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Le discours religieux en Tunisie: L'exemple de la communauté juive

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par Sadek MTIMET
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis ( Université Al-Manar) - Master en sciences poltiques 2007
  

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§ I - Le statut juridique : du dhemmi au citoyen

Au milieu du XIX siècle, la condition de la Communauté juive de Tunisie ne différait guère des siècles précédents . Les juifs étaient encore soumis au statut que l'Etat beylical réserva à ses protégés, ahl al-dhimma, exception faite pour ceux qui relevaient de puissances étrangères ou ceux qui détenaient des patentes de protection .

Cependant , deux données juridiques ont bouleversé le statut légal des juifs en Tunisie vis-à-vis de l'Etat beylical : d'une part le Pacte fondamental ( A ) octroyé par le Bey à ses sujets tunisiens et qui a libéré les juifs du pacte de la dhimma devenu déjà caduque depuis longtemps; d'autre part la naturalisation française ( B ) établie par la loi française du 20 décembre 1923 et qui s'est étendue curieusement sur le territoire tunisien portant atteinte à la souveraineté du Bey et violant l'esprit du traité du protectorat de 1881.

Les deux articulations juridiques ont touché profondément la Communauté juive en Tunisie dans son statut légal . Les conséquences directes étaient palpables sur le discours religieux juif en Tunisie qui s'est vite adapté au gré des événements . La conjoncture politique a influé sur l'octroi et l'établissement de ces deux textes juridiques

A - Le Pacte fondamental de 1857

En Tunisie, et dès le règne d'Ahmed Bey (1837-1855 ), une idée « révolutionnaire » commença à se répandre selon laquelle l'action politique et le volontarisme tenace pouvaient mettre à bas le statut d'exception . Le XIX siècle représente en Tunisie une véritable rupture dans l'univers mental de la Communauté juive, rupture qui brise le vieux monde de la soumission à l'ordre des choses . Il s'agit d'une mutation significative dans la culture politique et un abandon d'un habitus enraciné depuis des siècles . ( 1 )

L'octroi et l'établissement du Pacte fondamental était en réalité le fruit de l'ingérence française et des puissances étrangères dans la Régence . Il a fallu un incident s'apparentant au "fait divers" pour le déplacer au "fait majeur" et son instrumentalisation dans un but politique notoire . Un cocher juif, Battu Sfez, en état d'ivresse, eut une altercation avec un musulman . La dispute s'envenimait par l'échange des propos vifs. Le musulman accuse son rival d'avoir maudit la religion . Alors le charrutier, malmené par une foule fanatisée, fût arrêté, jugé ( sur la base d'un témoignage reçu devant notaires et établi dans un acte ) et condamné à la peine capitale pour blasphème (2). Il est exécuté en juin 1857. La rigueur de la peine soulève une vive

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------(1) Taieb J., op. cit. p. 136 (2) Sebag P., op cit, p.117

émotion au sein de la population juive terrorisée par cette manifestation de fanatisme. Les consuls de France et d'Angleterre à Tunis en tirent argument pour demander au Bey de s'engager dans la voie des réformes libérales.

Les pressions de plus en plus vives amènent le Bey à proclamer le 10 septembre 1857 une déclaration sous le nom de la charte de 'Ahd al-'amân, littéralement le « Contrat de sécurité », plus connu sous le nom de Pacte fondamental . C'est une déclaration de principes qui accordaient de larges garanties à tous : nationaux et étrangers, qu'ils soient musulmans, juifs ou chrétiens .

Il faut dire, au passage, que Tunis connaissait, à cet époque, un climat intellectuel favorable aux réformes dû à la conjoncture internationale et au souffle rénovateur qui traversait l'ensemble des pays musulmans . Déjà, Ahmed Bey (1837-1855) a entrepris des réformes de l'enseignement à travers l'école militaire du Bardo et l'université Zeïtouna qui ont participé à la formation d'une élite de réformateurs tels que Ahmed Ibn Abi Dhief , le général Hussein , etc.(1) . Toutes ces circonstances étaient imbriquées pour l'émergence d'un nouveau discours politique et le changement de la situation socio-légale dans la Régence . Mais la redondance du système politique et l'autoritarisme du pouvoir beylical se sont ébranlés subitement par le " fait divers " de l'exécution sommaire du cocher juif. Le processus des réformes est alors déclenché par injonction et par des forces extérieures de surcoit.

Porteur d'une nouvelle conception, le Pacte fondamental doit instaurer en principe les bases d'une nouvelle politique qui a pour finalité de changer les relations du pouvoir politique avec la société, relations qui reposaient sur le pouvoir absolu du Bey . Le Pacte est composé d'un préambule, onze articles et un serment où sont exposés les nouveaux principes adoptés par l'Etat beylical qui vont constituer les fondements de sa politique future . Celle-ci garantira les droits auxquels aspire tout un chacun et consacrera la trilogie constitutionnaliste : liberté , égalité et propriété (2)

Mais, si le Pacte s'adressait à toute la société , il n'en demeure pas moins qu'il a accordé une importance plus particulière à la situation des non-musulmans et plus précisément à celle des juifs , les chrétiens européens sont déjà protégés par le système des capitulations . En fait, il constitue l'aboutissement des actions engagés par l'élite juive et la réussite du nouveau discours religieux revendicatif juif auprès du Makhzen et des puissances étrangères .

(1) Ben Rejeb R., " La question juive et les réformes constitutionnelles en Tunisie " in Juifs et musulmans , fraternité et déchirements , Fellous S., Dir de, Paris, Somogy ed., 2003, p.133 (2) Chekir H., Les sources d'inspiration de la Constitution tunisienne de 1861, in Le choc colonial et l'islam , Luizard P.-J., (Dir de ) , Paris, La découverte, 2006, p.75

Ce Pacte, qu'Ahmed Pacha Bey (1855-1859) jura de respecter, annonçait aux juifs une ère nouvelle et mettait fin aux discriminations vexantes dont les juifs avaient eu jusque-là trop souvent à souffrir . Parmi les onze articles constituant le corps du texte du Pacte, six articles (plus que la moitié ) sont consacrés, d'une façon explicite ou implicite, aux juifs . L'article 1er donne l'assurance de vivre en paix " à tous les habitants de notre Etat , quelles que soit leur religion ". L'article IV est plus explicite dans la reconnaissance d'une complète liberté religieuse en stipulant que " Nos sujets juifs ne seront pas empêchés dans l'exercice de leur culte ".. Quant à l'article VIII, il est clair dans sa formulation lorsqu'il évoque que :" Tous nos sujets, musulmans ou autres, seront également soumis aux règlements ....en vigueur dans le pays ". Le principe de l'égalité de tous les sujets du royaume sans distinction de religion , excluait que les juifs fussent assujettis à une imposition spéciale . Le chapitre III du Pacte met fin à l'interdiction qui était faite aux juifs tunisiens d'accéder à la propriété immobilière : " Tous nos sujets , quelle que soit leur religion, pourront posséder des biens immeubles ..". L'article VI du Pacte prévoit la nomination d'assesseurs juifs dans le cas où le tribunal , en matière pénale , aurait à traiter des affaires dans lesquelles sont impliquées des sujets juifs .

L'article VII a retenu la même disposition quant à la composition des tribunaux de commerce (1). On leur reconnaissait implicitement le droit d'accéder aux fonctions publiques L'article 78 de la constitution de 1861 énonce que : "Tout sujet tunisien qui n'aura pas été condamné à une peine infamante pourra arriver à tous les emplois du pays s'il en est capable"

Mais si l'entrée en vigueur de ces réformes avait créé un climat d'optimisme et de confiance au sein de la Communauté juive, parce que leur application contribuait à l'amélioration de leur situation, elle a déchanté quelques années plus tard, lorsque ces réformes furent suspendues . En fait, la suspension de la constitution de 1861 n'est pas due uniquement à la révolte de 1864 mais il s'avère que cette expérience moderniste reposait dès le départ sur des fondations peu solides et portait les germes de son échec . L'établissement du Pacte fondamental et l'octroi de la constitution étaient le fruit principalement de l'ingérence française et anglaise dans la Régence pour asseoir leur pénétration dans le marché tunisien et le partage précoce du patrimoine de " l'homme malade, l'empire ottoman . Le contexte dans lequel est apparue cette constitution explique aussi bien son renom que les conditions de sa suspension (2) en 1864.

Le soulèvement d'Ali ben Ghedahem en 1864 amena le Bey à suspendre la constitution de 1861 et les institutions qui en dépendent . Toutefois, l'égalité devant l'impôt, le droit à la propriété, la suppression de la différenciation vestimentaire pour les juifs en Tunisie, furent des conquêtes que la suspension du Pacte fondamental de 1857 et de la constitution de 1861 n'arriva pas à annuler.(3)

(1) Chekir H., op. cit., p. 78 (2) Ibid, p. 71 (3) Sebag P., op cit, p.121

Toutefois, l'échec des réformes constitutionnelles a amorcé une autre phase dans le discours religieux revendicatif pour faire évoluer la situation des juifs et conduire à l'émancipation de nombre d'entre eux . Cette émancipation se situera à deux niveaux :

- En premier lieu, n'ayant plus aucune couverture légale des droits réalisés (égalité d'imposition fiscale, droit de propriété, etc. ) donc susceptibles d'être retirés à tout moment, les juifs tunisiens reprenaient de nouveau la demande de protection des consuls étrangers . Ce phénomène s'amplifia à partir de 1864 et l'Etat beylical ne put le contrer malgré ses protestations auprès des consuls . Les patentes se distribuaient au gré des demandeurs juifs tunisiens qui en profitaient et qui constituaient , en même temps, une clientèle pour les puissances étrangères à travers leurs consuls accrédités.

- En second lieu, cet appel pour la protection étrangère était soutenu par une élite de juifs livournais et français qui trouvaient appui auprès de l'Alliance israélite universelle (A.I.U.) . Cette dernière , luttant pour l'émancipation des juifs opprimés à travers le monde, fonda un comité local en Tunisie en 1864 et réussit à aider les juifs à se rapprocher de l'Europe en intervenant auprès des consuls pour qu'ils bénéficient des patentes de protection . Aussi, ce comité local de l'A.I.U. a installé auprès de la Communauté juive en Tunisie les bases d'un enseignement moderne qui "instruirait et rendait consciencieux"(1). Il faut dire, qu'après l'échec des réformes de 1857 et de 1861, les juifs en Tunisie n'avaient plus aucun espoir dans une émancipation provenant de l'intérieur . En effet, au-delà du Pacte fondamental et de la constitution, comme textes garantissant les droits sociaux, politiques et économiques, demeurait une situation de fait qui n'était pas déterminée par la situation de droit (2).

Lente mais certaine, le discours juif revendicatif du XIX siècle a atteint ses buts malgré les vicissitudes et les contre temps et ce à travers trois facteurs :

+ La situation des juifs en Tunisie bénéficia, à cette époque, des rivalités entre l'Angleterre, l'Italie et la France qui se disputaient la prépondérance politique en Tunisie . Ces trois puissances prenaient souvent , dans un but politique , la défense des juifs tunisiens, toujours victimes des préjugés religieux : la France surtout intervenait en leur faveur, couvrant de protection consulaire nombre de juifs indigènes (3) par l'attribution des patentes de protection ..

+ La Commission financière internationale, chargée de percevoir certains revenus concédés par l'Etat tunisien (douanes et monopoles) et de désintéresser les créanciers , qui fut imposée

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(1) Ben Rejeb R., op cit , p 140. (2) Ben Rejeb R., op cit p 140 (3) Chalom J., op cit , p 29 (1869-1883),

à la Tunisie par l'Angleterre, l'Italie et la France fonctionna avec le concours des juifs, dont beaucoup étaient, à Paris ou à Tunis, les plus importants prêteurs du Bey (1).

+ Par ailleurs , l'influence française trouve , en Tunisie, dans la population juive un très utile instrument . La grande majorité des juifs de Tunisie souhaitent une occupation française et s'y préparait . En 1877, l'A.I.U. de Paris créa à Tunis un comité régional qui a fondé une école où devait être donné l'enseignement du français et que la France prit sous sa protection par l'ouverture d'une souscription au consulat de France à Tunis en sa faveur (2) .

La progression vers l'émancipation pour les juifs en Tunisie se déployait selon diverses stratégies : acquisition des droits auprès des autorités beylicales, politique de protection par l'obtention des patentes de protection auprès des consuls et naissance d'un enseignement moderne qui facilite la marche vers l'Occident . La politique de protection ne tarda pas à évoluer en naturalisation, surtout vers la fin des années 1860. Lorsque "l'occupation" française de la Tunisie s'accomplit en 1881, " un vaste espoir gonfla le coeur des israélites"(3). Ils espéraient que la nation de 1789 alla les émanciper politiquement et moralement .

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote