WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Résolution extra-judiciaire des conflits fonciers en territoire de Masisi.

( Télécharger le fichier original )
par Didier KAKULE PILIPILI
Université de Kisangani - Licencié en droit 2010
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Chapitre I. ANALYSE DES CONFLITS FONCIERS EN TERRITOIRE DE MASISI

SECTION.I. CAUSES DES CONFLITS FONCIERS

§1. HISTORIQUE DES CONFLITS FONCIERS

La question foncière au Nord-Kivu évoque deux événements majeurs : le transfert des populations dans le cadre de la mission d'immigration des Banyarwanda (MIB : créée En 1937 par un accord entre les autorités administratives du Kivu, les autorités du Rwanda et le Comité national du Kivu qui avait comme objectif, d'une part, d'organiser les migrations des populations du Rwanda et, d'autre part, de créer une circonscription rwandaise dans les secteurs dépeuplés de la zone de Masisi) et la création du Parc National de Virunga (PNVi).

En effet, pour favoriser la colonisation des vastes zones propices à l'élevage et à l'agriculture au Nord-Kivu constaté par la commission National du Nord Kivu (CNKI)21(*), le pouvoir colonial entreprit de déplacer des familles Banyarwanda du Rwanda vers le Nord-Kivu, spécialement dans le Masisi. D'après la littérature, près de 100.000 familles furent déplacées du Rwanda et réinstallées au Nord-Kivu. La prise en charge administrative de ces nouveaux venus requit la création d'une entité administrative à la tête de laquelle fut placé un prince du Rwanda, M. Bucanayandi. Cette entité constituée sur des terres rachetées par la colonie aux communautés autochtones devint assez vite l'objet de graves controverses entre les leaders des déplacés et les autorités traditionnelles locales, si bien que l'autorité coloniale dû supprimer cette chefferie dite chefferie de Gishari (Kishali, selon la tribu Hunde). D'un point de vue politique, le Gishari passait pour un territoire conquis par le « souverain » rwandais au détriment de la communauté et de l'autorité politique hunde. Au-delà toutefois de cette lecture, il y a un problème foncier qui fonde et explique les relations tendues qui ont existé et existent encore entre les populations déplacées que tendancieusement on qualifie des « transplantés », et les populations « originaires » de la zone. Le système foncier traditionnel était en effet, organisé de manière à faire participer tout le monde à un réseau de relations au-dedans duquel les uns et les autres contractaient réciproquement des obligations. Le système foncier et les transactions sur le bétail créaient un système de dépendances personnelles qui assurait à la société sa cohésion et sa reproduction. En raison de ces dépendances personnelles, la structure de la société était pyramidale, le sommet étant occupé par le Mwami à la dignité de qui participaient à des degrés divers des « notables », la base étant constituée de petits paysans assujettis22(*).

Les familles réinstallées au Nord-Kivu par la MIB23(*), n'ont pas participé à ces mécanismes sociaux d'intégration des migrants. Elles ont évolué parallèlement à l'organisation sociale locale. Pour se mettre à l'abri des incertitudes que représentaient pour elles les autorités coutumières locales, elles ont saisi l'opportunité de la reforme foncière de 1973 pour accéder à des titres fonciers protégés par la loi. Ainsi, pensaient-elles faire échec aux tentatives de spoliation par les chefs locaux, lesquels avaient tendance à leur contester les droits qu'elles exerçaient sur le sol du fait du pouvoir colonial. Systématiquement, elles avaient gain de cause devant les tribunaux, forts de leurs certificats d'enregistrement. Les « autochtones » en étaient frustrés.

La création du PNVi avait eu par ailleurs pour effet pendant la même période non seulement de réduire les disponibilités foncières, mais aussi de contraindre au déplacement des communautés ou des parties des communautés, les plaçant ainsi sous la dépendance politique et foncière des communautés d'accueil. La mise en oeuvre de la politique de la « zaïrianisation » a, pour sa part, par l'engouement suscité pour l'activité pastorale, conduit à un déséquilibre dans l'occupation spatiale24(*).

L'élevage qui est essentiellement le fait des élites politiques, bureautiques et commerçantes, occupe des espaces de plus en plus importants, alors que les exploitations agricoles paysannes sont de plus en plus morcelées en raison d'une démographie particulièrement galopante. La croissance rapide de la population est parait-il, due non seulement à l'élévation des taux de natalité et la diminution des taux de mortalité, mais aussi à l'existence des réseaux de migration clandestine, les familles réinstallées par la MIB ayant gardé des connexions dans leurs villages d'origine au Rwanda. Les migrants des années 60, 70 et 80, profitant de la vénalité des chefs locaux, acquerraient aussi des terres lesquelles étaient parfois, si pas souvent, le résultat d'une spoliation paysanne.

Sous le prétexte de l'accaparement des terres ancestrales des communautés dites autochtones par les immigrés, de l'usurpation par ces derniers du quota politique des premiers et de leur tendance à investir les appareils locaux (administratifs, économiques, ...) au détriment des « autochtones », ceux-ci contestent leur nationalité, espérant ainsi les disqualifier non seulement du jeu politique mais et surtout du droit au sol.

En fait, les contradictions d'intérêts au plan foncier entre les diverses catégories sociales locales sont occultées par la question de la nationalité laquelle est posée de plus en plus sans faire les distinctions qui s'impose, bipolarisés ainsi le Nord-Kivu en deux blocs antagonistes : les rwandophones (ou G2)25(*) et les autochtones (ou G7)26(*). Ces identités de combat sont toutefois des constructions opportunistes, car à l'intérieur de chaque bloc, les divergences et oppositions d'intérêt sont très significatives.

En soutenant qu'il existe au Nord-Kivu des contradictions sociales et foncières profondes qu'occulte la question de la nationalité, nous voulons mettre en évidence le fait qu'au-delà du leitmotiv commun sur la prétendue nationalité usurpée des rwandophones, les diverses catégories sociales dites autochtones ont des intérêts fonciers, contradictoires que tous espèrent néanmoins servir, si les immigrés Banyarwanda sont rapatriés au Rwanda. En effet, les nouvelles élites (fonctionnaires, commerçants, politiciens, ...) espèrent non seulement éliminer des concurrents politiques mais aussi récupérer les concessions de ces derniers pour nouer avec les paysans des rapports clientélistes via des contrats de métayage27(*). Ces paysans constituent du reste pour les élites politiques une base électorale. Les chefs coutumiers espèrent quant à eux récupérer des terres pour reproduire des rapports de dépendance personnelle avec les paysans. Ces derniers espèrent pour leur part de nouvelles disponibilités foncières.

Outre la contestation de la nationalité des rwandophones, les limites du PNVi sont de plus en plus remises en cause. Les chefs locaux et certains parmi les élites locales ont tendance à dualiser les intérêts des populations et la conservation. Suggérant une articulation simpliste, ils établissent une relation de cause à effet entre les expropriations effectuées au profit du PNVi et la pauvreté rurale dans la région. Les populations paupérisées et n'ayant guère d'autres choix, se rabattraient sur les ressources du parc que protège une législation très rigoureuse et restrictive et une pratique administrative extrêmement policière. Ce qui conduit à un état permanent de conflit entre l'autorité gestionnaire du parc (l'ICCN) et les populations riveraines de celui-ci28(*).

§2. CAUSES ENDOGENES AU DROIT

I. Un droit mal posé ou les causes tenant aux lacunes des règles de droit

A. Les causes tenant aux lacunes des règles du fond

La résolution des conflits fonciers est une question qui ressort des règles du droit procédural. Mais il est évident qu'une justice ne saurait être bien rendue sur base d'un droit substantiel mal posé. Avant même qu'on dénonce le mal plus ou moins flagrant de la justice agraire dont il est essentiellement question ici, autrement dit le problème de la mauvaise application du droit dans les affaires foncières impliquant les populations rurales et portant sur les litiges survenant autour des activités agricoles en Masisi, il s'impose d'examiner l'intérêt du monde rural dans les règles substantielles régissant la matière foncière en droit positif congolais. Il nous semble que la lacune, à ce niveau, peut se résumer sous deux titres : d'une part l'ambiguïté du régime juridique applicable aux terres rurales et le conflit entre le droit coutumier et le droit écrit foncier, d'autre part l'inadaptation du régime du droit écrit aux réalités locales du monde rural.

1° L'ambiguïté du régime juridique applicable aux terres rurales et le conflit entre le droit coutumier et le droit écrit

La persistance des conflits fonciers en milieu rural du territoire de Masisi nous semble une résultante de l'ignorance et/ou de la résistance des populations rurales premières occupantes des terres face à un système juridique étranger, celui du droit écrit qui se substitue à l'ordre normatif traditionnel en matière foncière.

En effet, rien n'est aussi avéré que le conflit des cultures généré par la colonisation du continent africain qui provoqua une rencontre brusque entre deux organisations sociales opposées, celle traditionnelle africaine et celle occidentale. Ce conflit n'a pas pris fin avec les indépendances politiques. Cette survivance du dualisme culturel a continué à affecter la plupart des institutions sociales africaines parmi lesquelles le régime juridique foncier. Malheureusement, devant le choix à opérer entre les deux systèmes d'organisation juridique qui s'offrent au législateur congolais, il est bien évident que la faveur accordée au droit écrit l'a manifestement emporté sur celle réservée au droit coutumier.

Loin d'être un mal uniquement congolais, le problème majeur réside en ce que la tendance générale en Afrique est en fait l'hostilité à l'égard des droits fonciers coutumiers, malgré quelques clins d'oeil comme ceux résultant de l'ordonnance foncière togolaise du 6 février 1974 qui, en affirmant que les terres peuvent être détenues soit en vertu d'un titre foncier, soit en vertu du droit coutumier, place les droits coutumiers sur un pied d'égalité ou sur le même pied que le droit de propriété immatriculée29(*). La loi congolaise N°73-021 du 20/7/1973 dite loi foncière ne reconnait que les contrats fonciers signés dans le respect de ses dispositions. Elle supprime le dualisme juridique, droit écrit et droit coutumier en unifiant les modes d'accession à la terre bien que l' article 389 promet que le président prendra une ordonnance sur la gestion des terres occupées par les communautés locales, qui n'a jamais été pris.

Il semble, malheureusement, que la coutume qui s'est bien révélée être une seconde nature pour les sujets africains du monde rural, puisque l'approche de la domanialisation foncière n'a pas connu plus de succès que celle de l'immatriculation, les droits fonciers coutumiers ayant survécu en marge de la légalité foncière, gouvernant de fait les rapports fonciers locaux et influant même puissamment sur les pratiques administratives. Cette cohabitation entre deux ordres normatifs aux logiques internes assez divergentes ne peut que déboucher sur une opposition des membres d'une même communauté qui ne se réclamerait pas forcément d'un régime unique lors de la survenance d'un litige où se manifeste une opposition d'intérêts.

Il est donc banal de le dire : les conflits fonciers ayant pour objet les droits sur les terres du milieu rural congolais, plus particulièrement en territoire de Masisi, ne sont qu'une manifestation naturelle et simple du conflit entre les deux régimes juridiques en cohabitation forcée, la proclamation de la propriété foncière étatique étant restée théorique pendant que les droits coutumiers font quasi impunément preuve d'une arrogante vivacité30(*). Les chefs coutumiers se réclamant conservateurs et garants des droit de propriété collective de la communauté locale.

* 21 PALUKU MASTAKI C. et KIBAMBI VAKE C., Etudes juridiques N°3, op. cit, p.15.

* 22 MUGANGU, S., «Les politiques législatives - congolaises et rwandaises», in GUICHAOUA, A. (dir.), Exilés, réfugiés et déplacés en Afrique Centrale et Orientale, Paris, L'Harmattan, 2004, pp. 633-694.

* 23 La Mission d'Immigration des Banyarwanda (MIB) a été créée en 1933. Elle a opéré entre 1933 et 1955. Le conflit qui opposa le chef hunde (Mwami Kalinda) à Bucanayandi mit fin à ses activités en 1955. Pour plus de détails, voir MATHIEU, P., WILLAME, J.-C. (dirs.), Conflits et guerres au Kivu et dans la région des Grands Lacs, Cahiers Africains, n° 39-40, Paris, L'Harmattan, 1999, pp. 13-20.

* 24 AAP, Les conflits dans le Masisi. Obstacle au retour des déplacés, Goma, août 2004, p.20

* 25 Le G2 ou Groupe de deux est une alliance des personnes d'expression kinyarwanda (Hutu et Tutsi, migrants anciens et récents, tous confondus) pour faire face au G7.

* 26 Le G7 Groupement de sept tribus qui se proclament autochtones du Nord-Kivu. Il est constitué des tribus ci-après : Nande, Hunde, Kumu, Nyanga, Tembo, Kano et Mbuti.

* 27 Métayage est une forme de contrat de bail où l'exploitant (paysan) et le propriétaire des terres se partagent les produits d'un domaine rural.

* 28 MUGANGU, S., Conservation et utilisation durables de la diversité biologique en temps de troubles armés. Cas du Parc National de Virunga, Étude commanditée par l'UICN, janvier 2001, p.106.

* 29 OUEDRAOGO, H., Etude comparative de la mise en oeuvre des plans fonciers ruraux en Afrique de l'Ouest : Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, in Etudes juridiques de la FAO, janvier 2005, p. 6, en ligne sur http://www.fao.org/legal/prs/paper-e.htm, consulté le 20/2/2011.

* 30 PALUKU MASTAKI C. et KIBAMBI VAKE C. in Etudes juridique N°3, op. cit., p.37.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille