensemble des études menées montrent que l'impact de la PPE sur l'offre de travail est positif mais faible (de + 0,2 à +0,4 % selon les études). Egalement, les enquêtes réalisées auprès des ménages corroborent ces conclusions : en juin 2003, dans leurs réponses à l'enquête de l'INSEE, 3 % seulement des ménages interrogés ont indiqué être incités par la PPE à « reprendre une activité », 4 % seulement à « travailler davantage » et 31 % à « continuer à travailler » (Bonnefoy et al., 2008 - 2).

L'effet sur l'emploi est encore plus incertain que sur celui de l'offre de travail, l'efficacité de la PPE sur l'emploi étant tributaire du contexte économique général.

En réponse à la question de Cahuc en 2002, les évaluations disponibles montrent que la PPE n'a qu'un impact très faible sur l'emploi, notamment sur celui des femmes (Laroque, Salanié, 2002 ; Périvier, 2003). L'une des études conclut que la PPE ne permettrait qu'une hausse du taux d'emploi de 0,2 point (de 47,3 à 47,5 %) pour les femmes, et de 0,3 point (de 84,6 à 84,9 %) pour les hommes (Cour des comptes, 2006). Enfin, des trappes à inactivité demeurent pour certains groupes d'individus (Anne et l'Horty, 2002), notamment pour les femmes (Jamet, 2006 ; Margolis, Starzec, 2005). Certes, la PPE n'a pas pour seul but de stimuler l'emploi, mais compte tenu de son coût budgétaire, son rapport coût/efficacité est faible (Bonnefoy et al., 2008 - 2).

Selon la Cour des comptes en 2006, le montant de la PPE est à la fois trop faible pour créer un réel effet d'incitation de retour à l'emploi et mal distribuée (Cour des comptes, 2006).

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En réponse à la question de Dupond et Sterdyniak en 2001, en 2006 les magistrats de la rue Cambon soulignaient que le choix n'avait pas été fait entre deux objectifs : inciter à la reprise d'un emploi et redistribuer du pouvoir d'achat à des travailleurs à faible revenu (Cour des comptes, 2006). A cet égard, et selon eux, la PPE n'est pas un outil adéquat pour accroître l'emploi et en même temps pour venir en aide aux travailleurs les plus pauvres. Pour être potentiellement efficace, un instrument d'incitation au travail doit être individualisé. À l'opposé, pour être redistributif, un transfert doit tenir compte de l'ensemble des ressources du ménage afin d'en faire bénéficier les plus pauvres. Ainsi, le même instrument ne peut être à la fois incitatif et redistributif. Or ces deux objectifs sont bien assignés à la PPE. De ce fait, le dispositif n'atteint ni l'un ni l'autre (Allègre, Périvier, 2005-2 ; Commission familles, vulnérabilité, pauvreté, 2005 ; Cour des comptes, 2011). Il serait également illusoire d'espérer concevoir un dispositif miraculeux qui permettrait d'atteindre de multiples objectifs dans le même temps (Allègre, 2013).

Sur le plan de sa mise en oeuvre, et selon l'analyse menée en application des cadres théoriques de Charles O. Jones (analyse séquentielle des politiques publiques) et de Pierre Muller (Analyse cognitive des politiques publiques) il est constaté que la PPE n'a pas subie de critique ou tension majeure de l'opinion publique (les critiques sont plutôt arrivées des personnalités politiques, toutes tendances confondues, et ont été inhérentes à la pertinence et aux impacts même du dispositif). L'imbrication de cette mesure sectorielle dans le référentiel global (RGS) s'est réalisée sans tension particulière, elle a été naturellement intégrée et acceptée. Une particularité se dégage du dispositif de la PPE : s'agissant d'une mesure fiscale (et sociale), la PPE dispose d'un mode de décision publique réduit : Gouvernement, Assemblée Nationale, Loi de finances publiques (Doligé, 2008), avec la participation, pour son époque, du commissariat général au Plan (CGP), du Conseil d'analyse économique (CAE) ou du cabinet du Premier ministre (Colomb, 2012-1). Outre les aspects de cohésion sociale, d'emploi, et de travail, la PPE met en oeuvre, pour l'essentiel, le Ministère des finances.

En réponse à la question de Dupond et Sterdyniak en 2001 concernant le respect des principes de justice sociale, selon la démonstration et l'analyse menée, il peut être affirmé que la PPE, tout en gommant certaines inégalités, est créatrice d'autres inégalités sociales. D'une part elle ne concerne que les actifs au travail, par opposition aux chômeurs, et d'autre part, elle ne concerne que la part de la population percevant plus de 0,3 SMIG (par troncature). Cette double condition d'activité et de niveau de revenu, particulièrement dans le cadre actuel de présence d'un chômage de masse structurel, et par opposition à la situation du début des années 80, fait que la PPE est génératrice d'injustices sociales vis-à-vis des personnes privées d'emploi, et vis-à-vis des travailleurs à certains temps partiels (très partiels). Elle est également créatrice d'inégalité entre personnes pauvres avec ou sans emploi. Enfin, elle met en exergue l'effet Matthieu : donner à ceux qui ont déjà, puisque « la Prime pour l'emploi ne profite donc pas majoritairement aux plus pauvres » (Clerc, 2006), mais seulement à ceux qui travaillent (Barnaud, Bescond, 2006).

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Concernant les femmes, la balance entre le coût de la sous-traitance de certaines tâches au sein du foyer, le coût de la garde des enfants, et le salaire que les femmes reçoivent si elles travaillent, peut être créatrice de trappe à inactivé structurelle et spécifiquement féminine. Le fait que cet aspect ne concerne que les femmes, en opposition aux hommes, et ce dans un contexte d'absence d'aides spécifiques venant atténué cet état de fait, est créateur d'une injustice sociale de genre.

En point positif, le système d'attribution de la PPE (automatisation fiscale et crédit d'impôt) permet toutefois de contrer le phénomène de non-recours aux droits sociaux (Warin, 2010), ce qui va en faveur, à cet égard, d'une égalité des chances.

Les politiques sociales pourraient, dans une approche non monétaire, intervenir au titre des capabilités au sens de Sen. Par exemple, s'agissant de la PPE, il pourrait être adjoint, en complément ou en remplacement d'une partie de l'aide monétaire, une palette de services concernant les freins à la reprise ou au maintien dans l'emploi. Il est une fois de plus dommage que les personnes sans emploi ou faiblement employées (en dessous de 0,3 SMIC) ne puissent bénéficier de la PPE, tant sur le plan pécuniaire que sur celui des capabilités qu'il serait possible de mettre (ou remettre) en oeuvre. Cet aspect est d'autant plus dommageable pour les femmes et/ou les personnes à charge de dépendants. En effet, c'est précisément cette catégorie de personnes qui subit le plus de privations au sens de Sen (Sen, 2003).

A la lumière des enseignements ainsi obtenus quelle réponse apporter à la question centrale : pourquoi la Prime pour l'emploi n'a-t-elle pas fonctionné, et quelles sont ses perspectives d'avenir ?

En résumé, la Prime pour l'emploi présente trois principaux défauts qui altèrent son efficacité incitative et redistributive. Le dispositif est peu ciblé (premier défaut) et induit de faibles montants unitaires distribués (second défaut). Enfin, la Prime pour l'emploi manque de visibilité tant pour ses bénéficiaires effectifs que pour ses bénéficiaires potentiels (troisième défaut). Au final, la PPE a un impact limité tant sur l'offre de travail et l'emploi que sur son aspect redistributif (Cour des comptes, 2006).

Le manque de visibilité de la Prime pour l'emploi lui tient à trois facteurs. D'abord, la prime n'est perçue qu'avec un important décalage dans le temps (9 à 18 mois). Ce décalage, dû au rattachement de la PPE à l'impôt sur le revenu, affaiblit le message selon lequel « le travail paie » (Making work pay) (Arnaud et al., 2008 ; Attali, 2008 ; Cahuc et al., 2008 ; Cour des comptes 2006 ; Cour des comptes 2011). Afin d'y remédier, la loi de finances pour 2004 a instauré un système d'acompte pour certains demandeurs d'emploi et titulaires de minima sociaux reprenant une activité. Mais, complexe, mal connu et mal compris, ce dispositif est très peu utilisé (Cour des comptes, 2006).

En second lieu, la complexité du mode de calcul de la PPE et de ses conditions d'attribution et de versement a pour conséquence qu'un bénéficiaire sur quatre de la

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PPE, une année donnée, n'est pas en mesure de déterminer si, au vu de son comportement d'activité, il en bénéficiera encore l'année suivante. Ce manque de prévisibilité affecte de la même façon les personnes qui reprennent pour la première fois une activité professionnelle (ils ignorent si elle leur ouvrira droit à la prime).

Ce manque de visibilité affaiblit d'autant plus la dimension incitative de la PPE que les personnes concernées font souvent face à d'importantes contraintes de liquidité (Cour des comptes, 2006).

Enfin, et en réponse à la question de Sirugue en 2013, l'information faite sur la Prime pour l'emploi est lacunaire (Bonnefoy et al., 2008 - 1), tel que le démontre les annexes 6, 7, et 8 : les enquêtes « terrain » réalisées ont démontré une faible connaissance du dispositif, particulièrement en catégorie « employés et ouvriers » (essentiellement le coeur de cible de la PPE). La prime étant un avantage fiscal et non un élément de paie, elle ne figure pas sur le bulletin de salaire. A cet égard, une forte communication aurait été nécessaire pour faire clairement percevoir le dispositif au grand public. Mais le service public de l'emploi ne relaie pas l'information auprès des demandeurs d'emploi, ce qui représente une incohérence. L'ANPE70/71, par exemple, ne formulait aucune instruction visant à ce que la question de la PPE soit abordée lors des entretiens d'accompagnement. Le constat est similaire dans les autres administrations et services sociaux (caisses d'allocations familiales, ASSEDIC, centres communaux d'action sociale (CCAS)). La Prime pour l'emploi souffre de ce fait d'un réel déficit de notoriété : si une enquête de l'INSEE a montré que 81 % des ménages interrogés avaient déjà « entendu parler » de la PPE, cela signifie, a contrario, que près de 20 % d'entre eux ignoraient jusqu'à son existence (Cour des comptes, 2006). Ce point très important constituerait, selon la Cour des comptes en 2006, une des raisons essentielles de l'échec du dispositif sur l'incitation au travail (Cour des comptes, 2006).

La PPE a fait l'objet de critiques répétées de la Cour des comptes, qui la juge trop complexe, pas assez redistributive et illisible. La complexité du barème de la PPE rend effectivement sa lisibilité difficile (Legendre et al., 2004).

Pour conclure sur le dispositif de la PPE, il peut être souligné en point positif que d'aspect financier (matériel et repérable) le dispositif a permis des actions immatérielles (discours, etc.) valorisant son existence, et l'intérêt porté à la pauvreté (laborieuse notamment), aux inégalités, et à l'exclusion sociale. D'autre part, bien que créant une segmentation (les assujettis et les non assujettis), elle a permis de préserver une confidentialité, évitant la stigmatisation (car utilisant le canal fiscal).

L'évaluation de l'impact de la PPE est difficile à mettre en oeuvre dans une analyse « coût-bénéfice », la Prime pour l'emploi étant de montant réduit mais d'assiette large (contrairement au modèle du « Earned Income Tax Credit » américain et du « Working

70 Agence nationale pour l'emploi (ANPE).

71 Pôle-Emploi aujourd'hui a le même comportement, après renseignement pris par téléphone le 11 juin 2015 auprès de Madame Sophie Sourisse, conseillère emploi à l'agence de Saint-Chamond dans la Loire.

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Family Tax Credit » britannique qui comprennent des montants plus importants car ciblés sur une population réduite, donc plus facilement mesurable). L'optimalité résiderait dans une solution permettant de réaliser le meilleur arbitrage entre la redistribution souhaitée et la perte d'efficacité économique qu'elle engendre, tout en préservant le principe de justice sociale.

La difficulté récemment rencontrée par le gouvernement pour baisser les cotisations sociales salariées sur les bas salaires (mesure censurée par le Conseil constitutionnel) a relancé le débat sur les réformes des dispositifs existants pour les plus bas revenus: la Prime pour l'emploi et le Revenu de solidarité active (Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques (LIEPP), 2014 ; Ministère des Finances et des Comptes Publics, Secrétariat d'Etat au Budget, 2014). La tentation de désactiver une dépense « passive » a été à plusieurs reprises abordée. De plus, malgré que l'Europe ait été favorable à une époque aux incitations financières des Etats membres pour l'emploi (« afin de rendre l'emploi attrayant et d'encourager les hommes et les femmes à rechercher, occuper et conserver un emploi »), le Conseil européen déclarait pour la France que « le système d'incitation et les finances publiques auraient tout à gagner de la suppression de la PPE, compte tenu notamment de son coût budgétaire (environ 4 milliards d'euros par an) ». La PPE, présentée comme la seule voie efficace de soutien aux bas revenus, était en fait dénoncée depuis plusieurs années comme étant une « dépense passive » (Gomel, Serverin, 2013).

Les débats sur la fusion de la PPE avec le RSA activité ont eu lieu à l'Assemblée nationale et au Sénat. La loi de finances rectificative pour 2014 fait annonce du projet de Prime d'activité, par fusion du RSA activité et de la PPE, pour une mise en oeuvre en 2016. Elle annonce également, à cet effet, la suppression de la PPE (en appui des conclusions du rapport Sirugue et du rapport Lefebvre et Auvigne sur la fiscalité des ménages) (Assemblée Nationale, 2014 ; Auvigne et Lefebvre, 2014 ; De Mongolfier, 2014 ; Mouiller, 2014 ; Puren, 2015 ; Sirugue, 2013).

La PPE doit donc disparaître fin 2015 au profit d'une Prime d'activité. Pour l'économiste Thomas Piketty, auteur de l'ouvrage Pour une révolution fiscale, la suppression de la PPE est une bonne chose car elle est versée avec un an de retard (Lévêque, 2012).

Concernant l'évolution annoncée du dispositif pour 2016, il est à souligner que déjà en 2000, soit avant le vote instituant la PPE, le rapport Belorgey72 sur les minima sociaux, les revenus d'activité, et la précarité, préconisait d'approfondir les débats autour de l'éventuelle fusion des minima sociaux et de leur relation avec les autres prestations, et de prolonger les réflexions du rapport Boissonnat73 sur la continuité de la protection sociale et la sécurisation de la relation de travail (« flexicurité », stratégie de Lisbonne,

72 Jean-Michel Bélorgey est un Énarque (promotion Turgot). Il est membre du Conseil d'État dont il présida la Section du rapport et des études jusqu'au 3 novembre 2009.

73 Jean Boissonnat est un économiste, journaliste et homme de presse français.

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2000). Ce rapport proposait d'étudier l'articulation des minima sociaux et des revenus d'activité, pour en apprécier les conséquences sur les incitations à l'activité, et émettait des propositions visant à harmoniser les minima sociaux et à encourager l'activité (et à plus long terme à rechercher une articulation entre minima et dispositif social et fiscal).

Plus récemment, le diagnostic dressé dans le rapport Sirugue est relativement consensuel : RSA activité et PPE n'atteignent pas les objectifs d'incitation et de redistribution. Le rapport souligne ainsi que les effets redistributifs des deux instruments sont limités et l'impact sur le retour et le maintien dans l'emploi est relativement faible. Il souligne toutefois que le fait de rapprocher les deux dispositifs dans cette critique est trompeur puisque leurs limites proviennent de spécificités diamétralement opposées.

En effet, la PPE est un crédit d'impôt essentiellement individualisé, dont le montant maximal est atteint au niveau d'un SMIC à temps plein. Son impact redistributif est

faible : le dispositif verse de faibles primes à beaucoup de foyers (il bénéficie à 6,3 millions de foyers fiscaux pour un montant moyen mensuel de 36 euros, en 2012), ce qui dilue son éventuel impact incitatif (Allègre, 2013). « De plus, la PPE n'est pas particulièrement ciblée sur les plus pauvres : près de 30 % des foyers fiscaux bénéficiaires ont un niveau de vie supérieur à la médiane nationale » (Allègre, 2013 : p. 1).

Concernant le RSA activité, « il s'agit d'une prestation sociale « familialisée » bénéficiant à environ 700 000 foyers pour un montant moyen de 170 euros mensuel, en 2012. Le dispositif est ciblé sur les foyers les plus pauvres : environ les deux tiers des dépenses sont perçues par des ménages des deux premiers déciles de niveau de vie. En fait, la limite redistributive du RSA activité est liée au non-recours à la prestation, estimé à 68 % en 2011 » (Allègre, 2013 : p. 2). Selon certains auteurs, le passage du recours partiel au plein recours au RSA activité ferait sortir près de 500 000 individus de la pauvreté (Allègre, 2013). « Si les motifs de non-recours sont multiples, deux causes essentielles peuvent être mises en avant : la complexité des formalités de demande et la non-demande volontaire (par peur de stigmatisation, peur de devoir rembourser des sommes indues ou dans une volonté d'autonomie...) -le RSA activité restant associé à l'image de minimum social- ces deux explications étant évidemment complémentaires » (Allègre, 2013 : p. 2).

Le rapport Sirugue proposait l'instauration d'un dispositif hybride entre RSA activité et PPE qui se substituerait aux deux instruments74 (Sirugue, 2013). « La Prime d'activité serait individualisée mais sous conditions de ressources familiales (de même que la PPE) ; elle serait maximale pour des revenus équivalent à 0,7 SMIC, donc plus faibles que pour la PPE, mais plus élevés que pour le RSA activité. La prestation serait versée mensuellement et reposerait sur une déclaration de revenus trimestrielle (de même que le RSA activité) » (Allègre, 2013 : p. 2). « Le rapport propose de « compenser les effets de l'individualisation du complément financier » avec des mesures à destination des enfants (complément enfant,

74 Sachant que l'OCDE en mars 2013 arrivait aux mêmes conclusions : l'idée de fusion de la PPE et du RSA (OCDE, 2013).

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majoration de l'Allocation rentrée scolaire) » (Allègre, 2013 : p. 3). « En termes d'incitation au travail, la réforme proposée permet, pour les couples, d'augmenter les gains de retour à l'emploi du travailleur additionnel - le plus souvent la femme - ce qui serait plutôt favorable à l'égalité au sein des couples. Toutefois, l'individualisation avec prime maximale au niveau de 0,7 SMIC comporte un risque : celui du développement de l'offre et la demande d'emplois au SMIC à temps partiel long (4/5e) » (Allègre, 2013 : p. 5).

Déjà évoqué en avant-gardisme en 2008, pour finalement une application avortée en 2009 (Mongin, 2008), la PPE va enfin être abandonnée en 2016 au profit d'une « Prime d'activité » (fusion de la PPE et du RSA activité), allant peut-être en direction du modèle américain ou britannique, suivant le paradigme international, l'Etat semblant se positionner en Etat régulateur. La future prime d'activité touchera en effet moins de bénéficiaires mais sera plus efficace au travers de sommes distribuées plus substantielles (Julia, 2015).

« La fusion des deux aides devrait permettre de créer une prime plus cohérente, elle sera versée tous les mois mais calculée par trimestre. Et concentrée sur les travailleurs qui gagnent entre 570 et 1360 euros nets, soit entre 0.5 et 1.2 SMIC. Elle devrait au final concerner 4 millions de bénéficiaires, et pour une enveloppe de 4 milliards d'euros. Ce qui correspond au budget du RSA activité et de la Prime pour l'emploi cumulés. Son montant maximum avoisinera les 200 euros. Autre nouveauté, cette prime sera ouverte aussi aux 18/25 ans qui n'ont pas accès aujourd'hui au RSA. Ce qui répond à une demande forte des associations caritatives » (Julia, 2015). « Fusionner les deux aides va permettre d'en créer une nouvelle - la Prime d'activité - plus incitative et mieux ciblée. Une aide non fiscale qui sera accordée à toute personne dont les revenus ne dépassent pas 1,2 SMIC par mois

(1 734 € sur la base du SMIC 2014), et dont le montant maximal pourrait atteindre 215 € par mois pour ceux gagnant moins de 0,7 SMIC par mois » (Puren, 2015).

La Prime activité touchera 4 à 5 millions de bénéficiaires (Puren, 2015).

Cependant, bien que l'assiette des bénéficiaires soit plus réduite et que les montants distribués soient plus importants, sur le modèle britannique et américain, la fourchette de bénéfice ouverte (de 0.5 à 1.2 SMIC pour la Prime d'activité, contre une fourchette de 0.3 à 1.4 SMIC pour la PPE) semble ne rien résoudre, en ces périodes de présence d'un chômage de masse structurel, au problème de la pauvreté liée à l'absence d'emploi ou à celle représentée par un temps de travail discontinu ou très partiel. Toutefois, au sein du nouveau dispositif, il est à constaté qu'un choix a enfin été fait en faveur de l'incitation au travail, préférentiellement à celui de la redistribution des revenus.

« Grande est notre faute, si la misère de nos pauvres découle non pas de lois
naturelles, mais de nos institutions »

(Charles Darwin, Le voyage du Beagle in Laroque, Salanié, 2000)

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand