Chapitre 2 : La prédominance des règles
des procédures collectives
112. Il a été démontré
précédemment que la procédure collective entra»ne une
interruption de l'instance arbitrale ou une limitation de son ouverture. Mais
au delà de cet effet procédural, s'imposent aussi des
règles de droit d'ordre public régissant les procédures
collectives. En effet, les procédures collectives veillent aux
intérêts généraux. Ainsi, si elles tendent à
sauvegarder l'entreprise défaillante, elles doivent également
s'assurer de protéger les autres intérêts en
présence, notamment ceux des créanciers. C'est pourquoi, le
principe d'égalité des créanciers gouverne le droit des
procédures collectives. Il est vrai que l'expression
d'égalité des créanciers ne figure nul part dans le Code
de commerce, elle est pourtant consacrée de façon
indirecte1 et la Cour de Cassation reconna»t depuis longtemps
ce principe2 comme une règle d'ordre public3.
Certes, il conna»t des atteintes comme l'illustre le droit des
süretés et il ne convient donc de ne pas l'ériger en
<< dogme4 È. Néanmoins, ce principe a de larges
conséquences (Section 1) et justifie nombre de dispositions
impératives, consacrées par la jurisprudence. En outre, les
règles qui découlent de ce principe s'imposent aux arbitres et
ont pour effet de limiter leurs pouvoirs quant au droit applicable (Section
2).
Section 1 : Les conséquences du principe
d'ordre public d'égalité des créanciers
113. Le principe d'égalité des
créanciers est le pilier du droit des procédures collectives. Son
objectif est d'éviter que le débiteur d'une procédure
collective favorise un créancier au détriment d'un autre ou tente
de léser les créanciers dans leurs droits. Aussi, il en
découle le principe d'arrêt des poursuites individuelles
(Sous-section 1) dont le corollaire est la déclaration des
créances et leur vérification par le juge commissaire
(Sous-section 2).
Sous-section 1 : Principe de l'arrêt des
poursuites individuelles
114. L'arrêt des poursuites individuelles a une
portée large. Ses effets sur l'arbitrage interne (1) ne peuvent faire de
doute. Mais en matière d'arbitrage international, ce principe conserve
toute sa force car la jurisprudence considère que l'arrêt des
poursuites est aussi un principe d'ordre public international (2). Dans les
deux cas, il en résulte une diminution du rTMle de l'institution
arbitrale.
1 Art 2093 C. Civ : << Les biens du débiteur sont le
gage commun de ses créanciers ; et le prix s'en distribue entre eux par
contribution, à moins qu'il n'y ait entre les créanciers des
causes légitimes de préférence È.
2
Cass. com, 3 octobre 2006, n°
04-13.987, non publié au Bulletin, cf légifrance.
3 << portait atteinte à la règle d'ordre
public de l'égalité des créanciers È,
Cass. com, 19 avril 1985,
n°83-15258.
<< Le principe de l'égalité des
créanciers dans la masse est à la fois d' ordre public interne et
international È, Cass. Civ. 1re, 4 février 1992 - Sté. de
recherches et d'études techniques c/ SBBM - n° 90-12.569, Bull.
Civ. I, n° 38, p. 28.
4 Selon l'expression du Professeur Derrida.
§ 1 Portée de l'arrêt des poursuites
sur l'arbitrage interne
115. L'objet de la règle de l'arrêt des
poursuites individuelles consacrée par l'article L 622-21 du Code de
commerce est double ; d'une part, il permet << de fixer le passif au jour
du jugement d'ouverture È de la procédure collective. D'autre
part, il <<donne un répit au débiteur È pour
élaborer, si possible, un plan visant à améliorer sa
situation1. Ce principe, interdisant ou limitant les initiatives
individuelles, est indispensable pour faire respecter le caractère
collectif des procédures collectives et l'égalité des
créanciers. Il interdit toute action en justice afin de mettre le
patrimoine du débiteur, pour un temps au moins, hors d'atteinte des
créanciers. Il n'en résulte pas une impossibilité totale
d'ouvrir une procédure arbitrale2 mais il implique que
même l'arbitre, dans le cadre d'une justice privée, ne peut
méconna»tre cette règle.
116. En effet, si ce principe a pour effet d'interrompre
l'instance arbitrale menée en parallèle3 afin de
permettre aux organes de la procédure collective de participer à
l'instance, une fois que le créancier poursuivant le débiteur a
déclaré sa créance, l'instance arbitrale pourra reprendre.
De plus, le principe d'arrêt des poursuites peut avoir pour effet
d'interdire l'ouverture d'une instance arbitrale dès lors qu'une
procédure collective est ouverte. Mais le tribunal arbitral peut
valablement statuer sur certains litiges dès lors qu'ils ne sont pas
liés à la procédure collective4. Par
conséquent, le principe de l'arrêt des poursuites n'interdit pas
systématiquement au tribunal arbitral de statuer sur certains litiges
mais il subordonne toutefois l'arbitre au respect de certaines obligations.
117. Ainsi, même si le tribunal arbitral est
régulièrement saisi pour conna»tre de la contestation d'une
créance, il ne peut que constater l'existence d'une créance
contre le débiteur. En effet, dès lors que la créance est
antérieure5 à l'ouverture d'une procédure
collective, du fait de la règle de suspension des poursuites
individuelles, les jurisprudences étatique6 et
arbitrale7 affirment de façon constante que si l'arbitre peut
statuer sur le principe et le montant de la créance, il ne peut en aucun
cas
1 C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en
difficulté, Montchrestien, 6e éd., p. 384, n° 620.
2 << L'arrêt des poursuites individuelles ne rend pas
le litige inarbitrable, ni l'arbitre incompétent. La procédure
arbitrale sera très largement poursuivie È, Ph. Fouchard, op.
cit.
3 cf infra, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, Sous-section
1, §2.
4 cf infra, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, Sous-section
2, §1, A.
5 L'appréciation de la créance pour
déterminer si elle est antérieure ou postérieure
relève, selon la Cour d'appel de Paris dans l'arrêt Sohm contre
Simex du 27 février 1992, de la compétence exclusive du juge
commissaire. En ce sens, B. Hanotiau, rev. droit. aff. Int., 1996, p. 29 et
s.
6 Cass. Civ. 1re, 8 mars 1988 - Thinet - n° 86-12.015, Bull.
1988, I, n° 65 p. 42.
CA Paris, 27 février 1992, Me Sohm ès qual. c/
sté Simex
Cass. Civ. 1re, 4 février 1992 - Sté de recherches
et d'études techniques c/ SBBM- n° 90-12.569, Bull. Civ. I, n°
38, p. 28. CA Paris, 3 mars 1998, sté toulousaine d'exploitation
cinématographique c/ sté Polygram Film Distribution
CA Paris, 30 mars 1999,Consorts de Coninck c/ M. Zanzi et
société Torelli ès qual.
7 Sentence CCI n° 10687.
condamner le débiteur à payer. Car cela reviendrait
à rompre l'égalité des créanciers et pourrait
mettre en échec les solutions retenues par le juge pour tenter de
sauvegarder l'entreprise.
Par conséquent, la sentence qui prononce une
condamnation pécuniaire du débiteur, encourt l'annulation ou le
refus d'exequatur. Mais la règle de l'arrêt des poursuites
individuelles n'est pas seulement un principe d'ordre public interne.
§ 2 Principe d'ordre public international
consacré par la jurisprudence
118. Le principe de l'arrêt des poursuites
individuelles a été, parmi d'autres, consacré comme un
principe d'ordre public interne et international (A). Mais reste à
savoir quelle est la portée de cette consécration
jurisprudentielle afin de déterminer si l'ensemble des règles des
procédures collectives sont d'ordre public international (B).
A - L'arrêt des poursuites individuelles, un
principe d'ordre public international étendu
119. Dès 1988, dans le célèbre arrêt
Thinet1, la Cour de cassation affirme pour la première fois
que le principe de l'arrêt des poursuites qui s'applique dans le cadre
des procédures collectives n'est pas seulement une règle d'ordre
public interne mais aussi une règle d'ordre public international. Cette
solution ne surprend guère étant donné que les principes
d'égalité des créanciers et d'arrêt des poursuites
sont consacrés par nombre de législations, autres que la
législation française2. Cette solution implique que
l'arrêt des poursuites Ç s'impose même à l'encontre
d'une décision étrangère ou d'une sentence arbitrale
internationale, dès lors que cette décision ou cette sentence
interfère avec la procédure ouverte en France3
È. Par conséquent, même en matière d'arbitrage
international, les règles françaises des procédures
collectives peuvent difficilement être remises en cause4.
120. La Cour de cassation est allée encore plus loin
dans un arrêt dit Almira Film du 5 février 1991. Elle retient une
formule plus large en considérant que Ç les principes de
l'arrêt des poursuites individuelles des créanciers, de
dessaisissement du débiteur et d'interruption de l'instance en cas de
faillite sont d'ordre public interne et international5 È. Si
toutes ces règles font parties de l'ordre public international, le
Professeur Pascal Ancel souligne que cela Ç n'a aucunement pour but de
faire prévaloir la conception française des procédures
collectives sur celles des législateurs
1 Cass. Civ. 1re, 8 mars 1988 - Thinet - n° 86-12.015, Bull.
1988, I, n° 65 p. 42.
2 En ce sens, P. Ancel, Rev. arb. 1989, 473.
3 V.P. Ancel, op. cit.
4 En ce sens, J.C. Dubarry et E. Loquin,
RTD. Com 1992, p. 795.
5 Cass. Civ. 1re, 5 février 1991 - Sté Almira Films
c/ Pierrel, ès qualités - n° 89-14.382, Bull. Civ. 1991, I,
n° 44, p. 28.
étrangers1 È. Mais l'arbitrage doit
respecter ces principes dès lors qu'il interfère avec une
procédure collective se déroulant en France. Cette solution a
été réitérée à plusieurs reprises par
la Haute juridiction et encore récemment la Cour de Cassation a
rappelée que l'arrêt des poursuites individuelles est un principe
d'ordre public interne et international2.
Cette prédominance des règles des
procédures collectives consacrée par la jurisprudence est
essentielle à la protection des différents intérêts
du débiteur et des créanciers. Car en cas de non respect de l'une
d'elles, le risque est de compromettre le fragile équilibre qu'a voulu
instaurer le législateur français.
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