A - L'étendue du principe de
compétence-compétence
179. La singularité de la mission arbitrale
résulte notamment du pouvoir de l'arbitre. En effet, l'arbitre dispose
d'un pouvoir de compétence-compétence consacré à
l'article 1466 du nouveau Code de procédure civile1 et qui
désigne la compétence de l'arbitre de statuer sur sa propre
compétence. L'objectif de ce principe est de respecter l'intention des
parties de recourir à l'arbitrage. En effet, Monsieur Georges A. Bermann
souligne que <<plus on mettra d'obstacle à l'arbitrage (...), plus
on s'éloignera des objectifs de l'arbitrage2 È. C'est
pourquoi, les arbitres sont toujours compétents pour statuer sur leur
propre compétence.
180. Par conséquent, ils contrôlent eux même
l'étendue de leur investiture en vérifiant, par exemple, que
l'objet du litige est conforme à celui que lui attribue la clause
compromissoire3. Mais leur pouvoir ne s'arrête pas là,
car ils peuvent également interpréter la clause d'arbitrage. Les
pouvoirs de l'arbitre sont donc étendus et résultent du
caractère autonome de l'arbitrage. Aussi, l'institution arbitrale est
qualifiée par Monsieur Gouiffès de <<justice sui
generis4 È, en ce sens oü l'arbitrage est d'un
genre particulier qui obéit à ses propres règles,
concurremment à la justice étatique.
181. En outre, le principe de
compétence-compétence de l'arbitre est complété,
selon la doctrine de la séparabilité, par une indépendance
de la clause compromissoire et du contrat qui la contient. De sorte que
même si le contrat contenant la clause compromissoire est nul ou
inapplicable, une instance arbitrale peut être ouverte si l'arbitre le
décide5. Il en résulte un renforcement de l'autonomie
arbitrale car l'arbitrage peut être rendu sur la seule décision de
l'arbitre et indépendamment de la validité du contrat qui la
contient. De plus, en matière internationale, la jurisprudence a
consacré la validité de la convention d'arbitrage
indépendamment de toute loi étatique6.
1 Art 1466 NCPC : << Si, devant l'arbitre, l'une des
parties conteste dans son principe ou son étendue le pouvoir
juridictionnel de l'arbitre, il appartient à celui-ci de statuer sur la
validité ou les limites de son investiture È.
2 G. A. Bermann, << Le rôle respectif des cours et
des arbitres dans la détermination de la compétence arbitrale
È, L'arbitrage, Dalloz, Archives de philosophie du droit, tome 52, p.
121.
3 X. Linant de Bellefonds, op. cit., p.61 précise que
<< les contestations relatives à l'étendue du pouvoir
juridictionnel de l'arbitre se produisent en présence d'une clause
compromissoire, laquelle à la différence du compromis, n'a pas
à déterminer l'objet du litige È.
4 L. Gouiffès, << L'arbitrage international
propose-t-il un modèle original de justice ? È, Recherche sur
l'arbitrage en droit international et comparé, mémoire, LGDJ,
1997, p. 5.
5 En ce sens, G. A. Bermann, << Le rôle respectif des
cours et des arbitres dans la détermination de la compétence
arbitrale È, L'arbitrage, Dalloz, Arch.Phil. dr., tome 52, p. 121.
6 Cass., civ. 1re, 4 juillet 1972, n° 70-14.163, Bull. des
arrêts de la Cass., n°175, p. 154 : << En matière
d'arbitrage international, l'accord compromissoire présente une
complète autonomie juridique. La clause compromissoire
insérée dans
182. Lorsque l'arbitre se prononce sur la validité de
son investiture et de ses limites, le Professeur Dominique Vidal parle Ç
d'effet positif È du principe de compétence-compétence.
Mais il précise néanmoins qu'il a pour corollaire un Ç
effet négatif1 È. Car ce principe, en faisant primer
la compétence de l'arbitre, Ç interdit au juge étatique de
se prononcer en premier sur la validité et le champ d'application de la
convention d'arbitrage2 È, conformément à
l'article 1458 alinéa 1 du nouveau Code de procédure
civile3.
183. Cette compétence prioritaire de l'arbitre est
affirmée de façon constante par la jurisprudence4 et
ce même si une procédure collective a été
ouverte5. C'est ce qu'illustre un arrêt récent de la
Cour de Cassation, en date du 3 février 20106. En
l'espèce, après l'ouverture de la procédure de liquidation
judiciaire, le liquidateur d'une société franchisée
assigne le franchiseur devant la juridiction étatique en invoquant la
nullité du contrat de franchise. Mais le franchiseur se prévaut
de la clause compromissoire et invoque de ce fait l'incompétence des
juridictions étatiques. La Cour d'appel pour rejeter la
compétence de l'institution arbitrale retenait que la clause
compromissoire contenue dans le contrat de franchise ne concernait que les
parties et que de ce fait le liquidateur n'était pas partie à
l'acte et ne pouvait donc pas se prévaloir de la convention
d'arbitrage.
Mais la Haute juridiction considère que viole le
principe de compétence-compétence, la décision de la Cour
d'appel qui interdit la saisine du tribunal arbitral alors que n'est pas
établi Ç la nullité ou l'inapplicabilité de la
clause d'arbitrage, seule de nature à faire obstacle à la
compétence prioritaire de l'arbitre È. Cet arrêt s'inscrit
dans la droite ligne de l'article 1458 du nouveau Code de procédure
civile7, affirmant le principe de
compétence-compétence. Mais il convient de souligner que la
compétence de l'arbitre n'est ici retenue que parce que Ç
l'action était indépendante de la procédure collective
È, le litige était donc arbitrable.
un contrat international doit donc recevoir application et ce,
quand bien même elle serait prohibée par la loi française
È.
1 En ce sens, D. Vidal, Droit français de l'arbitrage
commercial international, Gualino, 2004, p.171.
2 P. Ancel, rev. arb. 2004, p. 591 et s.
3 Art 1458 al 1 NCPC : Ç Lorsqu'un litige dont un tribunal
arbitral est saisi en vertu d'une convention d'arbitrage est porté
devant une juridiction de l'Etat, celle-ci doit se déclarer
incompétente.
4 Cass. civ. 1re, 1 décembre 1999, n° 97-21488, Rev.
arb. 2000, p. 96.
Cass. civ. 1re, 26 juin 2001, n°99-17120, Rev. arb. 2001,
p. 529, Ç Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans relever la
nullité manifeste de la convention d'arbitrage, seule de nature à
faire obstacle au principe susvisé, qui consacre la priorité de
la compétence arbitrale pour statuer sur l'existence, la validité
et l'étendue de la convention d'arbitrage, la cour d'appel n'a pas
donné debase légale à sa décision È.
5 CA Paris, 20 septembre 1995, société Matra
Hachette c/ société Reteitalia.
6 Ç Viole le principe
compétence-compétence la cour d'appel qui statue sur une action
en responsabilité de droit commun, indépendante de la
procédure collective ouverte à l'encontre de l'une des parties,
par des motifs impropres à établir le caractère manifeste
de la nullité ou de l'inapplicabilité de la clause d'arbitrage,
seule de nature à faire obstacle à la compétence
prioritaire de l'arbitre pour statuer sur l'existence, la validité et
l'étendue de la convention d'arbitrage È, Cass. civ. 1re, 3
février 2010, n°09-12669.
7 Art 1458 NCPC : Ç Lorsqu'un litige dont un tribunal
arbitral est saisi en vertu d'une convention d'arbitrage est porté
devant une juridiction de l'Etat, celle-ci doit se déclarer
incompétente. Si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi, la
juridiction doit également se déclarer incompétente
à moins que la convention d'arbitrage ne soit manifestement nulle. Dans
les deux cas, la juridiction ne peut relever d'office son incompétence
È.
Néanmoins, même lorsque le litige est inarbitrable,
en vertu du principe de compétencecompétence, c'est à
l'arbitre de retenir ou non la validité de son investiture.
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