WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Approche pluridisciplinaire de l'absentéisme maladie, de l'accidentéisme et de l'externalisation des coûts de santé au travail : Le cas d'une entreprise de la grande distribution en France : CASINO

( Télécharger le fichier original )
par Daniel SANCHIS
Université Paris I - DEA Politiques sociales et société 2006
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

C. Organisation du travail : entre « sur-travail » et « sous- emploi ».

Les travaux de la psychodynamique du travail21 ont mis en évidence le caractère décisif du besoin de reconnaissance des individus dans « la dynamique de la mobilisation subjective de l'intelligence et de la personnalité » (DEJOURS Ch. 1998 p. 37). Elle participe, dans ce sens, pleinement à la construction de l'identité des femmes et des hommes au travail. De nombreux travaux de médecins du travail, de psychologues, d'ergonomes et de sociologues ont également mis en évidence la souffrance engendrée par la multiplication des injonctions paradoxales et la perte de sens du travail qui s'en suit pour les individus.

Il existe de nombreux facteurs intervenant dans la difficulté à définir les critères de la reconnaissance de la quantité et de la qualité du travail.

L'évolution du langage est significative à cet égard. On ne parle plus, de qualification, ou d'expérience pour préférer les termes de « performance » et de « compétences ». Le « savoir être » a tendance à supplanter le « savoir faire ». Et la performance dépend de plus en plus de la capacité à s'adapter en permanence aux variations, aux aléas, aux imprévus pour réaliser les objectifs fixés. D'où un affaiblissement de la prescription du travail, dont le pendant est la montée en puissance d'une prescription d'objectifs et de responsabilités. Nous avons ainsi assisté à un désengagement progressif des hiérarchies vis-à- vis des modalités d'exécution du travail. L'organisateur a cédé la place au « manager ». La fiche de poste a été remplacée par la lettre de mission. Le spécialiste en organisation du travail ou le chronométreur prétendait connaître le travail ; le manager n'a plus cette prétention. Ses connaissances sont constituées de savoirs, sans lien avec les contenus techniques des activités qu'il doit encadrer : outils de gestion et fragments de sciences humaines constituant une sorte de technologie des services de ressources humaines.

On pourrait penser que du fait du désengagement des hiérarchies vis-à-vis des modalités de l'activité de travail, la pression du pouvoir qui lui est attachée se soit amoindrie. Or, il n'en est rien. Le contrôle ne s'est pas relâché, il s'est plutôt modifié en donnant plus d'autonomie pour gagner en contrôle social. Il s'exerce selon des modalités différentes de ce que nous connaissions antérieurement. Il est assumé par des individus plus éloignés du métier qu'autrefois (PIOTET, 2002) et il repose sur des indicateurs de plus en plus abstraits. Ces indicateurs ne sont pas neutres. Ils sont constitués, tout au long de la chaîne hiérarchique, par des indicateurs comptables pour l'activité et des indicateurs « moraux » pour les salariés. Ils sont définis, à la suite des entretiens d'évaluation, devenus de véritables « couperets » pour l'évolution de la carrière et la formalisation de l'avenir professionnel. La nouvelle logique d'approche des compétences et son volet d'évaluation à partir de valeurs telles « le savoir être », nous semble, particulièrement peu pertinente et dangereuse à cet égard.

La psychodynamique et la médecine du travail nous apprennent que la
souffrance au travail survient précisément, à partir du moment où « les
contradictions de l'organisation du travail ne trouvent plus d'issue dans le débat

21 Et en particulier les travaux de Christophe DEJOURS et d'Yves CLOT (Laboratoire de psychologie du travail du CNAM à Paris).

social et sont portées par les salariés sur le mode de l'indignité personnelle » (DAVEZIES, 2005).

À partir de là, ceux qui souffrent, ceux qui tombent malades, ce sont principalement, ceux qui ne peuvent se résoudre à laisser couler, qui prennent malgré tout au sérieux les enjeux du travail dans des situations où ces enjeux sont écrasés par les contraintes des logiques financières. Ces tensions entre normes marchandes et normes sociales qui sont vécues au coeur de l'activité, dans leurs dimensions les plus concrètes, posent des questions politiques et éthiques fondamentales auxquelles sont confrontées nos sociétés. Le paradoxe est qu'elles sont vécues, au travail, le plus souvent, dans l'isolement et donc traitées comme témoignant de défaillances personnelles, avec un sentiment de honte.

Les exigences de libéralisation et de globalisation des marchés financiers, depuis les années 70, ont entraîné une irruption des logiques financières dans l'organisation du travail et dans la gestion des hommes, qui s'est traduite par une course permanente à la réduction des coûts et à la progression de la productivité apparente du travail. Nous touchons là, les ressorts de l'un des paradoxes de la période : alors que les dimensions qualitatives prennent une importance croissante dans l'activité, les modes d'évaluation purement quantitatifs, statistiques, comptables, les évaluations en termes de débit qui sont ceux de la chaîne taylorienne tendent à être appliquées à l'ensemble des activités. Comme le disait Pierre Bourdieu : « on voudrait nous faire croire que c'est le monde économique et social qui se met en équations » (BOURDIEU, 1998, p. 41).

Le caractère réducteur de cette approche se traduit par l'ignorance des managers des dimensions de l'activité qui ne s'expriment pas en termes de valeurs marchandes.

Ce processus a des conséquences qui vont donner un caractère dramatique à cette évolution. Dans ces conditions de pression à « l'abattage » et de restriction sur les moyens, de nombreux salariés culpabilisent de ne pas réussir à maintenir le niveau de qualité qu'ils estiment nécessaires pour leur travail. A tous les niveaux hiérarchiques, on peut rencontrer des salariés qui ne se reconnaissent plus dans les formes dégradées imposées à leur activité au nom des contraintes économiques, ce qui engendre une conflictualité autour des critères d'évaluation de la qualité du travail :

· D'un côté, le management avec une position très claire mais peu comprise : La qualité, c'est la qualité pour le marché et dans le temps du marché : « La qualité totale », l'excellence, c'est le juste nécessaire. En faire plus qu'il n'est nécessaire pour vendre, c'est gâcher des ressources collectives.

· Pour les salariés, la qualité renvoie à des critères d'efficacité technique, « le bel ouvrage », de développement de la création de richesse, de justice et d'authenticité.

Celui qui prétend faire plus, au nom des normes de son métier et de ses propres conceptions éthiques est suspecté de satisfaire des exigences personnelles. Il se fait plaisir. Il manifeste une attitude individualiste. Ainsi, les salariés sont en permanence incités à abréger, à en rabattre sur la qualité, au nom d'évaluations focalisées sur des normes de débit, sur les délais de réponse, sur les temps d'attente et, au bout du compte, sur le résultat

d'exploitation. Les salariés se voient encouragés à utiliser des techniques qui leur permettent, par exemple, de se débarrasser d'un client trop exigeant (et donc non rentable) ; techniques qu'ils connaissent, auxquelles ils ont parfois recours mais qu'ils considèrent comme des pratiques honteuses qu'ils réprouvent. Et tout cela est exprimé à travers des discours franchement paradoxaux puisque les exigences de qualité sont en même temps, toujours réaffirmées.

Cette problématique tend à se généraliser parmi toutes les catégories de salariés. Elle atteint des salariés appartenant à des catégories autrefois à l'abri, qui éprouvent également des sentiments d'amputation de leur professionnalisme. A travers le sort qui est fait à leur investissement dans le travail, à leur intelligence, à leur éthique, les salariés ont de plus en plus le sentiment d'une inadaptation de leurs valeurs aux exigences de leur travail à partir de l'impression, plus ou moins inconsciente de perte, ou tout du moins, de la réduction de leur capacité d'agir et donc du sens de leur travail et du travail dans leur vie.

De telles situations modifient considérablement les représentations sur le travail et pèsent sur le rapport salarial et le climat social. Dès lors que ce qui est en jeu, c'est le sentiment de faire un mauvais travail, il est difficile d'en débattre sans s'exposer immédiatement à une accentuation du contrôle par la hiérarchie. Chacun se débrouille comme il le peut avec les manquements et les entorses aux règles de son métier. Les repères communs définissant « un bon employé » s'estompent, des dissensions surgissent entre collègues, le sentiment d'appartenance à un groupe tend à se dissoudre et avec lui les liens de solidarité, la capacité collective à affirmer le point de vue du travail face à l'abstraction croissante de la prescription. A la mesure de cet affaiblissement, s'installe une extrême sensibilité (voire agressivité) aux remarques de la hiérarchie, du public ou des collègues.

C'est là que la pathologie peut se nourrir, à partir de la généralisation d'une souffrance qui ne trouve pas l'écoute et la valorisation dont les individus ont besoin.

Il faut bien constater que la plupart des réponses proposées par les « professionnels du psychisme » tendent à cultiver une démarche d'individualisation, de culpabilisation et de psychologisation de ces problèmes.

Les directions d'entreprise, recherchent des réponses à la souffrance dans les multiples formes de gestion du stress, de développement personnel et de coaching qui prolifèrent sur le marché pour leur encadrement et plus généralement pour le personnel qu'ils considèrent, comme stratégique. Il faut bien admettre, que pour les opérateurs considérés comme interchangeables, ce sont des solutions d'externalisation qui sont privilégiées (sous-traitance, aide à la création d'entreprise individuelles, « out placement », licenciement, etc.).

Du côté des salariés, on peut remarquer des réactions plus ou moins violentes de repli sur soi. D'une victimisation favorisée par la mode du « harcèlement moral », aux cas extrêmes de suicide ou de vengeances violentes sur les individus qui personnalisent leur souffrance, on assiste à des dérives qui trouvent difficilement une explication rationnelle pour ceux qui ne connaissent pas en détail les itinéraires et les histoires individuelles des concernés. Il convient, également de souligner, l'augmentation de certaines pratiques addictives (drogues, alcool, tabac, etc.) qui montrent la difficulté des individus à assumer un mal être, d'autant plus difficile à admettre consciemment, qu'il

s'accompagne de la culpabilisation que fait naître le sentiment d'impuissance.

Dans les deux cas, il s'agit d'approches déconnectées des enjeux subjectifs de l'activité par essence collective. Centrées sur l'individu dont elles prétendent résoudre les problèmes, elles s'inscrivent dans le droit fil de l'idéologie libérale ambiante.

On peut reprendre l'analyse d'Yves CLOT (1998, p.5) sur les organisations du travail actuelles, fondées sur une équivoque de la pensée managériale à la mode. Le paradoxe est formulé entre :

D'un côté, « ce souci lancinant des gestionnaires d'intensifier le rapport subjectif au travail »,

De l'autre, « cette même activité est regardée le plus souvent comme le résidu temporaire de la modernisation ».

Ce paradoxe, lui permet d'ordonner la condition salariée contemporaine autour de deux catégories symétriques : le « sur-travail » et le « sous-emploi ».

· « Sur-travail », parce que l'intensification de celui-ci apparaît comme une constante dans toutes les activités en tant que composante essentielle de la productivité apparente du travail pour ceux qui ont un emploi.

· « Sous-emploi » parce que le recours croissant à la flexibilité externe et interne instaure, de manière structurelle une catégorie de salariés sans emploi ou avec un emploi précaire (temps partiel non choisi, CDD, stages aidés, intérim, etc.).

Nous reprenons cette typologie, qui nous semble particulièrement bien adaptée aux pratiques de la grande distribution et qui permet d'explorer la nouvelle hiérarchie sociale qui tend à se structurer dans les entreprises.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault