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Figure de l'autre et construction de l'identité de la victime à  travers l'association des étudiants et élèves rescapés du génocide, (AERG).

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par Eric Ndushabandi
Université Nationale du Rwanda et Facultés Universitaires Saint Louis- Bruxelles - PhD Student 2010
  

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I.2. Qu'est-ce que l'AERG ?

Deux ans après le génocide, un petit noyau d'une trentaine d'étudiants et élèves rescapés du génocide ont partagé l'idée de créer une association qui leur permet non seulement de se mettre ensemble pour partager les multiples défis auxquels ils sont confrontés à la fin du génocide, mais aussi et surtout pour vivre « normalement » au delà de la simple survie.

Dès le départ, nombreux facteurs d'ordre matériels et psychologiques persistent et motivent la création de cette association.

Du point de vue matériel, ces jeunes rescapés ont perdu leur logement, d'autres ont été accueillis dans des orphelinats dans des conditions de vie difficiles, et bien d'autres encore sont adoptés ou placés dans des familles d'accueil et bien d'autres encore sont devenus précocement des chefs des ménages. Ils ont tout perdu y compris l'affection familiale et portent les blessures tant physiques que psychologiques presque irréparables.

Du point de vu psychologique et social, l'étudiant rescapé vit encore des cauchemars et des multiples séquelles survenues suite aux affres du génocide. Le rescapé se trouve perdu dans un milieu où les différentes langues et cultures se côtoient et se concurrencent. Le monde universitaire est caractérisé par les suspicions et la méfiance dans lequel l'étudiant rescapé se perd et se confond.

On ne peut donc définir l'AERG que par cette situation qui prévaut et qui enfin de compte justifie sa raison d'être en tant qu'association des miraculeux rescapés du génocide commis contre les Tutsi en 1994. Les mots sont simples, pourtant la réalité et le fond sont si complexes. Un étudiant rescapé rapporte la situation intérieure de ces étudiants en ces mots :

«  Etre rescapé c'était l'occasion de s'adonner à une introspection. Alors, surtout les filles se terraient dans leurs chambres et pleuraient, coupées de l'avenir, puisqu'elles n'avaient plus de parents. Mes études, à quoi serviront-elles ? S'interrogeait chacune d'entre elles. Quant aux garçons, ils s'adonnaient à l'alcool pour tenter de noyer leur souffrance »

Ayant perdu leurs familles, la mémoire des siens hantent les esprits et le besoin du souvenir s'impose dans un environnement où l'idéologie du génocide refait surface et la justice presque impossible13(*).

Dans ce contexte, mettre sur pied une association comme l'AERG est, non seulement une tâche difficile mais aussi indispensable pour survivre. Ce regroupement procède par le besoin de fonder une communauté, et de vivre avec les autres. Un besoin réel de se construire une identité propre caractérisée par des valeurs communes et des compromis d'intérêts communs à défendre. Ce besoin de regroupement fut l'expression d'un sentiment d'appartenance à un groupement.

Une fois qu'un individu a réussi de s'affirmer en tant que tel, le défi majeur est celui de se faire accepter par ses paires, ou par « l'autre »14(*). Face à soi même et ensuite par rapport aux « autres », l'étudiant rescapé du génocide exprime ses convictions et sa détermination à survivre en ces termes de statuts de l'AERG : « 1° Rassembler et représenter tous les étudiants et élèves rescapés du génocide qui en font la demande auprès des instances habilitées ; 2° Identifier les problèmes scolaires, académiques et socioéconomiques auxquels se heurtent les étudiants et élèves rescapés du génocide ; 3° Recueillir et fournir des informations suffisantes sur le sort des étudiants et élèves rescapés du génocide, les auteurs du génocide de leurs régions respectives ; 4° Promouvoir un soutien mutuel, matériel et moral des étudiants et élèves rescapés du génocide ; 5° Coopérer avec les autorités étatiques de tous les échelons qui s'occupent des problèmes des rescapés du génocide ; 6° Collaborer avec d'autres personnes physiques ou morales, (associations, organismes nationaux et internationaux), pour le bien-être des étudiants et élèves rescapés du génocide. 7° Perpétuer la mémoire. Recueillir et conserver les témoignages et tout autre moyen en rapport avec le génocide ; 8° Lutter contre les idées négativistes et pour que plus jamais le génocide ne se reproduise dans notre pays ou ailleurs ; 9° Inhumer en honneur les nôtres »15(*).

Ce paragraphe se résumerait simplement par la reprise des verbes en italique qui sont l'expression des missions ambitieuses de l'AERG. Bref, l'AERG se donne pour mission de rassembler pour s'entraider, de représenter les rescapés, de plaider pour eux, de promouvoir le soutien mutuel, de lutter contre l'idéologie du génocide et perpétuer la mémoire et d'inhumer les restes des corps des victimes.

Cette analyse voudrait s'attarder seulement sur ces derniers aspects en rapport avec la mémoire et la commémoration du génocide. C'est un choix de recherche motivé, et non pas que la mission de se souvenir est forcément présentée au premier plan dans les missions de l'AERG16(*).

Par rapport à ces valeurs partagées, nous avons voulu entendre des rescapés, étudiants à l'UNR comment eux-mêmes ils se définissent comme membre de l'AERG. Près de quinze ans après donc, les membres de l'AERG se comprennent et se définissent en des mots simples : « L'AERG est une association qui rassemble les étudiants rescapés du génocide et les membres d'honneur, qui ne sont pas forcement des rescapés du génocide mais qui ont la volonté d'aider et de soutenir ces derniers. Elle a été créée par des étudiants de l'UNR dans le temps pour se trouver un moyen de se reconnaître et de s'entraider ».17(*) Il poursuit en disant que : « L'objectif premier est de rassembler les membres pour faciliter l'entraide et le soutien mutuel dans les difficultés rencontrées »

Quant les membres justifient la raison d'être de l'association, c'est le besoin de s'entraider et de se soutenir mutuellement qui est évoqué :

L'un de nos enquêtés affirme ceci : « l'association est née après le génocide où les rescapés se sont retrouvés dans des nombreuses difficultés, repliés sur eux-mêmes, solitaires et angoissés. Alors ils se sont décidés de se mettre ensemble, (s'associer) pour pouvoir s'entraider. Son objectif c'est de rassembler les rescapés du génocide pour pouvoir plaider, lutter ensemble pour la survie après ce qui est arrivé18(*) ». Une autre opinion abonde également dans le même sens : « L'idée de créer une association est venue de nos collègues, anciens de l'UNR qui avaient émis le besoin de se mettre ensemble pour mieux se connaître et qu'on essai de s'entraider»19(*).

Heureusement qu'une autre opinion vient nuancer ces propos et insiste sur le souvenir comme facteur à la base de tout :

« Se souvenir c'est la première des valeurs de l'AERG autour de laquelle nous nous rassemblons tous. C'est elle qui a permit à l'association d'exister. C'est elle qui donne suffisamment de force aux autres missions de l'AERG. Se souvenir de tout ce qui nous est arrivé et de tous les maux qui ont été perpétrés contre nous pendant le génocide. D'ailleurs, au début de chaque réunion, nous consacrons une minute de silence au souvenir » C'est de ceci que découle la mission de lutter pour vivre et bien vivre. Par exemple avant le génocide, on ne nous permettait pas d'étudier20(*). Or, maintenant j'étudie et c'est ce qui me permettra de vivre et de bien vivre. Les études m'assurent le lendemain meilleur et me permettront d'aider les autres qui n'ont pas pu étudier » 21(*).

Il est évident que le besoin de se reconstruire sur le plan psychologique et matériel vienne au premier plan. Cependant, que rien ne détourne l'attention des membres sur le besoin de se souvenir, de perpétuer la mémoire par le recueil des témoignages et l'inhumation des restes des victimes et de lutter contre les idéologies génocidaires que subissent encore les membres de l'AERG.

* 13 Au lendemain du génocide plus 120 000 présumés génocidaires arrêtés regorgent les prisons. L'Etat a perdu, non seulement, un grand nombre des juges, mais aussi personne n'est prêt à témoigner dans un contexte de génocide d'une si grande proximité culturelle entre bourreaux et victimes.

* 14 Lire WEBER M., dans DELAS J-P. et MILLY B., Histoire des pensées sociologiques, Paris Armand Colin, 2005, p.169.

* 15 Association des Etudiants et Elèves Rescapés du Génocide, (AERG), Statuts de l'Association, Février, 2002, pp.2-3.

* 16 Dans les statuts de l'AERG, ce n'est qu'aux alinéas 7, 8,9 que l'AERG se donne des objectifs en rapport avec la mémoire. Il n'est pas étonnant que les opinions des nos enquêtés s'inscrivent aussi dans cette logique.

* 17 Entretient avec l'actuel président de l'AERG, Mai, 2010.

* 18 Entretien, Mai 2010.

* 19 Entretien, Mai, 2010

* 20 Faisant référence à la discrimination et au quota ethnique dans les écoles pendant les deux dernières républiques.

* 21 Entretien, Mai 2010.

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