B. La révolution de l'arrêt Francovich et le
développement postérieur.
35.- Selon M. Simon, l'arrêt Francovich
représente un véritable arrêt de principe36.
L'arrêt Francovich représente la première
décision de la Cour de justice des Communautés européennes
imposant le principe communautaire de la responsabilité des États
membres pour les violations du droit communautaire37. De même,
la Cour a énoncé clairement que le principe de la
responsabilité de l'État trouve « directement son fondement
dans le droit communautaire »38.
36.- Dès lors, le principe de la responsabilité
a un caractère communautaire, non plus seulement un concept national. La
Cour de justice a jugé dans cet arrêt que « le principe de la
responsabilité de l'État pour les dommages causés aux
particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables
est inhérent au système du traité »39.
37.- Le juge national doit trancher la responsabilité
de 1 'État en cas de violation du droit communautaire en vertu des
dispositions communautaires. Pour Mme Chahira Boutayeb, une telle
reconnaissance dans l'arrêt Francovich était loin
d'être acquise au regard du principe d'autonomie institutionnelle et
procédurale dont pouvaient se prévaloir aisément les
États membres40.
38.- En outre, la Cour de justice a énoncé
trois conditions au droit à réparation : la violation du droit
communautaire doit être imputable à l'État, l'existence
d'un dommage résultant de l'atteinte portée à un droit du
particulier et un lien de causalité entre la violation et le
dommage41.
39.- Par la suite, la Cour a précisé le
régime et les conditions d'engagement de la responsabilité des
États membres du fait de la violation communautaire dans l'affaire
Brasserie du pêcheur ( à propos de la
responsabilité du législateur ). En effet, la Cour a jugé
que « l'obligation de réparer les dommages causés aux
particuliers par les violations du droit communautaire ne saurait
dépendre des règles internes de répartition des
compétences entre les pouvoirs constitutionnels » 42 . C'est dans
cette décision que la Cour de justice précise les conditions
d'engagement de la responsabilité des États membres. Elle a
énoncé que la violation doit être
36 D. SIMON, « Droit communautaire et responsabilité
de la puissance publique - Glissements progressifs ou révolution
tranquille? », op. cit., sp. p. 236.
37 CJCE, 19 novembre 1991, Francovich et Bonifaci,
op. cit., n° 37: « Le droit communautaire impose le principe
selon lequel les États membres sont obligés de réparer les
dommages causés aux particuliers par les violations du droit
communautaire ».
38 Ibid, n° 41.
39 Ibid, n° 35.
40 C. BOUTAYEB, Droit européen : Institutions, ordre
juridique, contentieux, op. cit., p. 285.
41 CJCE, 19 novembre 1991, Francovich et Bonifaci, op.
cit., n° 40.
42 CJCE, 5mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame
III, op. cit., n° 33.
suffisamment caractérisée. Cette condition a
été précisée comme « la méconnaissance
manifeste et grave par un État membre comme par une institution
communautaire, des limites qui s'imposent à son pouvoir
d'appréciation »43.
40.- Lors de l'affaire Köbler la Cour de
justice s'est prononcée directement sur la responsabilité de
l'État du fait de la violation du droit communautaire par une
juridiction statuant en dernier ressort44. De même, la
responsabilité de l'État membre dépend de
l'appréciation par la Cour de justice de la notion de « violation
suffisamment caractérisée » du fait d'une fonction
juridictionnelle. Dans cet arrêt, la Cour de justice offre un faisceau
d'indices en précisant la deuxième condition pour
déterminer l'existence d'une violation
caractérisée.45 La violation du droit communautaire
peut résulter de la constations de la violation de l'obligation du
recours à la procédure du renvoi préjudiciel ou d'une
méconnaissance manifeste d'une de ses décisions
préjudicielles d'interprétation.46
41.- Dans son arrêt plus récent Traghetti
del Mediterraneo ( ci-après TDM)47 du 13 juin 2006, la
Cour de justice a confirmé et précisé la solution
posée par l'arrêt Köbler. Dans le litige d'origine,
TDM demandait la réparation du dommage causé par la violation des
règles de concurrence du droit communautaire devant la juridiction de
Naples. Le juge italien rejetait la demande de TDM en interprétant du
droit italien. En droit italien, du fait des interprétations du droit
par les juridictions ne peut pas causer la responsabilité de l'Etat. Le
tribunal de Gênes a posé une question préjudicielle
à la Cour de justice afin de savoir si le droit italien était ou
non conforme au droit communautaire.
42.- L'arrêt Traghetti del Mediterraneo va
plus loin dans le raisonnement. Dans cet arrêt, la Cour de justice admet
que la violation du droit communautaire imputable à une juridiction
suprême qui peut « résulter une responsabilité de
l'État membre découle d'une interprétation des
règles de droit ou d'une appréciation des faits effectués
par le juge national, limite par ailleurs cette responsabilité aux seuls
cas du dol et de la faute grave du juge »48. La Cour de justice
énonce que « le droit communautaire s'oppose à une
législation nationale qui exclut, de manière
générale, la responsabilité de l'État membre pour
les dommages causés aux particuliers du fait d'une violation du droit
communautaire imputable à une juridiction statuant en dernier ressort au
motif
43 Ibid, n° 55.
44 CJCE, 30 septembre 2003, Köbler c/ Autriche,
op. cit., n° 33.
45 Ibid, n° 55.
46 V . A.-S. BOTELLA, « La responsabilité du juge
national », op. cit.
47 CJCE, 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo,
op. cit.
48 Ibid, n° 24.
que la violation en cause résulte d'une
interprétation des règles de droit ou d'une appréciation
des faits et des preuves effectuées par cette juridiction. Le droit
communautaire s'oppose également à ce qu'une législation
nationale qui limite l'engagement de cette responsabilité aux seuls cas
du dol ou de la faute grave du juge, si une telle limitation conduisait
à exclure l'engagement de la responsabilité de l'État
membre concerné dans d'autres cas où une méconnaissance
manifeste du droit applicable, telle que précisée aux points 53
à 56 de l'arrêt Köbler, précité, a
été commis »49.
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