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Vers une organisation mondiale pour la reconstruction post-catastrophe ?

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par Laetitia Bornes
ENSAPVS - Architecture 2014
  

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10 VERS UNE ORGANISATION MONDIALE POUR LA RECONSTRUCTION POST-CATASTROPHE ?

Les parties précédentes pointent le manque de considération des notions d'architecture et d'urbanisme dans l'aide internationale post-catastrophe. Pourtant, la prise en compte de ces thématiques s'avère indispensable à une reconstruction pérenne, depuis les premiers stades de l'urgence.

De plus, les associations de professionnels de la construction oeuvrant dans les situations d'urgence montrent que l'expérience permet de développer une véritable expertise de l'urgence, et de rendre ainsi l'aide apportée plus efficace. Patrick Coulombel affirme, au sujet de l'intervention de la FAU en Indonésie : « Notre habitude d'intervenir dans les contextes difficiles nous permet d'être opérationnels très vite et de communiquer au mieux les informations nécessaires au bon déroulement des missions » et « nos compétences accrues également au cours des catastrophes nous amènent aujourd'hui à argumenter très largement sur des choix techniques permettant aux populations vulnérables de profiter de cette expertise lors de la mise en oeuvre de nos programmes. »233(*)

C'est ainsi que la question d'une organisation mondiale pour la reconstruction post-catastrophe se pose, quelle que soit la forme qu'elle puisse emprunter.Selon Patrick Coulombel « une organisation mondiale peut répondre immédiatement à une catastrophe d'une telle ampleur »234(*), en parlant du tsunami de 2004. Sa mise en place peut certes entraîner des « difficultés juridiques, comptables, de communication, sans oublier les conflits de compétence »235(*), mais il reste optimiste : « l'organisation d'un réseau international est complexe mais possible »236(*).

Dans cette partie, l'intérêt que pourrait avoir une organisation mondiale est étudié au regard de l'exemple d'Haïti. Puis, des propositions sont développées concernant sa mise en place et sa forme éventuelle, ses moyens d'action à diverses échelles, ainsi que ses possibilités d'évolution, avant de conclure sur les limites de ces propositions.

10.1 LE CAS D'HAÏTI

Le cas d'Haïti est particulièrement intéressant dans la mesure où il illustre diverses problématiques actuelles de l'aide internationale. En effet, il met en exergue les difficultés auxquelles celle-ci peut se confronter, malgré sa professionnalisation récente, son expérience croissante des situations d'urgence et de reconstruction, et ses efforts de coordination.

Ce mémoire n'étant pas exclusivement consacré à l'analyse de la catastrophe à Haïti, cette étude de cas ne saurait se prétendre complète et exhaustive. Il s'agit simplement, à travers une mise en contexte globale et une analyse orientée sur le domaine de la reconstruction à proprement parler (logements, équipements, etc.), de mettre en lumière les avantages probables d'une organisation mondiale pour la reconstruction.

Il est important de souligner que cette étude de cas ne fait pas le procès des organisations ayant intervenu en Haïti pour sa reconstruction, mais qu'elle tente simplement de dégager de cette expérience des conclusions pour le futur.

10.1.1 HAÏTI AVANT LE SÉISME DE 2010

CONTEXTE GÉOGRAPHIQUE

Haïti est un pays des Grandes Antilles, situé sur la partie occidentale de l'île d'Hispaniola (environ un tiers de l'île, soit près de 28 000 km²), que l'on appelle « Grande terre » ou « Terre Montagneuse ». Le territoire d'Haïti compte également d'autres îles telles que : La Gonâve, l'île de la Tortue, Les Cayemites, l'Île-à-Vache.

De par sa position géographique, Haïti se trouve dans la sphère d'influence des États-Unis et des puissances régionales que représentent le Brésil, l'Argentine, le Venezuela et le Chili. Ce paysfrancophone (langue officielle avec le Créole), ancienne colonie française, etse situeen outre non loin des territoires français de Guadeloupe et de Martinique, ce qui explique ses liens avec la France.

Figure 47 : Situation géographique d'Haïti

Le relief de la « Terre montagneuse » est majoritairement composé de montagnes escarpées avec de petites plaines côtières et des vallées. On distingue deux bandes montagneuses principales séparée par la Plaine du Cul-de-Sac : l'une au Nord, où s'élèvent la chaîne du Haut-Piton, le massif des Montagnes Noires et la chaîne des Matheux ; l'autre au Sud, constituée par le massif du pic la Selle et le massif de la Hotte.

Figure 48 : Topographie d'Haïti237(*)

CONTEXTE CLIMATIQUE ET RISQUES

Le climat en Haïti est tropical. La saison des pluies s'étend d'avril à juin puis d'octobre à novembre. Le pays subit régulièrement des précipitations importantes.

province climatique

réseau hydrographique

zones irriguées

saisons

précipitations annuelles

Figure 49 : L'eau et le climat en Haïti238(*)

Le territoire d'Haïti est particulièrement exposé aux ouragans. Chaque année, de juin à novembre, le pays est balayé par des vents violents et des pluies torrentielles. En 2008, quatre tempêtes et ouragans successifs ont causé la mort de près d'un millier de personnes et laissé des centaines de milliers de personnes sans-abri.

De plus, une large déforestation du pays a entrainé une forte érosion et un ravinement des sols aux pluies torrentielles à l'origine de glissements de terrain.

Haïti se trouve à la limite de la plaque Caraïbe et de la plaque Nord-Américaine, qui se déplacent à une vitesse relative de 2 cm/an. Le seul séisme majeur des 50 dernières années s'est produit au nord-est de la République Dominicaine. Les séismes destructeurs historiques ont été oubliés, ce qui engendre une baisse de la vigilance, et donc une augmentation de la vulnérabilité.

Ainsi, le pays est soumis à des risques naturels forts et variés : ouragans, séismes, inondations, glissements de terrain...

Figure 50 : Risques naturels en Haïti239(*)

CONTEXTE HISTORIQUE ET POLITIQUE

L'histoire d'Haïti alimente la fierté des haïtiens : Haïti est le premier pays au monde issu d'une révolte d'esclaves. En effet, la révolte de Saint-Domingue est à l'origine de la création de la République d'Haïti qui devient en 1804 la première république indépendante de population majoritairement noire. Il s'agit du seul territoire francophone indépendant des Caraïbes.

Le premier gouverneur, Dessalines, réalise des exécutions massives parmi les blancs restés sur l'île avant d'être assassiné à son tour en 1806. Le pays se trouve divisé : un royaume au nord commandé par le noir Henri Christophe, et une république au sud avec le mulâtre Alexandre Pétion. En 1822, le président Jean Pierre Boyer réunifie les deux parties Nord et Sud et conquiert la partie espagnole de l'île d'Hispaniola pendant 22 ans, avant que la République dominicaine ne se déclare à nouveau indépendante en 1844.

Une longue série de coups d'État se succèdent après le départ de Jean Pierre Boyer. Le pays s'appauvrit, et peu d'hommes politiques se préoccupent réellement de son développement. Les intérêts personnels prévalent, et des révoltes armées soutenues par les candidats à la succession se déclenchent à chaque fois que le pouvoir en place se fragilise. Le pays est même transformé en empire entre 1849 et 1859.

Au début du XXe siècle, Haïti est en état d'insurrection quasi permanente, ce qui favorise son occupation par les États-Unis de 1915 à 1934 : assainissement des finances publiques, restructuration de l'armée, construction d'écoles, de routes, etc. L'instabilité politique reprend après le départ des Américains, jusqu'à la dictature des Duvalier qui durerade 1957 à 1986.

Jean-Bertrand Aristide remporte les élections de décembre 1990, mais un coup d'État le pousse à s'exiler aux États-Unis. Pendant trois ans, les milices intimident la population et assassinent les meneurs syndicaux. En 1994, Aristide est rétabli au pouvoir par l'administration de Bill Clinton, lors de l'opération « Rétablir la démocratie », mais sous un programme néolibéral qui divise. René Préval succède à Aristide en 1996.Aristide est réélu en 2000, mais sous le taux d'abstention record de 90%, ce qui indigne la communauté internationale. Il quitte le pays sous la révolte populaire de 2004, et Boniface Alexandre, président de la Cour de cassation, assure ensuite le pouvoir par intérim. René Préval retourne au pouvoir en février 2006, à la suite d'élections jugées douteuses.

Depuis mai 2011, le président de la république d'Haïti est Michel Martelly.

L'histoire du pays explique sa fragilité et sa difficulté à se développer : pillages des ressources, occupations militaires, soutiens aux dictatures, liquidation des économies rurales par la libéralisation des marchés agricoles...

L'AIDE INTERNATIONALE CONTROVERSÉE

La nouvelle instabilité politique du pays qui succède le départ d'Aristide en 2004 entraîne la mise en place par l'ONU de la Mission des Nations unies pour la stabilisation d'Haïti (MINUSTAH), car le Conseil de sécurité considère la situation en Haïti comme une menace à la paix et la sécurité dans la région. Les objectifs annoncés sontle renforcement de la sécurité et la protection durant la période électorale, et l'aide à la restauration et au maintien de l'état de droit, de la sécurité publique et de l'ordre public.

Cette Mission de l'ONU, prévue pour durer le temps de l'élection, a été prolongée et les forces armées de la MINUSTAH sont actuellement toujours présentes en Haïti. Cette présence a suscité de nombreuses controverses. Notamment dès 2004, lorsque des organisations indépendantes pour la protection des Droits de l'Homme ont accusé la MINUSTAH et la Police nationale d'Haïti (PNH) de commettre conjointement de nombreuses atrocités contre les civils.

Selon un journaliste d'Haïti Liberté, « depuis 2004 les terroristes conventionnels avec l'aval de l'ONU portant le casque de la Minustah, n'ont fait que violer les fillettes et les adolescents et assassiner les militants proches des masses populaires. La grande presse ne parle même pas des indescriptibles exactions de ces tueurs à gages qui ont perpétré plusieurs massacres dans les quartiers à forte concentration populaire ».240(*)

De toute évidence, toute intervention venant de la communauté internationale dans le pays est délicate, et susceptible de se confronter à une grande méfiance.

Déjà avant le séisme, l'aide internationale est implantée dans le pays, sous la forme d'une aide au développement, et mobilisant d'importants financements. Des mécanismes complexes de coordination et de gouvernance sont en place et rassemblent les différentes familles d'acteurs (donateurs, ONG internationales et nationales, agences des Nations unies, acteurs multilatéraux, gouvernement d'Haïti, etc.).

entreprises multinationales privées

ONG religieuses humanitaire

assistance bi et multilatérales

Figure 51 : Les opérations étrangères et leur nature en Haïti241(*)

Les principaux groupes de coordination présents en Haïti avant le séisme sont :

Le Groupe des 11 (G11), qui facilite le dialogue entre les 11 principaux donateurs et le gouvernement.

Le Groupe d'Appui de la Coopération Internationale (GACI), qui inclut les agences de l'ONU, la MINUSTAH, les agences de développement internationales, les bailleurs et les ONG internationales.

Le Comité Permanent Inter-organisations (CPIO), qui est le lieu de coordination entre agences humanitaires.

la MINUSTAH, qui gère la coordination interne aux Nations unies.

Le Comité de Liaison des ONG (CLIO), qui réunit ONG nationales et internationales.

Le Système National pour la Gestion et la Réponse aux Désastres (SNGRD), créé en 1999 par le Ministre de l'Intérieur, et animé par la Direction de la Protection Civile (DPC).

CONTEXTE DÉMOGRAPHIQUE ET ÉCONOMIQUE

La population d'Haïti est estimée à plus de 10 000 000 d'habitants en 2012242(*), dont plus de 43% seraient citadins243(*). La grande majorité de la population est de religion chrétienne. La plus grande agglomération est la capitale, Port-au-Prince, avec une population estimée à 2 300 000 habitants en 2009, suivie du Cap-Haïtien avec environ 250 000 habitants.

Environ 75 % des Haïtiens vivent en dessous du seuil de pauvreté, et 50 % de la population est en situation d'extrême pauvreté : c'est le pays le plus pauvre du continent américain. Selon un rapport du Conseil national de la sécurité alimentaire (CNSA) haïtien, plus d'un Haïtien sur trois est sous-alimenté.Le taux de chômage s'élève à plus de 40% de la population active en 2010244(*). Il existe de très grandes inégalités sociales, dues en partie à la colonisation et au système économique postcolonial.En 2007, les taux de couverture des besoins en eau potable sont estimés à 54 % à Port-au-Prince, 46 % dans les villes secondaires, 48 % en milieu rural. De plus, les systèmes d'eau potable installés en milieu rural, et mis en place dans les années 1980 se dégradent faute d'entretien.

Figure 52 : L'économie d'Haïti concentrée sur sa capitale245(*)

CONTEXTE URBANISTIQUE

Le territoire d'Haïti est composé de 10 départements, 42 arrondissements, 140 communes et 570 sections communales.

densité de population

structure dominante régionalisée

indices d'activité régionale

Figure 53 : Un territoire initialement régionalisé246(*)

L'administration de chaque département est gérée par un Conseil de trois membres élus pour quatre ans par l'Assemblée départementale. Le pouvoir exécutif désigne un délégué départemental, chargé d'administrer les différents ministères déconcentrés en collaboration avec l'assemblée départementale.

La commune dispose de l'autonomie administrative et financière. Chaque commune est administrée par un Conseil de trois membres élus au suffrage universel.

La capitale d'Haïti est Port-au-Prince :il s'agit de la plus grande ville du pays. A la suite d'un considérable exode rural, l'ensemble des flux du pays converge vers sa capitale. Le territoire devient nettement centralisé sur cette métropole, qui concentre également plus d'un cinquième de la population.

le carrefour Port-au-Prince

flux de convergence

villes régionales

marchés régionaux

petites villes

transferts extérieurs

structure dominante centralisée

Figure 54 : Un territoire centralisé247(*)

La ville de Cap-Haïtien est la seconde ville du pays. Ancienne capitale, elle demeure un emblème de l'histoire haïtienne,par son architecture et son rôle dans les combats pour l'indépendance. Pourtant, sa population est environ dix fois inférieure à celle de la capitale actuelle.

Le « onzième département » représente les Haïtiens expatriés, dont le nombre est estimé à deux millions.

L'exode rural vécu par Haïti peut s'expliquer partiellement par la libéralisation des marchés agricoles, qui expose sans protection les produits haïtiens à la compétition internationale, etdiminue ainsi considérablement les recettes des modes de vie ruraux. Le phénomène est encouragé par la centralisation des dépenses publiques et des services : l'éducation, la santé, les loisirs, etc. La capitale accueille la moitié des équipements hospitaliers, les 2/3 des banques et les ¾ de l'enseignement supérieur. Elle représente 80% de l'énergie consommée dans le pays.

Une grande partie de la population est contrainte de s'installer dans les nombreux bidonvilles qui se répandent anarchiquement autour et dans toute la ville. Ainsi, les quartiers informels de Port-au-Prince représentent 20% de la surface bâtie, mais concentrent 80 % de la population. Ces quartiers précaires, nouvellement construits ou issus de la dégradation de quartiers anciens, se développent sur les terrains peu attractifs et dangereux, phénomène aggravé par le vide institutionnel, l'indifférence des autorités, et le manque de structuration des espaces urbains.

taudis

résidentiel moyen

résidentiel haut

industriel

industriel

densité de population croissante et typologies

Figure 55 : Urbanisme et espace social à Port-au-Prince248(*)

Une analyse de la densité démographique et des typologies de bâti permet d'identifier trois grandes zones urbaines, différentes par leurs caractéristiques socio-économiques, culturelles, et géographiques :

La bande littorale : située à proximité des zones de déversement des eaux usées, elle se trouve dans une situation particulièrement vulnérable. En revanche, elle est directement reliée au centre et aux principaux lieux d'activité de la ville et permet aux habitants de développer de nombreux commerces informels répartis le long des grands axes routiers. On y trouve principalement des commerces et du logement résidentiel moyen.

La zone centrale : elle s'insère dans la trame même de la ville, ses axes principaux constituent d'importants corridors économiques. Ces quartiers accueillent une très grande concentration d'habitants et d'activités économiques. C'est une zone intermédiaire, une zone de transition, malgré son caractère informel, marginal et insalubre (logements de type « taudis »).

La partie haute de la ville : elle regroupe quelques centres urbains privilégiés, ainsi que de nombreux quartiers informels qui se développent le long d'accidents topographiques (mornes et ravines). Le développement de réseaux viaires est très délicat dans cette zone, et l'exposition aux risques naturels y est maximale.

Selon Jean Marie Théodat, agrégé de géographie et enseignant à La Sorbonne à Paris, né à Port-au-Prince et retourné en Haïti après le séisme : « Le tissu urbain est constitué aux deux tiers de quartiers non planifiés, pas forcément des bidonvilles, mais à la disposition anarchique. Cette agglomération a prospéré comme un chancre sur les piémonts du morne l'Hôpital et dans les gras sillons de la plaine du Cul-de-Sac, elle a avalé peu à peu, faubourg après faubourg tout le terrain accessible autour d'elle. Depuis Bon Repos à Mariani, de Pétion-Ville à Cité Soleil, c'est une seule et même agglomération de tôles et de ciment qui se poursuit d'un seul tenant, avec ici et là des îlots de verdure qui résistent encore à la pression immobilière. »249(*)

La « Ravine Pintade », par exemple, est l'un des bidonvilles les plus anciens de Port-au-Prince. Les premières constructions de ce bidonville sont des habitations basses, dotées de toits en tôle. Puis, on assiste progressivement à l'apparition de constructions bétonnées, et d'étages, réalisés sans recours à quelque expertise que ce soit, et dans l'ignorance totale des règles de l'art. Les nouvelles constructions prennent appui sur les précédentes, et aucune d'entre elles ne possèdent de véritables fondations. C'est ainsi que s'entassent les structures peu fiables, pour former « un seul tenant », susceptible d'être emporté au moindre glissement de terrain. Le quartier est devenu surpeuplé : sa densité de population était de 75 000 personnes par km²250(*)avant le séisme, deux fois supérieure à la concentration urbaine moyenne de Hong Kong.

Figure 56 : La "Ravine Pintade" avant (en haut à gauche) et après le séisme251(*)

Un des problèmes majeurs concernant l'urbanisme en Haïti est l'absence d'une réelle infrastructure des droits fonciers. Cette infrastructure, qui rassemble les données cadastrales, est nécessaire à la sécurité des droits fonciers, et constitue une base équitable et transparente pour l'impôt foncier, un soutien pour l'aménagement et la gestion des terres, et la réduction des conflits liés à la terre.

CONTEXTE ARCHITECTURAL ET RESSOURCES

Le patrimoine architectural d'Haïti est riche mais très vulnérable, car Haïti « terre glissée » ne cesse d'essuyer séismes, cyclones et incendies. Ainsi, la colonisation a laissé très peu de traces monumentales, à l'exception de l'architecture industrielle : les ruines grandes sucreries et caféteries.

Il faut cependant souligner les efforts d'enracinement que constituent les nombreuses fortifications, telle la citadelle Henry, ou la reconstruction en dur de Cap-Haïtien après le séisme de 1842. Les fortifications côtières sont très nombreuses dans les principales villes-ports.

Parmi les éléments notables du patrimoine architectural d'Haïti, on compte les maisons gingerbread : « ce style est à la fois un mélange d'influences internationales et typiquement haïtien. »252(*)

Figure 57 : à gauche, la résidence de Patrice Pamphile au 4, rue Casséus, à droite, la Villa Castel Fleuri dans l'avenue Christophe253(*)

Les maisons de style gingerbread d'Haïti ont été ajoutées en octobre 2009 à la World Monuments Watch List afin d'attirer l'attention de l'opinion internationale sur ce patrimoine architectural unique. « Parmi ces constructions qui datent du début du siècle dernier, autrefois élégantes, décorées de panneaux de bois chantournés et de claustras ouvragées, nombreuses sont celles qui sont tombées en décrépitude »254(*). Mais l'instabilité politique et les conflits d'ordre économique rendent les efforts de préservation secondaires.

Le tremblement de terre dévastateur du 12 janvier 2010 a mobilisé de nombreuses organisations de protection du patrimoine culturel, dont le World Monuments Fund (WMF). « De nombreuses maisons gingerbread ont certes subi des dommages importants, toutefois ce type de construction traditionnelle s'est révélé particulièrement apte à absorber le choc sismique et en conséquence rares sont celles à s'être effondrées. Le Gouvernement haïtien a donc souhaité que ces quartiers, dont l'architecture est emblématique, bénéficient en priorité de l'assistance internationale de préservation. »253

Le mouvement gingerbread débute en 1881 en Haïti par la construction du Palais National. Il a « servi de modèle et établi de nouvelles normes de construction à Port-au-Prince : une charpente en bois, garnie de briques et décorée de bois sculpté sur les façades et les bords des toitures, avec de hauts plafonds et de grandes baies ouvrant sur de vastes galeries ».255(*)

Moins de 15 ans plus tard, trois jeunes Haïtiens étudient l'architecture à Paris et font évoluer ce mouvement architectural naissant au regard du style contemporain des maisons de villégiature françaises, tout en l'adaptant au climat tropical d'Haïti : un style purement haïtien de maisons en treillis est ainsi créé.

Cette grande période de l'architecture haïtienne prend fin en 1925 sur décision du maire de la ville, qui exige que toutes les nouvelles constructions soient en maçonnerie, béton armé ou en fer pour réduire les risques d`incendies.

Conçues pour le climat tropical d'Haïti, les maisons gingerbread jouent sur la ventilation et l'ombre, tout en limitant l'humidité : « Les hauts plafonds et les vastes greniers pourvus de volets d'aération permettent à l'air chaud de monter avant d'être expulsé. Les grandes galeries qui s'étendent de la façade principale jusqu'aux murs latéraux fournissent ombrage aux fenêtres et permettent de prolonger l'espace de la maison au-delà de ses murs. Les lourds volets posés aux fenêtres peuvent être fermés rapidement et hermétiquement en cas de tempête tropicale ou de cyclone. Le rez-de-chaussée surélevé contribue à empêcher que l'humidité n'atteigne les encadrements en bois et les espaces intérieurs et protège contre les insectes. Les toits en pente permettent à l'eau de pluie de s'écouler facilement lors des fréquentes averses. »256(*)

Figure 58 : Architectures hybrides et toitures des maisons gingerbread257(*)

Les trois principales techniques de construction des maisonsgingerbread sont :

Les charpentes en bois entretoisé

Les colombages (charpentes en bois entretoisé avec hourdage en maçonnerie)

Les murs porteurs en maçonnerie

Ces constructions n'utilisent que très rarement une seule de ces techniques : en général, toutes les méthodes de construction sont combinées pour former des typologies hybrides.

Les toitures sont inclinées en pente raide, avec des flèches et des tourelles. Leurs charpentes sont en bois entretoisés, habillées de feuilles de tôles ondulées au-dessus des pannes sablières ou, dans le cas du Manoir (illustration 58, en bas à droite), de tôles décoratives embouties.

MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION

LE BOIS

A l'origine, l'île d'Haïti possédait une végétation luxuriante, composée de conifères et d'arbres à feuilles larges (noyer, acajou, etc.). Malheureusement, l'absence de protection du patrimoine environnemental et la surexploitation des forêts pour l'exportation du bois vers l'Europe et l'Amérique du Nord a provoqué leur disparition vers la fin du XIXème du siècle. Le bois ne peut plus être considéré comme un matériau local en construction, car il n'est plus disponible sur l'île et doit être importé.

L'ARGILE (BRIQUES, TORCHIS, PLÂTRE ET STUC)

On trouve des sédiments d'argile relativement pure à Port-au-Prince et aux alentours. Au début du XXème siècle, les sédiments d'argile calcaire servaient à la production des briques de couleur ocre et ceux d'argile ferrugineuse à la fabrication des briques de couleur rouge. Ces briques étaient largement employées en construction et existent désormais sous forme rectangulaire et décorative utilisées comme ornements architecturaux. L'industrie de fabrication de tuiles a cessé depuis longtemps en Haïti.L'argile a également été utilisée dans la fabrication des mortiers pour la construction des parties maçonnées.

LA CHAUX (TORCHIS, PLÂTRE ET STUC)

La chaux (ingrédient essentiel dans la fabrication du sucre)existe en abondance en Haïti. Cependant, cette matière première doit être transformée en chaux vive pour la préparation de torchis de chaux. Depuis l'introduction du ciment, la fabrication de chaux vive a cessé en Haïti, et les torchis de chaux ne sont plus utilisés en construction.

Actuellement, l'exploitation des carrières se limite aux pierres calcaires (principalement pour la fabrication du ciment) et aux différents types d'argile, au sable, au gravier et au marbre.

« Les sédiments de pierres calcaires présents sur les versants des montagnes haïtiennes, [...], ont été profondément détériorées en raison d'une complète déforestation ayant entrainé une forte érosion et un ravinement des sols aux pluies torrentielles. »258(*)

LE FER ET L'ACIER DE CONSTRUCTION

Le fer et l'acier utilisés pour la construction des charpentes des maisons gingerbread a été importé de France et de Belgique.

LE BÉTON

Le béton armé a été introduit en Haïti au début du XXème siècle. Le béton armé et des blocs de béton deviennent progressivement les matériaux de construction de prédilection pour les trois raisons principales suivantes :

L'utilisation du bois dans la construction est défendue à partir de 1925, à la suite de plusieurs incendies dévastateurs.

Le béton et les blocs de béton, considérés comme des matériaux plus résistants, plus avancés technologiquement et plus modernes, deviennent un symbole de statut élevé dans la société.

Le béton et les blocs de béton semblent mieux résister aux cyclones : vents violents et pluies torrentielles.

Figure 59 : Le Palais National, construit en 1918259(*)

« Le Palais National, construit en 1918, donne un exemple de l'utilisation précoce du béton armé en Haïti. Ces constructions se sont tout ou partie effondrées. »260(*)

* 233 Source : COULOMBEL Patrick (2007), Architectes de l'urgence, L'Harmattan, Paris, p133-135

* 234 Source : COULOMBEL Patrick (2007), Architectes de l'urgence, L'Harmattan, Paris, p132

* 235 Source : COULOMBEL Patrick (2007), Architectes de l'urgence, L'Harmattan, Paris, p113

* 236 Source : COULOMBEL Patrick (2007), Architectes de l'urgence, L'Harmattan, Paris, p185

* 237 Source : «?Haiti topographic map-fr?» par Rémi Kaupp, Wikipédia

* 238Source : Georges ANGLADE, (1982), Atlas critiqued'Haïti, produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, dans le cadre de la bibliothèque numérique "Les classiques des sciences sociales", une collection développée en collaboration avec la BibliothèquePaul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi

* 239Source : Mathieu P., Constant J. A., Noël J. et Piard B., Cartes et étude de risques,de la vulnérabilitéet des capacitésde réponse en Haïti, Oxfam, http://www.mde-h.gouv.ht

* 240Source : J. Piard Fatal, Minustah : Entre violence, répression et hypocrisie, Haïti Liberté, Vol. 6, No. 41, 24 Avril 2013

* 241 Source : Georges ANGLADE, (1982), Atlas critique d'Haïti, produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, dans le cadre de la bibliothèque numérique "Les classiques des sciences sociales", une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi

* 242Source: Indicateurs démographiques, sur le site de l'Institut haïtien de statistique et d'informatique du Ministère de l'économie et des finances (IHSI), http://www.ihsi.ht/

* 243Source : Population totale, par sexe et population de 18 ans et plus estimées en 2009, au niveau des différentes unités géographiques, sur le site de l'Institut haïtien de statistique et d'informatique du Ministère de l'économie et des finances (IHSI), http://www.ihsi.ht/

* 244Source : Taux de chômage : 27 % (officiel, mais deux tiers des Haïtiens touchés par le chômage ou le sous-emploi), sur le site diplomatie.gouv.fr

* 245 Source : Georges ANGLADE, (1982), Atlas critique d'Haïti, "Les classiques des sciences sociales"

* 246 Source : Georges ANGLADE, (1982), Atlas critique d'Haïti, "Les classiques des sciences sociales"

* 247 Source : Georges ANGLADE, (1982), Atlas critique d'Haïti, "Les classiques des sciences sociales"

* 248 Source : Georges ANGLADE, (1982), Atlas critique d'Haïti, "Les classiques des sciences sociales"

* 249Source : Jean Marie Théodat (2013), Port-au-Prince en sept lieues, Haïti, Sichuan, Fukushima - Etats d'urgence, Outre-Terre, (n° 35-36), pp. 123-150

* 250Source : François Giraud (06/02/2010), Haïti : Les quartiers oubliés de Port-au-Prince, www.helpdoctors.org

* 251Source : Vincent Grammont, Dans les bidonvilles de Port-au-Prince, des habitants "spectateurs" et des ONG "en mal de coordination", sur le site de France 24, 05/03/2010, http://observers.france24.com

* 252 Source : R. Langenbach, S. Kelley, P. Sparks, K. Rowell, M. Hammer et JJ. Olsen sous la direction de Norma Barbacci (Décembre 2010), La préservation des maisons de style gingerbread d'Haïti, Rapport de mission après le séisme de janvier 2010, World Monuments Fund.

* 253idem

* 254idem

* 255Source : Guides Panorama Haïti,L'Art de vivre en architecture dans les Tropiques, p. 8

* 256Source : R. Langenbach, S. Kelley, P. Sparks, K. Rowell, M. Hammer et JJ. Olsen sous la direction de Norma Barbacci (Décembre 2010), La préservation des maisons de style gingerbread d'Haïti, Rapport de mission après le séisme de janvier 2010, World Monuments Fund.

* 257idem

* 258Source : R. Langenbach, S. Kelley, P. Sparks, K. Rowell, M. Hammer et JJ. Olsen sous la direction de Norma Barbacci (Décembre 2010), La préservation des maisons de style gingerbread d'Haïti, Rapport de mission après le séisme de janvier 2010, World Monuments Fund.

* 259Source : Photographie de Kevin McManus [CC-BY-SA-2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0)], sur Wikimedia Commons

* 260Source : R. Langenbach, S. Kelley, P. Sparks, K. Rowell, M. Hammer et JJ. Olsen sous la direction de Norma Barbacci (Décembre 2010), La préservation des maisons de style gingerbread d'Haïti, Rapport de mission après le séisme de janvier 2010, World Monuments Fund.

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