Titre I. La grandeur de l?institution du Comité
Judiciaire
Chapitre 1. La forte légitimité historique et
juridique du Comité Judiciaire
Chapitre 2. Les hautes qualités du Comité
Judiciaire
Titre II: L?apport du Comité Judiciaire à
l?exercice du contrôle des normes Chapitre 1. La richesse du
système mauricien de contrôle modelé par le Comité
Judiciaire
Chapitre 2. Les grandes lignes de la protection
constitutionnelle
Conclusion générale
43 Par exemple, pour désigner le Judge?, on
a cherché à définir le rôle de celui-ci dans la
mécanique juridique. C?est pourquoi on l?a traduit par haut
magistrat? au lieu de haut juge?. Le premier est,
conformément à la méthode systémique, plus
réel et indicatif. Le terme juge? comporte dans une analyse
savante une idée différente de magistrat?.
44 Etymologiquement traducere? veut dire
faire passer?. Dans la méthode littérale, il s?agit de
communiquer les signifiants par des signifiés d?une autre langue alors
que l?approche systémique consiste à rapprocher les signifiants
au détriment des signifiés. A titre illustratif, en
privilégiant la méthode littérale nous avons traduit
High Court? par Haute Cour? et non de Tribunal
de Grande Instance? alors même qu?elle statue sur des grandes affaires en
première instance.
45 Certains termes ont formé leur sens historiquement
en français. Par exemple, dans des cas nous avons traduit
Act? par Acte?. Le terme historique véhicule
l?idée originelle du système anglais.
TITRE I. LA GRANDEUR DE L'INSTITUTION DU COMITÉ
JUDICIAIRE DU CONSEIL PRIVÉ
Institué il y a plus d?un siècle et demi, le
Comité Judiciaire appartient paradoxalement à l?histoire
constitutionnelle anglaise récente et aussi très ancienne tout en
présentant la particularité d?être l?un des rares organes
britanniques pourvus d?une base légale. Bien qu?il soit
créé par une Loi de 1833, ses origines remontent bien
au-delà du dix-neuvième siècle. Il nous apparaît que
le Comité Judiciaire émane, comme les grandes institutions
anglaises, tel le Parlement de Westminster, de la coutume, de la pratique,
voire des conventions constitutionnelles. Il est le produit d?une longue
évolution historique.
En effet, le droit anglais dans son ensemble a
évolué en une grande continuité historique46 et
n?a connu, de fait, ni un renouvellement complet par le droit
romain47, ni un renouvellement systématique par la
codification, qui sont les caractéristiques du droit français et
des autres droits de la famille romano- germanique (civil law). Il
s?est développé lentement et de façon presque autonome
même s?il a subi une certaine influence des Normands48. La
connaissance de l?histoire est dès lors indispensable lorsque l?on
envisage d?étudier une institution anglaise. Il y a lieu de rechercher
dans le passé les éléments de sa rationalité.
Le Comité Judiciaire nécessite donc d?être
examiné, d?abord, sous l?angle historique en tenant compte de
l?évolution de ses liens avec l?île Maurice (chapitre 1). Son
histoire, si longue et continue, constitue indubitablement la première
facette de sa grandeur.
Mais, du Comité Judiciaire, les justiciables attendent
de la compétence, l?indépendance et l?efficacité. La
composition de la Haute Instance répond-elle à ces
impératifs ? Aussi, une juridiction doit disposer des moyens
nécessaires pour assurer ses missions. La délibération
doit s?exercer dans des conditions permettant la sérénité
des réflexions et le sérieux des décisions. Le
46 «English law represented an unbroken development from
prehistoric time. There has been no conscious act of creation or
adoption», BAKER J. H.: «An introduction to English legal
history», Londres, Butterworths, 1990, 673 p., v. p. 1.
47 Sur l?apport des romains, v. BABINGTON Anthony: «The
Rule of Law in Britain from the Roman occupation to the present day»,
Chichester, Barry Rose, 1995, 318 p. L?auteur soutient que: «The system of
law which the Romans brought to Britain was an admixture of the sophisticated
and primitive... It bestowed on Britain four centuries of civilising influence
and of the Pax Romana», v. p. 12 et SCHWARZ-LIBERMANN Von Wahlendorf H.
A.: «Introduction à l?esprit et à l?histoire du droit
anglais», Paris, LGDJ, 1977, 138 p., v. p. 25 et s.
48 DAVID René et JAUFFRET-SPINOSI Camille: «Les
grands systèmes de droit contemporain», Précis-Dalloz, 1992,
10e édition, 523 p., v. p. 254-5.
fonctionnement du Comité Judiciaire répond-il
également à ces besoins ? Nous voudrions oeuvrer à
élucider ces questions en étudiant l?organisation et le
fonctionnement du Comité Judiciaire (chapitre 2) et démontrer par
là même les hautes qualités de l?institution.
CHAPITRE 1. LA FORTE LÉGITIMITÉ
HISTORIQUE ET JURIDIQUE DU COMITÉ JUDICIAIRE
L?histoire d?une institution est le gage de sa
légitimité et de sa force. Une institution, surtout
juridictionnelle, qui n?a pas à son actif une histoire, un passé,
est souvent confrontée à une serieuse difficulté de
reconnaissance. Tout organe public met un certain temps avant de pouvoir
s?imposer, d?être dignement reconnu et accepté par le peuple. A
titre indicatif, on peut citer le Conseil d?Etat français qui n?a pu
conquérir qu?avec une lenteur extrême une place définitive
dans le système juridique français.
L?histoire du Comité Judiciaire s?est formée
dans une double direction: d?une part, de façon exclusive en Angleterre
et éventuellement dans tout l?Empire et ensuite le Commonwealth, et,
d?autre part, en relation avec les pays soumis à sa juridiction et, en
ce qui nous concerne, l?île Maurice. Autrement dit, il existe une
histoire générale et une histoire particulière à
chaque pays.
A la lumière de cette observation, nous aborderons dans
un premier temps l?évolution du Comité Judiciaire en Angleterre
et dans le Commonwealth (section 1) et dans un deuxième temps le
développement de ses liens avec l?île Maurice (section 2).
SECTION 1. LA LENTE ÉVOLUTION DU COMITÉ
JUDICIAIRE EN ANGLETERRE ET DANS LE COMMONWEALTH
L?évolution du Comité Judiciaire fut lente et
prudente. Le Comité Judiciaire a succédé et
émané de plusieurs organes du Conseil du Souverain. Il nous faut
remonter très haut dans l?histoire, tout au début de
l?unification du royaume anglais, pour trouver son point de départ
(sous-section 1).
Par la suite, avec le développement de l?Empire
britannique, le Comité Judiciaire a connu un essor considérable
(sous-section 2), mais a été en déclin une fois l?Empire
lui-même affaibli (sous-section 3). Il convient d?analyser ce flux de
l?histoire du Comité Judiciaire et de démontrer comment il a
néanmoins permis de lui donner une nouvelle place dans le
Commonwealth.
Sous-section 1. Les origines lointaines du
Comité Judiciaire
L?origine du Comité Judiciaire remonte à la
création même de la monarchie, la Couronne, sinon de l?Etat
britannique.
La Loi de 1833 sur le Comité Judiciaire49,
votée sous le règne du Roi Guillaume IV (1830-1837) et qui a mis
en place ladite institution n?a en réalité apporté que des
innovations de pure forme au fonctionnement juridictionnel du Conseil
Privé. La Loi n?a pas tant eu pour objet de déterminer les
compétences d?un nouveau comité autonome que de rationaliser
l?administration de la justice du Roi (paragraphe 3), telle qu?elle
était pratiquée au sein du Conseil Privé (paragraphe 2),
successeur de la Curia Regis (paragraphe 1).
Paragraphe 1. La Curia Regis ou la Cour du Roi
Dès les premiers temps de l?histoire de l?Angleterre,
les Rois anglo-saxons étaient entourés d?un certain nombre de
personnes de grande valeur et de grande probité qui composaient son
Grand Conseil, le Witan aussi dénommé le Witenagemot. Cependant,
ce Grand Conseil n?était pas perçu comme un bon instrument
susceptible d?imposer un gouvernement centralisé. La soumission au Roi
dépendait de sa plus ou moins grande personnalité que de son
autorité institutionnelle. Les Rois normands avaient donc introduit la
Curia Regis (A) telle qu?elle existait et évoluait en
France50, c'est-à-dire une institution qui exerçait
les fonctions d?un gouvernement centralisé. Mais avec l?évolution
de la société, qui devenait de plus en plus demanderesse de
droit, cet organe a subi des scissions (B).
A. L'introduction de la Curia Regis
La Curia Regis touchait à l?essence même de la
monarchie. Elle en était une institution majeure dont la connaissance
met en situation d?en comprendre les mécanismes profonds.
La Curia Regis avait une double fonction: instaurer et consolider
la féodalité (a) et exercer des fonctions de gouvernement et de
justice (b).
49 The Judicial Committee Act of 1833.
50 SUEUR Phillipe: «Histoire du droit public
français», PUF, Thémis, 1989, 2 vol., v. vol. 1 «La
constitution monarchique», 440 p.
a. L'unification féodale
Le Roi Guillaume I (1066-1087) se disait être un Roi
loyal alors même qu?il demeure un fait qu?il était un
conquérant. Les normands devaient imposer un pouvoir fort sur une
population qui n?avait pas beaucoup confiance en eux. Guillaume avait promis,
lors de son serment de couronnement, à l?Angleterre le respect de tout
le système qui existait avant lui bien qu?il eût établi une
société militaire dotée d?une administration
pyramidale.
La féodalité permettait l?implantation d?une
administration forte et centralisée51 et l?unification
complète du royaume52. La société anglaise
était peu évoluée et il existait une tendance naturelle
chez le plus faible à chercher appui auprès du plus fort. Les
normands avaient consolidé ces liens en créant une
dépendance réelle du petit au grand. L?administration royale
avait conféré sous condition de foi au suzerain, le protecteur,
un droit sur les terres du protégé, le vassal. Le système
aboutissait à ceci: chaque terre était tenue d?un suzerain, qui
tenait lui-même d?un autre suzerain supérieur. C?était la
pyramide féodale, au sommet de laquelle se trouvaient le Roi et son
Grand Conseil, qui seuls ne tenaient rien de personne53. Le Roi
était le suzerain de tous et selon la devise des normands, «le Roi
est la source de toute justice dans l?ensemble de ses dominions et exerce cette
compétence au sein de son Conseil, lequel donne des avis à la
Couronne»54. Le Roi Guillaume cumulait les fonctions de
commandeur et de juge. La Curia Regis lui avait permis de
pénétrer dans la conscience de ses sujets et son autorité
avait accru autant que l?étendue de sa justice.
b. La dualité des fonctions de gouvernement et de
justice
La Curia Regis n?avait pas connu à l?origine de
différenciation entre les diverses fonctions régaliennes de
l?Etat. Elle les exerçait toutes. Les membres de la Curia Regis
conseillaient leur Seigneur, le Roi, sur une variété d?affaires
sur lesquelles il demandait leur avis. Les pouvoirs de la Curia Regis
étaient peu précisés mais étaient très
importants dans la mesure où ils permettaient au Roi
51 LOVELL Colin Rhys: «English constitutional and legal
history», Oxford University Press, 1962, 589 p., v. p. 64. V.
également, STENTON F. M.: «The first century of English feudalism
1066-1166», Oxford, Clarendon Press, 1932, 311 p., v. p. 7 à 40.
52 LAMOINE Georges: «Histoire constitutionnelle
anglaise», PUF, Que sais-je ?, 1995, 128 p., v. p. 13 et s.
53 «Norman feudalism was grounded upon a logical theory
of tenure from which all the rights and duties of Lords and tenants
flowed», HOLDSWORTH William, Sir: «A history of English law»,
Londres, Sweet and Maxwell, 1966, 17 vol., v. vol. 1, p. 32.
V. aussi PATEY Jacques, cité note 41, v. p. 15.
54 «The King is the fountain of all justice throughout his
dominions and exercises jurisdiction in his Council, which acts in an advisory
capacity to the Crown».
Ce principe est affirmé dans l?arrêt CJCP: 13
janvier 1947, Attorney-General for Ontario c/ Attorney-General for Canada,
cité note 24.
de les utiliser au maximum. C?était grâce
à des prérogatives inhérentes à la fonction du Roi
que celui-ci avait fait de la Curia Regis l?organe le plus efficace et
centralisé qui existait en Europe de l?ouest55.
Comme une Cour ultime en toutes les matières, tant en
droit privé qu?en droit pénal, les membres de la Curia Regis
agissaient comme les délégués (justitiarii) du
Roi à la justice. Parfois le Roi envoyait ses conseillers dans
les comtés pour y percevoir les impôts et aussi rendre la justice
en son nom. La Cour, quant à elle, accompagnait toujours le Roi dans ses
déplacements et conquêtes et rendait justice là où
il le fallait. Le Conseil était ambulatoire. Le Roi était
toujours présent en son Conseil. Il faut aussi retenir que la Curia
Regis tranchait les litiges assez rapidement56 tant le Roi
était lui-même le mieux placé pour apprécier les
règles du royaume.
Les conseillers, appelés aussi Officiers de la Maison
du Roi (Royal Household Officers) vivaient au Palais et étaient
au nombre de dix à trente57. A leur tête se trouvait le
Chancelier (Chancellor).
55 HOLDSWORTH William, Sir, cité note 53, v. p. 34.
56 Ibid.
57 LOVELL Colin Rhys, cité note 51, v. p. 62.
B. La désintégration de la Curia
Regis
Avec le développement de l?Etat, l?existence de nouveaux
enjeux tel le besoin de financement du royaume, la Curia Regis fut
démembrée.
Elle avait subi deux grandes scissions qui aboutissaient à
la création des cours autonomes (a) et du Parlement, concurrent direct
du Conseil (b).
a. La création des cours autonomes et
souveraines
La centralisation de l?administration de la justice exigeait
bien plus que l?envoi en mission des légistes dans le pays. La
centralisation impliquait l?implantation à Londres des cours permanentes
et non plus itinérantes pouvant trancher des litiges compliqués.
C?est ainsi qu?au treizième siècle trois cours royales,
séparées de la Curia Regis tout en utilisant son personnel,
avaient été établies à Westminster58.
Sous le règne du Roi Henri II (1154-1189), la
Chancellerie commençait déjà à se distinguer et
devenait plus tard un département spécialisé au Conseil
à la tête duquel se trouvait le Chancelier59. Ensuite
au sein du petit corps des délégués du Roi à la
justice (justitiarii), une grande séparation s?était
produite. Un groupe de juges continuait à suivre le Roi dans ses
déplacements et forma peu après la Cour du Banc du Roi (Court
of King's Bench)60. Une autre cour, qui siégeait
à Westminster, avait pour nom la Cour des Plaids Communs (Court of
Common Pleas). Cette dernière était la traduction d?une
disposition de la Grande Charte (Magna Carta) de 1215, par laquelle le
Roi Jean Sans Terre (1199-1219) avait promis que les plaids communs ne
devraient plus suivre sa personne mais seraient examinés dans un lieu
fixe car il était souvent difficile aux justiciables de savoir où
était le Roi61.
Ces trois cours étaient connues sous le nom de Cours de
Common Law.
b. La création du Parlement
58 KINDER-GEST Patricia: «Droit anglais», Paris, LGDJ,
1993, 671 p., v. p. 225.
59 L?influence personnelle du Roi Henri II semble avoir
été prépondérante dans la mise en place de cette
nouvelle administration. V. FITZROY Almeric, Sir: «The history of the
Privy Council», Londres, John Murray, 1928, 348 p., v. p. 5.
60 Cette cour doit son nom au fait que le Roi avait pris
l?habitude de s?asseoir sur un banc lui aussi à côté des
juges. Elle avait une compétence tant en droit pénal qu?en droit
privé.
61 Holdsworth William, Sir, cité note 53, v. p. 34.
Les officiers du Roi le conseillaient quand il
légiférait. Lorsque le souverain avait besoin de moyens
financiers lors des événements inhabituels liés à
la vie féodale ou à la politique étrangère, il
devait demander des impôts aux villes et aux comtés.
La levée de l?impôt par le Roi exigeait le
consentement de ses sujets et il était pratiquement impossible pour tous
les chevaliers de la Couronne de venir siéger à la Curia Regis,
réunie en assemblée plénière. Une majorité
d?entre eux ne voulaient pas y siéger. Il avait donc été
décidé que les chevaliers pouvaient déléguer
certains de leurs pairs pour exprimer leurs voeux, consentements et autres
opinions au Roi. De là a surgi le principe de la
représentation62.
Au treizième siècle, le mot Parlement
apparaissait pour signifier l?assemblée de la Curia Regis qui comprenait
plus de membres que ceux qui y étaient présents tous les jours et
se réunissait pour discuter des questions de grande importance. A la fin
de cette période, la réunion du Parlement désignait aussi
le fait pour le Conseil de statuer sur des requêtes et pétitions
retenues par le clerc de ladite institution.
Ainsi, lorsque le Parlement se séparait
définitivement du Conseil, il emportait avec lui certains pouvoirs de la
Curia Regis, surtout en matière juridictionnelle, et qui étaient
qualifiés désormais d?attributions du Roi en Son Parlement
(the King in His Parliament). Pour aider cette nouvelle institution
à remplir ses fonctions judiciaires, des receveurs (receivers)
étaient nommés pour accueillir et classer les pétitions.
Les décisions des cours subalternes, notamment celles de la Cour du Banc
du Roi, étaient susceptibles d?appel devant le
Parlement63.
Toutefois, malgré le démembrement
opéré au sein du Conseil du Roi, celui-ci avait conservé
un résidu de justice (retenue) par opposition aux autres cours qui
n?étaient compétentes qu?en vertu d?une délégation
royale. Cette délégation ne pouvait priver le Roi de la
prérogative d?exercice de son pouvoir judiciaire
initiale64
|