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L'exception d'inconstitutionnalité au Burkina Faso


par Abdoul Rachid ABDOU BOKAR ABDOU
Université Thomas SANKARA - Master 2020
  

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A. Une théorie manifestement dangereuse

L'expression « gouvernement des juges » traduit cette large autorité des « sages » du Conseil qui ont le pouvoir de paralyser l'action des représentants du peuple. En effet, Le spectre du gouvernement des juges plane généralement sur le juge constitutionnel car, c'est le seul juge dont le législateur ne peut défaire ce qu'il a décidé et dont la spécificité tient au caractère sans appel de ses décisions581. A ce titre, la Constitution burkinabè prévoit que « Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours... »582. Le contrôle par voie d'exception est nuisible dans la mesure où il confère au juge constitutionnel un pouvoir excessif583. Pour certains doctrinaires burkinabè à l'image d'Augustin LOADA, censurer la loi après sa promulgation et sa mise en application s'apparente à un crime de « lèse-majesté »584, car le peuple n'a pas à être contrôlé585. Cela conduit en effet au déclin de la souveraineté nationale du fait du juge constitutionnel586. C'est pourtant un tel pouvoir que le constituant burkinabè a entendu accorder au Conseil en consacrant l'exception d'inconstitutionnalité. Naturellement, cela soulève quelques inquiétudes. Le danger réside notamment dans le fait que l'on risque de passer de l'Etat de droit à l'Etat des juges587. On peut alors légitimement redouter une dérive vers un gouvernement des juges588, un despotisme juridictionnel589.

Par ailleurs, certains auteurs iront même plus loin en observant un pouvoir constituant qui serait accordé au juge constitutionnel. Il ne peut certes y avoir d'ingérence de la part du juge dans l'exercice du pouvoir constituant590, mais celui-ci voit de plus en plus son rôle récupéré par le juge constitutionnel qui, implicitement représente sa propre volonté591. Ce qui conforte l'argument de Dominique CHAGNOLLAUD selon lequel le véritable auteur d'une

581 Patrick Wafeu TOKO, « Le juge qui crée le droit est-il un juge qui gouverne ? », Op.cit., pp. 145-174.

582 Article 159 al.2 de la Constitution du Burkina Faso du 02 juin 1991.

583 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SPUCRAMANIEN, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2017, 35ème édition, p. 74.

584 Augustin LOADA et Luc Marius IBRIGA, Droit constitutionnel et institutions politiques, Op.cit., p. 120.

585 Cyril BRAMI, Des juges qui ne gouvernent pas, op.cit., 2005, p. 20.

586 Oladé Okunlola Moïse LALEYE, La Cour constitutionnelle et le peuple au Bénin, Paris, l'Harmattan, 2018, p. 342.

587 Dominique CHAGNOLLAUD, Droit constitutionnel contemporain, Op.cit., p. 83.

588 Marie-Anne COHENDET, Droit constitutionnel, op.cit., p. 203.

589 Oladé Okunlola Moïse LALEYE, La Cour constitutionnelle et le peuple au Bénin, Paris, l'Harmattan, 2018, p. 338.

590 Eleonora BOTTINI, « L'intervention du juge constitutionnel dans l'exercice du pouvoir constituant », Jus Politicum/Revue de droit politique, n°18/2017, pp. 117-154. Disponible en ligne sur http://juspoliticum.com/article/L-intervention-du-juge-constitutionnel-dans-l-exercice-du-pouvoir-constituant-1187.html consulté le 26 juillet 2020 à 23h38.

591 Ibrahim MOUMOUNI, « La Constitution : la fin de la hiérarchie des normes en droit interne ? », in Oumarou NAREY (dir.), La Constitution. Op.cit., p. 291 et ss.

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norme « n'est pas l'auteur du texte mais l'interprète ultime de ce dernier »592. Interpréter un texte, c'est en droit, lui donner une vie juridique, ajoutera Dominique ROUSSEAU593. C'est donc le juge qui crée la norme constitutionnelle applicable594. De ce fait, en donnant une interprétation de la Constitution autre que celle que le Constituant avait imaginé, on peut dire que le juge constitutionnel a un pouvoir de modification de la Constitution. D'où la qualification d'un « troisième pouvoir constituant de l'interprète »595. Le cas du juge constitutionnel burkinabè est assez illustratif. En effet, en affirmant que la saisine directe du juge constitutionnel par le citoyen596 ne saurait intervenir que par la voie de l'exception d'inconstitutionnalité597, le juge constitutionnel burkinabè s'est constitué en « troisième pouvoir constituant de l'interprète » car, selon nous, il y a là un désaccord entre la volonté du constituant et l'interprétation qui en est faite par le juge. Le droit de la Constitution est ainsi réécrit pas le juge constitutionnel598 burkinabè. Dès lors, il ne saurait être contesté que les juges créent du droit et par conséquent aient une part au gouvernement599.

Si le spectre du gouvernement des juges qui sous-tend le contrôle de constitutionnalité par voie d'exception se révèle être un danger pour l'Etat de droit, il semble pourtant qu'au Burkina Faso le danger ne soit pas aussi imminent qu'il y paraît.

B. Une théorie relativement excessive

Il existe toujours le danger « d'une aristocratie de robe »600 qui « s'arroge le pouvoir constituant et muselle le pouvoir législatif sous couvert d'interprétation de la Constitution »601. Avec Marie-Anne COHENDET, on peut répondre à cela que le juge, et en particulier le juge

592 Dominique CHAGNOLLAUD, Droit constitutionnel contemporain, Op.cit., p. 87.

593 Dominique ROUSSEAU, La justice constitutionnelle en Europe, Paris, Montchrestien, 1996, 2ème édition, p. 34-35.

594 Ibidem.

595 Séverin Andzoka ATSIMOU, « La participation des juridictions constitutionnelles au pouvoir constituant en Afrique », RFDC, n°110, 2017/2, pp. 279-316.

596 Article 157 al.2 de la Constitution burkinabè.

597 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, décision n°2019-017/CC du 08 août 2019 sur le recours en inconstitutionnalité de la loi portant code pénal.

598 Bernard CUBERTAFOND, Le nouveau droit constitutionnel, Op.cit., p. 18.

599 Michel TROPER, « Le bon usage des spectres du gouvernement des juges », in Jean-Claude COLLIARD et Yves JEGOUZO, Le nouveau constitutionnalisme. Mélanges en l'honneur de Gérard CONAC, Paris, Economica, 2001, p. 49.

600 Marie-Anne COHENDET, Droit constitutionnel, Op.cit., p. 204.

601 Ibidem.

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de la constitutionnalité des lois, « ne bloque pas la volonté générale, il ne fait que l'orienter vers la bonne procédure. Il serait donc un simple aiguilleur, un frein et non pas un véritable pouvoir de blocage »602. Ainsi, a priori, il n'y a rien, dans ce droit constitutionnel jurisprudentiel, qui sorte du rôle normal du juge. D'ailleurs, pendant longtemps, on a même dû constater de sa part une certaine timidité603. En effet, conscient de la menace des accusations qui pèserait sur lui s'il outrepassait le cadre de son office, le juge constitutionnel burkinabè a tendance à s'autolimiter604. Même si son pouvoir d'auto-saisine relance le débat605.

Formule tous usagers, locution « passe partout » la théorie du gouvernement des juges, ne fait que souligner négativement une préoccupation qui justifie l'affirmation suivant laquelle le XXème est celui des juridictions constitutionnelles comme le XIXème a été celui du parlement606. Cela traduit le passage de l'Etat légal, marqué par la prééminence du Parlement, à l'Etat de droit marqué par la prééminence du juge607. Ainsi, tout se passe comme si, pour qu'il n'y ait pas de gouvernement des juges, le contrôle de constitutionnalité des lois, s'il doit s'accomplir, doit respecter la prééminence du Parlement, expression de la volonté populaire. Mais, pour que l'expression « gouvernement des juges » corresponde à la réalité, il faut qu'il y ait substitution de ceux-ci au législateur608. Or, il n'en est rien. La réalité est que le Conseil ne gouverne pas, et « en tant que juge, il ne pourrait gouverner. Cela, parce que certains domaines lui échappent, car il ne dispose pas d'une compétence générale, mais seulement d'une compétence d'attribution »609.

Par ailleurs, selon Elisabeth ZOLLER, le « gouvernement des juges » commence là où le juge statue sans texte610. Pourtant, le juge constitutionnel n'est pas créateur du droit dans la mesure où il ne part pas du néant, il se fonde toujours sur une disposition constitutionnelle pour lui donner un sens611. De ce fait, il découvre le droit612. Ainsi, qu'il s'agisse d'un contrôle de constitutionnalité a priori ou d'une exception d'inconstitutionnalité, « il est moins question

602 Ibidem.

603 Bernard CHANTEBOUT, Droit constitutionnel, Op.cit., p. 559.

604 Le manque d'audace du juge constitutionnel burkinabè dans l'affaire EROH est assez illustratif.

605 Article 157 al.3 de la Constitution du Burkina Faso.

606 Mahamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle des droits fondamentaux en Afrique, Op.cit., p. 463.

607 Michel VERPEAUX, La Constitution, Paris, Dalloz, 2008, p. 69.

608 Mahamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle des droits fondamentaux en Afrique, Op.cit., p. 464.

609 Ibidem.

610 Elisabeth ZOLLER, Droit constitutionnel, Op.cit., p. 242.

611 Ibrahim MOUMOUNI, « La Constitution : la fin de la hiérarchie des normes en droit interne ? », Op.cit., p. 291.

612 Ibidem.

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d'un gouvernement du juge constitutionnel que d'un gouvernement par procuration qui célèbre en réalité la volonté du souverain et le sacre du citoyen »613. Cela s'explique par le fait que son pouvoir de contrôle des lois découle de la volonté du peuple souverain exprimée dans la loi fondamentale qu'est la Constitution614. C'est en effet de là que le juge constitutionnel burkinabè tire sa légitimité. De ce fait, lorsqu'il affirme la conformité d'une loi à la Constitution, il lui donne aussi un label de légitimité615. Ainsi, le juge devient garant et témoin616. Il y a lieu donc de conclure à l'excessivité de cette théorie du « gouvernement des juges » qui ne saurait effectivement s'appliquer au juge constitutionnel burkinabè et ce, malgré son important pouvoir de censure sur les lois résultant de l'exception d'inconstitutionnalité. Le juge constitutionnel ne gouverne donc pas au Burkina Faso. Quoi qu'il en soit, c'est toujours le peuple souverain qui a le dernier mot. C'est dans ce sens que Georges VEDEL affirmait que « Si les juges ne gouvernent pas, c'est parce que, à tout moment, le souverain, à la condition de paraître en majesté comme constituant peut, dans une sorte de lit de justice, briser leurs arrêts »617.

613 Patrick Wafeu TOKO, « Le juge qui crée le droit est-il un juge qui gouverne ? », Op.cit., pp. 145-174.

614 Article 152 de la Constitution burkinabè.

615 Mahamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle des droits fondamentaux en Afrique, Op.cit., p. 465.

616 Ibidem.

617 Georges VEDEL, « Schengen et Maastricht », RFDA, n°2, 1992, pp. 178-180. Extrait de Olivier BEAUD, « Le cas français : l'obstination de la jurisprudence et de la doctrine à refuser toute idée de limitation au pouvoir de révision constitutionnelle », Jus politicum, n°18, disponible en ligne sur http://juspoliticum.com/article/le-cas-francais-l-obstination-de-la-doctrine-a-refuser-toute-idee-de-limitation-au-pouvoir-de-revision-constitutionnelle-1170.html, consulté le 26 juillet à 23h.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon