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L'exception d'inconstitutionnalité au Burkina Faso


par Abdoul Rachid ABDOU BOKAR ABDOU
Université Thomas SANKARA - Master 2020
  

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Section II : Un pouvoir législatif accordé au juge constitutionnel ?

L'exception d'inconstitutionnalité a propulsé le juge constitutionnel burkinabè au rang

d' « organe législatif partiel »553 et serait davantage un contre-pouvoir qu'une autorité554. Ainsi, le juge constitutionnel serait devenu ce que d'aucuns appelleraient un législateur négatif (§1). Ce pouvoir manifestement important fait miroiter le risque d'un gouvernement des juges au Burkina Faso (§2).

§1 : Le juge constitutionnel, un législateur négatif

Le rôle de législateur négatif du juge constitutionnel s'aperçoit notamment dans son pouvoir d'abrogation des lois en vigueurs (A). Par ailleurs, il faut noter que le juge constitutionnel burkinabè n'a pas tendance à moduler les effets de cette abrogation (B).

A. L'abrogation de la loi par le juge constitutionnel

L'exception d'inconstitutionnalité est sans conteste le mécanisme par lequel le juge constitutionnel peut se prévaloir d'un pouvoir législatif. En effet, par ce mécanisme, le juge constitutionnel peut « geler » une loi, car dès lors qu'il la déclarera inconstitutionnelle, celle-ci ne pourra plus être appliquée. Tel que l'a écrit Pierre BON, la décision d'inconstitutionnalité doit entraîner la disparition de la norme contestée de l'ordonnancement juridique555. Mais, « est-ce que le pouvoir d'annuler les lois ne fait pas du Conseil constitutionnel un organe du pouvoir législatif ? », se questionne Bachir Yelles CHAOUCHE556. A cette interrogation, Mahamadou SY répondra que le juge constitutionnel semble être un « législateur à l'envers »557 dans la mesure où « ses annulations entrainent les mêmes effets que l'abrogation, ou mieux encore, le retrait de la loi »558. De ce point de vue, si par principe le juge constitutionnel ne

553 Patrick Wafeu TOKO, « Le juge qui crée le droit est-il un juge qui gouverne ? », Les Cahiers de Droit, Vol.54, n°1, 2013, pp. 145-174.

554 Ibidem.

555 Pierre BON, « L'exception d'inconstitutionnalité en Espagne (question de constitutionnalité) », Op.cit., pp. 679-683.

556 Bachir YELLES CHAOUCHE, Le Conseil constitutionnel en Algérie, Op.cit., p. 117 et Ss.

557 Mahamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle des droits fondamentaux en Afrique, Paris, l'Harmattan, 2007, p. 461.

558 Ibidem.

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maîtrise guère l'édiction d'une nouvelle norme, le fait qu'il gère directement la disparition d'une norme fait de lui un « législateur négatif »559.

En droit constitutionnel comparé nigérien, afin que ne subsiste aucune ambiguïté, la Constitution précise clairement que toute disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'exception d'inconstitutionnalité « est caduque de plein droit »560. De même qu'en droit constitutionnel français où la Constitution prévoit qu'une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement d'une QPC « est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel »561. Cette référence à « l'abrogation » permet de bien faire comprendre que la décision du Conseil constitutionnel emporte sortie de vigueur de la disposition législative litigieuse562.

Qu'en est-il du droit constitutionnel burkinabè ?

Hélas, une fois de plus, les textes en la matière au Burkina Faso restent silencieux sur cette question. Toutefois, la pratique observée dans le système juridique burkinabè laisse également croire à un effet abrogatoire des décisions d'inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel burkinabè. Le rôle actif joué par le juge constitutionnel burkinabè fait de lui un véritable « jurislateur », selon le mot d'Ibrahim MOUMOUNI563. On peut parfaitement étayer cette affirmation en analysant le nouveau code de procédure pénale burkinabè. En effet, suite à la décision du 12 juillet 2016 rendue sur exception d'inconstitutionnalité par le Conseil constitutionnel qui a déclaré l'article 497°3 de l'ancien code de procédure pénale contraire à la Constitution, car refusant le droit d'appel à la partie civile dans un procès pénal564, le législateur a tenu à abroger cette disposition et à accorder désormais ce droit d'appel à la partie civile notamment à l'article 317-2 du nouveau code de procédure pénale565.

Outre cette décision, une autre décision d'inconstitutionnalité ou de non-conformité a été rendue par le Conseil une année plus tard sur l'exception d'inconstitutionnalité des articles

559 Pascale DEUMIER, « Les effets dans le temps des décisions QPC : un droit des conséquences des décisions constitutionnelles », Les Nouveaux Cahiers du Conseil Constitutionnel, n°46, 2015, pp. 65-77.

560 Article 132 al.2 de la Constitution nigérienne du 25 novembre 2010.

561 Article 62 al.2 de la Constitution française.

562 Pascal MBONGO, « Droit au juge et prééminence du droit. Bréviaire processualiste de l'exception d'inconstitutionnalité », Recueil Dalloz, 2008, p. 2089.

563 Ibrahim MOUMOUNI, « La Constitution : la fin de la hiérarchie des normes en droit interne ? », in Oumarou NAREY (dir.), La Constitution. Actes du Séminaire Scientifique Tenu à Niamey du 24 au 26 octobre 2018, ANDC, p. 291.

564 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, décision n°2016-08/CC du 12 juillet 2016 sur exception d'inconstitutionnalité de l'article 497°3 du code de procédure pénale.

565 V°. La loi n°040-2019/AN du 29 mai 2019 portant code de procédure pénale au Burkina Faso.

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21 et 33 de la loi organique sur la Haute Cour de Justice566. Ce qui prouve que les décisions du juge constitutionnel ont une valeur législative567 et donc que le Conseil constitutionnel burkinabè a un pouvoir législatif. Ainsi, au Burkina Faso, sur les sept (7) fois que le Conseil a été saisi par exception d'inconstitutionnalité, celui-ci a rendu deux décisions de non-conformité et donc d'abrogation jurisprudentielle. Ce pouvoir d'abrogation dont dispose le juge constitutionnel est, selon notre analyse, une méconnaissance de la règle du parallélisme de forme et de compétence qui régit tout acte juridique. En effet, selon cette règle, seul le législateur qui a adopté la loi peut être compétent pour l'abroger. Dès lors, l'exception d'inconstitutionnalité constitue « un empiètement sur le législatif »568, un brouillard dans les institutions569.

De ce qui précède, il convient d'admettre que le juge constitutionnel est un représentant du peuple. Cela, parce que la représentation n'est pas liée au mode de nomination mais dérive de la qualité de co-législateur570. Dès lors, le juge constitutionnel peut être considéré comme un représentant du souverain, car il participe de manière décisionnelle à l'exercice du pouvoir législatif571. Ainsi, il est désormais clair que grâce à ce mécanisme de l'exception d'inconstitutionnalité, le juge constitutionnel burkinabè participe au pouvoir législatif, car disposant désormais d'un pouvoir d'abrogation sur les lois. Toutefois, force est de constater que l'abrogation immédiate d'une disposition législative peut parfois causer une insécurité juridique dans le droit positif. D'où l'intérêt de la modulation des effets de la décision d'abrogation qui fait défaut au Burkina Faso.

B. L'absence de modulation des effets de la décision d'abrogation

Dans cet argumentaire, il s'agirait de se questionner sur le fait de savoir si l'abrogation intervenue par le mécanisme de l'exception d'inconstitutionnalité a un effet immédiat ou bien un effet différé. Ce choix entre abrogation immédiate ou différée s'exercera généralement au

566 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, décision n°2017-013/CC du 09 juin 2017 sur l'exception d'inconstitutionnalité des articles 2, 21 et 33 de la loi organique sur la Haute Cour de Justice.

567 Anne RASSON, « La valeur de la distinction entre autorité absolue et autorité relative de la chose jugée », Op.cit., pp. 593-612.

568 Frédéric ROUVILLOIS, « Michel Debré et le contrôle de constitutionnalité », RFDC, n°46, 2001, pp. 227-235.

569 Yves GAUDEMET, « Brouillard dans les Institutions : à propos de l'exception d'inconstitutionnalité », Revue de Droit Public, n°3, 2009, pp. 581-587.

570 Cyril BRAMI, Des juges qui ne gouvernent pas, Op.cit., p. 174.

571 Ibidem.

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regard des conséquences manifestement excessives qu'emporterait une abrogation immédiate. Le Conseil constitutionnel burkinabè reste muet sur la détermination de la portée des effets de l'inconstitutionnalité constatée572. Il se contente de dire que la disposition querellée est contraire à la Constitution573 tout en laissant aux pouvoirs publics et aux juridictions le soin de tirer les conséquences de cette inconstitutionnalité.

En droit constitutionnel comparé français par contre, le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution dispose qu' « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision... ». En application de cette disposition, le juge constitutionnel français prend souvent le soin de déterminer la portée de l'inconstitutionnalité constatée au regard des effets que produirait l'abrogation immédiate de la norme. Ces effets sont parfois, mais pas toujours, précisés par le Conseil. Ainsi par exemple, le Conseil constitutionnel a pu dire dans une décision QPC rendue en 2010 que « l'abrogation immédiate de l'article L. 337 du code de la santé publique, devenu son article L. 3212?7, méconnaîtrait les exigences de la protection de la santé et la prévention des atteintes à l'ordre public et entraînerait des conséquences manifestement excessives »574. Plus récemment en 2014, le Conseil jugeait que « Considérant, en premier lieu, que l'abrogation immédiate du 8° bis de l'article 706-73 du code de procédure pénale aurait pour effet non seulement d'empêcher le recours à une garde à vue de quatre-vingt-seize heures pour des faits d'escroquerie en bande organisée, mais aussi de faire obstacle à l'usage des autres pouvoirs spéciaux de surveillance et d'investigation prévus par le titre XXV du livre IV du même code et aurait dès lors des conséquences manifestement excessives ; qu'afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité du 8° bis de l'article 706-73 du code de procédure pénale, il y a lieu de reporter au 1er septembre 2015 la date de cette abrogation »575. Par ailleurs, dans cette même décision, le Conseil poursuit son raisonnement en ajoutant que « les mesures de garde à vue prises avant la publication de la présente décision et les autres mesures prises avant le 1er septembre 2015 en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne

572 Séni Mahamadou OUEDRAOGO, « L'admission en clair-obscur du droit d'appel de la partie civile en matière pénale : à propos de la décision n°2016-08/CC sur l'exception d'inconstitutionnalité de l'article 497-3° du code de procédure pénale », RBD, n°51-1er semestre/2017, pp. 245-255.

573 Djibrihina OUEDRAOGO et Séni Mahamadou OUEDRAOGO, « Libres propos sur la transition politique au Burkina Faso : du contexte au texte de la Charte de la transition », Revue Electronique Afrilex, février 2015, 28 p.

574 V°. Conseil constitutionnel français, décision n°2010-71, QPC du 26 novembre 2010.

575 V°. Conseil constitutionnel français, décision n°2014-420/421 QPC du 09 octobre 2014.

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peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité »576. C'est ce qui a amené Xavier MAGNON à dénoncer cette modulation des effets dans le temps des décisions de censure et l'usage de l'abrogation différée, car celle-ci ne profitait pas au justiciable577 à l'origine de la question exceptionnelle de constitutionnalité. Or, cette modulation devrait être mise en balance avec le souci de l'effet utile578 au nom duquel la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision 579. Pour Pascal DEUMIER, « la disparition de la disposition inconstitutionnelle jouant pour l'avenir et pour les instances en cours » serait préférable580.

Au regard de cette critique, l'absence de modulation ou d'abrogation différée dans le paysage constitutionnel burkinabè reste l'option la plus profitable pour les justiciables qui seraient enclins à soulever une exception d'inconstitutionnalité. Par ailleurs, ce pouvoir législatif qui est accordé au Conseil par le mécanisme de l'exception d'inconstitutionnalité peut s'avérer redoutable dans un Etat démocratique tel que le Burkina Faso. Ainsi, si la naissance du juge constitutionnel marque la fin d'un absolutisme de la loi, avec ce mécanisme de l'exception d'inconstitutionnalité, ne faut-il pas craindre le début d'un autre ?

§2 : Le risque apparent d'un gouvernement des juges

La théorie du gouvernement des juges survient quand le juge constitutionnel a le pouvoir de remettre en cause une loi votée par le parlement notamment par la voie de l'exception d'inconstitutionnalité. Dès lors, cette théorie se révèle manifestement dangereuse (A). Toutefois, cette théorie du gouvernement des juges paraît, en réalité, relativement excessive au Burkina Faso (B).

576 Voir le 27ème et dernier considérant de la décision n°2014-420/421 QPC du 09 octobre 2014.

577 Xavier MAGNON, « L'apport de la question prioritaire de constitutionnalité à la protection des droits et libertés dans les différents champs du droit : une synthèse », HAL/Archives ouvertes, 13 p.

578 Dans le domaine de l'interprétation des lois, un argument d'interprétation d'effet utile est un argument qui découle de l'adage selon lequel « le législateur ne parle pas pour rien dire » et qu'« il ne reste pas silencieux pour rien ». V°. Stéphane BEAULAC et Frédéric BERARD, Précis d'interprétation législative, Montréal, LexisNexis, 2014, 1ère édition, 566 p.

579 Pascale DEUMIER, « Les effets dans le temps des décisions QPC : un droit des conséquences des décisions constitutionnelles », Op.cit., pp. 65-77.

580 Ibidem.

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