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Les lanceurs d'alerte français, une espèce protégée ?

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par Julia Le Floc'h - Abdou
Paris X Ouest - Nanterre La Défense - Master II Droit pénal et Sciences criminelles 2015
  

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1 - Les conditions procédurales de l'exception de bonne foi

Selon le Président Mimin, la bonne foi est constituée de plusieurs critères cumulatifs : la recherche d'un but légitime, la sincérité, l'absence d'animosité personnelle, la prudence dans l'expression et le sérieux de l'enquête. Cette notion de bonne foi est mentionnée en filigrane à l'article 35 bis de la loi de 1881342.

338 Cass. crim., 15 mars 1821, Bull. crim. n°36.

339 Cass. crim., 19 février 1870, D. 74, 5, p. 392.

340 P. CONTE, « La bonne foi en matière de diffamation : notion et rôle », in Mélanges offerts à Alberte Chavanne, Litec 1990, p.52-59

341 Cass. crim., 27 octobre 1938 : DP 1939, 1, p. 77, note P. Mimin

342 Art. 35 bis de la loi de 1881 : « Toute reproduction d'une imputation qui a été jugée diffamatoire sera réputée faite de mauvaise foi, sauf preuve contraire par son auteur ».

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La légitimité du but poursuivi renvoi à l'idée que l'objectif n'est pas intrinsèquement malveillant ou malsain et ne doit pas appartenir au terrain de la vie privée. Cette condition est essentielle puisque « les critères d'absence d'animosité personnelle ou de prudence dans l'expression peuvent même parfois être amoindris au nom de l'extrême légitimité du but d'information poursuivi »343. L'acception de cette légitimité du but poursuivi a été déclinée en diverses formulations par les juridictions : « nécessité de l'information », « attente légitime du public sur une polémique d'actualité », « motivation légitime d'information sur un sujet d'intérêt, voire de préoccupation nationale » 344 . Les lanceurs d'alerte doivent agir dans l'intérêt général afin de poursuivre ce but légitime.

L'absence d'animosité personnelle suppose qu'il n'y ait pas d'implication subjective. L'individu doit relater les faits et informer le public sans que cela ne constitue des attaques personnelles. Ce critère est la manifestation même de l'absence d'intention de nuire. Les lanceurs d'alerte doivent répondre à aucune autre motivation que celle de faire respecter les lois et les droits fondamentaux345.

La prudence dans l'expression est une forme de pondération des propos afin d'éviter une expression excessive ou malveillante. Pour autant, dans le domaine de la polémique politique, ce critère n'est pas présent. En effet, la Cour de Cassation a énoncé que les accusations (à l'encontre d'une personne qui aurait commis des actes malhonnêtes) s'inscrivent « dans le cadre d'une polémique violente et répondent à une attente légitime du public »346.

Cette prudence dans l'expression est également interprétée de manière plus étendue face aux satires politiques ou aux humoristes sous réserve que la dignité de la personne humaine soit respectée et qu'il n'y ait pas d'animosité personnelle.

Les lanceurs d'alerte contribuent au débat démocratique et politique en usant parfois de termes polémiques et controversés qui participent du droit à l'information. Dès lors, cette condition n'est pas interprétée de la même manière.

343 B. BEIGNIER, B. DE LAMY, E. DREYER, Traité de droit de la presse et des médias, LexisNexis, Litec, Paris, 2009, p 487-1419

344 Ibidem, p. 488-1419

345 Dans un livre de 2010 intitulé « Maman Blédina ! Pourquoi tu m'empoisonnes ? », Suzanne de Bégon a qualifié la société Blédina d' « assassin » et l'a accusé d'avoir empoisonné pendant des années des milliers de bébés avec les tétines de ses biberons jetables. Elle se prévalait du statut de lanceur d'alerte et affirmait détenir la preuve scientifique que les tétines étaient stérilisées avec un gaz cancérigène. Par un arrêt en date du 8 avril 2014 (n°12-88412), la Chambre criminelle a rejeté le pourvoi de Madame de Bégon, faisant notamment observer qu'elle « a été guidée dans sa démarche par son animosité personnelle, a manqué de rigueur scientifique et de sérieux dans sa démonstration ainsi que de prudence dans l'expression en employant des termes dénotant une outrance à l'endroit de la plaignante ».

346 Cass, 2ème civ, 14 mars 2002, n° 99-19.239, Bull. 2002 II, n° 41 p. 34

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Le sérieux de l'enquête et la vérification des sources sont des conditions martelées par les juges. Ils rappellent que « le journaliste qui ne justifie pas avoir eu d'autres sources que les articles de ses confrères et qui n'établit pas avoir procédé lui-même à des recherches ne peut se voir accorder le bénéfice de la bonne foi »347. Ainsi, le journaliste doit enquêter, recouper ses informations et sources, appliquer le principe du contradictoire lors de ses investigations348. Ce critère si essentiel pour les journalistes et les éditorialistes, l'est moins pour les citoyens. Néanmoins, cette condition sera de nouveau exigée pour un citoyen interviewé par un journaliste puisqu'il devra être en possession d'éléments suffisants lui permettant de porter des accusations. S'il ne détient pas ceux-ci, l'individu ne pourra bénéficier de la bonne foi puisque « portant des accusations particulièrement graves, sans justifier d'aucun élément pour accréditer les propos qu'il a rendu public ».349

Le lanceur d'alerte doit ainsi s'appuyer sur des informations vérifiées et précises.

L'exception de bonne foi n'est admise que si l'enquête repose une base factuelle suffisante (c'est-à-dire d'éléments suffisants)350. Ce critère a été consacré par la CEDH351et signifie que « les journalistes doivent s'appuyer sur une base factuelle suffisamment précise et fiable qui peut être tenue pour proportionnée à la nature et à la force de leur allégation, sachant que plus l'allégation est sérieuse, plus la base factuelle doit être solide »352. La Cour de cassation souligne que la base factuelle suffisante doit être détenue antérieurement à la diffusion du propos litigieux afin que le prévenu bénéficie de la bonne foi353. Selon Christophe Bigot, cette notion récente de base factuelle est, à l'inverse de l'intérêt général, « une vraie notion juridique, non aléatoire, basée sur un débat probatoire, permettant au juge de tirer toutes les conséquences de sources insuffisantes, délaissées ou dénaturées ou n'ayant pas l'objet d'une critique interne ou externe pertinente ». Ainsi, cette notion devrait, selon lui, « suffire à admettre ou rejeter la bonne foi, en évitant le détour par un concept indéfinissable à la portée incertaine, qui est l'intérêt général »354.

347 T. Corr de Paris, 17ème chambre, 23 octobre 1998, Légipresse 1999-I, p.34.

348 T. Corr de Paris, 17ème chambre, 18 février 2016, Pierre Péan c/ JM Colombani : le tribunal a condamné le directeur de publication et le journaliste au motif qu'ils n'avaient pas recueillis le point de vue des personnes qu'ils mettaient en cause.

349 T. Corr de Paris, 17ème chambre, 21 mars 2014, VSD et autres c/ DSK

350 Cass, crim, 20 octobre 2015, n°14-82.587, Irène X, Légispresse n°332

351CEDH, Grande Chambre, 17 décembre 2004, Cumpana et Mazare c/ Roumanie, req. n°33348/96 ; CEDH, Grande Chambre, 17 décembre 2004, Pedersen et Baadsgaard c/ Danemark, req. n°49017/99

352 CEDH, Pedersen et Baadsgaard c/ Danemark, § 78

353 Cass, crim, 8 sept. 2015, n°14-81-681, Bernard Squarcini c/ Canard Enchaîné et autres, Légipresse n°332, nov. 2015

354 C. BIGOT, « L'utilisation du critère de l'intérêt général en droit interne : éléments pour un bilan », Légipresse n°323, janvier 2015, p.6-6

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La sincérité signifie que l'individu a légitimement pu croire que l'information publiée était exacte. L'auteur disposait d'éléments suffisants pour croire à la vérité des faits relatés.

La sincérité est une formule que l'on retrouve au travers des différentes décisions de la 17ème chambre correctionnelle du TGI de Paris355 : « les imputations diffamatoires peuvent être justifiées lorsque le but poursuivi par le journaliste apparaît légitime et lorsque ce journaliste apporte la preuve qu'il a écrit son article en se conformant à un certain nombre d'exigences, notamment de sincérité, prudence et objectivité, susceptibles d'établir sa bonne foi ».

Le lanceur d'alerte doit démontrer la croyance sincère et légitime qu'il avait dans l'information divulguée.

La bonne foi peut être invoquée devant la juridiction de jugement et d'instruction. Elle échappe à tout formalisme, sous réserve que les éléments utilisés pour établir la bonne foi soient des éléments antérieurs à la publication. Enfin, c'est sur le prévenu que repose la charge de la preuve. Le fait que cela soit au prévenu de convaincre les juges de sa bonne foi, est, pour Emmanuel Dreyer, surprenant. En effet, les articles 42 et 43 de la loi de 1881 ont instauré une responsabilité en cascade, c'est-à-dire que doivent être recherchés comme auteurs principaux des délits commis par voie de presse, tout d'abord les directeurs de publication ou éditeurs, à défaut les auteurs, à défaut les imprimeurs, et à défaut les vendeurs, distributeurs et afficheurs. Dans les cas où la responsabilité des directeurs de publication serait retenue, les auteurs des propos diffamatoires seraient poursuivis comme complices. Avec ce régime de responsabilité spécifique, la bonne foi est appréciée sur le prévenu auteur des propos (le complice) et non sur le directeur de publication (l'auteur principal du délit). Pourtant en respectant ce régime de responsabilité l'inverse devrait être opéré. Cette distinction erronée tend à s'atténuer depuis la « jurisprudence interview356 » qui expose que la bonne foi va être évaluée sur la tête du complice et de l'auteur principal.

La bonne foi telle qu'elle est pratiquée par les juges français aurait un triple objectif selon Mathilde Hallé : protéger le journaliste du risque de poursuites pénales, accroître la crédibilité et le degré de confiance de son journal et ainsi le nombre de lecteurs, participer à la construction d'une société démocratique saine et équilibrée357.

355Née en 1999 d'une mesure d'administration judiciaire du Président Coulon (ancien Président du TGI), la chambre de presse est la 17ème Chambre du Tribunal Correctionnel de Paris. Elle répond à la nécessité d'avoir une formation juridictionnelle spécialisée en presse tant la procédure est complexe mais aussi d'unifier la jurisprudence dans un objectif de sécurité juridique.

356 T. Corr de Paris, 17ème chambre, 21 mars 2014, VSD et autres c/ DSK ; Cass, crim, 23 juin 2015, Mediapart et Express c/ Florence Woerth

357 M. HALLÉ, Le délit de diffamation par voie de presse, mémoire de recherche au sein de l'Institut d'Etudes Politiques de Rennes, 2007, p.45-85

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Toutes les conditions de la bonne foi participent, chacune d'entre elles, à protéger le lanceur d'alerte. Cette défense est actuellement le moyen le plus sécurisant dont ils peuvent disposer. La notion d'intérêt général, régulièrement utilisée à l'appui des critères de la bonne foi, dessine le contour d'un droit d'alerter. En effet, cette notion en provenance de la CEDH a vocation à irriguer les juridictions françaises et à intervenir chaque fois qu'est revendiqué un droit à être informé. Pour autant, elle est aléatoire et a une portée variable. Elle reste un facteur d'imprévisibilité, tout en permettant de développer les vertus de la polémique.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon