B - L'évolution de la notion d'ordre public
138. Selon l'article 1484-6° du Code de procédure
civile, la sentence de l'arbitre est annulée si celui-ci a violé
une règle d'ordre public. L'ordre public n'est pas défini dans
cet article mais par référence à l'article 6 du Code
civil1, il a longtemps été interprété
comme l'interdiction faite aux parties de déroger par convention
à une règle nécessaire à sauvegarder les
intérêts d'une société. Or on peut penser que toutes
les règles des procédures collectives tendent à l'objectif
supérieur de protéger la société face aux effets
néfastes des entreprises défaillantes.
139. Mais la notion d'ordre public a évoluée.
Aujourd'hui, elle n'est plus la conséquence de la nécessaire
protection des intérêts de la société. En effet, une
règle est d'ordre public dès lors que le législateur
interdit d'y déroger2. Monsieur Jacques Ghestin3
en conclut que dès lors qu'une loi est impérative elle est
d'ordre public. Cette conception de l'ordre public semble reléguer au
second plan l'idée selon laquelle l'ordre public correspond aux <<
valeurs fondamentales d'une société4 È. Ce
constat est critiqué par le Professeur Pierre Mayer, car selon lui
l'ordre public est alors << vidé de sa substance5
È.
140. Néanmoins, si l'ordre public ne correspond plus
aux valeurs essentielles d'une société mais davantage à la
volonté de faire primer certaines règles, plus rien ne s'oppose
à la thèse du Professeur Pascal Ancel qui considère toutes
les règles françaises des procédures collectives comme
étant d'ordre public interne et international. En effet, le principal
argument contre cette affirmation consiste à dire que sont d'ordre
public international, seulement les règles fondamentales des
procédures collectives6, c'est à dire celles
correspondant aux valeurs essentielles d'une société. Mais
puisque ce critère n'est plus aujourd'hui constitutif de l'ordre public,
on peut conclure que la seule volonté du législateur et de la
jurisprudence suffisent à qualifier une règle des
procédures collectives d'ordre public interne et international afin
qu'il n'y soit pas dérogé. Cependant, on peut avancer
l'idée que les règles des procédures collectives se
veulent impératives justement parce qu'elles correspondent aux valeurs
fondamentales de la société.
Quoi qu'il en soit, l'arbitre est tenu de rendre une sentence
conforme aux règles d'ordre public des procédures collective. Et
en matière d'arbitrage interne, ce contrôle est plus strict qu'en
matière internationale.
1 Art 6 C. Civ : << On ne peut déroger, par des
conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre
public et les bonnes mÏurs È.
2 En ce sens, P. Mayer, << La sentence contraire à
l'ordre public au fond È, Rev. arb. 1994, p. 618.
3 J. Ghestin, Traité de droit civil, la formation du
contrat, LGDJ, 3e éd., 1993, n°110
4 Dictionnaire du vocabulaire juridique, Objectif droit, Litec,
2004.
5 En ce sens, P. Mayer, << La sentence contraire à
l'ordre public au fond È, Rev. arb. 1994, p. 619.
6 cf infra, Titre 1, Chapitre 2, Section 1, Sous-section
1, B, 2°.
§ 2 Contrôle de la sentence interne à
l'ordre public
141. Le contrôle des règles de droit
appliquées par l'arbitre est impossible car les arbitres disposent d'une
grande liberté dans le choix des règles applicables et ne sont
pas forcément tenus d'appliquer des règles étatiques.
Aussi, seul un contrôle du respect de l'ordre public par les arbitres est
effectué. Et le Professeur Pierre Mayer souligne qu'Ç un
contrôle n'est justifié que lorsque l'ordre public est
réellement en jeu1 È.
142. Si l'arbitre se doit d'appliquer les règles
d'ordre public, il n'en est pas le gardien2. Aussi, est-ce au juge
de remplir cette tâche en exerçant un contrôle sur les
sentences arbitrales. Cette vérification ne se fait pas au niveau du
raisonnement juridique de l'arbitre mais selon l'impact de la solution rendue
par les arbitres. Selon le Professeur Pierre Mayer, le juge vérifie non
pas que la règle d'ordre public a été bien
appliquée mais que la solution consacrée ne heurte pas l'ordre
public. De sorte qu'une simple erreur de droit peut être
tolérée, mais si les principes fondamentaux de l'ordre juridique
ne sont pas respectés, la sentence encourt l'annulation3. Car
le juge ne peut en aucun cas ordonner l'exécution d'une sentence qui
heurterait l'ordre public.
143. Mais la caractéristique de l'ordre public interne
est, qu'il doit être apprécié de façon rigoureuse
par le juge, alors que le respect par l'arbitre de l'ordre public international
est désormais apprécié de façon souple par le
juge4. Cette solution résulte d'une interprétation
a contrario de la solution donnée par la première
chambre civile de la Cour de Cassation dans un arrêt du 19 novembre
19915. La juridiction suprême déclare Ç l'ordre
public français applicable dans les relations internationales doit
être apprécié de manière moins rigoureuse que
l'ordre public interne È. Par conséquent, le juge
contrôlant le respect de l'ordre public interne par l'arbitre, dans le
cadre d'un arbitrage interne, doit effectuer un contrôle plus strict que
dans le cadre d'un arbitrage international.
144. On peut conclure que si l'arbitre doit avant tout
respecter l'esprit des règles des procédures collectives,
puisqu'une simple erreur de droit peut être tolérée, il
n'en reste pas moins qu'il devra examiner les conséquences des
règles d'ordre public des procédures collectives sur l'instance
arbitrale s'il ne veut pas que sa sentence soit annulée. Cette
obligation est renforcée par le contrôle du juge étatique
qui, s'il est saisi, ne se contentera pas d'un contrôle sommaire de la
conformité de la sentence aux règles d'ordre public des
procédures collectives.
1 P. Mayer, Ç La sentence contraire à l'ordre
public au fond È, Rev. arb. 1994, p. 620.
2 En ce sens, P. Mayer, Ç La sentence contraire à
l'ordre public au fond È, Rev. arb. 1994, p. 620.
3 En ce sens, P. Mayer, op. cit.
4 cf infra, Titre 2, Chapitre 1, Section 2, §2,
B.
5 Cass. civ. 1re, 19 novembre 1991, n° 89-22042.
Sous-section 2 : Procédure collective et arbitrage
international
145. Dans le cadre d'un arbitrage international, comme pour
l'arbitrage interne, l'arbitre est tenu de respecter l'ordre public. Mais
l'ordre public pouvant varier d'un Etat à un autre, il sera tenu de
respecter l'ordre public qualifié d'international (1).
Mais malgré cette subordination à l'ordre
public, l'arbitre conserve sa liberté de choix quant à la
règle applicable au litige dont il conna»t. Néanmoins, en
présence d'une procédure collective, le choix de la règle
peut s'avérer plus délicat (2).
§ 1 Le respect de l'ordre public international dans
le cadre d'un arbitrage international
146. Il convient tout d'abord de préciser les contours
de l'arbitrage qualifié d'international (A) afin de délimiter la
compétence des arbitres, qui dans le cadre d'un arbitrage international
sont subordonnés au respect de l'ordre public international (B).
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