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L'enquête des juridictions pénales internationales.

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par José Tasoki Manzele
Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Docteur en droit 2011
  

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Section II. Le Procureur désigne un expert

Dans un procès pénal, l'expertise soulève fondamentalement un problème d'intrusion de la science dans la justice, avec le risque de créer une dualité entre le juge et l'expert934(*). Etant donné qu'il est impossible de faire du juge un expert, ou de l'expert un juge, la justice pénale s'accommode de l'expert. Celui-ci interviendrait en qualité d'auxiliaire de justice dans une procédure qui utilise les connaissances d'un technicien pour tirer au clair une question dont la solution exige une compétence technique qui fait défaut au juge935(*). La question de l'importance de l'expertise n'étant pas remise en question, même devant le juge pénal international, il importerait d'en préciser la notion (§ 1) avant d'en examiner la procédure (§ 2).

Paragraphe I. Notions

A. Définition

Un expert donne un avis technique.- Le lexique des termes juridiques emploie le mot « technicien »936(*) pour désigner un expert à qui une autorité judiciaire fait recours pour obtenir un avis sur des faits dont l'élucidation nécessite des connaissances techniques et des investigations complexes qui ne peuvent être le fait que d'un spécialiste ou d'un homme de l'art937(*). Il s'agit d'« (...) [u]ne personne choisie par le juge en raison de ses connaissances techniques, ayant pour mission de procéder, après prestation de serment, à des examens, consultations et appréciations de faits dont elle consigne le résultat dans un procès-verbal ou dans un rapport (...) »938(*). Dans le même ordre d'idée, le juge pénal international le regarde comme étant « (...) [u]ne personne qui, grâce à ses connaissances, ses aptitudes ou une formation spécialisée, peut aider le juge du fait à comprendre ou à se prononcer sur une question litigieuse (...) »939(*).

L'autorité judiciaire demeure le maître du litige.- Finalement, l'expertise est une « (...) Mesure d'instruction consistant pour le juge à charger un ou plusieurs experts de procéder à des constatations techniques et de lui en exposer le résultat dans un rapport (...) »940(*). L'expert commis par l'autorité judiciaire donne un avis purement technique de nature à éclairer cette dernière, dans les domaines les plus divers comme la médecine, la médecine légale, la génétique, la psychiatrie, la biologie, la psychologie, la dactyloscopie, l'informatique, la balistique...941(*) Loin de lui l'idée de se dessaisir de l'instruction d'une affaire au profit d'un expert, le Procureur demeure le dominus litis, tout en s'obligeant, dans certaines affaires, à des vérifications auxquelles il n'est pas en mesure de se livrer lui-même. L'expert l'éclaire donc sur des problèmes spécifiques d'ordre technique, requérant des connaissances particulières dans un domaine déterminé942(*). Il lui donne des indications pertinentes sur des questions bien précises en rapport avec la recherche de la preuve de l'infraction reprochée à l'accusé943(*). Ces indications seront prises en compte par l'autorité judiciaire dans l'établissement et la détermination de la responsabilité pénale de l'accusé. Encore faut-il que ces indications démontrent leur utilité dans l'examen des arguments des parties en cause.

Expert ou témoin ?- Ainsi, un expert, que les juridictions pénales internationales appellent « témoin expert »944(*), doit se distinguer d'un témoin simple, dont l'intervention consiste à rapporter uniquement des faits qu'il a vus ou entendus et qui sont directement reprochés à l'accusé. Grâce à sa connaissance professionnelle des enjeux en litige, le témoin expert intervient, lui, pour guider l'autorité judiciaire en lui offrant une opinion éclairée fondée sur le savoir ou l'expérience afin de l'aider dans l'opération d'établissement des faits de l'affaire945(*). En clair, le témoin expert atteste les faits avérés dont il a par ailleurs le contrôle946(*). Cela lui permet en définitive de donner son avis ou son opinion qui détermine l'autorité judiciaire dans son intime conviction. Il peut s'agir d'un expert psychiatre, dont l'examen sur le délinquant permettra de révéler des traits de la personnalité, l'état mental, psychologique ou les capacités de réinsertion. Il peut s'agir aussi d'un expert historien qui peut fournir un témoignage pertinent portant par exemple sur les liens de causalité entre les émissions de propagande et les massacres commis947(*). Tout comme il peut s'agir d'un témoin expert en matière de contexte dont la mission consiste à replacer son expertise dans le cadre de l'objet général et du contexte du procès948(*), ou d'un témoin expert sociologue qui offre à l'autorité judiciaire non seulement une succession de faits sur une société donnée mais aussi une explication sur la manière de comprendre ces faits spécifiques en relation avec des caractéristiques plus larges de cette société949(*). Toujours est-il que dans toutes les hypothèses d'un recours à expert, plusieurs qualités sont exigées de ce dernier.

B. Qualités exigées d'un expert

Pour pouvoir être habilité à aider le Procureur dans sa mission de la recherche des preuves, le témoin expert doit répondre aux exigences suivantes :

Les compétences avérées de l'expert.- Il doit s'agir d'une personne dont l'expertise est véritablement reconnue950(*). L'expert doit en effet se distinguer des autres par sa qualification et ses compétences techniques avérées, qui doivent ressortir entre autres de son curriculum vitae qu'il présente à l'autorité judiciaire951(*). Par ailleurs, le témoin expert doit disposer des qualités intellectuelles telles à fournir un rapport de son expertise de manière technique et scientifique, de manière à déterminer l'autorité judiciaire dans la construction des fondements de sa politique de mise en cause ou non de la personne accusée. C'est ainsi qu'il a été jugé que la déposition d'un témoin expert concernant les questions d'ordre juridique ne peut pas être considérée comme une expertise pertinente et probante, car les conseils des parties au procès peuvent valablement procéder au traitement desdites questions dans leurs conclusions orales ou écrites952(*).

Indépendance et impartialité de l'expert.- Il doit s'agir d'un expert indépendant et impartial dont la crédibilité n'est pas mise en cause. Pour ce faire, un témoin expert ne se prononce pas sur une question qu'il revient à l'autorité judiciaire de trancher en dernière analyse ; il ne fait pas non plus des déclarations inappropriées, incendiaires et spécieuses, manquant d'impartialité et d'objectivité ou de nature à montrer un certain parti pris évident953(*). Alors même qu'il appartient à l'autorité judiciaire de déterminer, dans sa décision qui ordonne l'expertise, la ou les questions d'ordre technique à résoudre, d'impartir à l'expert un délai dans lequel la mesure doit se dérouler, d'autoriser l'expert à s'adjoindre les services de personnes spécialement qualifiées, ou encore de contrôler la mission confiée à l'expert ; alors même qu'il est obligé de travailler en liaison avec la même autorité judiciaire et de la tenir au courant du développement de ses opérations954(*), l'expert choisi demeure techniquement indépendant dans l'exercice de son travail et dans la conception de ses conclusions. L'impartialité et l'indépendance de l'expert déterminent sa sphère de compétence, sans craindre quelques accointances avec l'autorité judiciaire de nature à empêcher l'un ou l'autre de s'exprimer en toute évidence.

Par ailleurs, il a été aussi jugé que ne satisfait pas aux conditions qui doivent être remplies pour comparaître comme témoin-expert, l'individu qui est accusé pour des faits connexes à ceux reprochés à l'accusé principal et sous des chefs d'inculpation similaires. Son impartialité n'étant pas assurée, il ne pourra pas déposer comme témoin expert955(*). Cependant, les juges peuvent prendre en compte l'élément selon lequel un témoin-expert entretiendrait un lien étroit avec le Procureur de manière à leur permettre d'évaluer le poids qu'ils pourraient accorder aux preuves fournies par ce témoin-expert956(*). Il s'agit donc d'une question de perception, c'est-à-dire une question de fait soumise à la souveraine appréciation des juges. En l'occurrence ici, les juges préféreraient, loin de remettre en doute l'intégrité ou les capacités du témoin expert à être indépendant, s'appuyer sur ses dépositions au titre d'un simple témoin des faits957(*).

La discrétion dans l'exercice de sa mission.- Les dépositions du témoin expert ne doivent pas faire double emploi avec celles d'un témoin ordinaire. Il ne doit pas non plus divulguer aux tiers le contenu de ses dépositions ou toute information qui s'y rapporte.

* 934 VERIN Jacques, « L'expertise dans le procès pénal », Revue de science criminelle et droit pénal comparé, 1980, p. 1023.

* 935 BOUZAT et PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, T.II, Paris, 2ème éd., Dalloz, 1979, p. 1138.

* 936 GUINCHARD Serge et DEBARD Thierry (dir.), op. cit., p. 321.

* 937 BOULOC Bernard, op. cit., p. 730.

* 938 DOLL Paul Julien, La réglementation de l'expertise en matière pénale, Paris, L.G.D.J., 1960, p. 9.

* 939 T.P.I.Y., 1ère Inst., IT-98-29-T, le Procureur c/ Stanislav GALIC, Décision relative aux témoins experts EWA Tableau et Richard Philipps, 3 juillet 2002 ; T.P.I.R., 1ère Inst. II, ICTR-2000-56-T, le Procureur c/ Augustin NDINDILIMANA et csrts, Decision on the Prosecution's Objections to Expert Witnesses Lugan and Strizek, 23 October 2008, §9. Voir aussi SALMON Jean (dir.), op. cit., p. 483.

* 940 SALMON Jean (dir.), op. cit., p. 484.

* 941 GUINCHARD Serge et BUISSON Jacques, op. cit., p. 967.

* 942 T.P.I.R., 1ère Inst., ICTR-96-4-T, Le Procureur c/ AKAYESU, Décision faisant suite à une requête de la défense aux fins de comparution d'un accusé en tant que témoin expert, 9 mars 1998.

* 943 CATALDI Giuseppe et DELLA MORTE Gabriele, « La preuve devant les juridictions pénales internationales », RUIZ FABRI Hélène et SOREL Jean-Marc (dir.),op. cit, p. 203.

* 944 La ROSA Anne-Marie, op. cit., p. 261.

* 945 PETROVIC Vladimir, « Les historiens comme témoins experts au TPIY », DELPLA Isabelle & BESSONE Magali (dir.), Peines de guerre. La justice pénale internationale et l'ex-Yougoslavie, Paris, Ehess, 2010, p. 121.

* 946 ALLCOCK John B., « Le praticien des sciences sociales en qualité d'expert et de témoin », DELPLA Isabelle & BESSONE Magali (dir.), op. cit., p. 138.

* 947 T.P.I.R., 1ère Inst., ICTR-99-52-T, le Procureur c/ NAHIMANA, BARAYAGWIZA et NGUEZE, Jugement, 3 décembre 2003, §160.

* 948 C.P.I., Ch. prél., ICC-01/04-01/06, le Procureur c/ Thomas LUBANGA, Instruction à l'intention de l'expert de la Cour en matière de contexte, 17 décembre 2008, § 9. L'expert Roberto GARRETON a été désigné en vue de rendre un rapport sur la situation et le conflit en Ituri en replaçant ces deux questions dans le cadre de l'objet général et du contexte du procès, en précisant l'histoire récente de la région (de 1996 à août 2003) en ce qui concerne sa population et sa place au sein de la R.D.C. ainsi que les motifs du conflit et le rôle des acteurs y ayant participé.

* 949ALLCOCK John B., « Le praticien des sciences sociales en qualité d'expert et de témoin », DELPLA Isabelle & BESSONE Magali (dir.), op. cit., p. 141. 

* 950 Norme 44, § 1er, Règlement de la Cour pénale internationale. 

* 951 T.P.I.Y., 1ère Inst., IT-98-34-T, le Procureur c/ Mladen NALELIC et Vinko MARTINOVIC, Curriculum vitae du témoin expert Davor MARIJAN, 12 septembre 2002.

* 952 T.P.I.R., 1ère Inst., ICTR-99-52-T, le Procureur c/ Ferdinand NAHIMANA et csrts, Décision sur la requête de la défense aux fins de comparution de témoins experts, 24 janvier 2003, § 16 et 22.

* 953 T.P.I.Y., 1ère Inst., IT-95-11-T, le Procureur c/ Milan MARTIC, Décision relative à la requête de la défense aux fins d'exclure les éléments de preuve fournis par Reynaud THEUNENS et de faire appel à un expert militaire indépendant, accompagnée des annexes confidentielles A, B, C, D, et E, 28 novembre 2006.

* 954 Laurence LETURMY, « De l'enquête de police à la phase exécutoire du procès: quelques remarques générales sur l'expertise pénale », Actualité Juridique Pénal, n° 2, 2006, p. 61.

* 955 T.P.I.R., 1ère Inst. I, ICTR-96-4-T, le Procureur c/ Jean-Paul AKAYESU, Décision faisant suite à une requête de la défense aux fins de comparution d'un accusé en tant que témoin-expert, 9 mars 1998.

* 956 T.P.I.Y., 1ère Inst., IT-95-11-T, le Procureur c/ Milan MARTIC, Décision relative à la requête de la défense aux fins d'exclure les éléments de preuve fournis par Reynaud THEUNENS et de faire appel à un expert militaire indépendant, accompagnée des annexes confidentielles A, B, C, D, et E, 28 novembre 2006.

* 957 T.P.I.Y., 1ère Inst., IT-05-87-T, le Procureur c/ Milan MILUTINOVIC et csrts, Compte rendu de la décision orale relative à l'admission du rapport d'un expert, 13 juillet 2006, pp. 840-844.

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