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Les opérations d'aménagement olympique : intéret général ou intérêt de classe ? le cas de la complétude de l'échangeur Pleyel en vue des jeux olympiques de Paris en 2024


par Aristide Miguel
Université Sorbonne Paris Nord - Master 1 Politiques Publiques et Territoire 2021
  

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Section 2 : L'intérêt général : la légitimité comme fondement de l'action publique

Légitimité et autorité

Si la légitimité se conçoit comme la capacité d'une personne ou d'un groupe à asseoir sa domination sur une communauté ou sur une société, elle constitue par ailleurs le fondement de l'action publique effectuée au nom d'une entité plus large que l'individu lui-même.

Max Weber explique, dans Les trois types purs de la domination légitime, que non seulement la légitimité du pouvoir repose sur la raison, mais aussi que l'individu n'accepte de soumettre à l'autorité que parce qu'il la juge conforme à son intérêt et à l'intérêt du collectif.

Le concept d'intérêt général se détache par son ambivalence et par sa faculté à saisir à la fois la politique mais aussi le droit. Politiquement parlant, l'intérêt général entend, selon Guillaume Merland, « (...) renforcer le sentiment d'unité entre des membres de la société »26. D'un point de vue juridique, il légitime l'action des pouvoirs publics menés au nom d'un intérêt qui dépasserait celui du simple citoyen.

Devenu partie prenante du discours des gouvernants, l'intérêt général constitue le moyen par lequel ces derniers tentent d'asseoir leur autorité. Le droit administratif, qui a fait de l'administration l'instrument d'expression de l'intérêt général - par son action, a consacré l'intérêt général non seulement comme le « but de l'action de l'administration », mais aussi comme « sa limite »27.

L'intérêt général revêt alors deux missions dans le contrôle de légalité. Premièrement, un contrôle de l'administration : il entend contrôler la légalité des actions effectuées en son nom.

26 Merland, Guillaume. L'intérêt général dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Vol. 121. LGDJ, 2004.

27 « L'intérêt général, instrument efficace de protection des droits fondamentaux ? » Conseil constitutionnel, www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/l-interet-general-instrument-efficac e-de-protection-des-droits-fondamentaux. Consulté le 12 juin 2022.

24

Secondement, il constitue la base de la légitimité de l'action administrative qui restreint les droits et libertés si l'intérêt général le justifie : c'est le dépassement de l'intérêt particulier. Instauré depuis deux siècles au sein de la pensée politique et juridique française, l'intérêt général est alors défini par le Conseil d'Etat comme la « finalité ultime de l'action publique

».

Vers une nouvelle redéfinition de la légitimité

Brigitte Bouquet nous explique, dans La légitimité en questions, que l'avènement de l'Etat de droit et l'émergence des démocraties modernes ont nécessité l'imposition d'une légitimité venant compléter la légalité. Alors que Brigitte Bouquet définit la légalité comme étant la conformité d'une action à la loi, sa définition de la légitimité diffère de la conception wébérienne de cette dernière. En effet, chez Bouquet, la légitimité revêt une définition davantage rousseauiste que weberienne, puisqu'elle se présente comme la conformité d'une action aux lois écrites « (...) par les représentants du peuple, votant en son nom, selon le principe de démocratie ». Ainsi, l'intérêt général, en tant qu'outil de l'action publique mais aussi comme finalité de cette dernière, oriente l'action collective. L'action collective, motivée par l'intérêt général, est alors légitime pour deux raisons. Premièrement, parce qu'elle est le fruit d'une coproduction entre les gouvernants et les gouvernés : l'élaboration de l'action publique se fait conformément aux revendications spécifiques des différentes parties. Ensuite, l'action publique, parce qu'étant finalité de l'intérêt général, est consentie et approuvée par la communauté. C'est ainsi dire qu'il ne saurait exister d'action publique sans légitimité.

L'intérêt général étudié sous le prisme de la domination rationnelle légale

Patrick Duran indique que le développement d'une sociologie politique de l'action a conduit à une meilleure compréhension du pouvoir politique28. Si effectivement les réflexions autour du pouvoir nous invite à analyser les rapports de domination entre l'autorité, qui dispose du pouvoir, et le gouverné, qui est se meut sous la contrainte du pouvoir ; la conception

28 Sylvie Biarez, « Patrice Duran, Penser l'action publique », Sociologie du travail [En ligne], Vol. 43 - n° 2 | Avril-Juin 2001, mis en ligne le 14 juin 2001, consulté le 12 juin 2022. URL : http://journals.openedition.org/sdt/34962.

25

wébérienne du pouvoir soulève l'idée d'une légitimité du pouvoir assise sur la « réalité de sa puissance »29.

Si chez Weber la domination rationnelle légale - qui fait partie des trois types de domination légitime - renvoie à la croyance de la légitimité du droit et des ses règles, plusieurs éléments contribuent à rendre cette conception pour le moins intéressante.

Premièrement, parce que le développement de la domination rationnelle légale s'est opéré dans les sociétés occidentales au moment de la rationalisation de ces dernières. Cette rationalisation des sociétés occidentales - principalement européennes - est alors ce que nous avons présenté plus tôt comme l'avènement de l'Etat moderne de droit. Dès lors, l'on peut comprendre que la rationalisation des sociétés occidentales a consacré l'intérêt général comme l'outil rationnel et légitime d'expression de la puissance publique au nom du collectif. Mais si finalement la pensée wébérienne est si particulière, c'est parce qu'elle fonde la légitimité sur la croyance. La croyance, par les gouvernés - ici les individus de la société politique - en une administration bureaucratique légale - donc reposant sur leur propre consentement conformément au Contrat Social - et agissant de manière rationnelle en dépassant les aspirations particulières des individus dans un but commun : l'intérêt général.

Partie 2 : La légitimation des opérations d'aménagement olympique : des Jeux
Olympiques d'intérêt général à des opérations d'aménagement d'intérêt général

Section 1 : La conception française du caractère d'intérêt général des événements sportifs : Les Jeux Olympiques comme événements « d'ampleur exceptionnelle »

Le caractère d'intérêt général du sport en France

En France, l'intérêt général du sport est présenté dans diverses lois qui lui sont relatives. Selon la loi du 4 mars 2022 relative à l'organisation des activités physiques et sportives30, le « (...) développement du sport pour tous et le soutien aux sportifs de haut niveau et aux équipes de France dans les compétitions internationales sont d'intérêt général ».

29 Weber, Max. « Les trois types purs de la domination légitime (Traduction d'Elisabeth Kauffmann) », Sociologie, vol. 5, no. 3, 2014, pp. 291-302.

30 Article 7 - Loi n°2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France.

26

Comme expliqué par Jean-Paul Callède, la France a été marquée par le dessin d'une trajectoire des politiques sportives visant à ériger un « modèle singulier »31 reposant sur l'uniformisation des logiques cognitives et des expériences culturelles. Sous la Vème République, la notion d'intérêt général du sport s'est construite autour de la fonction de l'Etat, alors même que ce dernier amorçait une délégation de ses missions de service public aux « instances fédérales du Mouvement sportifpréalablement agréées ». C'est ainsi qu'en France, la particularité du sport repose sur le rapport entretenu entre le sport et la puissance publique.

Si effectivement Badie et Birnbaum nous indique que l'État n'a cessé, au fil du temps, d'asseoir son contrôle sur la société civile en développant une administration touchant à « toutes les périphéries »32, on comprend que la qualification du sport comme d'intérêt général résulte d'une saisie par l'Etat - dès le début du XXè siècle - de la question du sport dans la société.

L'analyse de Jean-Paul Callède permet de comprendre comment s'est opérée la construction historique du sport en tant qu'intérêt général en France. En effet, les prestations décevantes des français lors des JO de Stockholm - en 1912 - ont soulevé la question d'une intervention de l'Etat dans le sport. Alors que les événements sportifs internationaux émergent et se multiplient dès la fin du XIXè siècle - comme les JO d'Athènes en 1896 -, le sport devient un engagement du prestige de la nation. Au lendemain du revers subi aux JO de Stockholm, Georges Rozet - journaliste agrégé de l'Université - affirme que « (...) désormais la valeur sportive d'une nation ajoutera, d'une façon qui n'est point négligeable, à ses autres prestiges, à sa valeur sociale proprement dite ».

Dès lors, les pouvoirs publics vont donner au sport une attention particulière, et les années 1920 vont voir se multiplier les compétitions sportives.

Si pendant longtemps la dimension éducative du sport est discutée par les enseignants, la période qui suit la Première Guerre Mondiale voit le sport se détacher du ministère de la Guerre pour se rattacher, en premier lieu, au ministère de l'Instruction publique, puis ensuite, au ministère de la Santé. Un questionnement se pose sur le statut ministériel du sport ainsi que sur sa légitimité. Finalement, en dix ans, le sport est investi d'une légitimité publique

31 Callède, Jean-Paul. "Les politiques du sport en France." L'Année sociologique 52.2 (2002): 437-457.

32 Coutau-Bégarie, Hervé. "Bertrand Badie et Pierre Birnbaum. Sociologie de l'Etat." Politique étrangère 48.3 (1983): 765-766.

27

résultant du travail conjoint entre Henry Paté - sous secrétaire d'Etat à l'Education physique - et les parlementaires. En effet, c'est dès 1929 que se décide l'augmentation du budget alloué au sport - bien qu'il eût déjà été le premier budget de l'éducation - ainsi que l'augmentation des effectifs.

Aujourd'hui, la loi consacre l'intérêt général du sport pour plusieurs raisons. Premièrement, parce que le sport « participe à la réalisation des objectifs de développement durable »33. Et Deuxièmement, parce que le sport est facteur « d'intégration sociale» et parce qu'il tend à créer une solidarité citoyenne indépendant du sexe, de la condition sociale ou des opinions politiques.

L'intérêt général des événements sportifs : le cas des Jeux Olympiques de Paris en 2024

Aujourd'hui, accueillir un événement sportif constitue une opportunité économique non négligeable pour bon nombre de villes. Selon Célestin Merlin, ces évènements sont aussi un moyen de « prendre une avantage décisif sur des villes concurrentes »34. Cette idée rejoint alors l'idée soulevée plus tôt du sport comme l'engagement du prestige de la nation.

Aussi, les retombées économiques attendues et les perspectives de transformations du paysage urbain s'insèrent au sein du discours de légitimation des JO en tant qu'événement - sportif - d'intérêt général.

Alors qu'en 1984 les JO de Los Angeles avait permis de générer un bénéfice d'environ 232 millions de dollars, il semblerait alors que les enjeux socio-économiques soulevés par les JO aient conforté la volonté d'organisation des villes candidates.

En 2018, un projet de loi relatif à l'organisation des Jeux Olympiques de 2024 avait fait état des Jeux Olympiques de Paris comme de l'événement sportif « le plus important jamais organisé en France »35. Si effectivement ce projet de loi présentait l'aspect victorieux de l'organisation d'un événement sportif d'une « telle ampleur », il n'a cependant pas manqué d'affirmer que cette organisation incombe « une grande responsabilité ».

33 Article 7 - Loi n°2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France.

34 Merlin, Célestin, and Nathalie Gilson. "L'impact sur l'économie domestique de l'organisation de grands événements sportifs: le cas des Jeux Olympiques.".

35 LOI n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

28

Alors que Thomas Junod nous invite à relativiser l'intérêt général des JO - notamment fondé sur un bilan financier parfois surévalué36 -, le projet de loi relatif à l'organisation des Jeux Olympiques de 2024 expose en quoi les JO de Paris de 2024 constitue un « événement d'ampleur exceptionnelle ».

En effet, 11 millions de spectateurs sont attendus. A titre de comparaison, c'est près de 5 fois le nombre de spectateurs ayant assisté à l'Euro 2016 de football. Plus encore, l'argument économique est largement évoqué. Si le coût des JO est évalué à 6.7 milliards d'euros - 3.7 milliards pour l'organisation et 3 milliards pour la confection des infrastructures -, les organisateurs estiment que les JO - dans le meilleur des scénarios - pourraient générer près de 10.6 milliards d'euros et créer 250 000 emplois pérennes d'ici 2034.

Figure 2 - Estimation de l'impact économique des JO de Paris en milliard pour la période

2017 à 2034

Source : static.cnews (2018)

Les JO ne s'affichent pas seulement comme une fenêtre d'exposition pour la ville de Paris, ils viennent aussi s'affirmer comme les initiateurs d'une transformation urbaine.

36 Junod, Thomas. "Grands événements sportifs: des impacts multiples." Finance Bien Commun 1 (2007): 92-98.

29

En effet, alors que les JO de Paris sont un moyen pour la capitale française de se montrer sur la scène internationale, le projet de loi relatif à l'organisation des Jeux Olympiques de 2024 entend faire de la Seine-Saint-Denis le territoire majeur de ces Jeux Olympiques. Outre le village des athlètes situé à Saint-Ouen et le centre aquatique à Saint-Denis, ce sont près de 100 000 m2 de bureaux et 20 000 m2 de commerces qui vont s'y implanter.

Cette transformation urbaine repose alors en premier lieu sur des motifs économiques. C'est d'ailleurs ce qu'explique Patrice Bouvet, qui affirme que les arguments avancés par les organisateurs des événements sportifs sont essentiellement économiques. C'est ainsi qu'apprécier « (...) l'impact économique de ces événements est présenté comme une nécessité absolue » puisque que l'argument économique - sur lequel repose l'intérêt général dans sa conception utilitariste -, « (...) permet de construire la légitimité de telles opérations »37.

Section 2 : L'intérêt général des projets d'aménagement olympique comme reconnaissance de la portée publique des enceintes sportives

De la légitimité du sport à l'intérêt général des infrastructures sportives

L'intérêt général des projets d'aménagement olympique provient de cette longue histoire ayant conduit la puissance publique française a consacré l'intérêt général du sport. En effet, c'est par la construction de la légitimité du sport que les moyens de son exercice - donc des opérations d'aménagement nécessaires à la tenue d'événements sportifs - ont aussi été consacrés comme étant légitimes et d'intérêt général.

Cette reconnaissance de l'intérêt général des infrastructures sportives a été amorcé dans les années 1920. Jean-Paul Callède précise que les élections municipales de 1925 ont été majeures dans l'impulsion donnée à la mise en place des politiques sportives à l'échelle de la municipalité. C'est à cette période que d'ambitieux projets sportifs émergent et que sont confectionnés les premiers stades municipaux, gymnases couverts et salles d'éducation physique. L'infrastructure sportive devient alors « (...) un domaine d'innovation architecturale, technique et technologique aux retombées symboliques immédiates » qui dépasse radicalement l'usage pratique qui lui était jusque-là imputé.

37 Patrice Bouvet, « Les « retombées » des évènements sportifs sont-elles celles que l'on croit ? », Revue de la régulation [En ligne], 13 | 1er semestre / Spring 2013, mis en ligne le 25 juin 2013, consulté le 12 juin 2022. URL : http://journals.openedition.org/regulation/10215.

La complétude de l'échangeur Pleyel : les projets d'aménagement olympique consacrés juridiquement

Comme expliqué plus tôt, les projets d'aménagement olympique, conçus comme le moyen par lequel l'activité sportive d'intérêt général peut se tenir, ont été revêtus d'un caractère d'intérêt général grâce leur insertion au sein d'un processus estimé de notoriété publique.

C'est ainsi que la question de l'intérêt général des opérations d'aménagement a été précisée dès 2009 par l'article 28 de la loi sur le développement et la modernisation des services touristiques. Cet article reconnaît alors que les « (...) enceintes sportives figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé des sports, destinées à permettre l'organisation en France d'une compétition sportive internationale ou à recevoir, à titre habituel, des manifestations sportives organisées par une fédération sportive (...), ainsi que les équipements connexes permettant le fonctionnement de ces enceintes, sont déclarés d'intérêt général, quelle que soit la propriété privée ou publique de ces installations, après avis de l'ensemble des conseils municipaux des communes riveraines directement impactées par leur construction ». Plus encore, l'article précise que les « (...) collectivités territoriales peuvent réaliser ou concourir à la réalisation des ouvrages et équipements nécessaires au fonctionnement et à la desserte des installations mentionnées ».

Ainsi, l'article 28 de la loi sur le développement et la modernisation des services touristiques n'entend pas seulement faciliter la construction d'infrastructures sportives « (...) par la reconnaissance de leur intérêt général », il déclare d'intérêt général l'ensemble des constructions et rénovations qui doivent permettre la tenue d'un événement sportif quelconque.

C'est de cette manière que la complétude de l'échangeur Pleyel, parce qu'elle doit permettre la tenue des Jeux Olympiques de Paris en 2024, revêt un caractère d'intérêt général.

Partie 3 : Les Jeux Olympiques comme levier de transformation urbaine : l'intérêt général des opérations d'aménagement olympique étudié sous le prisme utilitariste

Section 1 : Les JO comme fenêtre d'opportunité pour le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel

30

Les Jeux Olympiques comme accélérateur d'investissement

31

Horne et Manzenreiter décrivent les évènements sportifs comme permettant « (...) une forte attractivité touristique, une possible influence sur l'image du pays, un effet dynamisant pour le commerce local, un effet accélérateur pour la construction d'équipements locaux » et « (...) une importante couverture médiatique »38. Pour Thomas Junod, ces événements s'insèrent dans une logique « (...) d'objectifs de long terme ».

En effet, les dépenses peuvent conduire à des investissements durables. Ainsi, l'on peut observer qu'en Ile-de-France, certaines enceintes sportives - notamment le stade de Colombes - qui avaient été érigées pour les Jeux Olympiques de Paris en 1924, sont encore utilisées aujourd'hui. D'ailleurs, cette idée est d'autant plus confirmée par Valérie Fourneyron qui évoque l'importance des événements sportifs dans leurs capacités à être des accélérateurs « (...) de développement intérieur et de rayonnement pour le pays (...) »39.

Le projet de loi relatif à l'organisation des Jeux Olympiques a fait de la question des investissements un axe majeur de son argumentaire. En effet, l'on y apprend que les JO seront des accélérateurs d'investissements, notamment de par leur mission consistant à « valoriser leur apport pour les territoires concernés ». Selon le projet de loi, les JO seront l'occasion de créer « 17 000 lits répartis sur 51 hectares, qui seront ensuite reconvertis en 2 200 appartements familiaux, 900 chambres de résidence étudiante », à Saint-Denis. Plus encore, le village des médias situés sur les communes du Bourget et de Dugny sera reconverti en « (...) 1 500 logements, dont 20 % de logements sociaux, et en un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, EHPAD », et le centre aquatique à Saint-Denis deviendra une « (...) piscine municipale à visée récréative et sportive ayant vocation à accueillir le centre d'entraînement de la fédération française de natation ».

Outre le fait que les infrastructures seront réhabilitées en logements - dont 30% à caractère social -, les Jeux Olympiques sont perçus comme une « opportunité à saisir pour la Seine-Saint-Denis », puisque près de 2 milliards d'euros devraient y être investis, et permettraient non seulement de créer des milliers d'emplois - Plaine Commune a pour objectif d'en créer 1000 en vue des JO -, mais aussi d'améliorer, par le même biais, les « services publics ».

38 Horne, John, and Wolfram Manzenreiter. "An introduction to the sociology of sports mega-events." The sociological review54.2_suppl (2006): 1-24.

39 Fourneyron, Valérie. "Faire du sport un levier de croissance pour la France." Revue internationale et stratégique 2 (2014): 81-87.

32

Les Jeux Olympiques comme moyen de financement des opérations d'aménagement de l'échangeur Pleyel

En 2010, l'article 21 de la loi du 3 juin relative au Grand Paris instituait la création du Contrat de Développement Territorial (CDT). Ces contrats de développement territorial sont alors conçus comme des « (...) projets de territoires élaborés par les collectivités locales et l'Etat afin de dynamiser les territoires du Grand Paris ».

Alors que les travaux d'aménagement du système d'échangeur Pleyel ont commencé en 2021 et que les premières concertations avaient été amorcées en 2017, et outre le fait le projet d'aménagement ait été inscrit au sein du CDT de Plaine Commune - Etablissement public territorial comprenant 9 communes de Seine-Saint-Denis - en 2014, Monsieur Mathieu Hanotin - maire de Saint-Denis et président de Plaine Commune - avait déclaré lors d'une allocution télévisée que le projet avait été pensé depuis bien avant, mais était jusque-là resté dans les cartons.

En 2018, le projet de loi relatif à l'organisation des JO de Paris en 2024 faisait déjà mention de la volonté de Plaine Commune de mobiliser « l'événement olympique et paralympique pour améliorer ses services publics avec la création de deux parcs de 2 à 3 hectares, l'aménagement des berges de Seine, la restructuration de l'échangeur autoroutier Pleyel, l'enfouissement d'une ligne électrique haute tension et la construction d'un mur antibruit au bord de l'autoroute A 86 ».

D'ailleurs, ces affirmations ont été confirmées lors d'un entretien mené auprès de la municipalité de Saint-Denis. En effet, si le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel « (...) n'a pas avancé plus tôt, c'est très certainement pour des questions financières (...) ». Alors que beaucoup font de l'échangeur Pleyel « un projet olympique », la Maire de Saint-Denis précise que le projet d'aménagement « (...) a été accéléré par les financements olympiques, puisque c'est la SOLIDEO qui finance ce projet », mais qu'il a comme principale mission de « (...) rectifier (...) un contexte un peu historique avec des difficultés de branchement» entre l'autoroute A1 et l'A8640.

C'est la Société de livraison des ouvrages olympiques (SOLIDEO) - créée par la loi du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain41 - qui prend en

40 Entretien téléphonique avec la DiRIF, réalisé le 23 février 2022.

41 La SOLIDEO est chargée de la livraison des ouvrages et des opérations d'aménagement olympique. Son conseil d'administration est présidé par la mairie de Paris.

charge l'entièreté des coûts d'opérations. En effet, la DiRIF a affirmé lors d'un entretien que lorsque « (...) la candidature de la France a été mise et lorsqu'il a été décidé que le village olympique viendrait s'installer à Saint-Denis et sur l'Ile-Saint-Denis, à proximité de l'échangeur Pleyel, cette opération qui (...) rentrait dans le cadre (...) du schéma de développement de la zone et du secteur (...) était vue comme importante » puisque c'était « (...) une opportunité pour le village, pour assurer, faciliter la desserte du village ». De fait le projet d'aménagement de l'échangeur Pleyel « (...) a trouvé son financement pour un usage plus large à priori, une vocation hors village, hors Jeux initial »42.

Section 2 : L'intérêt général des opérations d'aménagement du système d'échangeur Pleyel par son insertion au sein d'un processus de développement urbain : le cas du Grand Paris

L'échangeur Pleyel comme réponse à un besoin urbain

L'aménagement du système d'échangeur Pleyel, avant d'être un outil facilitant la desserte du village olympique, est avant tout un projet devant répondre à la question d'un échangeur qui « (...) ne marche pas » et qui poussent les véhicules à « (...) faire des circuits beaucoup plus longs que nécessaires ». Ainsi, les opérations d'aménagement du système d'échangeur Pleyel visent à réduire « (...) le nombre de kilomètres des voitures, donc de gaz à effet de serre et de polluants »43.

Figure 3 - Carte du projet d'aménagement des échangeurs Pleyel et de la Porte de Paris à

Saint-Denis

33

42 Entretien téléphonique avec la DiRIF, réalisé le 23 février 2022.

43 Entretien avec la Maire de Saint-Denis, réalisé le 21 mars 2022.

34

Source : ville-saint-denis (2017)

En effet, l'A86 ne dispose pas d'échangeur complet, « (...) historiquement, elle a eu un demi-échangeur sur l'A86 au niveau de Pleyel, (...) qui a rendu, finalement, les échanges assez compliqués », et certaines connexions impossibles.

Alors que la configuration actuelle des échangeurs Pleyel et Porte de Paris conduit à une intensification du trafic sur le boulevard Anatole France, les opérations d'aménagement de l'échangeur Pleyel porté par la DiRIF tendent à « (...) améliorer la desserte du quartier Pleyel» à « (...) offrir aux usagers des conditions optimales de circulation (...) » et à « (...) permettre le développement des offres de déplacement »44.

Pour ce faire, la DiRIF entend supprimer l'échangeur de la Porte de Paris et libérer « le foncier nécessaire aux projets menés par Plaine Commune pour repenser les liaisons entre le centre-ville et le sud de la ville ».

La fermeture des bretelles de l'échangeur de la Porte de Paris en 2023 et leur déconstruction en 2025, auront pour objectif de réduire le trafic sur le boulevard Anatole France, et la suppression de l'échangeur de la Porte de Paris amorcera une restructuration de l'échangeur Pleyel.

44 « Aménagement du système d'échangeurs Pleyel (A86) et Porte de Paris (A1) | Ville de Saint-Denis ». Ville de Saint-Denis | Accueil, ville-saint-denis.fr/aménagement-du-système-déchangeurs-pleyel-a86-et-porte-de-paris-a1. Consulté le 12 juin 2022.

35

Figure 4 - Carte des travaux de fermeture des bretelles de l'échangeur de la Porte de Paris.

Source : DiRIF (2017)

Alors que jusqu'à aujourd'hui seules l'entrée et la sortie depuis et vers Nanterres étaient possible, les opérations d'aménagements vont rendre possible l'entrée et la sortie de l'A86 depuis le quartier Pleyel.

Les perspectives environnementales seront majeures et la DiRIF entend « (...) limiter l'impact de la qualité de l'air sur l'école Anatole France ».

Au surplus, 41 000 m2 d'espaces végétalisés vont être créés et près de 7000 m2 de sols vont être rendus perméables dans un territoire historiquement marqué par une forte pollution et une importante bétonisation.

Figure 5 - Croquis des nouveaux aménagements autour de l'échangeur Pleyel

36

Source: DiRIF (2017)

L'échangeur Pleyel dans une perspective de Grand Paris

Thomas Junod nous indique que « (...) l'accueil d'un méga-événement sportif constituerait aujourd'hui une bonne affaire pour la ville hôte, la région, voire pour le pays entier », notamment parce que « (...) les transformations urbaines que nécessitent l'organisation d'un méga-événement sportif sont extrêmement rapides »45.

La littérature a montré comment les Jeux Olympiques ont constitué un moyen d'initier de grands projets urbains pour les villes qui les accueillent. En effet, en 1992, se déroulent les Jeux Olympiques dans la ville de Barcelone. Alors que le front de mer avait jusque-là été délaissé, les JO ont été l'occasion d'une transformation majeure pour la capitale de la Catalogne, notamment suite à l'agrandissement des plages, l'enfouissement de l'autoroute ou encore l'ouverture du quartier sur la mer. Plus encore, les retombées économiques ont été importantes puisque le tourisme s'est considérablement développé, entraînant dans son élan l'augmentation du nombre d'hôtels et la rénovation de l'aéroport de Barcelone ainsi que des nombreuses gares qui parsèment la ville.

45 Junod, Thomas. "Grands événements sportifs: des impacts multiples." Finance Bien Commun 1 (2007): 92-98.

Boris Lebeau s'est intéressé à comprendre en quoi les Jeux Olympiques de Paris constituerait une chance pour le Grand Paris. Alors que les Jeux Olympiques semblent être une aubaine inespérée d'impulser une dynamique pour une banlieue « (...) largement défavorisée de ses problèmes », ces derniers seraient aussi un moyen d'accélérer le développement économique des territoires du Grand Paris46.

La région Ile-de-France entend faire des JO un outil devant à la fois « (...) léguer un héritage matériel» et mettre en valeur « (...) les innovations et les emplois nourris et créés (...) »47. Ainsi, l'échangeur Pleyel, en plus de répondre à un besoin en matière de mobilité et développement urbain, s'insère dans une logique de transformation urbaine visant à faire du quartier Pleyel un « (...) noeud de communication avec le lien aux lignes 13, 14, 15, 16 du Grand Paris Express (...) », ainsi qu'un quartier « (...) attractif »48.

Outre la volonté affichée par la région Ile-de-France d'utiliser les JO de paris comme d'un tremplin économique, notamment via une accélération de l'internationalisation et via l'accroissement de l'attractivité régionale, la région entend aussi créer le réseau de transport le plus performant et durable au monde. C'est ainsi que l'entretien auprès de la Mairie de Saint-Denis a fait émerger l'idée d'un quartier Pleyel « (...) connecté en termes de transport en commun ».

37

46 Lebeau, Boris. "Une «banlieue créative» dans le Grand Paris ?." EchoGéo 27 (2014).

47 « Jeux olympiques et paralympiques Paris 2024 | Région Île-de-France ». Région Île-de-France, www.iledefrance.fr/jeux-olympiques-et-paralympiques-paris-2024. Consulté le 12 juin 2022.

48 Entretien avec la Maire de Saint-Denis, réalisé le 21 mars 2022.

38

Le premier chapitre de ce mémoire a constitué un moyen de comprendre comment la notion d'intérêt général est née en France et a été élaborée suite aux différentes approches ayant tenté de la définir.

La première partie a mis en évidence toute la difficulté qui se trouvait dans la définition de l'intérêt général, notamment du fait de l'opposition entre une conception utilitariste et une conception volontariste de ce dernier. Aussi, d'autres auteurs, tels que Karl Marx et Proudhon, ont tenté de critiquer l'approche faisant de l'Etat, l'acteur garantissant l'expression de la volonté générale. Ce retour historico-sémantique nous a permis d'entrevoir en quoi les opérations d'aménagement olympique sont d'intérêt général.

En effet, la France a, par ses politiques publiques, institué la légitimité du sport et des enceintes nécessaires à son exercice. Dès lors, cette construction de la légitimité du sport et des événements sportifs - notamment les Jeux Olympiques -, a permis la consécration juridique du sport, des événements sportifs et des moyens nécessaires à leurs tenues. C'est ainsi que le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel s'insère dans une logique d'intérêt général résultant d'un processus historique d'utilisation du sport - et des événements sportifs - non seulement comme des outils sociaux - d'intégration et de lutte contre les discriminations -, mais aussi comme des accélérateurs de transformation urbaine.

On peut ainsi comprendre que les opérations d'aménagement olympique reposent sur une conception utilitariste de l'intérêt général comme d'un intérêt reposant avant tout sur des motifs économiques.

39

CHAPITRE 2 : LES OPÉRATIONS D'AMÉNAGEMENT D'AMÉNAGEMENT DU SYSTÈME D'ÉCHANGEUR PLEYEL: INTÉRÊT GÉNÉRAL OU INTÉRÊT DE CLASSE ?

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Le deuxième chapitre de mon mémoire entend questionner l'intérêt général des opérations d'aménagement du système d'échangeur Pleyel.

Pour ce faire, la première partie du chapitre sera consacrée à une étude de l'intérêt général du projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel à travers le point de vue marxien de la notion d'intérêt général. Ainsi, nous observerons en quoi, au-delà de son fondement juridique, le concept d'intérêt général peut être critiqué sur différents points qui tendent à faire émerger l'idée d'opérations d'aménagement olympique davantage d'intérêt de classe que d'intérêt général.

Ensuite, nous analyserons comment la question de l'intérêt général des opérations d'aménagement peut être remise en question, notamment suite aux contraintes imposées par les limites de la rationalité.

Enfin, la dernière partie tentera de présenter comment le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel traduit une limite de la conception utilitariste de l'intérêt général, et dans quelle mesure cette limite de la conception utilitariste de l'intérêt général révèle toute la difficulté qui réside dans la mise en place d'une politique de développement durable à l'échelle nationale.

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Partie 1 : Délégitimation du projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel :
l'intérêt général étudié sous le prisme marxien

Section 1 : Vers une remise en question de l'intérêt général des opérations d'aménagement olympique : le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel comme un intérêt de classe ?

L'intérêt de classe chez Marx

La première partie du premier chapitre du mémoire avait brièvement introduit la question de l'intérêt général chez Karl Marx. Ainsi, nous avons pu comprendre comment Karl Marx percevait l'intérêt général comme étant l'intérêt d'une classe dominante portée par l'Etat.

L'étude de la conception marxienne de l'intérêt général est intéressante pour plusieurs raisons. Premièrement, parce que comme nous l'indique Stéphanie Roza, l'intérêt général en tant que « (...) besoins propres à la société en tant que collectif unifié » est étranger à une oeuvre marxienne fondée sur une lutte des intérêts par les classes sociales. En effet, outre la particularité faisant de l'intérêt général une conception essentiellement française et rendant peu visible les équivalences allemandes dans l'oeuvre de Karl Marx, Stéphanie Roza précise que la pensée marxienne ne fait pas émerger une notion d'intérêt général à proprement dite. En effet, l'oeuvre marxienne tend plutôt à critiquer la définition qui lui a été imputée pendant la Révolution française avant qu'elle ne finisse par s'insérer au sein de l'oeuvre juridique.

Alors que dans la pensée marxienne le prolétariat renvoie à cette classe sociale qui s'oppose à la classe capitaliste, l'opposition d'une bourgeoisie minoritaire à un prolétariat majoritaire semble presque suivre la logique initiée par Emmanuel Sieyès, dans laquelle la Noblesse, minoritaire, se confronte à un Tiers-état majoritaire, et formant le « Tout de la Nation »49. Dans les deux pensées, l'on retrouve un rapport de domination dans lequel le dominé, qu'il soit le prolétariat ou le Tiers-état, est perçu comme « (...) politiquement légitime » parce qu'il « (...) produit la totalité de la richesse nationale et remplit l'ensemble des missions et des services ».

49 Quiviger, Pierre-Yves. "Sieyès et l'État." Tumultes 1 (2015): 27-35.

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L'intérêt de classe, chez Karl Marx, est particulier en ce sens que l'appartenance à une classe ne dépend pas du revenu mais du rapport entretenu aux moyens de la production sociale. La dénomination de classe dominante - établie par Marx et Engels50 - devient alors l'outil permettant de dépeindre l'ordre social du fait que « (...) les conditions à l'intérieur desquelles des forces productives déterminées peuvent être employées sont les conditions de la domination d'une classe déterminée de la société, dont la puissance sociale, qui est issue de ce qu'elle possède, trouve son expression idéaliste pratique dans chaque forme d'État ». Ainsi, l'intérêt de classe, en plus de renvoyer à la possession des moyens de la production sociale, met aussi en exergue la saisie des instances « (...) idéologico-culturelles et étatico-politiques » à des fins personnels. C'est en ce sens que l'intérêt de classe diffère de la conception usuelle de l'intérêt général. Parce qu'en effet, si l'Etat est conçu - conformément à la pensée wébérienne - comme étant un « groupement de domination de caractère institutionnel qui a cherché - avec succès - à monopoliser, dans les limites d'un territoire, la violence physique légitime comme moyen de domination et qui, dans ce but, a réuni dans les mains des dirigeants les moyens matériels de gestion »51, et qu'en plus de cela il est l'outil d'une classe dominante - bourgeoise - qui, « (...) promeut la défense par chaque individu de ses propres prérogatives, différentes, voire contraires à celles de tout autre » ; il paraît évident, dans la pensée marxienne, que la définition de l'intérêt général en tant que « (...) besoins propres à une société en tant que collectif unifié », quand bien même elle trouverait ses fondements dans la loi, soit finalement malléable aux grés des intérêts d'une classe dominante.

Le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel comme un intérêt de classe ?

L'introduction du mémoire avait été l'occasion de soulever une question visant à comprendre à qui le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel est destiné. Si effectivement la Mairie de Saint-Denis affirme que la volonté des opérations d'aménagements est avant tout de faire du quartier Pleyel un quartier « (...) très facile d'accès (...) pour ceux qui y vivent », la problématique du groupe scolaire Anatole France vient quelque peu contrarier ces affirmations.

50 Marx et Engels voient dans la classe dominante une classe à laquelle est subordonné le pouvoir politique de l'Etat.

51 Genet, Jean-Philippe. "La genèse de l'État moderne." Actes de la recherche en sciences sociales 118.1 (1997): 3-18.

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En effet, selon le Comité de vigilance JO 2024, le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel prévoit de prendre en étau l'école Anatole France entre deux boulevards « (...) qui accroitront la pollution sonore et de l'air, sans compter l'insécurité à laquelle seront confrontés les enfants lors de la traversée de ces larges axes de circulation »52.

De fait, cette reconfiguration du quartier entend approcher l'axe routier du groupe scolaire composé de 600 enfants.

Figure 6 - Carte de l'enclavement du groupe scolaire Anatole France

Source : FCPE Saint-Denis (2020)

Alors que la municipalité précédente avait décider de doubler « (...) la capacité de l'école» dans un moment où « (...) le niveau de pollution était plus élevé qu'il ne l'est aujourd'hui »53, la question de l'exposition des enfants du groupe scolaire Anatole France à un air pollué, qui, selon le collectif Pleyel - collectif de citoyens dyonisiens - risque de l'être davantage à cause de la nouvelle configuration qui « (...) engendrerait environ 30% de trafic supplémentaire », ne cesse d'alimenter les débats.

Effectivement, les réflexions autour de l'exposition des enfants à un air pollué ont donné lieu à une multitude d'études scientifiques. En 2021, l'UNICEF avait déclaré qu'en France, entre

52 « Enquête publique : réagissez contre les pollutions à venir ». Comité de vigilance JO 2024 Saint-Denis, vigilancejo93.com/2019/06/09/enquete-publique-reagissez-contre-les-pollutions-a-venir. Consulté le 12 juin 2022.

53 Entretien avec la Maire de Saint-Denis, réalisé le 21 mars 2022.

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47 000 et 100 000 décès prématurés survenaient chaque année à cause de la pollution de l'air. Ainsi, alors que 3 enfants sur 4 respirent un air pollué, le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel soulève l'idée d'un intérêt de classe, conformément à la pensée marxienne, pour plusieurs raisons.

Premièrement, parce qu'en 2019, l'Etat français avait été condamné par la Cour de justice de l'Union européenne en raison de la pollution de l'air au microparticules54. Si cette condamnation peut sembler anodine, l'étude de Christian Nicourt et Jean Max Girault sur les problèmes environnementaux comme facteur de régulation sociale nous permet de mieux saisir les enjeux soulevés par le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel55.

En effet, Christian Nicourt et Jean Max Girault expliquent qu'il existe une relation inégalitaire à la qualité de l'environnement dans laquelle les populations les plus pauvres des banlieues ouvrières souffrent « (...) des contraintes d'environnement», notamment des « (...) nuisances sonores et la pollution atmosphérique typiques des transports urbains contemporains ».

Ainsi, alors que l'Etat français - défenseur du besoin de la société en tant que collectif unifié - a été condamné pour ne pas protéger ses citoyens de la pollution de l'air de manière suffisante, et alors que le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel, qui avait en premier lieu été suspendu, a par la suite été conforté, l'interrogation d'un projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel porteur d'un intérêt de « groupe » qui diffèrerait de l'intérêt général, et notamment de l'intérêt des groupes les moins favorisés, semble être légitime.

En effet, alors que le taux de pauvreté dans le quartier Pleyel s'élève à environ 37 %, ici, l'intérêt de classe ne résiderait pas dans la possession d'un moyen de production, mais plutôt dans l'usage de l'appareil « étatico-politique » dans un intérêt qui ne favoriserait pas les groupes les moins favorisées.

C'est d'ailleurs une logique propre à l'opposition entre la conception utilitariste de l'intérêt général et la conception volontariste. En effet, l'espace public est perçu, soit, comme un espace dans lequel coexiste les intérêts particuliers, soit, un espace caractérisé par la « (...) capacité des individus à transcender leurs appartenances et leurs intérêts pour exercer la suprême liberté de former ensemble une société politique »56. L'intérêt de classe du projet

54 Dans un arrêt rendu le 24 octobre 2024, la Cour de justice de l'Union Européenne a condamné la France suite à ses manquements vis-à-vis de la directive sur la qualité de l'air de 2008.

55 Nicourt, Christian, and Jean Max Girault. "Environnement et relégation sociale, l'exemple de la ville de Saint-Denis du début du XIXe siècle à nos jours." Natures Sciences Sociétés 5.4 (1997): 23-33.

56 Rapport public du Conseil d'Etat, 1999, Considérations générales :

Réflexion sur l'intérêt général (EDCE n°50), 1999.

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d'aménagement du système d'échangeur Pleyel serait alors le renoncement - par la transcendance - à un intérêt sanitaire et environnemental pour un intérêt économique à portée générale.

Mais finalement, ne serait-ce pas, suivant l'analyse de Jean-François Calmette, la question d'un intérêt privé face à l'intérêt général ? En effet, Jean-François Calmette précise qu'alors que la protection de l'environnement a toujours été perçu comme un intérêt collectif majeur, l'activité économique, telle que conçue par les utilitaristes, s'est toujours heurté au respect de « l'ordre public environnemental ». Ainsi, alors que « (...) la finalité environnementale risque d'aller à l'encontre de l'intérêt général », Jean-François Calmette affirme que c'est « (...) recherchant la maximisation de son profit que l'entrepreneur génère des émissions polluantes »57.

Mais dans notre étude, qui serait l'entrepreneur voulant maximiser son profit ? La municipalité de Saint-Denis, Plaine-Commune ou le département de Seine-Saint-Denis ?

Ce questionnement autour de l'intérêt général des opérations d'aménagement olympique est d'autant plus pertinent lorsque l'on se plonge dans l'historique des précédents Jeux Olympiques.

En effet, alors que Claudio Zanotelli évoquait l'éviction des quartiers populaires suite aux JO de Rio en 2016, Pascal Gillon s'est lui aussi intéressé à savoir à qui profite l'héritage des Jeux Olympiques.

Si les Jeux Olympiques de Rio ont été une occasion pour la ville de transformer son image, d'apporter de nouveaux logements, ou d'entamer des rénovations urbaines, les spéculations immobilières ont aussi largement chassé les populations les plus pauvres. Ainsi, Pascal Gillon explique que « (...) des pans entiers de l'agglomération ne profiteront pas des Jeux et il se trouve que ce sont les zones les plus pauvres» et que plus encore, le coût élevé des JO tient en l'idée « (...) des expropriations pas toujours justifiées par les travaux, à un montant d'indemnisation largement sous-évalué et à la politique de relogement qui a rejeté des familles à la périphérie» de Rio58.

57 Calmette, Jean-François. "Le droit de l'environnement: un exemple de conciliation de l'intérêt général et des intérêts économiques particuliers." Revue juridique de l'Environnement 33.3 (2008): 265-280.

58 « Les Jeux Olympiques de Rio 2016 : un héritage mais au profit de qui ? -- Géoconfluences ». Ressources de géographie pour les enseignants -- Géoconfluences,

geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/eclairage/jo-rio-2016. Consulté le 12 juin 2022.

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Ces différentes expériences questionnent non seulement les Jeux Olympiques, mais aussi les opérations d'aménagements nécessaires à leur déroulement. Ainsi, le rapport entre les prétendus bénéficiaires des JO et les véritables bénéficiaires met en lumière la possible portée non générale d'opérations d'aménagement pourtant baptisées d'intérêt général.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery