B - Arbitrage international et procédure collective
ouverte à l'étranger
158. Dans les relations internationales, les parties
conviennent souvent d'un arbitrage pour éviter que leur différend
ne soit tranché par les juridictions étatiques de la partie
adverse. Pourtant, l'ouverture d'une procédure collective contre l'une
des parties à l'arbitrage peut venir complexifier cette volonté
initiale. L'arbitre se voit alors imposer le respect des règles des
procédures collectives (1°), car << la loi de l'Etat
d'ouverture d'une faillite régit en principe tous ses effets
juridiques1 È. En outre, ils doivent tenir compte des
règles d'ordre public du lieu oü la sentence peut faire l'objet
d'un exequatur (2°).
1 Le respect par l'arbitre de la lex
concursus2
159. En droit français, les règles d'ordre
public internes bien qu'ayant aussi la qualification de règles d'ordre
public international ne permettent pas d'évincer une règle
différente dans un pays étranger dès lors que la
procédure collective est ouverte à l'étranger.
Certes, dès lors qu'une procédure collective est
ouverte en France, les règles d'ordre public international qui la
régissent doivent être respectées. Mais si une
procédure collective est ouverte en dehors du territoire
français, ce sont les règles étrangères qui
s'appliquent, sans qu'elles puissent être exclues au nom de l'ordre
public international3. Car l'ordre public international n'est
<< pas un concept utilisé dans le cadre de l'éviction d'un
droit étranger4 È.
Int. 1996, p 45.
1 En ce sens, P. Mayer, << La sentence contraire à
l'ordre public au fond È, Rev. arb. 1994, p. 43.
2 La lex concursus correspond à la loi de la faillite. En
ce sens, B. Hanotiau, op. cit., p.30.
3 En ce sens, P. Mayer, << La sentence contraire à
l'ordre public au fond È, Rev. arb. 1994, p. 41.
4 J.-B. Racine, op. cit., p. 503.
160. Ainsi, un jugement étranger ayant appliqué
dans le cadre d'une procédure de failite ouverte à
l'étranger une loi étrangère ne connaissant pas les
principes français des procédures collectives, peut s'appliquer
en France. Car l'ordre public international ne s'oppose pas aux effets en
France d'un jugement étranger1. Donc le but de l'ordre public
international n'est pas d'évincer une décision
étrangère au for.
Cependant, dès lors qu'une procédure collective
est ouverte en France, l'arbitre étranger se doit de respecter les
règles du droit français des procédures collectives.
161. Il se peut que des procédures collectives
concurrentes soient ouvertes dans différents pays à l'encontre
d'un même débiteur. Cette hypothèse présente un fort
potentiel de multiplication des conflits, du fait de la pluralité de
règles et de compétences impératives. Néanmoins, il
est tout à fait possible d'ouvrir une procédure secondaire
à coté d'une procédure collective principale ouverte dans
un autre pays.
L'arbitre devra alors << appliquer les règles de
droit choisies par les parties ou à défaut par lui même,
sans être tenu de respecter les autres lois, fussent-elles des lois de
police2 È. Mais le Professeur Philippe Fouchard souligne
néanmoins qu'il est opportun pour l'arbitre de prendre en compte les
règles d'ordre public international du pays oü l'exécution
de sa sentence sera requise.
2° La prise en compte par l'arbitre de l'ordre
public du lieu oü est exécutée la sentence
162. L'arbitre étant dépourvu d'imperium
il peut avoir besoin du juge pour ordonner la mise en oeuvre de sa
décision. En effet, l'arbitre ne peut pas donner force exécutoire
à sa sentence mais on peut penser qu'il a pour objectif de
résoudre définitivement le litige des parties. Cependant le juge
du lieu d'exécution de la sentence n'autorisera son exécution sur
son territoire que si elle a été rendue conformément
à une loi de police de son for. C'est pourquoi l'arbitre a tout
intérêt à prendre en compte les règles d'ordre
public international oü sa sentence va être
exécutée3.
163. Ainsi, si la sentence doit prendre effet en France,
l'arbitre doit respecter les règles des procédures collectives
françaises faute de quoi le juge français chargé du
contrôle de la sentence rejettera son application. Par conséquent,
au nom de l'ordre public international, la jurisprudence française
impose à l'arbitre, qu'il soit étranger ou international, de
respecter les principes fondamentaux du droit français de la faillite,
pour peu que ce droit soit applicable en l'espèce.
1 J.-B. Racine, op. cit., p. 503 et s.
2 Ph. Fouchard, <<Arbitrage et faillite È, Rev. arb.
1998, p. 479 et s.
3 En ce sens, J.-B. Racine, op. cit., p. 292 et s.
164. En ce sens, une sentence dite Casa contre
Cambior1 rendue le 26 décembre 1990 souligne que Ç les
arbitres ne doivent pas prendre de décision qui violerait les principes
fondamentaux considérés par le juge de l'exequatur comme d'ordre
public international2 È.
En l'espèce, le tribunal arbitral rejette la demande
de Cambior d'obtenir une caution bancaire afin de garantir l'éventuelle
condamnation du défendeur, Casa. La sentence se fonde sur le droit
luxembourgeois alors même que les parties avaient choisi l'application du
droit suisse dans leur convention d'arbitrage. Les arbitres considèrent
que le droit des procédures collectives luxembourgeois prévoyant
le principe d'égalité des créanciers s'oppose à
cette demande. L'intérêt de cette solution réside dans le
fait que les arbitres écartent le droit suisse pour retenir les
règles d'ordre public du Luxembourg car c'est le lieu oü sera
exécuté la sentence. Ce qui justifie que l'arbitre écarte
la lex causae3 afin d'assurer l'efficacité de sa
sentence. Néanmoins, leur sentence n'est efficace que parce que sont
respectées les règles d'ordre public des procédures
collectives, même s'ils disposent d'une marge de manoeuvre quant au choix
de la législation étatique référente.
165. On peut conclure qu'en matière d'arbitrage
interne, la primauté des règles des procédures collectives
ne fait pas de doute et l'arbitre doit respecter ces règles d'ordre
public sous peine de nullité de sa sentence. En matière
internationale, les règles françaises des procédures
collectives s'appliquent dès lors que la procédure collective est
ouverte en France. Mais si la procédure collective est ouverte à
l'étranger, les règles françaises des procédures
collectives sont évincées sauf dans le cas oü la sentence
doit être effectuée en France. On peut donc conclure que la
primauté des procédures collectives est étendue. Mais la
mise sous Ç tutelle4 È de l'arbitrage n'est pas totale
et on constate une dynamique jurisprudentielle tendant à donner plus de
force à cette justice privée.
1 Sentence CCI, n°6697.
2 En ce sens, P. Mayer, Ç La sentence contraire à
l'ordre public au fond È, Rev. arb. 1994, p. 47.
3 Locution latine signifiant la loi de la cause.
4 Expression empruntée à F. Carpi, Ç
Ouverture È, Médiation et arbitrage, dir. L. Cadiet, Pratique
professionnelle, Litec, 2005, p. 205.
TITRE 2 : MAINTIEN EFFECTIF DE L'ARBITRAGE FACE
AUX PROCÉDURES COLLECTIVES
166. Si les règles des procédures collectives
prédominent largement les relations entre procédures collectives
et arbitrales, l'instance arbitrale ne se contente pas d'exister malgré
l'ouverture d'une procédure collective. Elle dispose de réelles
prérogatives, qui résultent en partie de la double nature
contractuelle et juridictionnelle de l'arbitrage. Ainsi, les pouvoirs publics
reconnaissent la validité d'une convention d'arbitrage. Cela s'explique
par la nécessité de respecter les engagements contractuels des
parties, mais aussi par le caractère juridictionnel de l'arbitrage, qui
lui confère une efficacité non contestable. Cependant, la
persistance de la compétence arbitrale face aux procédures
collectives (Chapitre 1) s'explique également par l'évolution de
la jurisprudence. En effet, cette dernière tend à renforcer la
compétence arbitrale, en la faisant parfois primer sur la
compétence des acteurs de la juridiction étatique.
Il en résulte un maintien effectif de l'arbitrage, qui
certes doit respecter les règles d'ordre public des procédures
collectives mais qui dispose parallèlement d'une grande autonomie. Cette
liberté de l'arbitre s'accompagne en matière internationale d'un
assouplissement du contrôle de la juridiction étatique. Par
conséquent, c'est la justice étatique elle même qui
contribue au renforcement de l'efficacité de la justice arbitrale.
167. Mais si l'arbitrage tend à réaffirmer sa
force en présence d'une procédure collective, il n'en
résulte pas un simple rapport de force entre ces deux procédures.
En effet, les juridictions étatique et arbitrale tentent de se
coordonner (Chapitre 2). Cela se manifeste via l'échange d'informations
mais aussi par la capacité du juge à contrôler la sentence
arbitrale, lui donner force exécutoire ou de conna»tre des voies de
recours. En effet, les pouvoirs du juge une fois la sentence arbitrale rendue
sont étendus. Mais l'examen de la pratique montre que la juridiction
étatique n'a pas pour but d'anéantir la sentence arbitrale. Son
droit de regard se fait dans une volonté de construction et
d'harmonisation afin de concilier l'efficacité de la sentence avec les
valeurs fondamentales de la justice étatique. Ainsi, justice
étatique et justice arbitrale apparaissent complémentaires car le
juge veille sur l'institution arbitrale et l'encourage. Néanmoins,
l'efficacité de la sentence arbitrale n'est pas totale. Ainsi, des
contentieux post-arbitraux subsistent et la jurisprudence actuelle n'est pas
encore enclin à recourir à la technique de Ç l'anti-suit
injunctionÈ pour faire prévaloir la volonté des parties de
recourir à l'arbitrage.
Pour autant, le maintien de l'arbitrage face aux
procédures collectives est effectif. Il manifeste une reconnaissance
mutuelle de la justice étatique et de la justice privée, et
s'accompagne d'une volonté de se coordonner.
Chapitre 1 : Résistance de l'institution de
l'arbitrage face aux procédures collectives
168. L'arbitrage est un mode alternatif de règlement
des litiges dont la nature juridictionnelle est depuis longtemps reconnue, cela
confère à l'arbitre des pouvoirs efficaces qui, bien que
limités, ne cessent de s'accro»tre. L'essor quantitatif de
l'arbitrage s'accompagne donc d'un regain d'efficacité comme en
témoigne l'évolution de la compétence de l'arbitre. La
consécration de la compétence arbitrale se manifeste tant dans
l'élargissement de sa compétence traditionnelle (section 1), que
dans l'appréciation assouplie des règles applicables par les
arbitres (section 2).
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