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Politique, pauvreté et stabilité. le Sénégal peut-il basculer dans des violences sociales

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par Vivien MANEL
Institut français de géopolitique - Université Paris 8 - Master I géopolitique 2008
  

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C - Relations entre islam confrérique et pouvoir politique : assiste-t-on à l'émergence d'une confrérie d'Etat et quelles pourraient en étre les conséquences pour la stabilité du pays ?

La population du Sénégal est composée à 94% de musulmans répartis essentiellement dans quatre grandes confréries : 15 % d'adeptes de la khadriyya, 36 % de disciples de la Mouridiyya, 54 % appartiennent à la confrérie Tidjaniyya. Il existe d'autres confréries moins influentes comme la Layéniyya, les moustarshidinn. Environ 5% des sénégalais sont chrétiens (principalement des catholiques mais aussi des protestants, des Témoins de Jéhovah...) et 1% d'animistes et d'adeptes de religions traditionnelles localisés pour la plupart au Sud-Est de la région de Tambacounda, et/ou d'athées. Dans cette configuration, il aurait été aisé de craindre que les fortes minorités soient victimes de discriminations ou de toutes autres formes de tracasseries liées à leur appartenance religieuse. En fait, il n'en n'est rien. Si de telles pratiques ont cours dans certains pays d'Afrique (Nigéria), au Sénégal ce n'est pas le cas, loin s'en faut. En effet, dans ce pays les différentes composantes vivent dans une symbiose quasi parfaite. Pour

preuve, à Joal ville native de l'ancien président de la République Léopold Sédar Senghor existe un cimetière, où sont enterrés catholiques et musulmans.

En outre le dialogue islamo-chrétien n'est pas qu'un concept vide de sens. Bien au contraire, les représentants des différentes confessions religieuses se retrouvent souvent pour échanger sur ce qui les rapproche et discuter de ce qui pourrait constituer des différences et voir comment les aplanir. Chrétiens comme musulmans, au Sénégal restent préoccupés par la préservation de la paix sociale. L'actuel archevêque de Dakar, le cardinal Théodore Adrien Sarr, a invité le 24 Décembre dernier tous les acteurs sociaux à la concertation. Il disait : « Nous invitons tous les acteurs à un dialogue social vrai pour conjuguer les visions, les efforts et les forces afin de réduire les souffrances et la pauvreté. Là où la force domine, que nous tentions la paix du dialogue (...) C'est la seule voie pour apaiser les tensions et préserver la paix sociale »37.

Par ailleurs, le mariage interreligieux, méme s'il connaît encore dans certaines localités des réticences, est très fréquent et participe, à sa façon, à la construction et à la pérennisation de la paix sociale et de la stabilité du pays. Il n'est pas rare de voir dans une méme famille, des frères, soeurs, oncles, tantes et cousins, pratiquer des religions différentes et vivre en parfaite harmonie.

Mais, quoiqu'on en dise, les confréries religieuses au Sénégal restent rivales. Qu'elle soit latente ou « sourde » comme d'aucun le prétendent, la rivalité n'en est pas moins réelle. En effet, c'est à qui réussira le magal, le siaara, le gamou, bref le pèlerinage (en wolof) le mieux organisé, le plus médiatique et qui aura mobilisé le plus de foules. De même, elles ne se privent pas de faire étalage de leurs richesses et de leurs prestiges, étant entendu que les guides religieux ou marabouts sont considérés comme les dépositaires de l'avoir, du pouvoir et du savoir. Dans les villes (Dakar, Thiès et Diourbel) qui abritent leurs sièges -appelée villes saintes- ce sont de

37- Agence de Presse Sénégalaise, Mercredi 24 décembre 2008

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somptueuses mosquées qui y sont construites. Malgré les particularités qui les distinguent, elles partagent, en revanche, un ensemble de pratiques cultuelles basées sur le coran et la suna.

Mais, si les guides religieux, chrétiens comme musulmans, ont toujours été préoccupés par la préservation de la paix sociale, qu'est-ce qui explique la recrudescence de leurs appels à la concorde nationale ces dernières années ? Pendant les nombreuses années (1960-2000) au cours desquelles ils ont dirigés le Sénégal, Léopold S. Senghor et Abdou Diouf ont su se tenir à équidistance des milieux religieux. Et même si certains marabouts ont, à un moment ou à un autre, donné des consignes de vote en leur faveur, jamais ils n'ont lancé autant d'appels à cultiver la paix sociale depuis 2000. Une chose est sure, les relations entre le régime actuel et certains milieux religieux sont différentes de ce qu'elles étaient. En effet, dès 2001, le sociologue Malick Ndiaye écrivait : « ~le nouveau pouvoir est à l'origine d'une réorganisation religieuse du Sénégal dans le sens de l'émergence d'une confrérie d'Etat avec ses conséquences immédiates, notamment l'intolérance confrérique, y compris dans le domaine politique, par l'exigence proclamée par Ousseynou Fall qu'il soit mis un terme au principe de l'admission de tous à toutes les fonctions sans égard aux croyances religieuses »38.

En réalité Abdoulaye Wade se dit fervent talibé (disciple) mouride. A ce titre, il a fait, à l'instar de tous les talibés, allégeance à son marabout. Mais là où cette relation à son guide spirituel pose problème c'est dans son comportement en tant que chef d'Etat vis-à-vis de son marabout. Mais depuis son élection Wade fait fréquemment le voyage vers Touba, et en utilisant les moyens de l'Etat, ceux-là dont il peut profiter du fait de son statut. Il se rend dans cette ville non pas seulement en tant que disciple, mais aussi et surtout en tant que Président de la République du Sénégal. Président de la République, une institution respectable et respectée.

38 - les deux composantes de la fracture sociale, dans Walfadjri du 16 juillet 2001, cité par Almamy Wane dans « Le Sénégal entre deux naufrages ? Le Joola et l'alternance »

Dans ce contexte, le fait de se présenter devant le marabout, et de s'asseoir par terre alors que des fauteuils lui sont proposés, pose problème. Surtout que le Sénégal compte plusieurs confréries auxquelles le président Wade ne rend pas de visite méme à l'occasion de grandes cérémonies commémoratives de chacune d'elles, que ce soit à Dakar, à Tambacounda ou dans toute autre région du pays. Si l'expression et les manifestations de son attachement voire de sa soumission vis-à-vis de son marabout, peuvent servir ses visées et ses vues politiques, elles peuvent, en revanche, être lourdes de conséquences pour la nation. En effet, elle pose les jalons d'un favoritisme confrérique et donc de l'exclusion de certaines d'entre elles. En abandonnant ainsi sa posture de vigie de la nation, pour se vêtir de sa simple tunique de talibé, Wade crée une nouvelle forme de relations entre pouvoir et guide religieux.

D'ailleurs, l'on peut légitimement se demander si cette collision entre les politiques et les religieux ne pourrait pas déboucher sur le désir de ces derniers d'avoir plus d'influence sur la scène politique, sociale et économique. En fait, forts du soutien indéfectible du chef de l'Etat et de son souhait déjà affirmé de vouloir supprimer de la Constitution le terme de laïcité, les mourides pourraient se prendre à réver d'une islamisation des institutions sénégalaises. Une situation qui ne manquera pas de susciter de très fortes convoitises. Car si, comme c'est le cas à Thiès par exemple, il est possible que deux mosquées soient construites face à face à cause de rivalités confrériques (mouride et tidjane) dans un quartier populaire, il est aisé d'imaginer quelle sera la nature des conflits et querelles que le contrôle d'une République islamique ne manqueront pas de susciter. Et, si en plus les minorités chrétiennes et autres réclament leur appartenance à la nation et donc au territoire sénégalais, il est certain que les crispations que cette situation risque d'engendrer pourraient influer négativement sur la stabilité du pays. En effet, si la tolérance, la cohabitation et la convivialité ethniques et religieuses ont forgé le modèle sociopolitique sénégalais, rien n'indique que la « ségrégation » confrérique qui prend de plus en plus d'ampleur ne puisse le remettre durablement en cause.

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En outre, la dégradation croissante des conditions de vie des masses populaires pourrait être un terreau fertile pour le développement d'un fondamentalisme islamique. Si le verrou constitutionnel de la laïcité venait à sauter, l'influence des marabouts qui, le plus souvent disposent de moyens financiers très importants, pourrait peut-être trouver un réceptacle très favorable à un discours qui aurait pour thème le rejet de la différence religieuse auprès de populations qui leur sont totalement dévouées. Aussi, la tentative d'inscrire le marabout de Touba, Serigne Saliou Mbacké, sur les listes de son parti politique lors des élections locales de 2003 montre clairement jusqu'où est allée la collusion entre le religieux et le temporel sous le magistère de Wade et quelle interprétation pourrait en être faite de la part des disciples de la mouridiyya.

La connivence entre Wade et la confrérie mouride peut être, si l'on n'y prend garde, source de chaos social pour le Sénégal. Car, si elle est en soi un calcul politique qui peut lui être bénéfique, elle peut, en revanche, créer les prémices d'affrontements entre confréries et peut-être entre différentes confessions religieuses.

En méme temps que l'on craint l'émergence d'une confrérie étatique et donc une discrimination entre celles-ci, un autre foyer de probables tensions susceptibles de constituer une menace pour la stabilité du pays s'est fait jour. Il s'agit de l'implication des militaires et paramilitaires dans la compétition politique. Voyons en quoi elle le serait.

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"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite