B - Le droit des procedures collectives, un droit d'ordre
public international
121. Il ne fait pas de doute que le principe de l'arrêt
des poursuites individuelles, tout comme celui de dessaisissement du
débiteur ou d'interruption de l'instance soient d'ordre public. Mais on
peut penser qu'il ne s'agit pas d'une liste exhaustive et qu'en
réalité, la totalité des règles des
procédures collectives sont à la fois d'ordre public interne et
d'ordre public international. C'est la position défendue par le
Professeur Pascal Ancel qui se fonde sur un arrêt de la Cour d'appel de
Paris du 27 février 19923 qui déclare, à propos
d'une procédure de redressement judiciaire, que << ...les textes
relatifs à cette procédure sont d'ordre public interne et
international È. Il en déduit que c'est la totalité des
règles des procédures collectives qui sont d'ordre public interne
et international4. Cette position n'est pas surprenante dans la
mesure oü l'ensemble des règles des procédures collectives
est nécessaire à la protection de l'intérêt
collectif. Il semble donc logique qu'elles bénéficient toutes de
la qualification de règles d'ordre public interne et international afin
qu'elles prédominent. Permettant ainsi de ne pas contrarier l'ensemble
des mesures prises par le juge étatique pour tenter de sauvegarder
l'entreprise en difficulté.
122. Mais cette position, outre le fait qu'elle n'ait pas
été reprise par la juridiction suprême, fait l'objet de
controverses. Le Professeur Jean-Baptiste Racine affirme quant à lui que
<< seules les règles fondamentales du droit des procédures
collectives sont d'ordre public international5 È, sans pour
autant les énumérer. Son argumentation tient dans le fait que la
solution prononcée par la Cour d'appel dans l'arrêt dit Sohm ne
concerne en réalité pas toutes les règles attachées
à la procédure de redressement judiciaire mais seulement celles
liées << à l'administration ou au rejet des créances
È6.
1 P. Ancel, Rev. arb. 1992, p. 596.
2 << Le principe de suspension des poursuites
individuelles en matière de faillite est à la fois d' ordre
public interne et international È, Cass. Civ. 1re, 6 mai 2009 -
Mandataires judiciaires associés c/ Sté International Company for
Commercial Exchanges Income - n°08-10.281.
3 CA Paris, 27 février 1992, Me Sohm ès qual. c/
sté Simex
4 P. Ancel, Rev. arb. 1992, p. 590 et s.
5 J.-B. Racine, op. cit, p. 502, n°900.
123. Pour autant, il semble difficile de distinguer entre les
règles des procédures collectives << fondamentales
È, qui peuvent à ce titre être qualifiées de
règles d'ordre public international ; et celles qui ne le sont pas.
En outre, on peut considérer que ce sont l'ensemble
des règles des procédures collectives qui concourent à la
réussite de la procédure collective. Car si, comme l'avance le
Professeur Dominique Vidal1, la procédure collective est
semblable à un jeu de Mikado®2, on peut penser que
toutes les règles des procédures collectives sont essentielles et
qu'elles méritent toutes la qualification de règle d'ordre public
international afin d'optimiser les chances de réussite de la
procédure collective.
Sous-section 2 : Obligation de déclaration et de
vérification des créances
124. L'obligation de déclarer ses créances est
une règle d'ordre public des procédures collectives, aussi il
n'est pas possible d'y déroger. Il conviendra dans un premier temps
d'examiner la portée de cette obligation (§1), puis d'examiner le
rTMle et l'impact du juge commissaire, à qui il incombe de
vérifier la déclaration des créances (§2).
§ 1 Portée de l'obligation de
déclarer ses créances
125. A partir de la publication d'un jugement ouvrant une
procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires,
tous les créanciers, à l'exception des salariés doivent
déclarer leurs créances nées avant le jugement
d'ouverture.
La Cour de cassation a affirmé à de nombreuses
reprises3 le caractère impératif de la
déclaration des créances auprès du juge commissaire.
Ainsi, la chambre commerciale dans un arrêt du 8 janvier 20024
affirme : <<tout créancier dont la créance a son origine
antérieurement au jugement d'ouverture, doit se soumettre à la
procédure de vérification des créances È.
Il ne fait donc pas de doute que la déclaration de
créance auprès du juge commissaire ait un caractère
impératif. Mais elle doit en outre s'effectuer dans les conditions
légalement prévues et c'est le juge commissaire qui
appréciera la régularité de la déclaration. Et s'il
s'avère que la
6 La Cour d'appel déclare << Considérant
que l'article 101 de la loi de 1985 donne compétence au juge commissaire
pour décider de l'administration ou du rejet des créances et que
les textes relatifs à cette procédures sont d'ordre public
interne et international È;
1 D.Vidal, Procédures collectives et procédures
d'arbitrage : quelle rencontre ?, Gaz. Pal. 31 octobre 2009, n° 304, p.
3.
2 cf supra Titre 1, Chapitre 1,Section 1, Sous-section
1, §2, B.
3
Cass. com, 14 mars 1995, n°93-12489,
<< seule une instance en cours devant un juge du fond au jour du jugement
d'ouverture enlève au juge-commissaire le pouvoir de décider de
l'admission ou du rejet È.
4
Cass. com., 8 janvier 2002, Bull. Civ.
2002, IV,p. 3.
déclaration de la créance a été
faite hors délai ou que les formes requises n'ont pas été
respectées, il devra constater l'extinction de la
créance1, de sorte que la procédure engagée
devant le tribunal arbitral sera sans objet.
126. On peut légitimement penser que c'est le principe
d'égalité des créanciers qui sous-tend cette obligation
afin de leur permettre d'être admis au passif de la
procédure2. En outre, cette discipline collective est un
moyen de juger du passif de l'entreprise afin de mieux cerner ses
difficultés et de pouvoir ainsi élaborer des solutions
adaptées au sauvetage de l'entreprise. L'article L 622-26 du Code de
commerce3 introduit par l'ordonnance du 18 décembre 2008,
précise que les créances non déclarées sont
inopposables au débiteur. Cette règle << permet de
déjouer la stratégie consistant à ne pas déclarer
afin de pouvoir poursuivre le débiteur4 È. Par
conséquent, le créancier qui désire saisir le tribunal
arbitral ou reprendre l'instance arbitrale interrompue par l'ouverture de la
procédure collective, a l'obligation de déclarer sa
créance. Cette solution récente sera exéminée plus
en détail ultérieurement5.
127. En effet, un tribunal arbitral, même s'il est
compétent pour statuer sur le litige opposant les parties, ne peut pas
être directement saisi d'une demande en paiement dirigée contre le
débiteur. Au préalable, la loi impose au créancier de
déclarer sa créance et ce n'est qu'une fois la procédure
de vérification de la créance accomplie que le tribunal arbitral
pourra conna»tre du litige6, à condition que ce dernier
n'entre pas dans le champ de compétence exclusive de la juridiction
étatique. Par conséquent, lorsque la saisine du tribunal arbitral
est postérieure à l'ouverture de la procédure collective,
cette saisine n'est possible qu'après la vérification des
créances devant le juge commissaire.
128. Dans le cas oü la procédure arbitrale est
antérieure à l'ouverture de la procédure collective, cette
obligation s'impose également puisque l'absence de déclaration
empêche la reprise de l'instance arbitrale. Ainsi, une
sentence7 considère << que l'arbitre ne peut
conna»tre d'une contestation formulée contre un défendeur en
procédure d'insolvabilité tant que n'a pas été
effectuée la déclaration de la créance8
È. La domination des procédures collectives ne fait pas de doute
puisque
1 En ce sens, E. Loquin, RTD Com. 2009, p. 546.
2 P. Delmotte, L'égalité des créanciers dans
les procédures collectives, Rapport de la Cour de cassation, 2003,
www.courdecassation.fr
3 Art L 622-26 al 2 : << Les créances non
déclarées régulièrement dans ces délais sont
inopposables au débiteur pendant l'exécution du plan et
après cette exécution lorsque les engagements
énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont
été tenus. Pendant l'exécution du plan, elles sont
également inopposables aux personnes physiques coobligées ou
ayant consenti une süreté personnelle ou ayant affecté ou
cédé un bien en garantie È.
4 C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en
difficulté, Montchrestien, 6e éd., p. 408, n° 646-5.
5 cf infra, Titre 2, Chapitre 1, Section 1, Sous section
2.
6 En ce sens, Cass. Civ. 1re, 8 mars 1988 - Thinet - n°
86-12.015, Bull. 1988, I, n° 65 p. 42.
7 Sentence CCI n° 10687.
8 Bulletin de la Cour internationale d'arbitrage de la CCI,
Vol.20/1, 2009. p. 70.
en l'espèce, elle neutralise le déroulement de
l'instance arbitrale.
En outre, le tribunal arbitral devra se déclarer
incompétent aussi longtemps que se déroule la procédure de
vérification des créances1. De sorte que si la
décision du juge commissaire est frappée d'appel, le tribunal
arbitral n'est pas compétent pour conna»tre du litige pendant toute
la durée de l'appel2.
Dans le cas oü le créancier ne peut pas saisir le
tribunal arbitral, il doit tout de même déclarer sa créance
et se soumettre à la procédure de vérification des
créances3.
§ 2 Suprématie du rTMle du juge commissaire
et domination des procédures collectives
129. En principe4, seul le juge commissaire a le
pouvoir de décider de l'admission ou du rejet d'une créance. Il a
un rTMle central dans le déroulement de la procédure collective,
il prend d'importantes décisions, assure le bon déroulement de la
procédure en surveillant notamment certains acteurs comme les
mandataires de justice. Aussi est-il souvent désigné comme
Ç l'homme-orchestre5 È de la procédure. En
outre, sa décision a un caractère juridictionnel et en tant que
telle, elle est subordonnée aux règles légales encadrant
tout jugement6, et s'imposent ainsi les exigences du droit à
un procès équitable. Cela démontre, une fois de plus le
caractère incontournable du juge commissaire, qui s'il peut autoriser le
recours à l'arbitrage, exclut en principe la compétence de
l'arbitre pour conna»tre de l'admission d'une créance.
L'interdiction faite à l'arbitre de condamner le débiteur se
comprend aisément car elle est indispensable au maintien de
l'égalité des créanciers. Il en résulte une
prédominance des règles des procédures collectives.
130. La caractéristique du juge commissaire est qu'il
arrête seul l'état des créances. Mais nous avons vu
précédemment que lorsqu'une procédure collective est
ouverte, il peut autoriser les organes de la procédure collective
à compromettre7. Reste la question de savoir sur quels types
de créances peut porter cette habilitation judiciaire. En effet,
l'article L 622-7 alinéa (II) du Code de commerce prévoit que
Ç le juge-commissaire peut autoriser le débiteur à faire
un acte de disposition étranger à la gestion courante de
l'entreprise, à consentir une hypothèque, un gage ou un
nantissement ou à compromettre ou transiger È. Mais il
soulève des difficultés d'interprétation car le texte ne
distingue pas selon que le compromis intéresse des créanciers
antérieurs ou postérieurs. Le Professeur Corinne
Saint-Alary-Houin souligne que Ç s'il est sans aucun doute possible
de
1 Sentence n °13845.
2 En ce sens, D. Vidal, Bulletin de la Cour internationale
d'arbitrage de la CCI, Vol.20/1, 2009, p 68, n° 45.
3 CA Paris, 3 mars 1998, sté toulousaine d'exploitation
cinématographique c/ sté Polygram Film Distribution CA Paris, 30
mars 1999,Consorts de Coninck c/ M. Zanzi et société Torelli
ès qual.
4 cf infra, Titre 2, Chapitre 1, Section 1, Sous-section
2, §2.
5 D. Vidal, Droit des procédures collectives, Gualino, 2e
éd., 2009, p. 112.
6 Art 450 et s. CPC.
7 cf supra, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, Sous-section
2, §1, B.
compromettre [...] à propos de créances
postérieures, admettre le compromis [...] pour des créances
antérieures conduit à déposséder le juge
commissaire de ses prérogatives puisqu'il arrête normalement seul
l'état des créances1 È. Mais les auteurs sont
divisés sur la réponse à apporter.
131. Ainsi, le Professeur Pierre-Michel Le Corre
considère quant à lui qu'il est possible de compromettre sur des
créances antérieures car si le juge commissaire voit ses
prérogatives diminuer ce n'est que << parce qu'il l'a
décidé en autorisant (...) le compromis2 È. Par
conséquent, l'autorisation donnée par le juge commissaire de
compromettre, même sur des créances antérieures, n'entache
en rien son rTMle prépondérant dans la procédure
collective. Néanmoins, l'obligation de déclaration et de
vérification des créances est d'ordre public. Aussi, <<
certains auteurs estiment qu'il n'est pas possible même au juge
commissaire d'y déroger3 È.
132. Il ne convient pas ici de prendre position pour l'un ou
l'autre des courants doctrinaux, les deux pensées étant
justifiées par une argumentation solide. Il convient néanmoins de
noter, que si l'on admet la possibilité de compromettre sur des
créances antérieures, cela ne remet pas en cause la jurisprudence
constante qui limite le rTMle de l'arbitre lorsque celui si est
compétent pour statuer sur l'admission des créances4.
Il ne peut pas ordonner le paiement de la créance mais se borne à
en fixer le montant5.
En effet, le fait de compromettre sur une créance
antérieure à l'ouverture d'une procédure collective
n'anéantit pas les objectifs de ces dernières, à savoir :
préserver l'égalité des créanciers, protéger
le débiteur et tenter de sauver l'entreprise. Donc, même en
admettant que le juge commissaire autorise à compromettre sur des
créances antérieures, il n'est pas concevable que l'arbitre
puisse prononcer une condamnation à paiement, car cela risquerait de
compromettre les équilibres que tentent de mettre en place les
procédures collectives. Par conséquent, quelque soit la solution
retenue, cela ne remet pas en cause la domination des procédures
collectives sur l'arbitrage.
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