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L'ordre public pénal et les pouvoirs privés économiques

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par Joseph KAMGA
Université de Nice Sophia Antipolis - Master 2 recherche en droit économique 2008
  

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Titre 2 : Une régulation pénale déficiente des pouvoirs privés économiques.

Le droit pénal des affaires, création relativement récente, s'est développé à partir de la fin des années 1960 sous l'influence conjuguée d'un certain nombre de facteurs qui ont abouti à la situation actuelle. La tradition colbertiste et interventionniste de l'Etat français a conduit le législateur à pénaliser un certain nombre de pratiques et comportements économiques inadmissibles. C'est reconnaissant in fine les pouvoirs privés économiques sous l'appellation « d'acteurs transnationaux », que les Etats ont par divers techniques régulé sur le plan répressif leur nouveau cadre d'activité : le marché mondial.

Soucieux de doter d'un minimum d'efficacité les interdictions qui ont été imposées à ces acteurs nouveaux de ce cadre nouveau, les Etats ont choisi la voie pénale pour réprimer toute inobservation. Mais la tâche et les résultats ne s'annoncent toujours pas satisfaisants, l'analyse révèle des insuffisances dans la régulation répressive de ces nouveaux acteurs.

Quoiqu'il en soit, ces insuffisances se manifestent moins sur le plan matériel (chapitre 1) que formel (chapitre 2).

Chapitre 1 : L'ordre public pénal substantiel de régulation des pouvoirs
privés économiques.

Au point de vue matériel, le droit pénal encadre les pouvoirs privés économiques sous l'angle des atteintes à la libre concurrence, qui sont des pratiques nuisibles aux valeurs du marché (section 1), mais aussi réprime les atteintes aux valeurs non marchandes commises par les acteurs du marché (section 2).

Section 1 : Une répression perfectible des atteintes à la libre concurrence.

Ici plus qu'ailleurs, le droit pénal se montre très méfiant à l'endroit des pouvoirs privés économiques dans ce qu'ils ont de dangereux pour leurs principaux destinataires : les consommateurs et les contribuables. Les enjeux d'un encadrement accru sont réels et vitaux pour la communauté62. Plus que la répression des manquements relatifs au droit des sociétés ou du travail, le droit pénal saisi et révèle les pouvoirs privés économiques en réprimant les pratiques anticoncurrentielles (§1) et la corruption internationale63 (§2).

§1- Une répression effective des pratiques anticoncurrentielles.

Le droit de la concurrence est révélateur même des pouvoirs privés économiques. De l'avis du Professeur Gérard FARJAT, il a été inventé contre eux. Pour le démontrer, il convient d'étudier la position du droit pénal au regard des pratiques anticoncurrentielles. Le but visé par la répression ici est d'augmenter l'efficacité du droit de la concurrence.

Le choix de la voie pénale est motivé par les arguments contredisant ceux avancés en faveur de la sanction par voie administrative, jugée peu efficace. Comparées à celle-ci, les sanctions pénales sont plus dissuasives. Ceci vaut particulièrement pour les peines privatives de liberté, peu de directeurs ou d'employés étant enclins à courir un risque d'emprisonnement pour leur entreprise. Cette dissuasion peut-être mise en évidence tant droit anglo-saxon qu'en

62 Voir supra, chap. 1 du titre 1

63 F. Jenny, Corruption et pratiques anticoncurrentielles, in Pratiques et contrôle de la corruption, Association d'économie financière, J. Cartier Bresson, p. 195 et s.

droit français. C'est ainsi que la UK Enterprise Act de 2002 a introduit des sanctions pénales pour les personnes physiques seulement-et non pour les personnes morales-qui ont convenu des pratiques anticoncurrentielles avec d'autres personnes physiques. De même, par le Sherman Anti-trust Act du 2 juillet 1890, le législateur américain a tenté de limiter les comportements anticoncurrentiels des entreprises. La première section du Sherman Act prohibe les ententes illicites qui restreignent les échanges et le commerce, la seconde section sanctionne les monopoles et les tentatives de monopoliser plus connues sous l'expression d'abus de position dominante64.

Les contraventions aux dispositions du Sherman Act donnent lieu à des poursuites pénales et les coupables sont passibles d'une amende de 5 000 dollars américains et/ou d'une peine de un an d'emprisonnement. Mais, les peines prévues par le Sherman Act ont été progressivement augmentées pour atteindre 100 millions de dollars d'amende pour une entreprise et à dix ans d'emprisonnement pour une personne physique, notamment les dirigeants, ce qui est de nature à renforcer l'efficacité du droit de la concurrence. Le Sherman Act est codifié à l'article 15 (§ 1 à § 7) de l'United States Code (U.S.C.)65. C'est ainsi qu'à partir de 1982, IBM fit l'objet d'une instruction sur le fondement du Sherman Act, mais les poursuites furent abandonnées. Microsoft fut également poursuivie pour infraction au Sherman Act à partir de 1991. Les poursuites furent aussi abandonnées après une transaction en 1994 sous la présidence de George Hebert Walker Bush.

Pendant longtemps, la Cour suprême a considéré que le Sherman Act ne prohibait pas toute restriction de la concurrence, mais seulement celles qui s'avèrent déraisonnables, car tout partenariat peut être perçu comme étant une restriction à la concurrence, ce qui peut conduire à une atteinte à la liberté des commerçants. Par ailleurs, certains actes sont systématiquement considérés comme étant nuisibles à la concurrence. Il peut s'agir des ententes, qui ne peuvent, lorsqu'elles sont établies, échapper à la sanction. Toutefois, les poursuites pénales sont en général limitées aux violations intentionnelles et

64 La loi américaine porte le nom du Sénateur John Sherman de l'Ohio qui s'éleva contre le pouvoir émergent de certaines entreprises constituées en quasi-monopoles : « Si nous refusons qu'un Roi gouverne notre pays, nous ne pouvons accepter qu'un Roi gouverne notre production, nos transports ou la vente de nos produits. » L'expression d'"anti-trust" vient du fait que la proposition de loi visait à contrer les agissements d'un groupe pétrolier, la Standard Oil, qui était constitué en "trust" et non sous la forme d'une société dont les droits étaient, à l'époque, limités. Ironiquement, lorsque la Standard Oil fut démantelée, elle avait pris déjà la forme d'une société et le Sherman Antitrust Act ne s'appliqua plus guère aux trusts. Il est complété par le Clayton Antitrust Act de 1914.

65 U.S. Department of Justice: Division Antitrust - Texte du SHERMAN ANTITRUST ACT, 15 U.S.C. §§ 1-7

flagrantes notamment lorsque les concurrents fixent les prix en commun accord. C'est dans la même visée que les États-Unis, tout comme le Japon par l' « Anti-monopoly act », sanctionne pénalement la personne morale pour infraction anticoncurrentielle. La France quant à elle punit par l'article L. 420-6 du Code de commerce les pratiques anticoncurrentielles. Les personnes physiques ayant pris frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en oeuvre de telles pratiques encourent 4 ans d'emprisonnement et une amende de 75 000 €. Mais à l'observation, cette incrimination n'a pas reçu une application abondante comme en atteste l'affaire des ententes illicites des opérateurs de réseaux mobiles66. Ce texte n'a reçu que de rares applications. C'est assurément pour enrayer ces divergences dans la mise en oeuvre des mesures destinées à débusquer les ententes injustifiables que l'OCDE estime que les pays devraient chercher des moyens d'accroître encore les amendes imposées aux entreprises, et envisager d'introduire des sanctions contre les individus y compris des sanctions pénales. C'est sans doute l'un des fondements sur lequel les États-Unis font pression depuis longtemps pour obtenir l'harmonisation des lois antitrust, particulièrement avec les pays qui partagent leurs objectifs antitrust et qui sont dotés de tribunaux connaissant bien ce domaine du droit. Le Royaume- Uni, l'Union européenne et les pays du Commonwealth (notamment l'Australie et le Canada) collaborent dans le cadre d'initiatives visant à coordonner les poursuites visant les cartels internationaux.

Cette démarche a pour objectif de rendre plus vertueux les opérateurs du commerce international et de préserver une saine concurrence entre acteurs de taille et d'importance inégales. Un effort en vue d'assainir le commerce transfrontalier et de faire de la loyauté le socle de la compétition commerciale débarrassée de toute corruption.

66 Décision 05-D-65 du 30/11/2005

Le Conseil de la concurrence a sanctionné les trois opérateurs mobiles, Orange France, SFR et Bouygues Télécom pour avoir mis en oeuvre deux types de pratiques d'entente ayant restreint le jeu de la concurrence sur le marché, révélées par une enquête réalisée à la suite d'une auto saisine du Conseil du 28 août 2001 et d'une saisine de l'UFC-Que Choisir du 22 février 2002. Le montant total des sanctions prononcées est de 534 millions d'euros : Orange France 256 millions d'euros, SFR : 220 millions d'euros, Bouygues Télécom : 58 millions d'euros.

§ 2-Une répression de la corruption transnationale en devenir.

Tout comme les pratiques anticoncurrentielles, la corruption est constitutive de fraude à la saine concurrence, elle porte atteinte aux règles du jeu du marché. Elle est chargée de beaucoup d'autres vices au regard du droit pénal. Portant gravement atteinte à la libre et égale compétition entre opérateurs dans le commerce international, la corruption apparaît de nos jours comme le plus grand fléau du commerce international : « il apparaît désormais que les besoins du commerce international demandent davantage d'égalité entre les concurrents »67. Ce phénomène n'est plus exclusivement national, il trouve un écho dans les relations économiques tant nationales que transnationales.

La multiplication des échanges, fruit de l'internationalisation de la vie des affaires, donne lieu à une véritable guerre économique. Les arguments de vente ne correspondent plus qu'en partie aux règles du marché : échange des contrats contre la protection militaire et diplomatique, corruption des dirigeants d'entreprise, de l'administration et de l'élite politique. Les opérateurs du commerce international en avaient fait un véritable mode de gestion des relations commerciales internationales, les pots-de-vin à l'étranger étant même déductibles fiscalement dans certains pays exportateurs. Le contexte juridique jusqu'ici n'était que national puisque ce n'était que par le biais des législations nationales que la corruption pouvait être réprimée.

Trouvant un terrain d'élection favorable dans la compétition commerciale internationale, caractérisée par l'importance des gains pour lesquels bataillent les grandes entreprises entre elles, la corruption nuit gravement au jeu concurrentiel censé départager les acteurs. Et James Wolfensohn de déclarer : « la corruption détourne l'argent vers les plus riches, accroît le coût de toutes les activités, provoque de graves distorsions dans l'utilisation des ressources collectives et fait fuir les investissements »68. Ce propos est fondé sur le fait que dans les rapports entre les investisseurs et les responsables des pays d'accueil des investissements, les entrepreneurs ne sont plus en situation de concurrence permettant à chacun de donner le meilleur de lui-même afin de remporter le marché, ce dernier étant tronqué par un intermédiaire, des pots-de-vin, des versements sur un compte à l'étranger.

67 M. Delmas-Marty, "Les figures de l'internationalisation en droit pénal des affaires : aplanir le terrain de jeu", in : Rev. sc. crim., octobre-décembre 2005, n° 4, doctrine, p.735-738.

68 http://www.rfi.fr/Kiosque/Mfi/Economie/Developpement

C'est certainement parce qu'elle entrave gravement le développement du commerce international, en faussant la concurrence, en majorant les coûts de transactions et en sapant les fondements des marchés libres et ouverts, que ce fléau constitue l'un des axes dans lequel le droit pénal a révélé les pouvoirs privés économiques. En effet, la corruption a fait peur aux Etats, en termes de coût, notamment aux États-Unis. Suite aux scandales, parmi lesquels l'affaire Lockheed, les américains ont mis en place une législation relative à la corruption dans les affaires internationale s69. La prise de conscience initiale fut donc américaine avec en 1977 l'adoption du « Foreign Corrupt Pratice act »70.

Des progrès ont été récemment faits au sein de l'organisation pour la Coopération et le Développement Économique (OCDE) avec la signature le 17 Décembre 1997 d'une convention réprimant la corruption d'agents publics étrangers entrée en vigueur le 15 février 1999. En effet, étant dans une situation délicate, les Etats-Unis ont de ce fait à plusieurs reprises fait pression sur l'Europe à agir dans le domaine de la corruption. Ce n'est qu'au niveau de l'OCDE que les mesures ont pu voir le jour. Sans doute, l'OCDE a constaté que dans leurs relations avec les pays du Sud ; les entreprises se battant pour obtenir des contrats importants ne s'interdisent rien71.

A l'évidence, les conséquences de la corruption sont donc graves pour la société internationale en ce que les entreprises vertueuses seraient évincées de la compétition si rien n'est fait. C'est pourquoi, les autorités de différents pays ont réaffirmé leur volonté d'enrayer ce fléau. Et comme pour tout ce qui touche au commerce international, les mesures énergiques ont été prises sous la pression des États-Unis. C'est ainsi que l'OCDE s'est donnée pour cheval de bataille la lutte contre une forme particulière de corruption : la corruption d'agents publics étrangers en vue d'obtenir ou de conserver un marché. Elle s'adresse à tous les partenaires commerciaux en ce sens que désormais toute corruption en vue d'obtenir un marché à l'étranger sera un délit passible des mrmes types de peines que la corruption d'agents publics nationaux. Et l'originalité de la convention réside mrme au niveau de la

69 En 1975, il a été révélé que la société américaine Northrop a versé 45 millions $ de commissions à Adnan Kashoggi pour obtenir des contrats d'armements en Arabie Saoudite. Suite à cette affaire, le patron de Lockheed avait reconnu avoir versé 100 millions de $ de commissions dont les principaux bénéficiaires étaient des agents publics saoudiens.

70 Motivé par l'idée selon laquelle la corruption est un frein au développement du commerce américain, qu'elle est un frein au développement du tiers monde, mais surtout qu'elle est un obstacle à l'appropriation par les entreprises américaines des marchés à l'étranger. Une estimation évaluait à 65 milliards de $ le total des commissions versées sur 169 contrats internationaux. Trente six de ces contrats auraient échappé aux entreprises américaines pour une valeur de 11 Milliards de $ à cause des commissions qui auraient versées par leurs concurrents et les auraient rendu « hors course ».

71 L'OCDE s'attaque à la corruption, in l'Observateur de l'OCDE, n° 216, Mars 1999, p51-52.

définition large d'agents publics étrangers : ce pourra être une personne investie de l'autorité publique au sens strict et au sens large. C'est ainsi que sont assimilés aux agents publics étrangers, les dirigeants d'entreprises publiques ou d'un monopole désigné par une autorité publique, mais aussi les responsables de toute entreprise dans laquelle une autorité publique exerce une influence dominante.

La spécificité de cette convention est le fait qu'elle soit la seule à disposer de nos jours d'un mécanisme de suivi chargé expressément du respect de sa mise en oeuvre72. Un mécanisme de suivi qui s'est donné tous les moyens pour remplir les objectifs d'efficacité73 . Rapidement transposée en droit positif français, l'incrimination de la corruption d'agents publics étrangers fait l'objet de l'article 435-4 du Code pénal qui réprime de 10 ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende « le fait de proposer sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour obtenir d'un magistrat, d'un juré ou de toute autre personne siégeant dans une fonction juridictionnelle, ou d'un arbitre ou d'un expert nommé soit par une juridiction, soit par les parties, ou d'une personne chargée par l'autorité au sein d'une organisation internationale publique, qu'il accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte de sa fonction de sa mission ou de son mandat, en vue d'obtenir ou de conserver un marché ou un autre avantage indu du commerce international... Toutefois, pour éviter que cette disposition ne soit instrumentalisée pour déstabiliser les concurrents et servir de fondement aux constitutions de parties civiles abusives, les poursuites ne peuvent rtre exercées qu'à la requête du ministère public. C'est ce qui ressort de l'article 435-6 du Code pénal (issu de la loi n°1598-2007 du 13 novembre 2007 en matière de corruption d'agents publics nationaux et internationaux) qui prévoit que « la poursuite des délits mentionnés aux articles 435-1 à 435-4 ne peut être engagée qu'à la requête du ministère public, sauf lorsque les offres, promesses, dons, présents ou avantages quelconques sont soit proposés ou accordés à une personne qui

72 P. Cavalerie, La Convention OCDE du 17 décembre 1997 sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, in AFDI 1997, p. 609-625

73 epuis l'entrée en vig ect et de l'application de la
Convention par les Parties, ainsi que la formulation de recommandations d'action spécifiques destinées à faire avancer les travaux de lutte contre la corruption transnationale des Parties se sont déroulées en deux phases. La première phase de ce processus a été la législation des Parties sur la lutte contre la corruption : à savoir les lois d'application afin de déterminer si elle satisfaisait aux normes définies dans la Convention. La deuxième phase du suivi, ouverte en 2001, rend compte des structures mises en place pour faire respecter cette législation et évalue leur efficacité. La Phase 2 a également élargi le champ du suivi afin de tenir compte plus pleinement des aspects de la lutte contre la corruption transnationale qui ne relèvent pas du droit pénal, notamment les exigences en matière de comptabilité et de vérification des comptes et la non-déductibilité fiscale des pots-de-vin.

exerce ses fonctions dans un des Etats membres de l'Union européenne ou au sein ou auprès des Communautés européennes ou d'un organisme créé en application du traité sur l'Union européenne, soit sollicités ou agréés par une telle personne en vue de faire obtenir une décision favorable, ou d'accomplir ou de s'abstenir d'accomplir un acte de sa fonction ou facilité par ses fonctions ». Le point faible de cette incrimination est le fait qu'elle ne vise pas le fonctionnaire étranger d'un Etat non membre de l'Union européenne. Par conséquent, le législateur a exclu que des poursuites soient engagées contre des fonctionnaires par exemple des pays africains, parfois coupables de faits de corruption préjudiciables pour l'économie et le bien-être des populations locales74. La convention de l'OCDE ne se déploie que contre la corruption passive.

Pour ce qui est de la mise en oeuvre de cette interdiction de corruption d'agents publics, la jurisprudence française n'a pas encore d'affaire définitivement jugée. Néanmoins, une retentissante affaire est en cours, encore au niveau de l'information judiciaire et concerne le géant pétrolier Total75. L'entreprise est mise en cause dans plusieurs affaires de corruption d'agents publics étrangers dans l'obtention des contrats d'exploitation de gisements pétroliers en Irak, en Iran et au Cameroun76.

Le droit pénal n'est pas en reste à l'endroit des pouvoirs privés économiques sur d'autres terrains à l'instar de l'écologie et des droits de l'homme. Cette fois le droit pénal vient au secours de valeurs non marchandes.

74 Voir W. Bourdo, Entreprises multinationales, lois extraterritoriales et droit international des droits de l'Homme, Rev. Sc. Crim. n° 4, 2005, p. 747-752

75 Selon l'édition électronique du journal L'expansion, l' Expansion.com du 17 Janvier 2007

76 www.rfi.fr/actufr/articles/087/article_50475.asp, www.rfi.fr/actufr/articles/086/article_49645.asp, selon un article signé par Myriam Berber et publié sur ce dernier lien, en octobre 2006, Christophe de Margerie a été mis en examen pour «complicité d'abus de biens sociaux et de corruption d'agents publics étrangers». Total doit également affronter une enqur~te sur des faits «d'abus de biens sociaux» dans le cadre de ses activités au Cameroun. S'y ajoutent une autre affaire concernant ses activités en Iran, plus d'éventuels soupçons de corruption intervenus lors de la conclusion d'un contrat gazier, en 1997, avec la société pétrolière nationale iranienne NIOC.

Section 2 : La répression pénale insatisfaisante des atteintes par les
pouvoirs privés économiques aux valeurs non marchandes.

Le droit pénal constitue également une véritable arme dissuasive à l'égard des entreprises multinationales et grands groupes de sociétés au sujet de la protection de l'environnement (§1) et des droits de l'homme (§2). Il s'agit ici de l'ordre public pénal de direction.

§1 : Une sanction pénale encore mitigée des atteintes transnationales à
l'environnement.

C'est particulièrement sur le terrain de la pollution que la responsabilité pénale des pouvoirs privés économiques est retenue. Dans leur jeu d'instrumentalisation des systèmes juridiques, les grands acteurs privés, familiers des paradis fiscaux, sont passés maître de la consommation du droit a minima. C'est alors qu'ils tentent d'exploiter les failles et les faiblesses de ses différentes branches du droit qui protègent l'environnement pour optimiser leurs résultats comptables tout en minorant les coûts de leurs activités. Le résultat en est que la criminalité environnementale est toute aussi rentable que la criminalité concurrentielle (fraudes sur les prix) faute de cadre dissuasif efficace.

C'est la raison pour laquelle des mesures ont été prises par des Etats pour criminaliser les atteintes graves au droit de l'environnement. Toutefois, parmi plus de 500 traités et autres accords internationaux relatifs à l'environnement, dont 300 environ ont un caractère régional, seuls ceux concernant les thèmes tels les déchets et substances dangereuses et la pollution marine ont une répercussion pénale pertinente à l'endroit des pouvoirs privés économiques. C'est ainsi que les différents systèmes juridiques reconnaissent leur compétence pour connaître au pénal des affaires dans lesquelles il a été porté atteinte à l'environnement et présentant un lien avec leur for.

Le procès Erika en est une illustration française. Le groupe Total et trois autres personnes physiques et morales ont été condamnés à des amendes et un total de 192 millions d'euros de réparations pour "pollution maritime" aux victimes, Total SA, comme les autres condamnés, a été condamné à l'amende maximale, soit 375 000 euros pour les personnes

morales Total SA et Rina, la société de classification, une première dans le droit français77. Dans cette affaire, la 11ème chambre du tribunal correctionnel de Paris a dans sa sentence en date du 16 janvier 2008, reconnu un préjudice écologique. L'originalité de ce verdict se trouve dans la reconnaissance du préjudice écologique qui est en fait un avertissement très sévère, une mise en garde dissuasive, qui est donné aux transporteurs inconséquents, aux bateaux-poubelles qui sillonnent les mers pour le compte des grands acteurs économiques souvent en totale impunité. Reste que le groupe Total a fait appel et que la décision définitive n'est pas encore intervenue.

Autre affaire à travers laquelle le droit pénal participe de la régulation des acteurs, est le scandale écologique survenu en République de Cote d'Ivoire impliquant la société néerlandais Trafigura78. Les faits de cette espèce non encore définitivement jugée sont saisissants : il s'agit d'un cas de transport de déchets hautement toxiques d'Europe vers la Côte d'Ivoire. La décision de transporter ces déchets est prise par la branche anglaise de la société hollandaise, le navire russe battant pavillon panaméen, « probo Koala », veut décharger sa cargaison à Amsterdam, ce que lui refusent les autorités portuaires, si des mesures de précaution ne sont pas préalablement prises. Le navire repart sans avoir pris aucune mesure de précaution et décharge sa cargaison à Abidjan, dans une décharge sauvage à l'air libre et à proximité des maisons d'habitation. Bilan : contamination causant 16 morts et plus de 100 000 victimes doublée de dommage environnemental et à la santé par le déversement de déchets hautement toxiques79.

77 C'est le verdict du tribunal correctionnel de Paris en date du 16 janvier 2008.

78 www.trafigura.com : extrait de la page de présentation du site officiel du groupe : « Trafigura est aujourd'hui l'une des plus grandes sociétés indépendantes de négoce international de matières premières. Trafigura gère l'ensemble des étapes de l'achat à la livraison de pétrole brut, de produits pétroliers, d'énergies renouvelables, de métaux, de minerais et de concentrés métalliques pour nos clients et fournisseurs du secteur industriel. Nos 1 900 employés travaillent dans 37 pays à travers le monde afin de nous apporter l'expertise locale nécessaire pour anticiper et réagir aux fluctuations de l'offre et de la demande à l'échelle mondiale ».

79 Selon un article de COULIBALY, Moussa, « Pollution : affaires des déchets toxiques : le scandale a-t-il coûté 4 milliards de francs ? », Le Patriote, n° 2080 du 5 septembre 2006. Les faits : le 2 juillet 2006, le Probo Koala, un cargo affrété par la société britannique Trafigura, spécialisée dans le courtage de matières premières et notamment, de pétrole, qui pèse 28 milliards de dollars, battant pavillon de complaisance panaméen, arrive dans le port d'Amsterdam. Le cargo est vide. Dans ses soutes, il ne lui reste que des déchets, déchets dont il aurait dû se débarrasser, selon les Conventions internationales, avant de pouvoir repartir. Mais avant de commencer la vidange des cuves, les agents maritimes constatent que les déchets, appelés slops, contiennent des éléments hautement chimiques (de l'hydrogène sulfuré responsable de l'odeur, de la soude et des mercaptans). Or dans ce cas, la procédure de déchargement et de traitement de ces déchets toxiques s'avère plus complexe et surtout plus coûteuse. La société Amsterdam Port Services (APS), en charge des opérations, exige alors 1000€ par tonne collectée au lieu des 30€ prévus dans le contrat. Le montant de la facture s'élève alors à un demi-million de dollars. Trafigura refuse, fait remonter les déchets qui avaient déjà été débarqués, et

En réaction à cette tragédie reprochée au groupe Trafigura, les enquêtes ont été ouvertes en côte d'Ivoire débouchant sur une procédure. Mais à la stupéfaction générale, la procédure pénale ivoirienne est close depuis le 22 octobre 2008 par le verdict de la cour d'assise d'Abidjan innocentant la Société Trafigura. Il faudrait rappeler que pour assurer son impunité, la multinationale a déboursé 100 milliards de FCFA (152 millions d'euros) en février 2007 pour indemniser l'Etat de Côte d'Ivoire dans le cadre d'un accord amiable. Accord par lequel les autorités ivoiriennes ont renoncé à toute poursuite contre Trafigura et qui a permis que les trois cadres de la multinationale incarcérés à Abidjan soient libérés le lendemain de l'accord80. Toutefois, les autres procédures de nature pénale ont été ouvertes en France, en Grande Bretagne et en Hollande contre la société Trafigura. Ces trois procédures sont encore pendantes81. Cette affaire démontre à suffire comment les multinationales sont invulnérables pénalement dans les pays à faible système juridique. Achetant leur honorabilité et impunité à coup de millions d'Euros. Or ces déchets en question tombent sous la convention de Bkle qui interdit les transferts des déchets des pays de l'OCDE vers les pays non membres de l'OCDE. Cette dernière hypothèse pose le problème du trafic des déchets du Nord vers le Sud qui risque de s'intensifier dans les années à venir compte tenu de l'augmentation exponentielle des déchets électroniques, chimiques et autres déchets dangereux générés en grande partie par les activités et les modes de vie des pays du Nord. Les pays du Sud sont-ils destinés à devenir les « poubelles à déchets des pays riches ?82 »

Reste que ces grands acteurs économiques ne sont toujours pas à l'abri de toute poursuite, surtout lorsqu'il leur est reproché les atteintes aux droits de l'Homme.

repart. Le PDG de Trafigura, Eric de Turckheim, prétendra après le scandale, que le prix était exorbitant et que la société APS n'offrait pas toutes les garanties certifiant qu'elle était capable de traiter effectivement les déchets. Le cargo se dirige ensuite vers l'Estonie puis rejoint les côtes du Golfe de Guinée où il a des livraisons à effectuer. Que ce soit en Guinée, au Libéria, en Sierra Leone ou au Nigeria, le navire ne peut pas débarquer ses déchets du fait de leur nature toxique. Le 18 août, il entre dans le port d'Abidjan, où il va enfin pouvoir se débarrasser de ses slops, malgré les informations que le Nigeria avait fait parvenir aux autorités maritimes abidjanaises.

80 LEXPRESS.fr, publié le 23/10/2008

81 La procédure française est fondée sur la corruption, homicide involontaire blessures ayant entraîné la mort tandis que celle hollandaise, ouverte par le ministère public, est fondée sur le non respect des engagements internationaux sur le transport des déchets toxiques. La procédure anglaise est fondée sur la class action.

82 Hoda Saliby, « Afrique et Asie, poubelles à déchets des pays riches », Courrier International, 10 mars 2007

§ 2 : La responsabilité pénale des pouvoirs privés économiques pour
atteinte aux droits de l'Homme à construire.

Le caractère sacré des droits de l'homme est l'un des fondements des actions répressives contre les puissants acteurs du marché. En fait comme tout droit subjectif justiciable, les victimes des atteintes aux droits de l'homme ont le droit de recourir à un « tiers impartial et désintéressé » selon l'expression consacrée par Alexandre Kojève pour obtenir réparation ou la sanction. Ce tiers est en principe un juge de l'État dans lequel la violation a eu lieu.

En principe donc, lorsqu'une entreprise multinationale viole les droits de l'homme, l'Etat ayant sous sa juridiction les victimes des violations aura l'obligation de la sanctionner et d'ordonner une réparation. Le droit international établit fermement que les États ont le devoir de protéger leurs ressortissants contre les violations des droits de l'Homme par des acteurs non-étatiques dans leurs juridictions, et que ce devoir s'étend à la protection contre des violations commises par des entreprises. En pratique, une entreprise multinationale sera sanctionnée pour les graves atteintes à l'environnement, la violation des normes sociales les plus fondamentales ou la violation des droits de l'homme en général lorsqu'elles sont commises sur le territoire de l'Etat du siège ou à l'égard de personnes relevant de la juridiction de l'Etat du siège. Toutefois, on observe que lorsqu'elles exercent leurs activités commerciales sur le territoire d'un Etat faible ou autoritaire ou dont l'appareil juridictionnel est aux ordres du pouvoir politique, les entreprises multinationales bénéficient généralement d'une impunité de fait pour les violations des droits de l'homme qu'elles commettent ou dont elles se rendent complices. Cette impunité de fait est le résultat d'une combinaison de deux phénomènes. D'une part, en principe, la territorialité du droit pénal exclut juridiquement la compétence de l'Etat du siège pour condamner ce type de fait83. D'autre part, l'Etat d'accueil #177; c'est-à-dire l'Etat sur le territoire duquel se déroulent les activités commerciales dans le cadre desquelles les violations ont été commises #177; ne pourra pas ou ne voudra pas sanctionner ces violations s'il est faible ou autoritaire. C'est ainsi qu'il est fréquent que les États commettent des abus et violations caractérisées de droits de l'Homme, tel le recours aux travaux forcés ; souvent avec la complicité des entreprises multinationales, ou tout au moins à leur bénéfice. La complicité de violations des droits de l'homme est invoquée lorsque l'État d'accueil des investissements bénéficie des recettes générées grkce à l'opération économique

83 Pour plus de précision, voir infra, chapitre 2 Titre 2

de l'entreprise multinationale pour commettre les exactions. C'est généralement le cas des contrats liant une société étrangère à un pays dont la destination n'est pas recommandée pour les investissements au motif de graves violations de droits de l'Homme.

C'est ainsi que, faute de demander réparation devant les juridictions du pays qui viole les droits de l'homme avec la complicité ou au bénéfice des sociétés étrangères, les victimes se tournent souvent vers les fors des autres pays avec lesquels l'entreprise multinationale a des liens économiques et juridiques importants. C'est la solution qui est en train de se dessiner avec plus ou moins de succès en droit pénal contemporain. Les victimes se plaignent généralement aux juridictions des pays d'origine de l'investisseur ou dans un pays où il est coté en bourse et dispose des intérrts économiques importants. C'est dans cette démarche que le 26 août 2002, l'avocat William BOURDON, fondateur de l'association Sherpa, agissant au nom et pour le compte de deux ressortissants birmans alléguant avoir été victimes de travail forcé de la part de l'entreprise Total sur le chantier de construction de son gazoduc Yadana en Birmanie, a déposé auprès du doyen des juges d'instruction du tribunal de Nanterre, une plainte avec constitution de partie civile84. Les victimes invoquent des chefs d'enlèvement et de séquestration, infraction de droit commun, à l'encontre de Thierry Desmarest (de nationalité française, directeur de la division Exploration et Production de la compagnie Total de 1989 à 1995 et Président Directeur général de Total à partir du 31 mai 1995, soit au moment des faits dénoncés), d'Hervé Madeo (de nationalité française, directeur de la filiale de

84 L'association française Sherpa a été créée en 2001 sur l'initiative de l'avocat français William BOURDON. Sherpa a pour objet essentiel de mobiliser des compétences et des savoir-faire afin d'appuyer des procédures civiles ou pénales à l'encontre d'entreprises responsables d'infractions dans les pays du Sud dès lors que la compétence de la juridiction du lieu du siège ou du principal établissement de l'entreprise peut effectivement rtre soutenue. Parmi les principales actions menées par Sherpa depuis sa création, il faut mentionner essentiellement la plainte contre l'entreprise Rougier et celle contre l'entreprise Total.

En mars 2002, l'association a déposé, au nom de sept villageois camerounais, une plainte avec constitution de partie civile à Paris, du chef de destruction de biens appartenant à autrui, faux et usage de faux, escroquerie, recel, corruption de fonctionnaire, à l'encontre des dirigeants de la société SF ID société de droit camerounais d'une part, et à l'encontre de sa maison mère la société française ROUGIE R SA, d'autre part. L'organisation non gouvernementale, les Amis de la Terre- France, s'est constituée partie civile. En août 2002, comme il sera démontré en détail, l'association a déposé une plainte au nom de quatre Birmans, victimes du travail forcé sur le Chantier Yadana, dirigé par la société française TotalFinaElf et sa filiale en Birmanie, pour crime de séquestration. Ces plaintes devant les tribunaux français ont constitué une première en France. Elles visent à démontrer que les activités commerciales des agents privés sur le territoire d'Etats autoritaires ou faibles n'est pas la garantie systématique de l'impunité.

Le site Internet de l'Association Sherpa peut rtre consulté à l'adresse suivante : http://association.sherpa.free.fr. Il offre, outre une présentation générale de l'association et de ses actualités récentes, des dossiers de presse sur les actions judiciaires en cours.

Total en Birmanie, Total Myanmar Exploration Production) et contre X. Six autres birmans se sont ultérieurement constitués parties civiles85.

Les plaignants invoquent l'article 113-6 du Code pénal français dispose que « la loi pénale française est applicable à tout crime commis par un Français hors du territoire de la République. Elle est applicable aux délits commis par des Français hors du territoire de la République si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis » (principe de la compétence personnelle active). Les plaignants invoquaient cet article pour fonder la compétence des juridictions françaises.

Conscient de l'effet néfaste que la médiatisation de ce procès devait avoir sur son image et partant sur ses cours boursiers, l'entreprise Total a signé, le mardi 29 novembre 2005, une transaction amiable avec les huit Birmans qui se trouvaient à l'origine de l'enquête ouverte, le 9 octobre 2002, à son encontre au tribunal de Nanterre pour crime de « séquestration ». Selon les termes de l'accord, dont certains éléments ont été rendus publics sur le site du groupe, Total s'engage à verser une indemnisation de 10 000 euros par plaignant contre le désistement de leur plainte. Cet accord précise qu'un « guichet » est ouvert pendant six mois afin de répondre à toute demande que formuleraient les victimes des mêmes faits dans treize villages de la région86. L'affaire avait été réglée par une ordonnance de non-lieu. Autre cas de procédure contre les entreprises multinationales pour atteinte aux droits de l'homme est l'affaire qui oppose l'ONG global Witness à la firme britannique Afrimex pour complicité de crime de guerre. En effet, l'entreprise multinationale est accusée d'avoir pratiqué le commerce de minerais dans des conditions qui ont contribuées à perpétuer le conflit en République Démocratique du Congo (RDC). De mrme, il lui est reproché d'avoir clairement enfreint les Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales en versant des « impôts » aux partis protagonistes du conflit depuis le début du conflit. Global Witness a pu démontrer comment les pratiques commerciales d'Afrimex ont directement contribué au financement de groupes rebelles armés pendant le conflit et partant aux graves violations des Droits de l'homme dans l'est de la République Démocratique du

85 Les plaignants sont des villageois birmans de la région du Tenasserim que traverse le gazoduc reliant le gisement de Yadana en Birmanie à la Thaïlande. Ils soutiennent avoir été contraints de « travailler sous la menace permanente de violences de la part des bataillons qui les encadraient s'ils n'exécutaient pas les tk~ches qui leur étaient assignées et affirment avoir été témoins de mauvais traitement et de violences commis par ces bataillons à l'égard d'autres travailleurs sur ce mrme chantier ». Or, ce chantier était sous la responsabilité directe de Total, notamment par le biais de sa filiale locale (Total Myanmar Exploration Production) et les militaires, auteurs des violences dénoncées, étaient, selon la plainte, engagés et rémunérés par l'entreprise multinationale Total.

86 http://www.total.com/fr/press/press_releases/pr_2005/051128_myanmar_accord_sherpa_8204.htm.

Congo87. Pour l'instant, l'affaire est encore en cours88. Les exemples des hypothèses où les victimes des exactions des multinationales dans les pays à systèmes répressifs ineffectifs utilisent le droit pénal pour demander que justice soit rendue et que les responsabilités soient établies sont légions89. Une autre affaire dont les faits ne seront développés que plus tard est l'affaire Shell/Royal Dutch à travers sa filiale Shell Petroleum development company of Nigeria. Cette affaire a été éteinte par une transaction au terme de laquelle le groupe Shell s'est engagé à indemniser les victimes des faits dont il est reproché en qualité de complice à hauteur de 15.5 millions €90.

L'insatisfaction ressentie à l'étude de l'encadrement répressif substantiel des pouvoirs privés économiques s'illustre davantage lorsque ceux-ci sont confrontés au droit pénal formel.

87 Global Witness est une Organisation Non Gouvernementale britannique qui fait campagne pour mettre un terme aux liens entre l'exploitation des ressources naturelles, les conflits et la corruption. La plainte déposée par l'ONG affirme que la société Afrimex, qui s'est livrée au commerce du coltan et de la cassitérite (minerai d'étain) pendant toute la durée du conflit en RDC depuis 1996, a versé des impôts au Rassemblement congolais pour la démocratie-Goma (RCD-Goma), un groupe rebelle armé connu pour ses graves violations des droits de l'homme, responsable de massacres de civils, d'actes de torture et de violences sexuelles. Au cours du conflit, le RCD-Goma contrôlait de grandes parties des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, dans l'est de la RDC, où se trouvent des mines de coltan et de cassitérite.

88 http://www.globalwitness.org/media_library_detail.php/510/fr/global_witness_enjoint_le_gouverne ment_britannique

89 On notera entre autre l'affaire Chevron au Nigeria où un village, dont les habitants étaient hostiles aux activités de la firme, avait été attaqué par l'armée avec du matériel financé par Chevron. Attaque qui avait occasionné plusieurs morts.

90 http://www.jeunesafrique.com consulté le 09/06/09

Chapitre 2 : Un encadrement pénal formel ineffectif à l'endroit des
pouvoirs privés économiques.

Le droit pénal a la réputation d'r~tre une branche délicate, en ce sens que son arme principale est l'atteinte aux libertés. C'est cette influence sur la liberté individuelle qui a conduit le législateur à entourer sa mise en oeuvre de très grandes précautions. C'est qui a justifié le recours aux grands principes pour entourer son application. Elaborés et motivés à un moment où le délinquant était l'individu et enfermé dans un territoire, les grands principes du droit criminel sont aujourd'hui pris au dépourvu lorsqu'ils sont à l'épreuve de l'internationalisation de la délinquance. Et la situation se complique lorsqu'il s'agit de la délinquance d'affaire. Or tous les acteurs du marché sont très attachés à la liberté et à l'honneur, voire à l'image de marque. Ces derniers se sont au quotidien attachés les services des grands stratèges pour exploiter les failles du droit répressif et maîtriser le risque pénal.

Si on assiste à la timide naissance d'un droit pénal de fond à l'adresse des puissants acteurs du marché devenu global, au niveau formel, les choses semblent plutôt se gripper. C'est ce qui sera étudié en confrontant les grands principes du droit répressif aux acteurs centraux de l'économie de marché (section 1) et en les mettant à l'épreuve des critères de compétence du juge répressif (section II)

Section I : L'infléchissement des principes directeurs du droit pénal par les
pouvoirs privés économiques.

L'analyse du principe de légalité (§ 1) sera faite avant celle su principe de la personnalité des peines (§ 2).

§ 1 : L'insuffisance du principe de légalité.

Depuis la Révolution française il est admis que le principe de légalité en droit criminel, tel qu'il est énoncé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme du 26 août 1789 (« nul ne peut rtre puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée »), représente la garantie minimale pour tout citoyen de tout

pays civilisé. Selon la jurisprudence du conseil constitutionnel, « il en résulte la nécessité pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire »91. La version actuelle du Code pénal français réaffirme l'adhésion du législateur à ce principe : « nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement Nul ne peut rtre puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi, si l'infraction est un crime ou un délit, ou par le règlement si l'infraction est une contravention »92. La légalité juridique en matière pénale implique donc que la responsabilité pénale des pouvoirs privés économiques ne soit engagée que si l'infraction qui leur est reprochée est prévue par un texte93.

Quelques observations deviennent alors urgentes. La signification traditionnelle du principe de légalité en droit pénal comme symbole de la civilisation juridique n'est-elle pas une construction tout à fait propre à une civilisation dépassée ? Cette interrogation qui serait mal venue si on la confrontait à la liberté individuelle trouve son fondement devant une autre forme de criminalité : la délinquance transnationale. La légalité des délits et des peines semble essoufflée parce qu'elle n'offre plus une meilleure protection des individus (destinataires des prestations des pouvoirs privés économiques). La délinquance en col blanc est toujours en avance sur le législateur qui ne peut la prévoir d'avance. Dans la plupart des hypothèses, c'est toujours après coup que le législateur agit pour incriminer, il ne peut tout incriminer dans ce domaine au regard de l'importance de l'innovation et des mutations économiques.

Mais en droit pénal économique, ce principe paraît toujours rendre service aux pouvoirs privés économiques. D'autant plus que ce principe s'applique tant aux sanctions pénales qu'aux sanctions administratives94. Justifié par le souci de prévenir l'arbitraire dans le prononcé de la peine, le principe de légalité des délits et des peines implique que les éléments constitutifs de l'infraction soient définis de façon précise et complète. C'est ainsi que ne seront pas punies, les infractions qui ne sont pas prévues par la loi en raison de l'interprétation stricte de la loi pénale95.

91 Décision n° 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981, loi sécurité et liberté

92 Article 111-3 du Code pénal

93 Nul ne peut être puni pour un délit dont les éléments ne sont pas prévus par la loi. Crim. 5 Mars 2002 : Bull. crim. N° 56

94 CE, 9 oct. 1996. IR. 237 ; Dr. Adm. 1997, N° 2, note D. P.; Gaz. Pal. 1998. 2. 521 (à propos du pouvoir réglementaire de la COB)

95 C'est sur ce fondement que le procureur de la République avait requis le non-lieu dans le procès Total précité au motif que l'infraction de séquestration ne pouvait rtre étendue aux travaux forcés dont le géant pétrolier était accusé d'avoir fait recours par le biais de sa filiale locale (Total

Cette dernière expression du principe de légalité des délits et des peines est inscrite dans le Code pénal à l'article 111-4 : « la loi pénale effligei.SiPUiRgniiel » et protégée par le Conseil constitutionnel96. Ce principe, expression de la conception hautement formaliste de la légalité des délits et des peines n'offre pas la meilleure protection des individus contre les abus des pouvoirs privés économiques. La preuve en est que les incriminations ne sont pas les mêmes dans tous les espaces économiques dans lesquels opèrent les acteurs économiques déterritorialisés. Aussi, lorsque leurs agissements tombent sous le coup d'une incrimination dans un Etat faible et ne représentent pas une infraction dans le pays d'origine de l'entreprise, l'impunité de fait est assurée. La légalité des délits et des peines interdisant qu'une peine soit prononcée sans avoir été prévue par un texte. Le positivisme sous-tendu à la notion du nullum crimen sine lege emprche la mise en oeuvre efficace d'une meilleure protection des libertés individuelles. Ce qui fait que l'accueil du principe nullum crimen sine lege n'est pas non plus une condition suffisante pour atteindre des garanties efficaces contre les abus des centres d'intérrts économiques dans le domaine pénal.

De même, l'exigence de la non-rétroactivité de la loi pénale empêche que le législateur intervienne a posteriori pour sanctionner certains comportements économiques inadmissibles, mais non incriminés. Ce principe a valeur constitutionnelle97. Ce qui fait dire que les agents économiques de cette trame, disposant d'un véritable appareil de maîtrise du risque pénal, ont toute l'opportunité de commettre des infractions quitte à ce que leurs agissements soient incriminés par la suite. L'infraction aura été déjà commise et l'impunité pénale assurée en raison du principe de légalité.

Cette interprétation formaliste de la légalité des délits et des peines n'est pas partagée par les droits d'inspiration anglo-saxonne. Ici, c'est la conception « réaliste » qui est de mise, et qui appartient à la tradition juridique du common law. Le juge anglais s'accorde donc le pouvoir de « découvrir » de nouvelles infractions criminelles en dehors de tout texte législatif. Et cela se vérifie chaque fois qu'il est question de punir un comportement contraire aux bonnes moeurs ou bien nuisible pour la collectivité. Ceci est lié au fait que le système anglais n'a jamais accepté que toute infraction criminelle soit d'origine légale : en effet, il connaît des infractions d'origine jurisprudentielle (common law crimes), c'est-à-dire des infractions qui ne

Myanmar Exploration Production), avec la complicité du régime Birman, pour la construction de son oléoduc.

96 Décision n° 96-377 DC du 16 juillet 1996

97 Con. Cons., 19 jan. 1980, D., 1980, 249, note Auby, Crim. 17 Juin 2003, B., n°122 ; D., 2004, 92, note Daniel

trouvent pas leur siège dans un texte de loi, mais qui, jadis créées, continuent d'exister et d'r~tre appliquées. La règle du précédent appliquée aux pouvoirs privés économiques, confèrerait au droit pénal un levier important de régulation des organisateurs de l'économie. Reste qu'en pratique c'est toujours la légalité formelle qui est en vigueur dans les systèmes répressifs de droit continental. Quid du principe de la personnalité des peines ?

§ 2 : Le Principe de la personnalité des peines à l'épreuve des centres
d'intérêts économiques.

Les pouvoirs privés économiques sont caractérisés par la diversification des activités, l'autonomisation juridique des entités du groupe en charge de ces diverses activités et la concentration du pouvoir de décision au centre de décision du groupe. Or le droit pénal procède par individualisation. Et on sait le droit positif hautement attaché à la forme. Et en droit pénal en particulier, tout est forme. D'ailleurs, la règle en droit pénal, qui découle des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789, est que « nul n'est punissable que de son propre fait »98.

D'évidence donc, le droit pénal de forme rend plutôt service aux centres de décision économiques, véritable firme globale éclatée en une multitude d'entités. Principalement parce que conformément à l'un des principes centraux de la discipline, l'audace n'est pas permise. L'exemple le plus saisissant est l'absorption des sociétés par les autres, les fusions- acquisitions. L'absorption d'une société, personne morale, fait disparaitre de jure sa personnalité juridique et lui fait échapper à la répression, car l'entité absorbée perd du fait de la fusion la personnalité juridique. Or en droit pénal, la perte de la personnalité juridique est une cause d'extinction de l'action publique tant chez la personne physique que chez la personne morale. La reprise de l'entité par une autre personne ne s'accompagne pas de l'héritage des délits commis par les anciens propriétaires. Les faits ne peuvent de droit lui être imputés. C'est pourquoi, le procureur général Pierre Truche parlait déjà d'un « suicide sans risque de personnes morales »99. Le juge ne peut réprimer que les comportements qui ont été préalablement défendus et les imputer à son ou ses auteurs : le principe est celui de la personnalité des peines. Or la complex ification de l'activité économique fait que

98 Con. Cons., décision n°99-411 DC du 16 juin 1999

99 P. TRUCHE, Introduction au colloque sur la responsabilité pénale des personnes morales, Rev. Société 1993, p.231

l'identification des comportements nocifs et leur imputation sont une véritable gageure dans le contexte des groupes de sociétés ou encore des groupes de fait qui procèdent par intégration contractuelle. Pour une efficace répression des excès des pouvoirs privés économiques, le principe de la personnalité des peines mériterait d'rtre revisité. Cette nécessité se sent déjà dans les décisions des juges du fond qui opposent une résistance à l'interprétation stricte de ce principe en cas d'absorption des personnes morale100. Mais reste qu'il est de droit positif. Quoiqu'il en soit, les affaires ayant mis en cause la responsabilité pénale des entreprises globales ont contribué à une prise de conscience plus aiguë de la fragilité, dans un monde ouvert, du caractère inopérationnel de ce principe à l'endroit des entreprises ayant le statut d'acteur mondial et central de l'économie101. Ces derniers ont dans leur portefeuille une multitude d'entités juridiquement autonomes, donc personnellement responsable des crimes et délits dont elles peuvent servir d'instrument de commission.

La personnalité juridique faisant défaut à certains organisateurs de l'économie, un encadrement répressif d'ensemble n'est pas possible à cause de la personnalité des délits et des peines. En effet, les pouvoirs privés économiques dépourvus de personnalité juridique ne seront qu'exceptionnellement sanctionnés pénalement. Ce sera le cas lorsqu'il sera démontré une sorte de confusion de pouvoir dans les rapports économiques du pôle intégrateur et de l'intégré, généralement coupé du marché. Il en sera aussi de même en cas de gestion de fait102. Il est peu commode qu'une entité intégrée, économiquement dépendante, conserve par devers elle le risque pénal. Ne disposant d'aucun pouvoir de décision autonome, réduit à un rôle d'exécutant, la responsabilité pénale du pôle intégrateur devrait rtre retenue si l'infraction est commise dans le cadre normal de ses rapports de dépendance à l'égard de son partenaire dominant. Comme en droit de la responsabilité civile, la responsabilité pénale pour risque- profit devrait être explorée comme piste de moralisation des pouvoirs privés économiques dépourvus de personnalité juridique.

Pour ce qui est des groupes intégrés, la position du droit pénal semble souple soit qu'elle justifie soit qu'elle punit une infraction commis dans le cadre des activités du groupe103. Ici, la jurisprudence prend en compte l'intérrt du groupe pour justifier une

100 Voir I. URBAIN-PARLÉANI, note sous Cour de cassation (crim.), 20 Juin 2000, Rev. Sociétés, oct.-déc. 2001

101 Il convient de citer entre autre les affaires Bhopal en Inde, Shell/Royal Dutch au Nigéria, Chevron au Nigéria

102 Article 245-16 du Code de commerce

103 Arrêt Rozenblum du 4 février 1985. L'existence d'un groupe résulte de la constatation « d'un lien logique minimal, en vue de la réalisation, selon une stratégie bien définie au préalable, d'un objectif économique commun, profitable à l'ensemble et par là-même à chacun de ses éléments mis dans une

infraction complètement constituée. Mais l'intérrt du groupe reste un aléa qui ne permet qu'exceptionnellement de justifier la commission d'une infraction. Ce qui a comme effet que la règle reste la responsabilité pénale de l'entité juridiquement autonome, mrme si elle sera substantiellement dépendante du centre de décision du groupe. La responsabilité pénale du centre de décision, de la maison mère est une responsabilité d'exception, par défaut. Ce n'est pas encore la règle.

Toutefois, sous d'autres fondements, tels les critères de compétence répressive, le juge peut toujours connaître des faits reprochés à une entreprise délinquante.

Section II : L'affaiblissement des critères de compétence répressive par les
pouvoirs privés économiques.

L'examen des critères qualifiés d'autarciques sera fait séparément (§ 1) de celle des apports des autres critères (§ 2).

§ 1 : Les critères autarciques bouleversés.

Ils sont au nombre de deux : la territorialité et la personnalité. La compétence territoriale, compétence générale, sera étudiée en premier lieu. Traditionnellement fondée sur l'article 3, alinéa 1, du Code civil (« les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire »), le principe est aujourd'hui consacré par l'article 113-2 Code pénal : « La loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République». L'alinéa suivant précise que l'infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu'un de ses faits constitutifs à eu lieu sur ce territoire. Ce principe est justifié par l'idée de la souveraineté d'un Etat, en ce sens que l'efficacité d'un jugement est d'autant plus grande que l'infraction est jugée au lieu où le trouble social a été le plus durablement ressenti. Aussi les exigences de la bonne administration de la justice militent en faveur de la compétence des tribunaux proches du lieu de commission des faits. Ceux-ci étant les mieux placés pour rechercher les preuves et apprécier l'importance du trouble causé à l'ordre public.

structure juridique, financière et économique suffisamment précise et apparente pour faire ressortir une véritable entité »

D'autres questions plus précises se posent par ailleurs selon la législation pénale française. Les articles 113-6 et 113-12 du Code pénal, qui règlent l'application extra territoriale des lois pénales aux infractions commises à l'étranger, distinguent les crimes et les délits. Selon les cas, lorsque le crime est commis par un Français, la responsabilité pénale se prolonge hors des frontières. La compétence française est alors exclusive et sans condition (Article 113-6 CP). En revanche, si l'auteur français commet un délit, le droit français prévoit la triple condition suivante : que l'infraction soit également prévue dans le droit du pays étranger où a été commis l'acte, qu'il y ait une dénonciation officielle des autorités étrangères ou une plainte de la victime et que le Ministère Public français prenne l'initiative de saisir la juridiction française. C'est alors une compétence subsidiaire de celle des juridictions étrangères. (Article 113-8 CP). La condition de double incrimination est problématique dans la mesure où les pratiques contestées sont souvent conformes au droit local, ou ne sont pas nécessairement bien réprimées par l'Etat hôte.

L'exposé du texte et des motifs de cette compétence générale, confrontés à la réalité même des pouvoirs économiques, permet de relativiser son sens et sa portée. Les pouvoirs privés économiques, favorables à plus de dérégulation et partant à un droit sans Etat, sont plutôt hostiles à l'emprise territoriale d'un système répressif sur le contrôle de leurs activités104. Les règles de compétence répressives leur sont plutôt favorables. C'est ainsi que la délocalisation des activités de production dans les territoires « des Etats faibles », plus porteuses de risque donc de probabilité de commission des fautes répréhensibles pénalement, fait échapper à la loi française sa compétence générale. En fait, la mondialisation et la déterritorialisation de l'économie mondiale affectent foncièrement les critères de compétence répressive en commençant par le critère phare qu'est la territorialité. Le fait est que les entreprises globales, organisées juridiquement en une mosaïque d'entités juridiquement autonomes et disséminées dans les territoires différents, se sont données les moyens d'échapper à l'emprise du juge répressif de l'Etat d'origine au moins sur le plan du principe. Les « infractions commises sur le territoire de la République » en tout ou en partie ne représentant qu'une proportion négligeable des infractions commises dans le cadre des groupes. Qu'il soit de droit ou de fait, on se rend compte que tout est fait dans le cadre du groupe ou des centres d'intérr~ts pour neutraliser la compétence territoriale des Etats à systèmes répressifs efficaces. Confronté à un groupe comme Shell qui est en fait un amalgame de plus de mille sept cents sociétés différentes, actives sur les cinq continents, la compétence

104L. COHEN-TANUGI, Le droit sans l'Etat, PUF, 2007

\MIERLIElD N'EWkil limitée G'pWIG1QFl105. La délocalisation des activités risquées N'EFFRP SEI Qe GI CE GplRFEIiNEtiRQ Ge lE FRP P iNNiRQ GIN EQfIEFYRQN. S IQNi IXK E ptp démontré, certaines entreprises qui, vertueuses au Nord où le système juridique est effectif, deviennent déliQquEQteN lRrNqu'elleN GplRFEliNeQt leurN EFtiWitpN Eu SNG FEEEFtpeiNp en général SEr l'EQHIIFtiWllp Ge son système juridique et de son système répressif en particulier106. En conclusion, il se trouve Tu'j 1'pS111We GeN SROWRirN SUWpN pFRQRP l1ueN, 0 Fritkre de compétence territoriale semble inadapté en dernière analyse.

Pour ce qui est de la compétence personnelle, il convient de dire qu'elle eNt eQFRIF lE
P EQiIINtEtERQ Ge 1E NR0WeEEiQeip G'uQ EtEa NOr NeN rINNRLIINNEQtN. Cette compétence est dite
personne@D EFtiWI lRrNIXH3e GpFRule Ge lE QEtiRQElitp frEQçEiN1 G} 1Euteur Ge l'iQfIEFtERQ e-
SENNiWe lRTNIMHON INt ERQGp1 Nur lE QEtIRQElitp TIEQçEiNI Ge NE WIFtiP If Manifestation
extraterritoriale de la compétence répressive de la loi française, ce chef de compétence
FRQNEFrp SEU l'ErtiFO 1M-6 Code pénal E SR01 Dt G'pW1311 De lDN ptrEQg11N Qi NRilQt
victimes de déni de justice ElRrN qDIFEeN RQt NRXIIIII GIN FRP SR1IMP 1QtN iQEGP iNNiFIDN Ge lE
part des ressortissants français. Sur ce point, la loi française du 24 juillet 1966 (article 3 alinéa
1er) prévoit que « les sociétés dont le siège social est situé sur le territoire français sont de
nationalité française
». Celles-ci sont donc soumises aux exigences des articles 113-6 et 113-
12 du Code pénal sus-évoqués. Le siège social correspond au « lieu où se produisent, par
pGIERI GWIN UTEMY 1310 ETIMERQN SIKFLSDIDN GI NRQ lq IIMITIMIIIGEDE107

» . En conséquence, cela signifie que seules les Sociétés transnationales qui entrent dans ces critkreN NerRQt NRuP iNeN j fiE lRI frEQçEiN1 1Q FEN G'eq EFtiRQN FRP P iNeN j l'ptrEQE-1

La responsabilité pénale des personnes morales étant générale depuis la loi Perben II du 9 mars 2004, les pouvoirs privés économiques, du moins ceux qui ont la personnalité morale, peuvent être poursuivis au pénal sur le fondement de ce critère de compétence. A IEnalyse, il ressort 1)1j l1pSIeuWe GeN SRuWRELN SUWpN pFRQRP ETXeN, Fe FIEkre NeP ECe SluN efficace que celui de la territorialité lQ Fl NeQN qDIil FNt GpEELIENNp GiN exigences de mise en ° uWre GF lE FRP Sp\MQFe IMMRrEElD. Ce critère gEIQIIEit eQ eIITFEFitp N'il allait plus loin dans NRQ GRP EiQe et N'iQtpreNNEit j l'entreprise qui déploie même une partie de ses activités sur le

105 J. ZIGLER, /ElKErglilell'oeerilelt, Albin Michel, 2008, p. 168

106 La

preuve en est que la grande partie des procès au pénal intentée contre les multinationales dans ON SE) N Gu NRrG, SE) N G'Rllalne ou un pays ou le défendeur a des intérêts économiques conséquents, NRQt fRQGpN NuI GeN IEitN P EtprIHN FRP P IN GEQN leN SE) N Gu S uG. 841Nt EiQNi lue l'lQtUSIiNe :7RtEl E été poursuivie au pénal en France pour les faits matériels commis en Birmanie par sa filiale locale. / 1Ef1E1LI N'plEQt ptliQte SEE uQ QRQ-lieu ayant suivi une transaction entre Total et ses présumées victimes.

107 Com. 16 décembre 1958 Bull. civ. III, n°438

territoire français108. Reste que son application est encore rendue difficile par l'article du 113- 8 du Code pénal qui prévoit que la poursuite des délits commis par les français à l'étranger ne peut rtre exercée qu'à la requ te du ministère public. Cette disposition apparaît à l'aune de la globalisation et de la déterritorialisation des activités économiques comme un anachronisme quand on sait que le principe d'opportunité permet au Parquet de poursuivre ou non des délits commis à l'étranger.

En effet, la majorité des procès intentés au pénal contre les multinationales l'ont été devant le juge répressif du pays d'origine de la maison mère qui exerce le contrôle économique et substantiel sur la filiale délinquante. L'observation révèle que la compétence générale sur le plan répressif dans le contexte d'une économie de plus en plus mondialisée est en passe de devenir la compétence personnelle, à condition qu'il y ait réciprocité d'incrimination lorsque les faits reprochés sont constitutifs de délit.

Quid des autres critères de compétence ?

§ 2 : L'apport des autres critères de compétence à systématiser.

Les autres critères dont il s'agit sont le critère de la compétence universelle et le critère de la compétence réelle. Ce dernier système de compétence est celui selon lequel un Etat confie à ses tribunaux la poursuite des atteintes portées à l'étranger à ses intérr~ts supérieurs, car lui seul a le pouvoir de déterminer et de défendre lesdits intérêts109. Ce critère de compétence est sapé par l'émergence d'un droit conventionnel préoccupé de solidarité internationale et de développement dÇn droit pénal international plus soucieux d'efficacité répressive. Ce critère ne semble pas d'un grand secours pour ce qui est de l'encadrement répressif des puissants acteurs économiques par le droit pénal.

Alors que contient le critère de compétence universelle ? Le critère de l`universalité du droit de punir donne compétence aux tribunaux de l'Etat sur le territoire duquel se trouve, même passagèrement, le suspect. Il n'est pas un critère nouveau du droit de punir, ce fondement fut défendu avec ferveur par Hugo GROTIUS : « les rois et ceux qui ont un pouvoir égal à celui des rois, ont le droit d'infliger des peines non seulement pour les injures commises contre eux ou leurs sujets, mais encore pour celles qui ne le touchent pas

108 M. HENZELIN, Le principe de l'universalité en droit pénal international. Droit et obligation pour les États de poursuivre et juger selon le principe de l'universalité, Bruylant, Bruxelles, 2000, p. 185

109 A. HUET et R. KOERING-JOULIN, Droit pénal international, PUF, 2005, p. 233

particulièrement et qui violent à l'excès le droit de la nature ou des gens à l'égard de qui que ce soit »110. Admise originellement pour des infractions très graves « lésant la communauté internationale », il s'agit d'une compétence exceptionnelle dont la mise en oeuvre est difficile111, surtout lorsque l'Etat de l'infraction se trouve éloigné de l'Etat de jugement. Trouvant son fondement en matière de protection des droits de l'homme, ce critère est aujourd'hui en pleine expansion, mais soulève aussi des controverses en matière de politique internationale. Certains Etats y voyant l'expression d'un impérialisme judiciaire et partant d'atteinte à leur souveraineté.

Mise à l'épreuve des centres d'intérr~ts économiques, la compétence universelle serait une puissante arme entre les mains du juge répressif, surtout avec la généralisation de responsabilité pénale des personnes morales. D'abord le fait que la loi Perben II généralise la responsabilité des personnes morales permettant que toutes les infractions de droit commun comme de droit économique leur soient reprochées fait des pouvoirs privés économiques ayant une personnalité juridique des cibles potentielles de procès. Ainsi, un groupe dont la filiale située dans un autre pays a commis une infraction, pourra se voir poursuivre devant un juge répressif d'un Etat avec lequel il ne dispose d'aucun lien juridique voire économique. C'est ainsi que dans l'affaire Total précitée, une plainte a été déposée par quatre birmans en Belgique sur la base de la loi de la compétence universelle contre X, Total et ses dirigeants pour complicité de crimes contre l'humanité. Mais les hésitations juridiques des magistrats quand à la portée mr me de cette loi de compétence universelle n'ont pas permis de donner une suite procédurale favorable à cette saisine.

Toutefois, la simple menace d'une inculpation des acteurs économiques personnes morales comme personnes physiques sur le fondement de la compétence universelle est de nature à rendre vertueux les pouvoirs privés économiques. Or ces derniers sont très attachés à leur image de marque et ont tout intérêt à éviter les préjudices économiques que peut leur valoir une médiatisation d'une procédure pénale intentée contre eux au fond.

Le bilan de la régulation répressive des pouvoirs privés économiques est celui d'un résultat contrasté. Sous le bénéfice de ces constats insatisfaisants, il semble logique de rallier la thèse qui soutient un redéploiement du droit pénal économique.

110 H. GROTIUS, Le droit de la guerre et de la paix (De jure belli ac paces, 1625), L. II, Ch. XX, XL, PUF, 1999 cité par M. DEMAS-MARTY In « le droit pénal comme éthique de la mondialisation », Rev. Sc. Crim., 2004, p. 7

111G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, Dalloz, 19e éd., 2004, n° 524

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote