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La fiscalité minière des exploitations artisanales: cas de la cassitérite et du coltan au nord Kivu et au sud Kivu

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par Desso KANINGINI WAKUSOMBA
Université pédagogique nationale - DEA 0000
  

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IV.1.2 La fraude des minerais d'exploitation artisanale.

Il est attesté par tous ; chercheurs indépendants, organismes internationaux, opérateurs économiques et officiels, que l'essentiel de la production de minerais du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, quitte le pays par la contrebande, la fraude.

Boltanski, dans son ouvrage Minerais de sang, citant un rapport du Sénat Congolais sur la mauvaise gouvernance du secteur minier, reprend que : ` ... dans les provinces orientales (de la RDC), 80% des exportations échappent au contrôle de l'Etat'. Il reprend dans une évocation de ses enquêtes à Kigali les propos d'un enquêté qui, à la question de savoir ce qu'était sa source d'approvisionnement, ce dernier lui signale que ` ...le minerai provenait, ... à 70% de la RDC, la cassitérite ayant franchi la frontière illégalement avec la complicité des autorités de Kigali'.87(*)

Certains opérateurs économiques contactés à Bukavu et à Goma lors de nos enquêtes signalent même que `ce qui est déclaré serait le 1/10ème de la réalité'.

Les résultats des enquêtes sur le terrain confirment qu'il existe bel et bien une fraude massive des minerais d'exploitation artisanale des provinces du Nord et du Sud-Kivu. Aujourd'hui, plusieurs sources vont jusqu'à affirmer que plus de 80% de minerais du Kivu échappe au contrôle de l'Etat congolais. D'autres parlent de 50%, d'autres encore de 90% pour certains produits, etc. Pole Institute livre dans son rapport que « les différents opérateurs économiques comme les différents services commis à l'exportation reconnaissent qu'un pourcentage avoisinant 60% des exportations passe en fraude, qui revêt plusieurs formes ».88(*)

La situation est généralisée. Parlant de la filière aurifère, par exemple, les services d'investigation de la division provinciale des mines et géologie ont estimé à 10 tonnes la quantité d'or qui traverse frauduleusement la frontière du Sud-Kivu vers l'étranger chaque année89(*). Pendant ce temps, les statistiques officielles ne signalent que quelques centaines de kilogrammes exportés. La fraude est donc institutionnalisée et cela est connu de tous.

Cette fraude n'est pas non plus une nouveauté. C'est plutôt l'ampleur qui s'est accrue. Elle a existé depuis longtemps, avant la libéralisation de l'exploitation minière artisanale. Elle touchait alors essentiellement l'or.

Cette fraude a même aidé à l'émergence de la classe commerçante à une époque où on ne pouvait avoir facilement la possibilité d'accéder à des moyens officiels de financement des activités commerciales naissantes. La vente des produits miniers en dehors des frontières nationales (essentiellement au Burundi, à l'époque) a ainsi permis une certaine formation de capital que la plupart d'opérateurs économiques ont eu comme base pour se lancer dans les affaires.

Le but de cet essai est d'analyser si la fiscalité est une cause essentielle parmi les causes qui nourrissent la fraude décriée ; de voir si notre système de taxation des produits miniers artisanaux est adapté à l'environnement économique actuel ou s'il ne favorise pas l'amplification de ce fléau qu'est la fraude de minerais.

Avant de scruter le mode opératoire de la fraude en question, nous revenons sur les causes majeures régulièrement évoquées par les opérateurs du secteur ; à savoir les officiels, les différents chercheurs et organismes non gouvernementaux et même certains opérateurs économiques.

Les causes souvent évoquées sont :

- une fiscalité exagérée grevant sensiblement la marge bénéficiaire,

- une multiplicité de services intervenants,

- des prix plus alléchants offerts par les comptoirs des pays voisins,

- une fixation arbitraire de la valeur de base,

- une lourdeur administrative du fait des exigences de validation de sites, de transformation de comptoirs agréés en entités de traitement ou, de certification des minerais,

- l'impunité et la participation latente des pouvoirs publics.

Au fil de nos enquêtes menées au Nord-Kivu (Goma) et au Sud-Kivu (Bukavu) entre 2012 et 2013, il est apparu que même les officiels sont conscients de toutes ces causes avancées par les opérateurs économiques mais ils rétorquent qu'il y a également la mauvaise foi des opérateurs économiques qui tiennent à s'enrichir à tout prix et qui n'ont aucun sens de nationalisme. Pour eux, les pratiques frauduleuses sont profondément ancrées dans le commerce. Les principales raisons ne sont pas seulement le prix élevé de l'exploitation formelle, mais aussi les opportunités d'enrichissement rapide qui en découlent. On relève ici sans équivoque à « quel point la logique économique appliquée par les commerçants eux-mêmes est à l'origine de la très grande part des ressources naturelles échangées sur des bases non déclarées et, dans une certaine mesure, exportées illégalement : pour éviter le versement des taxes formelles, légales, arbitraires, illégales et maximiser le produit des échanges ainsi négociés ».90(*)

De manière générale, il est clair que des grandes quantités de minerais exportés ne font l'objet d'aucun enregistrement officiel et ce, indéniablement, consécutivement aux agissements frauduleux des négociants et des fonctionnaires de l'Etat. En effet, « un pourcentage très important -au moins 50% - des exportations de la RDC n'est pas enregistré par les fonctionnaires de l'Etat comme il devrait l'être ; en partie parce que les négociants et les fonctionnaires minimisent les exportations pour éviter de payer les taxes et redevances y afférentes, mais également en raison des lacunes bureaucratiques et des principes de gouvernance inadéquats qui caractérisent les organisations gouvernementales ».91(*)

Normalement, on parle de commerce frauduleux soit lorsqu'un opérateur économique évite les points où il doit s'acquitter des redevances ou des taxes en engageant des démarches non officielles ou, lorsque le contribuable et le percepteur font des affaires ensemble.

Les acteurs sont donc essentiellement les négociants, les comptoirs agréés et les fonctionnaires de l'Etat.

On devrait d'abord comprendre qu'en dépit de la modicité de leur gain, les creuseurs ne sont pas impliqués dans la fraude de minerais.

Les négociants sont ceux qui sont les plus concernés par le contournement ou mieux l'évitement des postes frontaliers officiels ou des points d'enregistrement reconnus.

Pour garantir leurs marges bénéficiaires devant des droits, taxes et redevances exorbitants et des prix imposés par les comptoirs agréés, ils font passer leurs produits par des postes frontaliers non officiels : en pleine campagne, sur des routes secondaires ou par bateau et pirogue, en traversant le lac en des points non contrôlés et parfois la nuit.

Ceux d'entre eux qui connaissent les militaires haut placés ou des membres influents d'autres services publics recourent à l'intervention de ces derniers pour faire passer les colis au niveau des postes officiels mais sans contrôle et sans aucun paiement. Ces responsables ordonnent même aux représentants d'autres services « d'aller se promener » au moment du passage des véhicules transportant les minerais.92(*)

L'autre principal mécanisme de fraude (au fait, le plus classique), est la sous déclaration systématique du volume ou de la valeur des produits à exporter afin de payer moins de taxes. C'est la pratique la plus répandue usée par les comptoirs agréés. Les produits étant assujettis à des droits et taxes, les exportateurs « achètent », soudoient les fonctionnaires de l'Etat en leur demandant d'enregistrer une quantité ou une valeur inférieure voire de les laisser passer sans enregistrement afin de minimiser leur charge fiscale.

Certains colis peuvent de même être cachés dans d'autres marchandises. A certains points de sortie (le long du lac), les embarcations qui chargent les produits agricoles transportent en même temps des minerais (coltan, cassitérite) sans qu'on puisse déterminer les quantités exportées ni respecter la réglementation en la matière.

Ces pratiques frauduleuses sont à la base de l'économie informelle au Kivu, dans laquelle le légal et l'illégal se côtoient et se fécondent mutuellement. Une marchandise sous évaluée peut ainsi sortir ou entrer avec des documents légaux.

Mais il sied de reconnaître que le maintien des taxes élevées et multiples ainsi que les tracasseries connexes alimentent et systématisent la fraude dans laquelle les opérateurs économiques et les agents commis à l'exportation et à l'importation tirent en définitive profit et dans la durée, la fraude est devenue systémique et structurelle.93(*)

Et cela d'autant plus que dans certains pays voisins, la taxe à la sortie à l'exportation des produits miniers dont la cassitérite est quasiment nulle. Les droits de sortie à l'exportation au Rwanda sont inexistants à la seule condition que le rapatriement des devises se fasse par les banques rwandaises.94(*)

Par ailleurs, bon nombre de négociants préfèrent prendre le risque d'amener frauduleusement leurs marchandises à Kigali, où les prix d'achat sont supérieurs.95(*)

Les conséquences de ce schéma de commerce frauduleux sont multiples. Il y a d'abord la perte de recettes de l'Etat. Cette perte est remarquable à divers niveaux. Les taxes perçues ou devant l'être à l'intérieur du territoire national ne sont pas encaissées par le Trésor Public soit parce qu'elles n'ont pas été payées, soit parce qu'elles ont été sous évaluées, soit encore qu'elles ont disparu dans les poches des individus malhonnêtes.

Ensuite, l'Etat est privé de ses moyens par le non rapatriement des revenus de ses ressources exportées en dehors du circuit normal ; cela nuit sérieusement l'analyse macroéconomique et la formulation des politiques dans le pays du fait de l'inexactitude des données commerciales. Les données statistiques sur la production réelle étant faussées, la situation peut induire des distorsions importantes sur le plan politique.

Pis encore, « dans un contexte où le culte de la fraude et de la corruption est profondément enraciné ; la corruption aux racines profondes et la volonté des négociants et autres individus, à toutes les étapes de la chaîne, de se comporter de manière `informelle', vulnérabilisent considérablement les structures de gouvernance face aux abus endémiques et les rendent difficiles à réformer ».96(*)

Un tel comportement peut, à long terme, dissuader les investisseurs. Etant donné que le pays ne réapparaît plus dans les statistiques internationales, les investisseurs ont tendance à financer des projets dans les pays voisins avec, comme corollaires, la création des richesses et la résorption du chômage devant notre nez avec des produits qui sont pourtant les nôtres.

Enfin, le manque de gouvernance dont souffre ce commerce jette un doute sérieux sur la possibilité pour la population de profiter durablement des richesses minérales de son sous-sol.

IV.2 La dimension régionale du commerce des minerais.

La compréhension des contraintes qui s'imposent pour le développement adéquat de l'économie minière nécessite une mise en perspectives à différentes échelles.

Nous avons noté, ci-haut, que ni la RDC, ni le Rwanda, ni aucun autre pays producteur de matières minérales du tiers monde n'a les moyens de peser sur les prix des produits d'exportation. Ils restent très dépendants de la demande d'industries des pays du Nord qui réglementent, selon leurs besoins, et les prix et les volumes ou quantités voulus.

La « fièvre du coltan congolais » en est une illustration éloquente ; elle est montée quand les industriels l'ont voulu et elle est tombée quand ils l'ont décidé manifestant ainsi les travers d'une dépendance qui n'a pas permis que les creuseurs sortent d'une économie de survie. Et, ce qui est vrai pour le coltan l'est aussi pour les autres produits.

Nous avons noté de même la manière dont les pratiques sur les marchés des pays voisins influencent le comportement des acteurs agissant sur le marché interne à tous les niveaux.

L'analyse de tous ces aspects nous montre donc l'importance à la fois de la dimension internationale, de la dimension régionale et même des échanges transfrontaliers dans le cadre de tout commerce.

* 87 Boltanski, C., op.cit., pp. 142 et 223.

* 88 Pole Institute, Regards croisés n° 19, Goma 7/2007, p. 29.

* 89 Revue ACP n° 1936, Kinshasa le 18/9/2009

* 90 DFID, `Le Commerce au service de la Paix', document de discussion, 03/2009, p.6

* 91 DFID, Document de discussion `Le Commerce au service de la Paix', Atelier de Lusaka, 09/2007, p. 2

* 92 DFID, op.cit., p. 37

* 93 Pole Institute, Regards croisés n° 19, p. 30

* 94 Idem, p. 52

* 95 De Failly, Didier, op.cit, p. 24

* 96 DFID, 09/2007, op.cit., p. 49

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