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Le Paris souterrain dans la littérature


par Céline Knidler
Université Paris IV Sorbonne
Traductions: Original: fr Source:

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Céline Knidler

Mémoire de maîtrise :

Le Paris souterrain dans la littérature

Remerciements à M. Jacques Noiray, mon directeur de mémoire.

Sommaire :

Introduction

I) Entre fantaisie et vérité : le paradoxe du souterrain

1) L'imaginaire du souterrain

a) Une représentation géographique fabulée

b) Le souterrain de Paris, refuge d`une population surnaturelle

2) Le souterrain, espace de vérité

a) Le souterrain parisien : un espace d'authenticité

b) Les souterrains de Paris comme aboutissement à toute quête.

II) La représentation de Paris : une image double

1) « Ecce Paris, ecce homo »

a) La personnification de Paris appliquée aux souterrains

b) Le souterrain, ou l'inconscient

2) Paris ombre et Paris lumière

a) La division physique de Paris

b) Quand le souterrain sort de terre

III) Paris et ses souterrains, mythe d'hier et de demain

1) Le mythe parisien appliqué aux souterrains

a) L'engloutissement programmé de Paris

b) Paris, nouvelle Babylone : les résurgences bibliques dans la littérature du Paris souterrain

2) Le souterrain de Paris, un lieu atemporel ?

a) Etude comparée de la mythologie chtonienne et de la littérature sub-parisienne

b) Les souterrains de Paris, à l'image de la capitale : un lieu hors du temps

Introduction

On a relativement peu écrit sur les souterrains : parler des souterrains fait peur. A l'écrivain tout d'abord. Et pour cause : le souterrain est obscur, enfoui, profond, sale dans l'imaginaire collectif. C'est l'endroit des égouts, de ce que la société rejette. Parler de ce que rejette la société, c'est également prendre le risque d'être soi même rejeté, en tant que romancier. C'est le risque de « salir » ses lettres avec la boue du sous-sol. Assurément, écrire sur l'amour ou sur l'honneur est un pari moins dangereux pour le littérateur.

Le souterrain dégoûte, mais fait peur également au lecteur. Combien de légendes les ont peuplés de créatures toutes plus fantastiques et effrayantes les unes que les autres ? C'est enfin un univers inconnu, dangereux, où l'homme n'a ni sa place, ni ses repères.

La saleté, la peur, l'obscurité... Voilà qui pourrait cependant nourrir les imaginations les moins fertiles. Mais cette crainte d'aborder le souterrain, n'est-ce pas avant tout la peur de découvrir ses propres souterrains ? Car là est tout l'intérêt de notre travail : un travail de mineur, d'archéologue, de psychanalyste même serait-on tenté de dire. Quelles richesses, quels secrets, quels mystères les premiers explorateurs-romanciers qui ont osé braver les sous-sols ont-ils pu dénicher en profondeur et cacher à demi-mots derrière leurs lignes ? Quel monde parallèle ont-ils découvert et quelles sont les règles, les us, les traits caractéristiques qu'ils lui ont attribué ? Bachelard, à ce sujet, évoque les « images sincères » 1(*). L'image sincère, c'est la représentation vraie, en l'occurrence ici, du monde souterrain, qui se tapisse derrière le style de l'écrivain, de cette « mythologie en acte », sorte d'inconscient collectif auquel n'échappent pas les romanciers. Autrement dit, la représentation du monde souterrain obéit à des règles communes, et ce, depuis que l'homme a la capacité d'imaginer.

Cela étant dit, la particularité de notre sujet sera de restreindre cette étude aux souterrains de Paris. Pourquoi cette restriction ? Tout d'abord parce que la ville est une construction humaine, régie par des règles strictes, une organisation, et que le souterrain va devenir de ce fait son pendant absolu : lieu sauvage, bestial et naturel, chaos, danger... Ensuite, parce que Paris concentre entre ses murs l'humanité à une échelle moindre. Il nous suffit de citer Balzac qui, par la bouche du jeune Calyste, parle de mordre « la pomme parisienne de la civilisation. ». Paris, c'est l'art. La province, c'est la nature. Opposer le monde souterrain à une ville telle que Paris, c'est faire se confronter deux entités absolument contraires. Alors, de là part toute la force de la démonstration des romanciers. Car plus la chute est haute, plus la révélation est grande. Il ne servirait à rien, sinon, de transporter un personnage depuis une province jusque dans le milieu souterrain, si ce dernier passe d'un cadre naturel, sauvage et d'un état végétatif à... un cadre naturel, sauvage et à un état végétatif. Le passage au souterrain est un passage violent, souvent contraint. Et c'est en cela qu'il porte tout son intérêt : sous terre, les masques sont arrachés. C'est douloureux, certes, mais c'est en grattant cette carapace que l'on découvre peu à peu des vérités. Et cette expérience s'applique non seulement aux personnages, qui vont vivre les plus folles aventures, au romancier, derrière le style duquel des éléments cachés vont apparaître, mais encore et enfin au lecteur, qui découvre dans les méandres des catacombes et des égouts, le reflet des ses propres questionnements et de sa plus secrète intimité. C'est sans doute en cela que la littérature du souterrain suscite inconsciemment tant de curiosité, mais s'attire aussi les foudres des critiques. Littérature sale, vulgaire, avilissante : la vérité fait peur et rebute. Alors on l'enterre et on la repousse, et gare aux profanateurs de ces caveaux-poubelles !

Nous avons donc sélectionné pour notre étude dix oeuvres, toutes du 19ème siècle. Et pour cause, la littérature du souterrain n'est apparue vraiment qu'à partir des années 1830. Nous avons volontairement mis de côté la littérature sub-parisienne du 20ème siècle, préférant nous attacher tout particulièrement à ses prémices, sans doute plus riches car plus spontanés, plus purs car non influencés. Les souterrains du métropolitain brilleront donc par leur absence dans nos lignes, leur fréquentation et leur vulgarisation transformant radicalement la vision et l'interprétation globale des souterrains parisiens dans la littérature.

C'est en 1827 que Gérard de Nerval publie sa nouvelle intitulée  Le monstre vert, et en 1834 que les lecteurs s'arrachent Les Catacombes de Paris d'Elie Berthet. Le thème du souterrain ne se développera vraiment qu'à partir de la monarchie de juillet pour prendre son plein essor sous le second Empire. En effet, à partir de 1852, date à laquelle Joseph Méry publie ses Salons et souterrains de Paris, les imaginations brimées par une époque trop éclairée, se réfugient dans les souterrains où fourmillent tous les mystères qui prêteront leurs noms à une série d'oeuvre du temps (Les Mystères de Paris, Le Mystère de la chambre jaune...). On y trouve les mêmes recettes de fabrication, les atmosphères se recyclent, les crimes et les bandits pullulent etc....Les souterrains se rattachent de ce fait à un certain type de littérature, un type souvent déprécié, sans doute injustement, mais au type du roman populaire ou du roman policier. Mettons Victor Hugo et Gérard de Nerval en dehors de cette appréciation et observons les auteurs retenus : Elie Berthet, Pierre Zaconne, Joseph Méry, Gaston Leroux, même Alexandre Dumas n'échappent pas à la sentence.

Comment qualifier le roman populaire : on peut distinguer deux périodes, celle de l'essor du roman populaire qui profite du développement de la presse, qui va de 1836 (date de parution du premier roman feuilleton dans La Presse) à 1870. Ce sont les années des grandes aventures rocambolesques, des grands héros, les années Berthet, Zaconne, Dumas. Va se développer par la suite une littérature plus policière, à l'instar de celle de Gaston Leroux. Le roman populaire s'adresse au peuple, et met le peuple en scène. Son style est souvent dicté par les exigences des quotidiens, favorisant les rebondissements, le suspens, en bref, un style riche en recettes, « trucs » et clichés.

Cependant, la littérature du Paris souterrain n'épargne personne, et certains romantiques se laisseront tenter. Victor Hugo ou Gérard de Nerval par exemple. Qu'est-ce que le romantisme si ce n'est l'art de transporter son lecteur dans des contrées inconnues, de le dépayser en quelque sorte, de rechercher le secret, le mythe. Au 19ème, les souterrains de Paris, loin des techniques que nous possédons actuellement, étaient un univers où il ne faisait pas bon s'aventurer. De ce fait, ces kilomètres de galeries restaient la plupart du temps inexplorés, ou inconnus, de quoi nourrir les imaginations les plus fertiles. Il est intéressant d'ailleurs de noter que les réalistes n'ont pas leur place dans ce travail, et pour cause. Si les romantiques découvrent de nouveaux pays, les réalistes se chargent de nous montrer les lieux connus sous un nouveau jour, à la lueur de leur plume. Le romantique à l'inverse, ou l'auteur populaire, devra user de toute son imagination pour offrir à son lecteur une description d'univers inédits. Et quand l'imagination est appelée, il arrive qu'elle divague, ou qu'elle se laisse entraîner loin, très loin, parfois aux frontières du paranormal.

Cette débauche d'imagination va donner lieu à une première étude, qui va mettre en avant le paradoxe du souterrain. Alors même que la topographie et les habitants des souterrains tels qu'ils sont décrits dans les oeuvres flirtent avec le paranormal, voir même la féerie, c'est dans ces lieux fantastiques, grâce à ces monstres et ces diables que les personnages vont découvrir leurs vérités. Les souterrains eux-mêmes vont servir de révélateur de personnalité et, comme nous le disions plus haut, vont faire tomber les masques. Fruit de l'imagination et en même temps témoin de la réalité, le souterrain parisien évolue sur ce fil de funambule d'un bout à l'autre des romans.

Double rôle, double jeu et double enjeu. Le souterrain parisien semble être marqué par le sceau de la dualité. Pour preuve, les catacombes, les égouts sont l'envers des rues et des maisons de Paris. L'un ne peut exister sans l'autre, puisque l'un a été construit par l'autre : si Paris n'avait pas tiré ses pierres de son sous-sol, ce dernier n'existerait pas. Etroit lien de filiation qui fait de Paris une ville à l'image de l'homme avec ses contradictions, ses organes, ses différents niveaux de conscience. Paris est une personne, et ses souterrains prennent une fonction tantôt organique (les égouts sont les viscères de Paris), tantôt psychique (les catacombes sont l'inconscient de Paris). Cette dépendance de ces deux éléments géographiques s'inscrit dans une sorte de complémentarité. Car tout les oppose, donnant à Paris deux visages, celui du jour et de la nuit. Mais le manichéisme n'est pas total, car, à la manière du yin et du yang, le souterrain vient à déborder, et la surface investie les souterrains. Complémentarité donc, mais rivalité.

* 1 Gaston Bachelard, La Terre et les rêveries du repos (Paris, José Corti, 1997) p.184

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