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Les lanceurs d'alerte français, une espèce protégée ?

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par Julia Le Floc'h - Abdou
Paris X Ouest - Nanterre La Défense - Master II Droit pénal et Sciences criminelles 2015
  

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B - Une défense indécise

Face à des poursuites pour violation du secret, vol de documents et recel, les moyens de défense n'ont pas toujours été tangibles. De jugement en revirement de jurisprudence, les magistrats ont rendu audibles la défense invoquée vis-à-vis de l'infraction de vol (2). Inversement, les juges ont éludé toute forme de protection pour des faits de violation du secret professionnel, même si prochainement une solution antinomique pourrait être admise (1).

1 - Une garantie hésitante face à la violation du secret

En la matière, l'exemple d'Olivier Thérondel est emblématique.

Ancien agent de TRACFIN273, il surprend le 5 avril 2013, dans le flot des déclarations de soupçons, un signalement de la banque suisse Julius Baer aux noms de Jérôme Cahuzac et de Patricia Ménard, épouse Cahuzac. Cette déclaration indique le rapatriement de fonds bancaires d'une société offshore en France. Olivier Thérondel traite normalement les déclarations. Les jours suivants, son supérieur direct lui enjoint oralement de ne plus enrichir les déclarations de soupçons de Jérôme Cahuzac.

Inquiet de la situation et face au refus de son supérieur de lui transmettre cet ordre par écrit, il publie, le 22 et 26 avril 2013, deux articles sur un blog hébergé par Médiapart. L'un intitulé « Tracfouine » met en cause les consignes de sa hiérarchie et les lenteurs présumées dans le suivi du dossier Cahuzac.

Selon TRACFIN, cette période prolongée est habituelle à l'égard des PPE (Personne Politiquement Exposée). La procédure classique étant d'anonymiser les déclarations pour éviter tout scandale avant que l'enquête ne soit approfondie.

À ce sujet, dans une interview, il tiendra les propos suivants : « Je me rends compte que dix jours après la première déclaration, le dossier Cahuzac est toujours en stand-by, alors qu'en temps normal un dossier de ce type est orienté vers l'enquête en une journée. J'ai progressivement l'impression que le dossier n'est pas traité normalement ».

Trois semaines se sont écoulées entre le signalement à TRACFIN et la transmission de l'information à l'autorité judiciaire.

273 Créé en 1990, c'est un service de renseignement en charge de la lutte contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Il est chargé de recueillir, d'analyser et d'enrichir les déclarations de soupçons que les professionnels assujettis sont tenus de lui déclarer. Une fois les déclarations traitées et s'il apparaît une présomption raisonnable d'infraction pénale, elles seront transmises au parquet territorialement compétent afin que le procureur de la République exerce l'opportunité des poursuites.

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À la suite de la publication des articles, il est poursuivi pour violation du secret professionnel (article 226-13 du Code pénal) et publication interdite (article 38 de la loi du 29 juillet 1881). Le jugement s'est tenu à la 17ème chambre du TGI de Paris et rendu le 16 mai 2014.

Les magistrats lui ont refusé le statut de lanceur d'alerte. Les juges ont rappelé que ce statut a été consacré par une loi postérieure aux faits (la loi du 6 décembre 2013).

Ils ont également souligné que trois semaines avant la publication des articles, Cahuzac avait annoncé publiquement avoir demandé le rapatriement des fonds détenus à l'étranger.

Le tribunal a énoncé que « Ne justifiant [É] n'avoir attiré l'attention ni de l'autorité judiciaire, ni de sa hiérarchie, ni des organisations syndicales, il a fait preuve d'impulsivité et de légèreté en se rendant coupable de violation du secret professionnel ».

Olivier Thérondel a été condamné à deux mois d'emprisonnement avec sursis. Affecté au service des douanes, il fait, actuellement, l'objet d'une procédure disciplinaire.

Cette solution française va dans le sens retenu par la CEDH concernant la protection des informations confidentielles de nature bancaire et fiscale.

À cet égard, en 2007 dans l'arrêt Stoll c/ Suisse274, la Cour avait estimé que la Suisse, en condamnant un journaliste sur le fondement de l'article 293 du Code pénal interdisant la publication de débats officiels secrets, n'avait pas porté atteinte à l'article 10 de la CESDH.

À l'origine de l'affaire, le journaliste Martin Stoll avait fait paraître, en 1997, deux articles contenant des extraits d'un rapport confidentiel de l'ambassadeur Suisse aux États-Unis consacré aux négociations en cours entre son pays et le Congrès juif mondial au sujet de l'indemnisation due aux victimes de l'Holocauste. La Cour a considéré qu'il était primordial, pour les services diplomatiques mais aussi à des fins de bon fonctionnement des relations internationales, que les diplomates puissent entre eux se transmettre des informations confidentielles ou secrètes, au vu notamment du pouvoir dont disposent les médias auprès des populations275.

En France, la violation du secret par voie médiatique peut être poursuivie, de manière latente, sur le fondement de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881.

Ce texte prohibe la publication des actes d'accusation et des autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu'ils aient été lus en audience publique.

L'interdiction de publier ou de diffuser une information traduit une limite à la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la CESDH.

274 CEDH, Grande Chambre, 10 décembre 2007, Stoll c/ Suisse, req. n° 69698/01

275 B. BEIGNIER, B. DE LAMY, E. DREYER, Traité de droit de la presse et des médias, LexisNexis, Litec, Paris, 2009, p. 176-1419

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Cet article a été déclaré compatible avec l'article 10 de la CESDH. L'ingérence étatique dans la liberté d'expression a été justifiée au motif que les tribunaux français ne font qu'appliquer une loi interdisant la reproduction de tout ou partie d'actes de procédure pénale avant le prononcé de la décision, à des fins de protection de la présomption d'innocence et de la garantie de l'impartialité du pouvoir judiciaire (CEDH, 24 novembre 2005, Tourancheau et July c/ France, req. n° 53886/00).

Récemment, avec le scandale Médiator, les juges français ont déclaré que l'application de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 à la publication litigieuse constituait une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la CESDH. La Haute juridiction a estimé que si les journalistes publient des actes de procédure en violation du secret dans le cadre d'un débat se rattachant à une problématique d'intérêt général, l'article 38 ne trouve plus à s'appliquer276.

Cette solution nouvelle suit les récentes positions prises par la CEDH.

En effet, si l'article 10 alinéa 2 de la CESDH restreint l'exercice de la liberté d'expression, un contrôle de proportionnalité rigoureux doit être effectué sur cette limite posée, particulièrement lorsqu'il s'agit de question d'intérêt général. Il en est ainsi de celles relatives à la protection de la santé et de l'environnement. L'arrêt Mor c/ France de 2011 relatif à la divulgation par un avocat des risques liés aux vaccins anti hépatite B présente cette nouvelle vision européenne277. Dans cet arrêt, la CEDH a énoncé que « l'article 10 al 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d'expression dans le domaine du discours politique ou, comme en l'espèce, des questions d'intérêt général ». La Cour a estimé que « les déclarations de l'avocate à la presse s'inscrivaient dans le cadre d'un débat d'intérêt général, que les faits concernaient directement une question de santé publique, c'est-à-dire intéressant l'opinion publique elle-même », puisque « mettant en cause non seulement la responsabilité de laboratoires pharmaceutiques chargés de la fabrication et de l'exploitation du vaccin contre l'hépatite B mais également des représentants de l'État en charge des questions sanitaires ». Au regard des circonstances de l'espèce, la Cour a considéré que la protection des informations confidentielles ne peut constituer un motif suffisant pour déclarer l'avocate coupable de violation du secret professionnel.

Apparaît, de fait, une solution inverse que celle retenue dans l'affaire Thérondel. La balance des intérêts (protection intérêts publics et intérêts privés) est ainsi laissée à l'appréciation des juges.

276 Cass, 1ère civ, 11 mars 2014, n°12-29.419, Laboratoire Servier c/ Figaro, Bull civ 2014, I, n° 36

277 CEDH, 15 décembre 2011, Mor c/ France, req. n° 28198/09

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore