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L'exception d'inconstitutionnalité au Burkina Faso


par Abdoul Rachid ABDOU BOKAR ABDOU
Université Thomas SANKARA - Master 2020
  

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A. La normativité de la Constitution

L'évolution du droit constitutionnel contemporain en général et du droit constitutionnel burkinabè en particulier fait naître une nouvelle tendance, celle de la normativité de la Constitution. L'exception d'inconstitutionnalité demeure le mécanisme qui traduit le mieux

394 Dominique Junior ZAMBO, « Protection des droits fondamentaux et droit à la juridictio constitutionnelle au Cameroun : continuité et ruptures », La Revue des Droits de l'Homme (en ligne), n°15/2019, 36 p.

395 Ibidem.

396 Bernard STIRN, Les libertés en question, Op.cit., p. 9.

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cette normativité de la Constitution. Ce mécanisme consiste notamment à sanctionner le non-respect des principes à valeur constitutionnelle, des droits fondamentaux de l'Homme qui s'imposent de manière contraignante dans tout système juridique, dans tout Etat qui se réclame du nombre des Etats de droit. Cela s'avère être le propre de la normativité. En effet, la contrainte ou l'impérativité constitue l'élément distinctif de la norme397 et le trait spécifique de la normativité398. Ainsi, la Constitution est désormais perçue comme une règle devant être respectée dans toute sa substance au même titre que n'importe quelle autre règle juridique ayant une force exécutoire et contraignante. Elle est devenue normative dira-t-on. Ceci est dû au fait que la Constitution est de plus en plus considérée par moult doctrinaires comme une norme juridique399, une règle de droit400. Dès cet instant, la normativité de la Constitution n'est plus à contester401. En effet, la Constitution contient des règles directement applicables par les juges402 dans les contentieux relevant de leurs compétences. Au doyen FAVOREU d'ajouter que désormais « Toutes les normes constitutionnelles sont d'application directe et n'ont pas besoin du relais de la loi pour être rendue opérationnelles »403. Cela conduit indubitablement le droit constitutionnel à se départir des reproches le cantonnant à un simple contrôle institutionnel. Grâce à l'exception d'inconstitutionnalité, les règles constitutionnelles ne sont plus seulement des orientations générales ou des intentions politiques404. Désormais, la référence à la Constitution n'a pas pour seul intérêt de connaître l'organisation et le fonctionnement du pouvoir politique405. Le droit de la Constitution n'est plus seulement le droit des institutions politiques406. Il s'agit désormais d'un véritable droit, un droit juridictionnel qui est mis en oeuvre

397 Franc De Paul TETANG, « La normativité des constitutions des Etats africains d'expression française », RFDC, n°104-2015/4, pp. 953-978.

398 Ibidem.

399 Alexandra VIALA, « La question de l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel », in Dominique ROUSSEAU (dir.), Le Conseil constitutionnel en question, Paris, l'Harmattan, 2004, p. 145.

400 Louis FAVOREU, « L'exception d'inconstitutionnalité est-elle indispensable en France ? », AJC, n°8-1992, 1994, pp. 11-22.

401 Boubacar BA, « Le préambule de la Constitution et le juge constitutionnel en Afrique », Revue Electronique Afrilex, janvier 2016, 36 p.

402 Bertrand de LAMY, « Les principes constitutionnels dans la jurisprudence judiciaire. Le juge judiciaire, juge constitutionnel ? », Op.cit., pp. 780-820.

403 Louis FAVOREU cité par Bertrand de LAMY, « Les principes constitutionnels dans la jurisprudence judiciaire. Le juge judiciaire, juge constitutionnel ? », Op.cit., pp. 780-820.

404 Bernard CUBERTAFOND, Le nouveau droit constitutionnel, Paris, l'Harmattan, 2008, p. 19.

405 Jacques MOREAU (dir.), Droit public. Tome 1. Théorie générale de l'Etat et Droit Constitutionnel. Droit administratif, Paris, Economica, 1995, 3ème édition, p. 211.

406 Louis FAVOREU, « La justice constitutionnelle en France », Les Cahiers de Droit, Vol.26, n°2/1985, pp. 301337.

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par la justice constitutionnelle. Ainsi, la Constitution « quitte l'étape métaphysique pour accéder à la positivité »407.

Rendre normative la Constitution, telle est, entre autres, le but de la justice constitutionnelle. Charles EISENMANN écrivait que « le sens de la justice constitutionnelle est de garantir la répartition de la compétence entre législation ordinaire et législation constitutionnelle (...) ; elle fait des règles constitutionnelles des normes juridiquement obligatoires, de véritables règles de droit en y attachant une sanction ; sans elle, la Constitution n'est qu'un programme politique, à la rigueur obligatoire moralement, un recueil de bons conseils à l'usage du législateur, mais dont il est juridiquement libre de tenir ou de ne pas tenir compte (...). La justice constitutionnelle transforme donc en normes véritablement juridiques ce qui seulement se voulait tel. La Constitution devient ainsi et ainsi seulement la règle de droit suprême »408. L'on voit dès lors se dessiner le « nouveau visage » du contentieux constitutionnel409.

L'exception d'inconstitutionnalité participe activement à l'instauration d'une Constitution à caractère normatif et contraignant. En effet, à travers ce mécanisme, le Conseil constitutionnel applique les règles constitutionnelles dans un cas précis en litige. La réponse du Conseil constitutionnel à la question posée par les justiciables déterminera l'applicabilité de la disposition législative qui fait grief, par rapport à la norme fondamentale qu'est la Constitution. C'est dans cet ordre d'idée que le Conseil constitutionnel burkinabè a bloqué, sur demande des requérants, l'application des articles 21 et 33 de la loi organique sur la Haute Cour de Justice, car ces articles violent les articles 1, 2 et 4 de la Constitution qui proclament le principe d'égalité devant les juridictions et le principe du double degré de juridiction ainsi que des principes généraux de droit à valeur constitutionnelle qui gouvernent tout procès juste et équitable410. Dès lors, force est de constater que cette normativité de la Constitution, devenue précise avec le mécanisme de l'exception d'inconstitutionnalité, accentue le caractère subjectif du contentieux constitutionnel dans la mesure où les justiciables auront tendance à soulever l'exception dans le seul et unique but de protéger leurs intérêts personnels.

407 Jacques Djoli ESENG'EKELI, Droit constitutionnel. L'expérience congolaise, Op.cit., p. 44.

408 Charles EISENMANN cité par Dominique CHAGNOLLAUD, Droit constitutionnel contemporain, Op.cit., p. 71.

409 Guillaume DRAGO, « Le nouveau visage du contentieux constitutionnel », RFDC, n°84-2010/4, pp.751-760.

410 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, Décision n°2017-013/CC du 09 juin 2017 sur l'exception d'inconstitutionnalité de la loi sur la Haute Cour de Justice.

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B. La protection d'intérêts personnels

Toute la critique autour de l'exception d'inconstitutionnalité est son caractère subjectif. Ce mécanisme tend à faire du contentieux constitutionnel un contentieux de plus en plus subjectif. Cela, dans la mesure où, l'exception d'inconstitutionnalité a une propension de sauvegarde des intérêts personnels et individuels des justiciables. D'ailleurs, sans intérêt direct et personnel, le justiciable ne saurait valablement soulever une exception d'inconstitutionnalité. En effet, lorsque l'article 157 al.2 de la Constitution du Burkina Faso précise que le citoyen ne peut soulever une exception d'inconstitutionnalité que « dans une affaire qui le concerne » directement, cela signifie que le droit à l'exception d'inconstitutionnalité est conditionné par un intérêt à agir du requérant411. Du point de vue d'Antoine MESSARA, cette condition de l'intérêt dans tout recours par voie d'exception est un principe général qui n'exige pas une disposition spécifique412.

La subjectivité de l'exception d'inconstitutionnalité se relève du fait que les citoyens ne soulèvent ce moyen que pour leur propre défense413. On assiste, selon l'expression d'Olivier DUHAMEL, à « une appropriation inédite de la Constitution par les citoyens »414. La Constitution n'est plus seulement l'affaire des pouvoirs publics415, elle devient la chose des citoyens pour servir leurs intérêts. Dominique ROUSSEAU nous indiquera à cet effet qu'avec l'exception d'inconstitutionnalité, « la Constitution est sortie de l'univers clos des facultés de droit pour entrer dans les prétoires »416. Dès lors, avocats et juges ont un intérêt professionnel à connaître le mécanisme de l'exception d'inconstitutionnalité parce qu'il y va de l'intérêt du justiciable que soit soulevé le moyen de l'argument constitutionnel417. L'exception d'inconstitutionnalité serait alors encline à ne faire que l'objet des jeux d'intérêts. Ainsi, on est en droit de craindre un éventuel abus de droit à l'exception d'inconstitutionnalité418. Le cas échéant, comme l'a si bien démontré Bianca SELEJAN-GUTAN dans l'un de ses riches

411 Théodore HOLO, « Le citoyen, pierre angulaire de la justice constitutionnelle au Bénin », Op.cit., pp. 101-114.

412 Antoine MESSARA, « Le citoyen et la justice constitutionnelle : problème et aménagement à la lumière de l'étude de la Commission de Venise et en perspective comparée », Op.cit., ibidem.

413 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2006, 25ème édition, p. 77.

414 Olivier DUHAMEL, « La QPC et les Citoyens », Revue Pouvoirs, n°137-2011/2, pp. 183-191.

415 Gilles BADET, Les attributions originales de la Cour constitutionnelle du Bénin, Cotonou, FES, 2013, p. 182.

416 Dominique ROUSSEAU (dir.), La Question prioritaire de constitutionnalité, Paris, Gazette du Palais, 2012, 2ème édition, p. 1.

417 Ibid., p. 4.

418 Bianca SELEJAN-GUTAN, « L'exception d'inconstitutionnalité en Roumanie : instrument de protection des droits ou technique dilatoire ? », Op.cit., pp. 65-79.

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articles, « le grand succès de l'exception d'inconstitutionnalité » deviendrait alors « l'un de ses plus grands ennemis »419.

Par ailleurs, la manière relativement facile420 dont l'exception d'inconstitutionnalité peut être soulevée devant un tribunal ordinaire et surtout la suspension obligatoire du procès suite à un tel soulèvement, vont inéluctablement conduire à une situation paradoxale : « la transformation de l'exception, par certains justiciables, en technique dilatoire du procès, utilisée au seul but de tergiverser l'action principale »421. C'est en cela que le rôle de filtre des juridictions ordinaires422 permettrait de vérifier si l'exception est manifestement infondée. Mais avec la consécration jurisprudentielle d'une saisine directe par voie d'exception au Burkina Faso423, les justiciables ont le champ libre pour jouer au dilatoire au maximum de leurs intérêts personnels et parfois mesquins. Du moins, cela serait à craindre au Burkina Faso lorsque les avocats prendront conscience de l'utilité de ce mécanisme424. Afin de prévenir toute tentative et entreprise dilatoire, en Roumanie, le sursis à statuer a été rendu facultatif. Ainsi, dans le but d'assurer la célérité de la justice et de préserver les intérêts de la partie adverse qui risquerait de voir son action paralysée par une requête dilatoire en exception d'inconstitutionnalité, le procès au fond peut alors continuer son cours en attendant la décision de la juridiction constitutionnelle425. Toutefois, il est donné la possibilité au justiciable, en aval de la décision constitutionnelle, de faire ultérieurement recours contre la décision rendue par le juge du fond426.

L'exception d'inconstitutionnalité est certes un moyen de protection des droits fondamentaux. Mais, il est clair que certains justiciables useront de ce mécanisme pour servir d'autres intérêts personnels d'autant plus qu'au Burkina Faso, l'exception d'inconstitutionnalité n'est pas dirigée que contre les lois portant atteinte aux droits fondamentaux mais plutôt contre toute disposition législative contraire à la Constitution dans son ensemble427. Quoi qu'il en soit, même si l'exception d'inconstitutionnalité est un droit subjectif, force est de constater avec

419 Bianca SELEJAN-GUTAN, « L'exception d'inconstitutionnalité en Roumanie : instrument de protection des droits ou technique dilatoire ? », Op.cit., pp. 65-79.

420 Ibidem.

421 Ibidem.

422 Il s'agit de la procédure de la Question Prioritaire de constitutionnalité telle qu'instituer en France.

423 V°. Supra., p. 40.

424 V°. Supra., p. 22.

425 Bianca SELEJAN-GUTAN, « L'exception d'inconstitutionnalité en Roumanie : instrument de protection des droits ou technique dilatoire ? », Op.cit., pp. 65-79.

426 Ibidem.

427 Article 25 de la loi organique n°011-2000/AN du 27 avril 2000 sur le Conseil constitutionnel.

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Laurent ECK que ce droit subjectif découle du droit objectif et est reconnu par lui428. Dès lors, la subjectivation du contentieux constitutionnel n'est pas l'unique intérêt de l'exception d'inconstitutionnalité. Dans ses effets, l'exception d'inconstitutionnalité présente également des caractères fortement objectifs.

Section II : Une objectivation maintenue du contentieux
constitutionnel

Il n'y a pas de doute sur le caractère fortement subjectif de l'exception d'inconstitutionnalité. Toutefois, il subsiste quelques éléments soutenant le maintien du caractère objectif du contentieux constitutionnel même à travers l'exception d'inconstitutionnalité. Cela, dans la mesure où, d'une part, l'exception d'inconstitutionnalité se révèle être un purgatoire pour les normes inconstitutionnelles (§1), et d'autre part, elle permet une revalorisation du principe démocratique (§2).

§1 : Un purgatoire des normes inconstitutionnelles

Contrôle de constitutionnalité a posteriori, l'exception d'inconstitutionnalité contribue à affirmer la suprématie de la Constitution dans l'ordre juridique en ce sens qu'elle permet d'assoir la supériorité de la Constitution (A) et qu'elle contribue par la même occasion à la constitutionnalisation de toutes les branches du droit (B).

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe