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Les impacts des incitations monétaires sur l'effort des salariés: positifs ou négatifs ?

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par Pheakdey VIN
Université Lumière Lyon 2 - Master Recherche 2007
  

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INTRODUCTION GENERALE

L'économie des organisations est une branche de l'économie qui étudie l'ensemble des arrangements institutionnels permettant la mise en oeuvre de la production et l'échange de biens et de services. L'organisation recouvre alors les différents dispositifs possibles, depuis l'entreprise jusqu'au marché en passant par les modes « hybrides » tels que les réseaux ou les alliances, sans oublier l'Etat et ses agences [Ménard, 2004]. Dans un sens plus restreint, l'économie des organisations consiste dans l'étude de l'organisation comme entité économique spécifique, c'est-à-dire comme lieu de décision unifié en dernier ressort, l'archétype étant l'entreprise. Elle s'intègre également dans le corpus plus large de la théorie des organisations. L'économie des organisations privilégie un ensemble de problèmes que continuent d'ignorer trop d'économistes, par exemple la nature des relations hiérarchiques et leurs relations avec les mécanismes incitatifs pour gérer le comportement des salariés au travail. Elle le fait en ayant recours à des méthodes diverses, dont certaines irritent les théoriciens orthodoxes. Aujourd'hui, le problème d'incitation des salariés, selon la théorie des incitations, est toujours au coeur de la firme et il est nécessaire de le résoudre. La façon de concevoir des institutions qui fournissent de bonnes incitations aux agents économiques est devenue une question centrale en économie [Laffont et Martimort, 2002]. L'un des mécanismes incitatifs les plus discutés et qui reste d'actualité concerne ce que l'on a appelé les incitations monétaires. Ce sont donc les effets provoqués par ces dernières sur l'effort des salariés au travail qui nous intéressent ici. Selon Etchart-Vincent [2006], les incitations monétaires se définissent comme « une technique de rémunération qui fait dépendre cette dernière sur la performance du sujet et incite donc celui-ci à prendre les décisions qui correspondent à ses véritables préférences de façon à maximiser son gain ». Les incitations monétaires sont souvent considérées par des économistes comme un des mécanismes incitatifs efficaces pour résoudre un problème d'aléa moral et de sélection adverse dans la firme, i.e. pour inciter les salariés à l'effort au travail. Les incitations monétaires sont donc mises en place pour amener les salariés à révéler leurs informations privées et à agir en conformité avec les objectifs de la firme [Ménard, 2004]. Par ailleurs, un autre terme que nous devrions définir dans notre étude est l'« effort ». De manière générale, le terme effort englobe « la totalité des activités susceptibles d'être mises en oeuvre et déployées par le salarié :

dépense physique, dépense intellectuelle, initiative, diligence, etc. » [Baudry, 2003, p.49]1. En France, les modes de rémunération ont beaucoup évolué ces dernières années. Les augmentations de salaire sont de plus en plus individualisées. Cette individualisation des rémunérations a débuté en France en 1986 et a concerné 50 % des entreprises en 1992 [Lemistre, 2000a].

Dans ce qui suit, nous retournerons brièvement dans l'histoire des théories économiques en exposant l'évolution de la recherche sur la firme et de la prise en compte des problèmes d'incitations des salariés au sein des firmes. Nous allons également mettre en lumière le débat actuel entre des chercheurs sur une utilisation des incitations monétaires comme dispositif incitatif dans la firme. Tout d'abord, nous commençons donc par la théorie néoclassique.

Depuis les années 1970, les économistes se concentrent de plus en plus sur la recherche de la firme puisque, d'une part, le modèle de la firme fordiste, qui est dominant pendant la période des trente glorieuses, a été déstabilisé par de nombreuses transformations dans la conjoncture économique à l'époque et d'autre part, la firme de la théorie néoclassique, courant lié à la microéconomie traditionnelle, est appréhendée uniquement en termes technologiques [Baudry, 2003]. La firme, et de manière plus générale les organisations, ont donc pendant longtemps été ignorées par la théorie économique néoclassique. En effet, cette dernière identifie la firme à « une fonction de production spécifiant, en quantités physiques, le maximum possible d'outputs qui peut être obtenu à partir de différentes combinaisons d'inputs » [Gabrié et Jacquier, 1994]. La firme est assimilable à une boîte noire qui transforme efficacement des ressources en produits, sans que l'on sache comment se déroule ni comment s'organise cette transformation [Bouba-Olga, 2003]. De plus, il est supposé dans cette théorie que l'entrepreneur est parfaitement rationnel et possède toutes les informations gratuites lui permettant d'évaluer les conséquences du choix de chacune des alternatives dans le seul but de maximiser le profit. En effet, il n'est pas limité par ses capacités de calcul (homo oeconomicus) ni par celles du matériel utilisé.

Par ailleurs, dans la théorie néoclassique, les facteurs de production sont traités sous deux hypothèses [Gabrié et Jacquier, 1994]. D'une part, les deux facteurs de production (le capital et le travail) sont traités de manière identique. Le travail ne possède donc aucune spécificité, il s'agit d'une marchandise comme les autres. Ainsi, le paradigme néoclassique évacue complètement les problèmes organisationnels, tels que la motivation des employés ou

1 Nous aborderons des éléments de la construction de l'effort dans le chapitre I.

le coût de contrôle de leurs comportements qui sont au coeur du fonctionnement de l'organisation. D'autre part, il s'agit de l'hypothèse de passivité des agents salariés. Elle implique que ces agents concèdent l'entière disposition de leurs aptitudes productives à leur employeur, qui a toute latitude dans les limites fixées par les dispositions du contrat de travail. Les salariés se conforment donc entièrement à leurs engagements contractuels et livrent à leur employeur le maximum d'efforts productifs ; ils sont parfaitement de bonne foi, exempts de tendance à la flânerie. De ce fait, le système de contrôle est inutile et le conflit est aussi absent. Dans ce point de vue, la théorie ignore complètement les problèmes d'incitations et la structure interne de la firme.

En fait, la flânerie, « naturelle »2 et « systématique »3, est un problème majeur de tout temps pour les entreprises. Il est à l'origine, par exemple, des travaux de Frederic Winslow Taylor qui tente de le résoudre à travers l'organisation scientifique du travail (OST). Taylor, dans son ouvrage traduit en français en 1971 par Luc Maury, « la direction scientifique des entreprises », montre qu'il y a deux causes à la flânerie. En premier lieu, les ouvriers croient à tort que l'augmentation de la production entraîne le chômage. Ils flânent donc pour se défendre contre ce malheur. En second lieu, les ouvriers sont incités à flâner, non seulement par penchant naturel à la paresse, mais surtout parce qu'ils ont constaté que, chaque fois qu'ils augmentaient leur rythme de travail, leurs patrons s'arrangeaient pour ne pas augmenter leurs salaires. Dès lors, pour inciter les ouvriers à l'effort au travail, Taylor propose une rémunération au rendement (ou une rémunération à la pièce) qui met en évidence des intérêts conciliables [Filleau et Marques-Ripoull, 1999]. Cette forme de rémunération permet effectivement de récompenser les ouvriers à la hauteur de leur mérite, les incite à accélérer leurs cadences de travail et autorise ainsi une meilleure performance de l'entreprise. En outre, à travers l'histoire, il est généralement attribué à Taylor la paternité de l'idée selon laquelle l'élément le plus motivant est l'argent ou salaire [Roussel, 1996 ; Michel, 1989]. Ainsi, si une incitation financière suffisante est associée à la productivité, l'individu choisit la productivité comme moyen lui permettant d'obtenir cette récompense financière. Par conséquent, le système de la rémunération à la pièce est employé pour régler le problème de flânerie des

2 Il s'agit de l'instinct naturel et de la tendance de tous les hommes à « se la couler douce ». Il est certain que l'homme moyen dans tous les actes de la vie a tendance à travailler à une allure lente et facile et que ce n'est qu'après de nombreuses réflexions de sa part ou à cause de l'exemple des autres, de sa conscience, ou d'une pression extérieure, qu'il se décide à adopter une allure un peu plus rapide [Taylor, 1971].

3 Il s'agit de réflexions plus complexes émanant de leurs relations avec les autres hommes. On pose une question comme un exemple de ce type de flânerie, « pourquoi travaillerais-je dur pour gagner la même paie que mon paresseux de voisin qui ne produit que moitié moins que moi ? » [Taylor, 1971].

ouvriers dans l'organisation depuis l'ère de Taylor et est encore développé par quelques industriels contemporains.

Le célèbre article de Ronald Coase, « The Nature of the Firme », publié en 1937, marque la rupture avec l'approche néoclassique standard de l'organisation. Ronald Coase est le fondateur de la théorie moderne de la firme. En effet, cet auteur pose deux questions fondamentales de la nature de la firme dans une économie de marché : l'une porte sur l'existence de la firme et l'autre sur la définition de la firme. Selon Coase [1937], la firme existe parce qu'il y a un coût de fonctionnement du marché4. La firme, pour lui, se définit comme un mode d'organisation des activités, alternatif au marché et l'affectation des ressources en son sein s'effectue par l'autorité, représentée par l'entrepreneur-coordinateur. La coordination par la firme repose donc sur l'autorité et, la coordination par le marché repose sur le système de prix. Coase confirme que la relation d'autorité se substitue au système de prix quand les coûts de recours au marché (ou les coûts de transaction) sont supérieurs aux coûts d'organisation à l'intérieur de la firme d'une transaction considérée. Dès lors, pour Coase, le marché et la firme sont conçus comme les deux formes alternatives de coordination et se distinguent dans leur nature. Par contre, compte tenu des dispositifs de gestion des salariés5 dans l'approche coasienne, Coase met fortement l'accent sur seulement la dimension autoritaire de la firme, aux dépens d'une autre dimension pourtant fondamentale, la dimension incitative [Dubrion, 2004]. En effet, chez Coase, une fois le contrat de travail conclu entre l'employeur et le salarié, son exécution n'est jamais problématique. Les comportements des travailleurs, l'intensité des efforts qu'ils déploient au travail, leur diligence ne sont pas pris en compte.

Dès lors, dans les années 1970 et 1980, les intuitions coasiennes sont formalisées par les travaux de Williamson au travers de la théorie des coûts de transaction. Williamson commence par donner des fondements microéconomiques à son approche à partir de deux postulats sur le comportement des agents économiques [Bouba-Olga, 2003 ; Baudry, 2003]. D'une part, dans la lignée de Simon, Williamson postule que les agents ne sont dotés que d'une rationalité limitée6 et d'autre part, ces mêmes agents sont supposés être opportunistes7.

4 Ces coûts d'utilisation du marché peuvent être classés en trois catégories : les coûts de recherche et d'information, les coûts de négociation et de décision, et les coûts de surveillance et d'exécution [Bouba-Olga, 2003].

5 Les dispositifs de gestion des salariés se définissent comme l'ensemble des formalisations qui, sous la forme de règles, caractérisent d'une part le fonctionnement de la firme dans sa manière de gérer sa main-d'oeuvre, et offre d'autre part la possibilité d'orienter les actions des agents membres de l'organisation productive [Dubrion, 2003, p. 126].

6 La rationalité limitée signifie que bien que les agents soient rationnels, ils ont limités sur le plan cognitif de telle sorte qu'ils ne peuvent pas calculer tous les états de la nature envisageables avant d'agir.

Une conséquence majeure de la première hypothèse est que les contrats que les individus vont conclure ensemble sont nécessairement incomplets. Cette incomplétude des contrats ouvre la voie à l'opportunisme. Par conséquent, contrairement à Coase qui pense que l'autorité peut seule coordonner efficacement les membres de la relation d'emploi, Williamson considère qu'elle s'avère efficace pour économiser la rationalité limitée des agents mais elle ne l'est aucunement pour contrôler leurs comportements opportunistes [Dubrion, 2005]. Selon Williamson, la firme dispose d'un « processus administratif » spécifique qui est un processus fondamental pour comprendre comment les comportements opportunistes des agents sont atténués dans l'organisation. Les éléments de ce processus administratif sont : les dispositifs de rémunération, de promotion, d'évaluation des salariés, ceux-ci étant vus comme des moyens collectivement négociés au sein de la firme pour contrôler les comportements opportunistes des salariés. Se limitant aux systèmes de rémunération, pour Williamson, afin d'atténuer les comportements opportunistes des salariés, les salaires devraient être déterminés collectivement à partir des caractéristiques des postes de travail et non des capacités productives individuelles des salariés [Baudry, 1999 ; Dubrion, 2004]. En effet, la dimension collective de l'organisation interne diminue les incitations individuelles des salariés à négocier de manière répétée leur niveau de salaire. Le système de promotion incite également le salarié à l'effort puisqu'il a la possibilité d'augmenter leur salaire en améliorant leur position dans la hiérarchie.

Par ailleurs, de manière plus approfondie, les théoriciens des incitations mettent fortement l'accent sur les problèmes d'incitation au sein de la firme. Les principaux auteurs de ce courant sont Armen Alchian et Harold Demsetz qui ont rédigé leur célèbre article « Production, Information Costs, and Economic Organization », publié en 1972. Ensuite, cet article a été prolongé en 1976 par Michaël Jensen et William Meckling « Theory of the Firm: Managerial Behavior, Agency Costs, and Ownership Structure ». Ce prolongement est à l'origine du modèle du principal-agent. Les auteurs considèrent la firme comme un noeud de contrats et il ne faut donc pas voir dans l'autorité le caractère distinctif de la firme. Dans ce courant, la firme et le marché sont perçus comme des formes contractuelles différentes de rémunération de l'effort. De plus, les auteurs reconnaissent qu'il existe une asymétrie d'information entre agents économiques, ce qui conduit à un problème « principal-agent » au

7 L'opportunisme caractérise l'absence d'honnêteté dans les transactions, la recherche de l'intérêt personnel par la ruse [Baudry, 2003]. Williamson s'appuie sur la distinction entre opportunisme ex ante et opportunisme ex post qui débouchent respectivement sur les problèmes de sélection adverse et d'aléa moral (voir aussi l'encadré dans le chapitre I du mémoire).

sein de la firme8. En d'autres termes, les intérêts de l'employeur et ceux des employés sont souvent divergents ; ces derniers ont toujours tendance à se comporter comme « passager clandestin » en travaillant moins que prévu pour maximiser leur intérêt personnel. En effet, leur effort individuel est difficilement observable et mesurable, notamment dans la production en équipe. La firme est appréhendée donc comme une forme d'organisation visant à trouver la structure de contrats devant permettre de mettre en place les incitations adéquates et à réaliser la coordination des agents en définissant un partage optimal entre les agents des risques et des bénéfices. Ici, les auteurs suggèrent d'utiliser les incitations monétaires pour inciter les employés à agir dans l'intérêt de l'employeur car le système de surveillance est coûteux.

A partir des années 1980, la New Economics of Personnel (NEP) ou Personnel Economics, une branche appliquée de la théorie des incitations, s'est attachée à comprendre comment l'employeur peut concevoir un système de rémunération (un contrat) qui incite l'employé à agir dans son intérêt - c'est-à-dire le plus souvent dans les modèles, la maximisation du profit [Dubrion, 2004 ; 2005]. Le représentant majeur de ce courant est Edward Lazear. Afin de résoudre les problèmes de coordination et d'incitation au sein de la firme, la NEP propose d'utiliser les systèmes de rémunération via les contrats incitatifs explicites (par exemple, les systèmes de rémunération à la pièce [Lazear, 2000]) et implicites (par exemple, les systèmes d'évaluation subjective de la performance [Baker et al., 1994]). En outre, il y a d'autres mécanismes incitatifs tels que le modèle à paiement différé [Lazear, 1995], la pression des pairs [Kandel et Lazear, 1992], le modèle des tournois [Lazear et Rosen, 1981] et le modèle du salaire d'efficience [Shapiro et Stiglitz, 1984]9, étant aussi analysés. Soulignons que l'ensemble de ces dispositifs analysés est toujours finalement ramené à un système de rémunération de l'effort, identifié à une forme de paiement particulière. Dès lors, pour les théoriciens des incitations et aussi ceux de la NEP, les incitations monétaires jouent un rôle important pour inciter les salariés à fournir un effort élevé au travail. Outre ces économistes, un psychologue Victor H. Vroom, qui a développé la théorie des attentes en 1964, reconnaît également que les incitations monétaires qui

8 L'asymétrie d'information est une des hypothèses de la théorie des incitations. Cette hypothèse peut distinguer la théorie des incitations de la théorie néoclassique. Le point de départ de la théorie des incitations est un problème de délégation d'une tâche à un agent avec une information privée. Cette dernière implique que, d'une part, un agent peut entreprendre une action inobservée par le principal (i.e. une action d'aléa moral) et d'autre part, un agent a certaine connaissance privée sur son coût ou capacité qui est ignoré(e) par le principal (i.e. une action d'anti-sélection) [Laffont et Martimort, 2002]. Nous reviendrons sur ce point en détail dans le chapitre I du mémoire.

9 Shapiro et Stiglitz ne sont pas auteurs de courant de la NEP, mais leur modèle est aussi analysé dans notre étude et considéré comme un mécanisme incitatif des salariés à l'effort au travail.

récompensent les efforts et les performances de l'employé, et pour lesquelles il a de l'attrait, peuvent le motiver.

En revanche, depuis les années 30, le courant des relations humaines émerge pour contester l'école classique de l'organisation. En effet, il s'intéresse aux aspects psychosociologiques, à la vie des groupes humains et à la dimension relationnelle au sein de l'organisation [Plane, 2000]. Par opposition à Taylor, Elton Mayo détruit le mythe de l'homo oeconomicus et démontre, à partir de l'étude de Hawthorne dans les années 20, que les stimuli financières ne sont pas un facteur essentiel pour motiver les ouvriers mais le moral a un rôle prépondérant sur le rendement. Ensuite, les autres auteurs dans cette école, notamment Herzberg, dû à son étude empirique, confirme fortement que les incitations monétaires ne sont pas forcément la source de motivation des travailleurs.

Dans les années 1970, une théorie de la psychologie sociale, à savoir la théorie de l'évaluation cognitive, a émergé et elle continue à critiquer les points de vue des économistes au sujet des effets des incitations monétaires sur l'effort des travailleurs. Deci et ses collègues, à travers leurs études expérimentales en psychologie, soutiennent que les incitations monétaires sont nuisibles à la motivation intrinsèque et à l'effort des sujets parce qu'elles sont perçues par ces derniers comme un moyen de contrôle qui mine leur perception de compétence et d'autonomie. Constatons que la distinction de motivation a été ignorée par les économistes. Ainsi, nous voyons qu'il y a des points de vue contradictoires entre les économistes, et les psychologues et les sociologues.

Se référant à cette contradiction, l'intérêt de la recherche sur les incitations monétaires est croissant. Non seulement les psychologues mais aussi les économistes ont fait des études empiriques et expérimentales sur ce thème. Ici, nous prenons certains économistes dominants, étudiant cette contradiction : Kreps [1997], Frey et Jegen [2000], Fehr et Gächter [2002], Fehr et Falk [2002], Kunz et Pfaff [2002], Bonner et Sprinkle [2002], Benabou et Tirole [2003] et James, Jr. [2005]. En outre, il y a un article récemment publié en 2006 dans la revue d'économie politique, faisant un bilan sur la question des incitations monétaires. Il s'agit de « Expériences de laboratoire en économie et incitations monétaires » rédigé par Nathalie Etchart-Vincent. Ainsi, la question des incitations monétaires reste d'actualité et c'est la question des impacts des incitations monétaires sur l'effort des salariés au sein de la firme qui fera l'objet de notre étude.

Ce débat actuel nous amène à susciter la problématique de notre recherche autour la question des incitations des employés de type monétaire. La problématique est donc la suivante : Quelle est la relation entre les incitations monétaires et l'effort des salariés :

positive ou négative ? Comment ces incitations influent-elles positivement sur l'effort des employés ? Quand et pourquoi, dans certains cas, nuisent-elles à leur effort ?

Ces questions sont actuellement essentielles dans l'économie et les pratiques de la gestion des ressources humaines. Elles permettront aux directeurs de ressources humaines de savoir si les incitations monétaires peuvent être employées efficacement comme un dispositif de gestion des salariés, i.e. pour gérer le comportement de ces derniers dans leurs firmes. Elles leur permettront de savoir également des conditions qui s'imposent dans l'utilisation de ces incitations.

Afin de répondre à ces différentes questions, nous allons effectuer notre étude en nous portant sur une revue de la littérature, en analysant des théories sélectives qui abordent la question des incitations monétaires dans la motivation des individus et en utilisant aussi des données des études empiriques et expérimentales qui sont plus révélatrices de la réalité. Notre étude se compose de deux grandes parties avec quatre chapitres. Dans une première partie, nous nous focaliserons, d'abord, sur des problèmes « principal-agent » qui émergent toujours dans la firme et qui doivent être nécessairement réglés. C'est pourquoi, ensuite, nous essaierons de rassembler, avec des données empiriques et expérimentales, certains principaux modèles considérés comme des mécanismes incitatifs par lesquels les incitations monétaires ont pour fonction de résoudre ces problèmes même si la performance des salariés est absolue ou non vérifiable. Un point de vue contraire sera l'objet de la deuxième partie. Ainsi, dans la dernière partie, nous considérerons l'ensemble des points de vue des chercheurs qui ont travaillé, avec des études empiriques et expérimentales, sur les effets négatifs des incitations monétaires sur l'effort des travailleurs. Mais, suite à une évolution dans la théorie psychologique, nous réexaminerons les impacts des récompenses monétaires qui, dans certaines circonstances, favorisent la motivation intrinsèque et l'effort des salariés. Enfin, nous essaierons de conclure les principaux résultats de notre étude.

PARTIE I : LA RELATION POSITIVE
ENTRE LES INCITATIONS MONETAIRES
ET L'EFFORT DES SALARIES

INTRODUCTION A LA PREMIERE PARTIE

Un facteur important dans la survie de l'organisation est le contrôle des problèmes « principal-agent » [Fama et Jensen, 1983]. Dès lors, le problème « principal-agent » se situe toujours au coeur de la firme. En effet, les actions (c'est-à-dire les niveaux d'effort) des travailleurs ne sont pas toujours observables aux yeux de l'employeur et ni vérifiables par le tiers. Plus précisément, les employés ne tentent pas souvent d'agir dans l'intérêt de l'employeur, i.e. de fournir un niveau d'effort au travail élevé afin de maximiser les profits de la firme. Ceci se caractérise par la situation d'asymétrie informationnelle. Cette dernière se compose de deux problèmes : le problème d'aléa moral et le problème de sélection adverse.

Les économistes soutiennent que « les incitations sont l'essence de l'économie » [Lazear, 1986, p. 2; Prendergast, 1999, p. 7]. Comme précédemment définies, les incitations sont considérées comme l'ensemble des dispositifs monétaires mis en place pour inciter les agents à révéler leurs informations privées et à agir dans l'intérêt du principal [Ménard, 2004]. Parallèlement, Bonner et Sprinkle [2002] indiquent également que les incitations monétaires sont fréquemment utilisées pour motiver les travailleurs et améliorer leur performance. S'appuyant sur les incitations monétaires, il y a plusieurs mécanismes pour aligner les intérêts des employés avec ceux de l'employeur tels que la rémunération à la performance, le contrat à paiement différé, le modèle des tournois, etc.

Alors, l'objectif de cette partie est tout d'abord d'expliquer le facteur qui a un effet positif sur le processus de la motivation des individus à exercer un effort au travail dans la théorie des attentes, et les problèmes d'incitations des salariés au travail dans la théorie du Principal-Agent (Chapitre I). Ensuite, les dispositifs incitatifs par lesquels les incitations monétaires sont utilisées pour régler les problèmes « principal-agent », même en cas de performance absolue et de performance non vérifiable, seront proposés dans le chapitre II.

CHAPITRE I : LE CADRE THEORIQUE DE L'EFFET
POSITIF DES INCITATIONS MONETAIRES

Introduction au chapitre I

Les économistes se sont de plus en plus intéressés à la théorie de la firme ces dernières années. Ces efforts se sont concentrés sur les relations entre les marchés et les hiérarchies, les systèmes de gouvernement de l'entreprise et les problèmes d'agence provoqués par des conflits d'intérêt parmi les parties contractantes qui composent la firme [Baker et al., 1988]. Selon ces auteurs, un des facteurs les plus importants affectant le comportement d'organisation est la structure incitative interne, qui inclut la gestion des ressources humaines en général et les politiques de compensation en particulier.

Ces dernières années ont été marquées par un renouvellement profond de la façon d'aborder la question des rémunérations. Selon Sire [2006], mettre la politique de rémunération au service de la performance, c'est répondre à la fois au défi économique de l'organisation, condition de la satisfaction de l'actionnaire, et à la recherche d'un équilibre social, condition de la satisfaction du client, via celle des salariés10. C'est la raison pour laquelle les économistes supposent largement que les incitations monétaires représentent le stimulant dominant des activités productives humaines [Rydval, 2003]. En fait, il y a plusieurs théories qui supportent ce concept. Par exemple, la théorie des attentes de Vroom est considérée comme l'une des plus pertinentes pour comprendre le comportement de l'individu au travail [Sire, 2006]. Dans cette théorie, dans la mesure où l'individu a des attentes en termes de niveau de revenu et que celles-ci peuvent être satisfaites au moins partiellement par un effort de travail supplémentaire, on peut s'attendre à ce qu'une rémunération conditionnelle basée sur un niveau de résultat l'incite à améliorer ses performances. Cependant, cette théorie ne présente que le processus de motivation des salariés au travail, elle ne précise pas forcément le problème « principal-agent » et surtout celui de l'asymétrie d'information. C'est la raison pour laquelle la théorie des incitations avec le modèle Principal- Agent vient le compléter. « L'économie des incitations peut être décrite comme l'étude de

10 Nous soulignons.

l'élaboration de règles et d'institutions qui induisent les agents économiques à exercer des niveaux d'effort élevés et à transmettre correctement toute information privée qu'ils possèdent et qui est socialement pertinente »11. La théorie des incitations s'attache donc à caractériser les meilleurs contrats qui peuvent être signés entre un principal (l'employeur) et un agent (l'employé) lorsque ce dernier possède une meilleure information que le premier sur des éléments pertinents pour le contrat [Aubert et Aubert-Monpeyssen, 2005].

Alors, l'objectif de ce chapitre est premièrement de présenter la typologie de la rémunération en précisant le rôle de chaque type de rémunération (Section 1) et deuxièmement d'aborder la question des incitations des salariés via deux théories importantes dans notre recherche : la théorie des attentes de Vroom et la théorie des incitations (Section 2).

Section 1 : La typologie de la rémunération

Mesurer l'efficacité des rémunérations sur la motivation ou l'effort au travail nécessite de définir ce qui est entendu par le terme rémunération. Selon Roussel [1996], la rémunération, selon que l'on adopte la vision de l'économiste, du juriste ou du gestionnaire, diffère dans la définition de son contenu. Dans cette recherche, « la rémunération sera définie comme étant l'ensemble des rétributions acquises par le salarié en contrepartie du travail effectué pour l'organisation qui l'emploie » [p. 79]. Le salarié attend de son salaire une source indispensable de revenu afin de satisfaire ses besoins de consommation courante, d'épargne, ou encore pour constituer un patrimoine. Pour simplifier, nous distinguons deux types de rémunérations possibles - fixe et variable - de façon à expliciter la fonction de chacune d'entre elles et le rôle particulier joué par la rémunération variable, autrement appelée incitation monétaire [Etchant-Vincent, 2006]. Nous présentons alors premièrement la rémunération fixe et deuxièmement, la rémunération variable ou l'incitation monétaire.

1- La rémunération fixe

La rémunération fixe se définit comme « l'ensemble des rémunérations dont le montant et le versement sont garantis »12. Ce type de rémunération est inconditionnel et proposé au salarié pour le remercier de sa participation à l'entreprise. Cette rémunération est

11 Laffont, J.-J. [2006], « A propos de l'émergence de la théorie des incitations », Revue française de gestion, n° 160, p. 177.

12 Roussel, P. [1996], Rémunération, Motivation et Satisfaction au Travail, Economica, Paris, Coll. Recherche en Gestion, p. 87.

donc forfaitaire et ne dépend pas de la performance productive du salarié. Etchart-Vincent [2006] propose de distinguer deux fonctions à la forme de rémunération fixe. D'une part, la rémunération fixe a pour fonction de dédommager l'individu de son effort, par exemple la désutilité du trajet ou du temps passé et de l'énergie dépensée à faire l'expérience. La rétribution doit donc être proportionnelle à l'effort fourni, à la longueur de la tâche et à sa pénibilité, c'est-à-dire la rémunération fixe à l'input (contrôle du comportement). D'autre part, cette rémunération peut s'attirer ses bonnes grâces en créant chez lui une sorte de dette morale. Cette fonction se conçoit plutôt dans une logique de réciprocité ou de don-contre don [Akerlof, 1984].

La réciprocité est définie comme le désir d'être aimable avec ceux qui sont perçus bienveillants, et de punir ceux qui sont perçus hostiles13. Akerlof [1982; 1984] rend compte de la relation entre le salaire et l'effort tout en rejetant l'idée d'un travailleur fondamentalement opportuniste. Il soutient que la relation salariale peut être assimilée à un échange de dons partiels réciproques, introduisant de ce fait la notion d'équité [Grill et Quiquerez, 1998; Baudry, 2003]. La décision des salariés de fournir collectivement un niveau d'effort supérieur à la norme minimale, selon Akerlof, est considérée comme un don fait par l'ensemble de ces salariés à leur employeur. En retour de ce don, les salariés espèrent obtenir un « juste salaire » et une certaine clémence de la part de l'employeur [Baudry, 2003]. De plus, on peut penser que parce qu'ils sont bien rémunérés, les salariés ne vont pas oser « tirer au flanc »14, même si la rétribution est indépendante de leur comportement.

Cependant, Etchart-Vincent [2006] considère que la simple rémunération forfaitaire est insuffisante en ne suscitant qu'une adhésion et un effort de façade. C'est la raison pour laquelle on pense à la rémunération à la performance qui influence fortement l'effort des salariés et qui est considérée comme indispensable au sein de la firme par la plupart des économistes.

2- La rémunération variable (l'incitation monétaire)

Dans notre recherche, la rémunération variable ou l'incitation monétaire est celle qui dépend de ce que le salarié produit réellement. Il s'agit de la rémunération variable à l'output

13 Frey, B.S. et Meier, S. [2002], « Pro-Social Behavior, Reciprocity or Both? », CESifo working paper n° 750, University of Zurich, p. 7.

14 Dans le modèle de tire-au-flanc, présenté dans un ouvrage de Redor [1999, p. 201-202], l'employeur ne peut observer parfaitement les résultats de l'activité de leurs salariés, il est donc confronté à un problème d'aléa moral. Dans cette situation, le salarié a tendance à tirer au flanc et l'employeur doit rechercher un niveau de rémunération qui l'incite à maximiser son effort, et donc qui le dissuade d'adopter ce comportement.

ou à la performance. Depuis longtemps, il y avait une controverse concernant l'effet des incitations monétaires (les récompenses contingentes à la performance) sur le comportement des salariés. Tandis que les études en économie psychologique et en psychologie prouvent que les récompenses contingentes à la performance peuvent mener à une réduction d'effort des salariés, en particulier dans le cas des activités qui sont intrinsèquement motivées, les études en économie supposent généralement que de telles incitations monétaires agissent en tant que stimulus positif sur la performance des travailleurs [Gibbons, 1998 ; Holmström et Milgrom, 1994 ; Prendergast, 1999]. Concernant les effets de la rémunération variable (incitation monétaire) du point de vue des psychologues, nous les présenterons en détail dans la partie II de la recherche. Dans cette section, nous en montrons quelques formes et les rôles des incitations monétaires dans la firme.

Les économistes font l'hypothèse que les salariés ne travaillent pas pour rien et que leur effort cognitif est une ressource rare qu'ils cherchent à allouer stratégiquement. Pour Gibbons [1997] et Lazear [2000], dans la vie réelle, l'effort est motivé par la perspective des gains censés en résulter et les incitations sont précisément là pour promouvoir effort et performance. Les incitations monétaires sont censées augmenter la performance en soutenant l'effort de l'individu, par exemple en l'amenant à se fixer des buts plus élevés ou à développer un intérêt accru pour la tâche [Bonner et Sprinkle, 2002]. Si les salariés ne sont pas rémunérés de manière contingente à leur performance ou si cette rémunération est insuffisante, ils risquent fort de ne pas mettre en oeuvre un effort cognitif suffisant pour révéler leurs véritables préférences.

En fait, il y a plusieurs formes de rémunérations variables appliquées dans les entreprises, mais nous n'allons retenir que les deux formes considérés comme les plus pertinents: la rémunération à la pièce et la rémunération au mérite. Premièrement, les systèmes de rémunérations à la pièce ont longtemps servi de mode de rémunérations des personnels ouvriers. Les travailleurs payés à la pièce reçoivent une somme fixe pour chaque pièce produite. Beaucoup d'organisations proposent un plan de rémunération à la pièce aménagé, où l'employé reçoit un salaire de base fixe à l'heure auquel s'ajoute le surplus correspondant au nombre de pièces produites [Robbins, Judge et Gabilliet, 2006 ; Lazear, 2000]. D'ailleurs, Lazear [2000], en se basant sur l'évidence empirique d'une grande entreprise de pare-brise automobile, appelée Safelite Glass Corporation durant 1994 et 1995, soutient l'idée que payer sur la base de l'output incitera les ouvriers à offrir plus d'output.

Deuxièmement, la rémunération sur le mérite est également fonction des performances individuelles. Cependant, contrairement à la rémunération à la pièce qui se base sur des

critères objectifs, la rémunération au mérite est basée sur l'appréciation de la performance15. Par exemple, si deux personnes sont employées pour exécuter le même travail et l'un exécute à un niveau sensiblement plus élevé que l'autre, il devrait bien évidemment être payé plus pour sa contribution supérieure16. Selon Robbins et al. [2006], s'il est conçu de façon adéquate, ce système de rémunération peut être une source de motivation car les employés considèrent qu'il existe une relation forte entre leurs performances et les récompenses qu'ils obtiennent. Actuellement, la plupart des grandes entreprises utilisent la rémunération au mérite, en particulier pour les employés salariés.

Alors, dans l'optique incitative, c'est la perspective d'une récompense qui va inciter l'individu au travail, car il ne la percevra que s'il s'est bien comporté. Contrairement à la rémunération fixe, la rémunération variable est une rétribution ex-post et conditionnelle.

En résumé, ce sont deux types de rémunération qui se dessinent, dont l'objectif est visiblement distinct même s'ils sont tous deux susceptibles d'affecter l'effort fourni par le salarié et donc sa performance. Il s'agit d'une part de la rémunération récompense17, dont la perception et le montant sont conditionnels à l'effort fourni, et d'autre part de la rémunération dédommagement18, forfaitaire et inconditionnelle [Etchart-Vincent, 2006].

Dans la section suivante, nous verrons l'importance du rôle de l'incitation monétaire dans la résolution des problèmes fréquemment émergés dans l'organisation qui sont présentés dans la théorie des attentes de Vroom et en particulier dans la théorie des incitations avec le modèle du Principal-Agent.

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