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Le micro-crédit en droit français et en droit cambodgien

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par Vannak NHEAN
Université Jean Moulin Lyon 3 - DEA de Droit des affaires 2006
  

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Section I : Les caractéristiques du micro-crédit

18. - Contenu de la section. Toutes les caractéristiques du micro-crédit permettent d'expliquer les raisons pour lesquelles les banques classiques ne s'intéressaient pas au marché du micro-crédit. Une question essentielle qui se pose est de savoir comment le micro-crédit peut surmonter les obstacles à la distribution du crédit aux personnes à qui les banques classiques n'avaient pas fait confiance. Ainsi, une étude préliminaire sur les motifs qui conduisent à une réticence des banques dans le marché du micro-crédit (§1) est indispensable afin mieux comprendre les caractéristiques du micro-crédit (§2)

§ 1. - La réticence bancaire en matière de micro-crédit

19. - La terminologie. Bien que la France soit un pays dont le niveau de bancarisation des populations est très fort, un nombre important de ces populations, cinq à six millions de personnes, soit 10% de la population, reste à l'écart du système bancaire. Elles sont exclues de la sphère bancaire. L'appellation d'exclusion bancaire du crédit est sujette à caution puisqu'il n'existe pas de « droit au crédit ». Il vaut mieux parler de l'absence ou de difficulté d'accès au crédit bancaire32. La lutte contre cette exclusion s'inscrit depuis des années dans la politique du gouvernement français. Plusieurs mesures ont été adoptées notamment le droit pour chaque individu de posséder un compte bancaire créé par la loi Aubry de 1998 et l'instauration en 1999 d'un service bancaire de base pour les plus démunis. Malgré ces efforts, l'accès au crédit des ces populations n'est pas reconnu. Un doute sur la reconnaissance du droit au crédit pourrait être émis à la lecture de l'article L. 511-10 du Code monétaire et financier qui fait référence au droit au crédit. Toutefois, la formule légale n'a vocation qu'à encourager la création des établissements de crédit à vocation sociale. Le droit au crédit n'a pas encore et ne doit pas avoir son existence juridique. Ainsi, les banques peuvent parfaitement refuser d'accorder le crédit demandé par des personnes qui ne répondent pas à leurs exigences. L'accès au crédit bancaire pour les plus démunis demeure touj ours un obstacle essentiel.

20. - Les facteurs de la réticence bancaire du micro-crédit. Comme les banques perçoivent souvent le micro-crédit comme une activité comportant un risque élevé et un faible rendement en raison de la probabilité importante de défaillance et du coût de traitement élevé des petits prêts, il existe une carence du marché. Cette carence démontre que l'accès au financement est perçu par les petites entreprises comme une contrainte majeure pour leur création et développement. Plusieurs facteurs expliquent la réticence des banques. Les obstacles qui caractérisent l'imperfection du marché sont dus à l'asymétrie d'information qui constitue une difficulté réelle pour les banques dans la sélection de leurs clients, au coût d'opération, au manque de garanties saisissables et à l'existence d'un aléa moral.

32 . Emmanuel CONSTANS, « L'exclusion bancaire et financière : outils de mesure et actions nouvelles », in Le rapport moral sur l'argent dans le monde, éd. Association d'économie financière, 2006, p. 364.

21. - La sélection de la clientèle33. Le crédit fait intervenir un facteur de temps, le décalage entre l'octroi de crédit et son remboursement. Or, ce décalage temporel est une source d'insécurité, de toutes les difficultés pour les établissements de crédit. Pendant ce laps de temps, un certain nombre d'événements peut survenir. Des risques peuvent résulter de ce rapport de temps. En matière de crédit, il s'agit du risque d'insolvabilité de l'emprunteur et d'immobilisation de crédit auxquels les banques doivent faire face quotidiennement. Ainsi, évaluer la dignité de crédit34 d'une personne est une nécessité pour un banquier35. Cette notion désigne la confiance qui peut être accordée à un individu emprunteur ou demandeur de crédit. Il faut rappeler que l'activité de distribution du crédit est une activité commerciale. Le corollaire d'un tel trait caractéristique est la réalisation de bénéfices. Pour pouvoir faire des bénéfices au moyen de crédit, le banquier doit procéder à une analyse de la dignité de crédit avant de prendre une décision d'octroi ou de refus de crédit. Cette analyse du risque de crédit conduit la banque à ne pas contracter avec un emprunteur qui n'assumerait pas ses obligations de remboursement et donc à exclure certaines catégories de personnes jugées insolvables et trop risquées de sa sphère commerciale. Le banquier est obligé d'être rationnel en matière de distribution de crédit. En plus, face à une forte concurrence, les établissements de crédit s'efforcent de trouver des techniques qui viennent renforcer, à moindre coût, rigoureusement la sélection des candidats à l'emprunt. Depuis plus de 20 ans, en France comme dans le monde, est apparue une méthode statistique qui, à partir des caractéristiques de chaque client, établit la probabilité de sa défaillance. C'est une méthode dite « de score ou scoring ». Le crédit scoring est une méthode automatisée de sélection de la clientèle généralement fondée sur l'analyse statistique. Ce procédé permet d'informatiser l'étude des demandes de crédit, ce qui en diminue le coût36. Par sa forte capacité de traitement d'informations objectives, via l'outil informatique, il permet une sélection fine du risque de crédit. Dès lors la population qui ne satisfait pas à cette forme de sélection se verra automatiquement exclue du crédit. Cette technique est donc un facteur aggravant l'exclusion financière du micro-crédit.

Il est essentiel de préciser que la méthode de scoring est une méthode statistique qui se base sur le traitement des informations. Elle permet une appréciation objective. Le facteur d'appréciation humain a assez largement disparu. La prise en compte de l'individu

33. Nicola EBER, Sélection de clientèle et exclusion bancaire, Rev. Eco. Fin, 2000, p. 79-96.

34. Notion d'origine allemande, kredit würdugkeit.

35. A. SALGUEIRO, Les modes d 'évaluation de la dignité de crédit d 'un emprunteur, thèse Université d 'Auvergne, Clermont-Ferrand I, 2004.

36. Dominique MONERA, « le crédit scoring et le risque client », Banque, 1991, p. 801.

lui-même s'efface derrière les critères retenus. L'indisponibilité des informations est donc incompatible avec cette méthode. Le manque d'information peut conduire facilement les établissements de crédit à écarter un client potentiel ou non.

22. - 1. L 'asymétrie d'informations. Le scoring ne peut pas être effectué en l'absence d'informations sur le client. Avant d'accorder le crédit, le banquier a besoin de s'informer sur un client potentiel et sur son projet d'investissement afin d'éviter d'accorder son capital à des personnes peu sérieuses ou aux projets peu rentables. Les informations sont disponibles sans trop de coûts pour des clients avec des activités formelles et organisées, inscrites au registre du commerce et des sociétés ou payant régulièrement des impôts. En revanche, la plupart des entrepreneurs du secteur informel ainsi que de nombreux agriculteurs dans les pays en voie de développement ne se trouvent pas dans cette situation, et il est presque impossible pour le banquier de s'informer sans beaucoup de frais. Cela exclut d'office certaines catégories de population d'un accès au crédit.

Selon la théorie de l'asymétrie d'informations, le rationnement du crédit est forcément lié au problème d'accès inégal à l'information tant par le créditeur que par le débiteur. Au Cambodge où le secteur agricole est dominant, les risques auxquels les agriculteurs doivent faire face sont souvent très importants. Il est assez coûteux pour les banquiers de trouver des informations qu'il lui faut pour consentir un prêt à l'agriculteur. Le coût élevé de l'opération est un deuxième obstacle qui est étroitement lié au problème d'asymétrie d'informations. En effet, les frais fixés sont les mêmes pour la banque, quel que soit le montant du prêt demandé. Les petits prêts représentent donc des projets peu rentables pour la banque.

23. - L'atout principal du secteur informel. D'ailleurs, il est intéressant ici d'observer que les opérateurs de crédits informels arrivent mieux à contourner le problème d'informations et de risques que les acteurs formels. L'activité des usuriers se trouve souvent dans les zones géographiquement bien localisées où l'information sur le client potentiel est facile à obtenir grâce à la proximité. Il ne s'agit pas d'un banquier éloigné du terrain, mais plutôt de quelqu'un qui vit dans le milieu, connaissant parfaitement les clients, et devant lequel il est difficile de cacher des informations. Ils peuvent donc évaluer les risques et fixer le taux d'intérêt en fonction de ces risques.

On peut dire finalement que l'asymétrie d'informations conduit souvent les

banquiers à surestimer le risque lié au crédit. Par conséquent, les banquiers sont souvent amenés à exiger une garantie. L'accès au financement devient alors plus compliqué pour les créateurs n'ayant pas de garanties à fournir.

24. - 2. L 'absence de garanties. Les méthodes utilisées par les banquiers sont nécessaires, mais elles demeurent insuffisantes. Sachant que le crédit est un acte de confiance et fait intervenir un rapport de temps, un certain nombre d'événements peuvent se produire et venir fausser l'analyse au départ. Ainsi, les banquiers exigent souvent les garanties de l'emprunteur, garanties qui peuvent prendre plusieurs formes. Il est évident qu'il peut y avoir des crédits en blanc à condition que la proximité existant entre le banquier et son client soit déterminante pour construire la confiance. À défaut d'une telle relation de proximité relationnelle s'alimentant de la proximité géographique, sociale et mentale, le banquier doit être rationnel en exigeant des garanties afin d'éviter que la confiance ne dégénère en confiance aveugle, ne bascule vers la crédulité. Le crédit est donc inégalitaire puisqu'il met en balance le risque et la garantie. Plus le risque est grand, plus les garanties doivent être importantes. Les personnes modestes auxquelles l'octroi d'un crédit est considéré comme risqué ne peuvent pas, par définition, offrir de garantie et se trouvent donc exclues de l'accès au crédit. Ainsi, les entrepreneurs informels sont défavorisés puisqu'ils n'ont souvent pas de local fixe ou des équipements de valeurs importantes saisissables en cas de défaillance. Sur ce point, l'usurier peut parfaitement assurer le recouvrement de ses créances en liant le prêt à des paiements en nature, telle que la culture de rente. Le secteur bancaire formel aurait du mal à avoir recours à cette technique de garantie. L'absence de garantie saisissable est donc une cause d'exclusion du crédit. Elle peut, en plus, aggraver l'aléa moral que les banquiers ont sur les demandeurs de crédit.

25. - L'aléa moral37. Le problème de fond se trouve dans les conditions de l'aléa moral qui caractérise les rapports économiques entre les agents économiques. Les intérêts des agents économiques pourraient ne pas être dans le même sens. Le prêteur a intérêt à ce que le prêt soit remboursé, alors qu'il est de l'intérêt de l'emprunteur de ne pas rembourser le crédit dans certains cas. Cette tentation, appelée l'aléa moral, explique la réticence du banquier à prêter de l'argent à un entrepreneur sans garanties saisissables ou à quelqu'un qui habite loin de la banque. L'implantation des banques peut également constituer une

37. David LEEGE, Dans quelle mesure la microfinance et la formation agricole peuvent-elles contribuer à la réduction de la pauvreté dans une région défavorisée du Cambodge, thèse université de Montpellier I, 2003.

cause d'exclusion indirecte. Il s'agit d'une sélection indirecte, ce qui défavorise encore les populations qui habitent dans le milieu rural.

26. - L'environnement juridique. Enfin, la réticence bancaire du micro-crédit peut trouver également sa cause dans l'environnement juridique existant. Pour les banquiers, un certain nombre d'obligations leur est imposé notamment l'obligation de respecter le ratio de solvabilité de 8%. Cette obligation est indiscutable mais elle conduit à décourager les banquiers de s'impliquer dans le domaine du micro-crédit. Ainsi, l'évaluation du risque de crédit a une incidence directe sur le ratio bancaire. Plus le risque est élevé, plus ils doivent veiller à augmenter les fonds propres afin de respecter le ratio de solvabilité, ce qui n'est pas sans incidence sur la rentabilité des établissements de crédit. En plus, il faut noter que les procédures de rétablissement personnel qui viennent d'être récemment définies, peuvent aussi amener les banques à se montrer plus restrictives dans la distribution de crédit en renforçant leurs critères de sélection. On y gagnera dans la prévention et le traitement du surendettement, mais l'accès au crédit pour les populations à risque élevé sera encore plus difficile, même pour celles d'entre elles qui peuvent faire preuve d'une certaine solvabilité. En effet, l'inscription au fichier des incidents de remboursements des crédits aux particuliers (FICP) en est également une source. En principe, les personnes inscrites au FICP ne sont exclues du crédit que de facto car, juridiquement, cette inscription ne vaut pas interdiction de leur prêter et les établissements de crédit n'ont, par ailleurs, pas d'obligation de consulter le FICP avant d'accorder un crédit38. La réticence de la banque en matière d'accès au crédit tient donc aussi au risque de surendettement qui tend souvent à être surestimé39.

27. - L'enjeu du micro-crédit. Ces observations permettent de mieux appréhender la situation des populations les plus défavorisées face au crédit et à comprendre leur exclusion de tout recours à des financements formels. Une telle exclusion liée à l'impossibilité de satisfaire les critères de stabilité et d'ancienneté requis de plus en plus dans le système de sélection. Il faut noter qu'actuellement en France, moins du quart des créateurs d'entreprise bénéficient d'un concours bancaire. Toutefois, les populations écartées expriment les besoins qu'il n'est pas illégitime de financer des projets valorisant la personne humaine, favorisant le confort familial ou améliorant la vie quotidienne et qui

38. Emmanuel CONSTAN, préc., p. 364.

39. Emanuel CONSTAN, préc., p. 370.

méritent d'être anticipés. En outre, cette situation d'exclusion n'est pas acceptable en terme d'équité sociale40. L'accès au crédit est une source de production, de consommation, voire de constitution de patrimoine. A ce titre, le problème n'est pas seulement humain, il y a aussi un enjeu économique. Ainsi, trouver des solutions de financement pour tous ceux qui n'y ont pas accès, et en même temps les adapter pour tenir compte de la spécificité de leur situation doit s'inscrire désormais comme un objectif prioritaire. Pour faire face à ce problème et débloquer la situation d'exclusion de l'accès au crédit, un nouveau concept de crédit - le micro-crédit - a été créé. Il s'agit donc de comprendre les caractéristiques de cette nouvelle conception de la distribution de crédit. Celles-ci permettent de comprendre pourquoi le micro-crédit peut lever les obstacles relatifs à l'accès au crédit des personnes défavorisées, obstacles sur lesquels les banques traditionnelles se fondent pour justifier le rejet du crédit demandé.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry