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Les interventions du législateur dans le fonctionnement de la justice administrative au Cameroun

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par Cyrille Arnaud FOPA TAPON Cyrille Arnaud
Université de Dschang Cameroun - Master 2012
  

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SECTION 2 : LES CONSEQUENCES JURIDIQUES DES LOIS D'IMMUNITES JURIDICTIONNELLES

Au regard de notre analyse, il n'y a plus de doute que les conséquences juridiques des lois d'immunité juridictionnelle sont négatives sur l'Etat de droit, voire désastreuses315(*). Nous analyserons ainsi tour à tour les conséquences que nous qualifierons de générales (paragraphe 1) et les conséquences dites particulières ou spécifiques (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les conséquences générales des lois d'immunité juridictionnelle

Elles tiennent à la consolidation de la théorie de l'écran législatif (A) et au développement exponentiel de l'inconstitutionnalité (B).

A- Le retour de la théorie de l'écran législatif

On parle de loi-écran ou d'écran législatif lorsqu'un acte règlementaire repose sur une loi inconstitutionnelle, rendant ainsi le contrôle de l'acte impossible à cause du risque de contrôle de constitutionnalité de la loi par le juge administratif (ce qui ne ressort pas de sa compétence)316(*). C'est un obstacle juridique empêchant au juge de retenir l'irrégularité d'un acte administratif, sous peine de censurer, également, la loi à laquelle cet acte est conforme.

Raymond ODENT définit l'écran législatif ainsi qu'il suit : « Quand la légalité d'un acte administratif est contesté, pour des motifs tirés de la violation de la Constitution, la position du juge administratif est totalement différente selon qu'une loi s'interpose entre la Constitution et cet acte, auquel cas, la loi constitue pour le juge un écran infranchissable, c'est en fonction de la loi seule qu'il apprécie la légalité de l'acte litigieux. Si au contraire aucune loi n'est intervenue en la matière, le juge administratif apprécie directement par rapport à la loi constitutionnelle la légalité discutée devant lui de l'acte administratif »317(*).

Il ressort clairement de cette définition que la théorie de l'écran législatif conduit le juge administratif à s'interdire de contrôler la constitutionnalité des lois. La question de l'écran législatif est suffisamment connue au Cameroun et prend de plus en plus de l'ampleur. Ainsi, la Constitution camerounaise318(*), ainsi que l'ordonnance de 1972319(*) en son article 9 alinéa 2 précise que la Cour Suprême connait de l'ensemble du contentieux administratif qui comprend, entre autres, le recours en annulation pour excès de pouvoir dirigé contre les actes administratifs et les recours en indemnisation du préjudice causé par ces mêmes actes. Mais force est de constater que l'avènement des lois de 1980320(*) et de 2003321(*) est venu mettre un point d'interrogation sur la compétence du juge administratif. Ce dernier se trouve face à un dilemme : Doit-il obéir à la norme constitutionnelle qui lui donne autorisation de contrôler les actes administratifs au nombre desquels figurent les actes portant désignation des chefs traditionnels, les actes portant les limites des circonscriptions administratives et des unités de commandement traditionnel? Malheureusement, le juge administratif a choisi de respecter la loi (1) au détriment de la Constitution (2).

1- La soumission du juge administratif au législateur

Le « choix » du juge administratif d'appliquer la théorie de l'écran législatif se manifeste par une soumission implicite au législateur. Bien avant les lois de 1980 et de 2003, deux espèces, Société des grands travaux de l'Est contre Etat fédéré du Cameroun oriental du 28 octobre 1970 et Claude HALLE contre Etat du Cameroun oriental du 8 décembre 1970 marquent la réception par le juge administratif camerounais de la théorie de l'écran législatif consacré en France par la jurisprudence Arrighi322(*). Invoquant la « souveraineté de la loi », le juge de ces espèces (Société des grands travaux de l'Est et HALLE Claude) se déclare incompétent pour en apprécier la constitutionnalité323(*). Bien que n'étant pas la première en la matière, la loi n°80/31 du 27 novembre 1980 a connu un grand retentissement, ce d'autant plus qu'elle est la manifestation parfaite de l'application de la théorie de la loi-écran, car, s'inscrivant manifestement en faux contre l'article 32324(*) de la Constitution du 2 juin 1972 relatif au principe de l'attaquabilité de tout acte administratif faisant grief325(*), dessaisit les juridictions de toutes les affaires portant sur les contestations soulevées à l'occasion de la désignation des chefs traditionnels.

Depuis lors, l'Assemblée plénière en appel326(*) et la Chambre administrative de la Cour Suprême en premier ressort327(*) ont régulièrement appliqué cette loi. Alors que, comme on l'a dit, le juge avait jusque-là adopté une attitude bien audacieuse dans l'affaire MONKAM TIENTCHEU David328(*), position empruntée à la jurisprudence administrative française dans l'arrêt Dame Lamotte du Conseil d'Etat.

Il convient de remarquer que cette soumission du juge administratif au législateur dénote encore du manque d'audace et d'effort du juge administratif à se faire entendre et à adopter une attitude claire (qualification du litige). En effet, « que la désignation d'un chef traditionnel ou les limites des circonscriptions administratives et des unités de commandement traditionnel soient impliqués dans un litige ne signifie pas pour autant que les juridictions seront écartées d'office de leur connaissance »329(*).

Une autre illustration de cette soumission au législateur est tirée du jugement BATEG Daniel330(*), où le juge administratif décide qu' « attendu qu'en conséquence, cette affaire relative aux contestations soulevées à l'occasion de la désignation des chefs traditionnels est exclue de la compétence de cette juridiction, la loi ne précisant pas s'il s'agit des contestations soulevées au cours des consultations ou après l'arrêté préfectoral d'approbation de la désignation ». Cette attitude de repli du juge administratif suscite une grande interrogation : le juge administratif n'a-t-il pas la possibilité de limiter les effets de ces lois d'immunité juridictionnelle afin de lever toute équivoque quant à son indépendance et sa compétence contentieuse même si certaines lois les lui enlèvent? Si on continue de la sorte, l'Etat de droit finira par être dénué de tout sens en droit camerounais. Il appartient donc au juge administratif d'éviter que tout manquement à la légalité ne devienne un principe au profit des autorités administratives et de l'Administration en général.

Si le juge se soumet au législateur, la Constitution se voit sacrifiée et ce sacrifice de la Constitution aura des conséquences graves sur l'Etat de droit.

2- La Constitution sacrifiée

On peut valablement contester la raison d'être de l'écran législatif, dans la mesure où cette théorie est considérée comme une entrave, un obstacle à l'exercice par le juge administratif du contrôle de constitutionnalité d'une loi. Le rejet par le juge administratif de la théorie de l'écran transparent dénote le sacrifice fait de la Constitution ; et l'on est tenté de se poser la question de savoir quelle est à cet égard la place de la Constitution dans la hiérarchie des normes. Sommes-nous revenus à l'époque du règne de la loi? Dans un Etat de droit comme le Cameroun la théorie de l'écran législatif apparait comme une monstruosité car consacrant la sacralisation de la loi au détriment de la Constitution, puisqu'il est généralement admis que la théorie de l'écran législatif « permet d'éviter que le juge administratif contrôle la constitutionnalité d'une loi, oubliant qu'elle amène à sacrifier la Constitution, norme suprême »331(*) ; « le résultat en est qu'on sacrifie le fond à l'autel de la forme »332(*).

La tendance actuelle dans l'ordre juridique camerounais est cette suprématie de la loi sur la Constitution avec les conséquences que cela pourrait entraîner. La raison en est simple et le constat est d'évidence : l'absence d'un véritable contrôle de constitutionnalité des lois est à l'origine de tous ces écarts et atteintes à l'Etat de droit ; et le juge administratif, qui peut bien se hisser contre ces abus, se trouve juridiquement et politiquement désarmé, ayant en face de lui l'Administration et le législateur. Le seul espoir réside donc sur le juge constitutionnel, et comme on le sait, ce dernier est tout aussi impuissant et même plus que le juge administratif, soumis à des considérations plus politiques que juridiques333(*).

En définitive, le juge administratif camerounais est confronté au problème de légitimité dans la mesure où en se prononçant sur la validité ou l'applicabilité d'une loi, il remettrait en cause le monopole de l'interprétation de la Constitution par le « Conseil constitutionnel » en l'absence du mécanisme de l'exception d'inconstitutionnalité. Mais la meilleure solution pour le juge administratif serait de prendre le risque, à moins de sombrer définitivement dans le « non-droit » et dans l'inconstitutionnalité.

Ainsi, l'admission de la théorie de la loi-écran entrave non seulement le contrôle juridictionnel de l'Administration, mais porte atteinte à la hiérarchie des normes. En conséquence, les lois d'immunité juridictionnelle sont en voie de devenir une base légitimante d'inaction et de déni de justice remettant ainsi en cause le principe de l'action juridictionnelle334(*) et ouvrant la voie à l'inconstitutionnalité.

* 315 BILONG (S.), article précité, p.57.

* 316 En ce sens voir arrêt n°68/CFJ-CAY du 30 septembre 1969 Société des Grands travaux de l'Est c/ Etat du Cameroun.

* 317 ODENT Raymond, Contentieux administratif, Paris, Les cours de droit, 1977, fasc.1, pp.32 et ss, cité par SIETCHOUA DJUITCHOKO (C.), « Du nouveau pour la coutume en droit administratif camerounais : la constitutionnalisation de la coutume et ses conséquences », article précité, p.150.

* 318 Loi n°96/06 du 18 janvier 1996 précitée.

* 319 Ordonnance n°72/06 du 26 août 1972 fixant l'organisation de la Cour Suprême du Cameroun modifiée par la loi n°76/28 du 14 décembre 1976.

* 320 Loi n°80/031 du 27 novembre 1980 dessaisissant les tribunaux des affaires relatives aux contestations soulevées à l'occasion de la désignation des chefs traditionnels.

* 321 Loi n°2003/016 du 22 décembre 2003 relative au règlement des litiges portant sur les limites des circonscriptions administratives et des unités de commandement traditionnel.

* 322 C.E. Section, 6 novembre 1936, Arrighi, Recueil. p.966, concl. Roger LATOURNERIE.

* 323 SIETCHOUA DJUITCHOKO (C.), « Du nouveau pour la coutume en droit administratif camerounais : la constitutionnalisation de la coutume et ses conséquences », article précité, p.150.

* 324 Actuellement article 40 de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 1972.

* 325 SIETCHOUA DJUITCHOKO (C.), article précité, p.150.

* 326 CS/AP arrêt n°17 du 19 mars 1981 (3 espèces) : Etat du Cameroun c/ Enfants du Chef Banka ; Collectivité Deido c/ Etat du Cameroun, KOUANG Guillaume Charles c/ Etat du Cameroun.

* 327 Jugement n°3/CS/CA du 25 mai 1989, EGBE BESSONG Alfred ; jugement n°262/CS/CA du 29 juin 1989 NKFU Simon NGWE c/ Etat du Cameroun ; jugement n°345/CS/CA du 3 novembre 1989 EYONG EGBE Martin etc.

* 328 Jugement n°40/CS/CA/79-80 du 29 mai 1980 MONKAM TIENTCHEU David. Recueil MBOME, p.80.

* 329 BILONG (S.), article précité, p.58.

* 330 Jugement n°08/CS/CA/02-03 du 31 octobre 2002, BATEG Daniel c/ Etat du Cameroun. Dans cette affaire, les opérations de désignation se sont déroulées dans des bonnes conditions ; l'autorité administrative, en l'occurrence le préfet, en a entériné la décision. Quelques mois après, son supérieur hiérarchique, la ministre de l'administration territoriale lui intime l'ordre d'abroger son acte (le ministre l'abroge alors même qu'il n'est pas compétent), ce qui est fait. Appelé à statuer sur cette grave illégalité, du fait de l'incompétence du ministre, le juge refuse de statuer.

* 331 BILONG (S.), article précité, p.59.

* 332 Ibidem.

* 333 Comme on peut le constater, depuis l'institution par la loi constitutionnel du 18 janvier 1996 du Conseil constitutionnel, aucune autre mesure n'a plus été prise dans le sens de sa mise en place effective 15 ans plus tard, et par ricochet de l'institution d'un véritable contrôle de constitutionnalité des lois. Curieux encore, la Cour Suprême à qui ont été confiées les attributions dudit Conseil ne joue pas pleinement ce rôle.

* 334 BILONG (S.), article précité, p.59.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe