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Justice constitutionnelle en France et démocratie

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par Jean- Baptiste KLEBERSON
Université de Bretagne occidentale de France - Master 2 en droit public 2011
  

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B. Le Conseil constitutionnel : instrument de défense des droits de l'opposition ou de la minorité parlementaire

Il n'y a aucune contradiction logique à soutenir qu'en démocratie l'unique autorité légitimement investie du pouvoir est précisément la volonté de la majorité proclame le juriste et philosophe argentin Carlos S. Nino. Ce serait nier tous les présupposés démocratiques de prétendre le contraire. Le Conseil constitutionnel ou encore la justice constitutionnelle n'est ni l'allié de la majorité ni celui de la minorité parlementaire. L'enceinte réservée à la lutte politico-politicienne reste et demeure le parlement. Les débats et arguments politiques doivent se métamorphoser en points de droit ou en arguments juridiques une fois arrivés à la rue Montpensier. Le prétoire du juge constitutionnel opère la « juridicisation de la politique »59 au sens propre et au sens procédural du concept. Le doyen Vedel, en sa qualité d'ancien président du Conseil, corrobore ce point de vue en écrivant que le Conseil a posé des « règles permanentes et objectives, susceptibles d'opérer indépendamment de la nature du pouvoir en place, qu'il soit de droite ou de gauche ». Quoi qu'il en soit, la majorité parlementaire impose de droit ses vues, son projet politique et sa vision du monde à la minorité. Cependant la

59 D ROUSSEAU, op.cit., p.520

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politique tout au moins dans un régime démocratique ne saurait être uniquement un rapport de force. Elle se laisse saisir par le droit et implique de ce fait la contradiction, le pluralisme politique (1) et favorise ainsi la perspective d'une alternance politique (2).

1. Le pluralisme politique et les débats contradictoires entre majorité et minoritaire

Kelsen eut à affirmer dans son livre intitulé « La Démocratie .Sa nature -Sa valeur » traduit en français par son disciple Charles Eisenmann que « par définition même, la majorité suppose l'existence d'une minorité ; et par suite, le droit de la majorité suppose le droit d'une minorité à l'existence ». Le professeur des universités, Basile Ridard, nous apprend quant à lui que « la minorité est le pendant conceptuel de la majorité » au cours d'une étude comparative de l'opposition parlementaire en France et au Royaume-Uni. Ces discours et bien d'autres d'origine doctrinale renseignent sur l'importance vitale du pluralisme politique dans un système qui se veut démocratique. Le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la cinquième (5ème) république, conscient d'un vide juridique en cette matière, a fait des propositions permettant d'y remédier. La constitutionnalisation du statut de la minorité parlementaire a été concrétisée à l'occasion de la réforme constitutionnelle de 2008. Le constituant dérivé a également fait injonction à l'assemblée parlementaire de prévoir de manière expresse les prérogatives de la minorité parlementaire par l'introduction de l'article 51-1 qui se lit ainsi :

« Le règlement de chaque assemblée détermine les droits des groupes parlementaires constitués en son sein. Il reconnaît des droits spécifiques aux groupes d'opposition de l'assemblée intéressée ainsi qu'aux groupes minoritaires ».

De ce fait, l'accueil et le traitement des contestations du groupe qui est en infériorité numérique au parlement par le juge constitutionnel est la preuve que celui-ci fait avancer le débat démocratique au-delà du cadre strictement partisan. La célèbre phrase du député socialiste André Laignel en octobre 1981, lors du débat sur les nationalisations à l'Assemblée nationale à l'endroit de la droite minoritaire « Vous avez juridiquement tort car vous êtes politiquement minoritaires » perd son sens lorsque le Conseil constitutionnel est sollicité soit par les autorités politiques de manière abstraite soit par un justiciable lors d'un procès concret depuis 2008. Les minorités politiques et corrélativement les minorités sociales qu'elles représentent peuvent aussi imposer leur vue et leur opinion si celles-ci sont juridiquement solides et défendables. En effet, la crainte d'une majorité éventuellement tyrannique s'est toujours manifestée à travers les prises de position de certains et les publications d'autres. Le théoricien de la démocratie Alexis de Tocqueville, réfléchissant sur le fonctionnement de la démocratie américaine, s'est interrogé en ces termes :

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« Qu'est-ce que donc qu'une majorité prise collectivement, sinon un individu qui a des opinions et le plus souvent des intérêts contraires à un autre individu qu'on nomme la minorité ? Or, si vous admettez qu'un homme revêtu de la toute -puissance peut en abuser contre ses adversaires, pourquoi n'admettez -vous pas la même chose pour une majorité ? »60

Contrairement à une idée reçue, la justice constitutionnelle ne freine pas à tout prix la volonté majoritaire. Elle a seulement pour vocation de ne pas réduire la république en un foyer de pensée unique sous prétexte du principe majoritaire. Autrement dit, elle donne indirectement à la minorité l'occasion de faire la promotion de ses idées et de ses propositions politiques même après la défaite électorale à condition que celles-ci trouvent un point d'ancrage dans la norme constitutionnelle ou dans la jurisprudence constitutionnelle. L'opposition profite ainsi de chaque décision constitutionnelle qui lui est favorable pour se donner du crédit et avoir de la bonne presse auprès de la population à grands renforts de propagande politicienne.

Le Conseil constitutionnel, sans enfreindre l'autonomie des autorités politiques et sans substituer son appréciation de l'opportunité à la leur, sert ainsi de correcteur aux excès et erreurs susceptibles d'être commis par le régime représentatif dont l'unique crédo est la légitimité électorale. Sans renier sous aucune forme les vertus du principe majoritaire, il canalise et jauge les contestations de la minorité en fonction de principes prédéterminés non influençables par le verdict des urnes en soi. Il existe comme en d'autres domaines un « consensus jurisprudentiel » sur la valeur hautement démocratique du pluralisme politique. En témoigne la réitération presque mot pour mot du considérant de principe suivant du Conseil constitutionnel par la haute juridiction administrative dans une décision d'assemblée du 8 avril 2001.61

« Le pluralisme des courants de pensée et d'opinion, dont le pluralisme de l'expression politique est une composante est l'une des conditions de la liberté ainsi garantie et de la démocratie .Il constitue en lui-même un objectif de valeur constitutionnel. »

Sans jamais se départir de son rôle juridictionnel et de plusieurs mécanismes d'autolimitation (décision longuement motivée à visée pédagogique, référence au bloc de constitutionnalité, compétence d'attribution), le Conseil constitutionnel subordonne la vie politique française au droit en sanctionnant les exagérations, fûssent-elles partagées par la majorité. De ce fait, il favorise et régule l'alternance politique sans s'en soucier.

60 A DE TOCQUEVILLE, « De la démocratie en Amérique », op .cit. I, 2, chap. VII.

61 Voir CONSEIL const, n°89-271 DC, 11janv.1990 et COOSEIL d'état, Ass., n°31136, 8 avril 2009 ou plus amplement Voir P DE MONTALIVET, « Libertés d'expression et de communication (dans les médias) » in G DRAGO (dir.), « Chronique de l'observatoire de jurisprudence constitutionnelle », Cahiers du Conseil constitutionnel, 2010, n°28

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2. Justice constitutionnelle et alternance politique

L'étude statistique de la jurisprudence constitutionnelle relève une forte hausse de saisines du Conseil constitutionnel en période d'alternance. L'inflation législative dans le bon sens du terme induit par l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle majorité convertit le Conseil constitutionnel en régulateur des implications juridiques de l'alternance politique. Si l'alternance politique ne peut pas créer à elle seule un changement de politique jurisprudentielle mais elle oriente le type de contentieux constitutionnels susceptibles d'être examinés par le Conseil constitutionnel. En période de basculement du pouvoir à gauche comme ce fut le cas en mai 1981, le Conseil constitutionnel a dû se référer beaucoup plus à la déclaration des droits de l'homme et du citoyen pour neutraliser un peu les initiatives législatives qui sont par définition ou idéologiquement sociales interventionnistes et collectivistes. Quand les rênes du pouvoir sont détenues par une majorité de droite, les Sages utilisent davantage « la Constitution sociale » pour canaliser ou réprimer l'ardeur libérale et individualiste qui irrigue les propositions et les textes de loi. Ainsi, le Conseil constitutionnel garantit et rend effectif le principe d'alternance politique sans se faire le champion ou le partisan d'une idéologie. Louis Favoreu explicitait l'importance du rôle joué par le Conseil constitutionnel pendant la première période d'alternance qu'a connue la cinquième (5ème république) en ces termes 62 :

« Le rôle joué par le Conseil constitutionnel au moment de l'alternance de 1981 a été peu et mal perçu. En réalité lorsqu'on mesurera la portée de la quarantaine de décisions rendues en 1981-1983, on s'apercevra que le processus politique de l'alternance ne se serait pas déroulé de la même manière s'il n'y avait pas un juge constitutionnel ».

Les réserves d'interprétation de toutes natures du Conseil prescrivent une application constitutionnelle des nombreuses réformes législatives de la nouvelle majorité sans désavouer radicalement ou frontalement celles de l'ancienne au cours du processus démocratique d'alternance politique. Une fois reçue du Conseil le brevet de constitutionnalité pour une réforme, le parti au pouvoir peut mettre en mouvement les autres qui lui sont complémentaires en dépit des protestations idéologiques et politiciennes à priori.

Il va sans dire que le Conseil a été facilité dans cette fonction de garant de l'alternance par la réforme de 1974 déjà étudiée dans le cadre de notre travail parce que cette dite réforme offrait même aux acteurs politiques de recourir au Conseil. A chaque fois que l'occasion lui était donnée soit par les quatre plus grandes autorités du pays (Président -Premier Ministre-Président de l'Assemblée nationale ou du sénat) soit par une frange de la minorité parlementaire, le Conseil avait « facilité » la matérialisation de l'alternance politique contrairement à une idée qui était en vogue.

62 L .FAVOREU, « LE Conseil constitutionnel et l'alternance », Revue française de science politique, 1984, n°4-5, résumé

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Favoriser ou réguler l'alternance politique n'insinue nullement que le Conseil ait adhéré à l'opinion du député André Laignel en donnant toujours gain de cause à l'ex opposition du fait qu'il soit devenu « politiquement majoritaire ». On peut corroborer cette affirmation en citant, à titre d'exemple, l'annulation de l'une des principales dispositions législatives sur l'université proposées et votées par les socialistes sous la présidence de François Mitterrand. Il est de mode aussi de rappeler la décision de l'ancien président Nicolas Sarkozy de solliciter vainement l'aide du premier président de la Cour de Cassation après la censure partielle du projet de loi relatif à la rétention de sureté et à la déclaration d'irresponsabilité pour cause de trouble mental par le Conseil dans sa décision du 21 février 2008 pour méconnaissance des principes de séparation des pouvoirs et de l'indépendance du pouvoir judiciaire.

En revanche, l'on peut dire que le Conseil est garant de l'alternance politique puisqu'il ne juge pas de l'opportunité des réformes législatives de la nouvelle majorité quelle que soit leur teneur sauf en cas d'erreur manifeste. Il se garde de restreindre la liberté d'action de l'ex opposition et d'entraver son pouvoir discrétionnaire acquis grâce au verdict des urnes. Sa jurisprudence canalise juridiquement le « changement » politique promis lors de la campagne électorale et votée lors des joutes électorales. Le juge constitutionnel se révèle comme un catalyseur de l'alternance politique au sens où il la facilite et l'encadre sans y prendre part compte tenu de la nature objective et juridictionnelle de son travail. L'éminent juriste Maurice Duverger abonde totalement dans ce sens en établissant clairement les distinctions entre celui-ci et le travail politique de la minorité parlementaire :

« Le pouvoir d'opposition du Conseil constitutionnel n'a pas la même nature que celui du Sénat et de la minorité de l'Assemblée nationale. Le second implique une appréciation toute subjective du contenu de la réforme engagée par la majorité. Le premier vérifie que les lois ainsi votées sont conformes aux règles juridiques dont le respect s'impose à chaque parti pour maintenir la démocratie »63

En faisant du pluralisme des courants d'idée et d'opinion l'une des conditions sine qua none de la démocratie, le Conseil prohibe sans conteste la dictature majoritaire au sein de la société politique française. Il offre indubitablement la possibilité à la minorité d'aujourd'hui d'être la majorité de demain sans jamais renoncer à sa posture de neutralité et d'impartialité malgré le renouvellement du personnel politique. L'épineuse question de la légitimité de la justice constitutionnelle semble être reléguée en second plan vu le changement que son existence et son travail ont suscité sur le paysage politico-institutionnel. Tout au moins, ses fonctions de régulateur de l'activité normative et de protecteur des droits humains conjuguées au discrédit des parlements à l'échelle européenne ont impliqué un changement de paradigme démocratique après la deuxième guerre mondiale.

63 Cité dans M DUV, « La république des citoyens », Paris, Ramsay, 1983, p .273

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire