B - La portée restreinte des limites au principe de
compétence-compétence
184. Bien entendu, le principe de
compétence-compétence ne signifie pas nécessairement que
l'arbitre sera compétent pour trancher le litige. En effet, il peut tout
à fait se limiter à constater son incompétence. Mais la
force de l'arbitrage tient dans le fait que lui seul peut en décider.
185. En outre, le principe de
compétence-compétence conna»t des exceptions. Dès
lors que la clause est manifestement nulle, le juge étatique peut
l'écarter et par conséquent se déclarer
compétent1. Mais cette nullité manifeste fait l'objet
d'une interprétation étroite par la jurisprudence qui retient que
seule une nullité manifeste peut faire obstacle à
l'arbitrage2.
On s'est demandé par le passé si la
compétence arbitrale n'était pas qu'une exception à la
compétence judiciaire3 puisque le juge étatique peut
avoir la faculté d'écarter la compétence arbitrale. Mais
cette hypothèse ne se produit que de façon sporadique et la
conception selon laquelle elle justifierait la compétence principale du
juge étatique pour reléguer la compétence arbitrale au
rang d'exception ne semble aujourd'hui plus d'actualité. C'est donc
l'inapplicabilité manifeste de la clause d'arbitrage qui constitue une
exception au principe de compétencecompétence4.
186. Aussi, la jurisprudence tend à faire une
application restreinte de cette exception permettant au juge de se prononcer
sur la validité de la convention d'arbitrage lorsque le tribunal
arbitral n'a pas encore été constitué.
Dans un arrêt dit Zanzi contre De Coninck, en date du 5
janvier 19995, la Cour de Cassation fait une nouvelle application du
l'article 1458 alinéa 2 du nouvau Code de procédure
civile6, selon lequel la juridiction étatique, saisie d'un
litige soumis à un tribunal arbitral peut retenir sa compétence
lorsque la convention d'arbitrage est manifestement nulle.
1 En ce sens, D. Vidal, Droit français de l'arbitrage
commercial international, Gualino, 2004, p. 175.
2 Cass. civ. 1re, 1 décembre 1999, n° 97-21488, Rev.
arb. 2000, p. 96 et s.
Ç Attendu que pour déclarer le tribunal de
commerce compétent pour statuer sur le litige (...), l'arrêt
attaqué retient, par motifs adoptés, que le litige,
consécutif à la rupture d'un contrat de licence stipulant une
clause d'arbitrage CCI, est survenu après la fin du contrat, de sorte
qu'il n'entrait pas dans l'objet de la convention d'arbitrage qui ne visait que
les litiges relatifs à l'interprétation et à
l'exécution du contrat. Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans
relever la nullité manifeste de la convention d'arbitrage, seule de
nature à faire obstacle à l'application du principe
susvisé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale
à sa décision È.
3 V.D. Vidal, Droit français de l'arbitrage commercial
international, Gualino, 2004, p. 175.
4 En vertu de l'art 1458 NCPC : Ç Si le tribunal arbitral
n'est pas encore saisi, la juridiction doit également se déclarer
incompétente à moins que la convention d'arbitrage ne soit
manifestement nulle È.
5 Cass., civ.1re, 5 janvier 1999, Zanzi c/ De Coninck, n°
96-21.430, Bull. 1999, I n° 2, p. 1
6 Art 1458 al 2 NCPC : Ç Si le tribunal arbitral n'est pas
encore saisi, la juridiction doit également se déclarer
incompétente à moins que la convention d'arbitrage ne soit
manifestement nulle È.
En l'espèce, la Cour d'appel avait donnée droit
à la demande de nullité de la convention d'arbitrage introduite
devant le Tribunal de commerce par une partie avant même que le tribunal
arbitral soit saisi. La Cour de cassation censure la solution des juges du
fond. Elle considère que lorsque le tribunal arbitral n'est pas saisi,
même si la clause d'arbitrage est manifestement nulle, la partie ne peut
introduire une demande de nullité à titre principal devant les
juridictions étatiques. Le Professeur Eric Loquin souligne que cette
solution se Ç justifie par la force du principe de
compétence-compétence qui réduit au minimum les cas
oü le juge de l'Etat doit vérifier à la place du tribunal
arbitral la validité de la convention d'arbitrage1 >>.
Si les exceptions légales au principe de
compétence-compétence subsistent, l'interprétation
limitée qu'en fait la jurisprudence renforce une fois de plus
l'efficacité du recours à l'arbitrage.
Sous-section 2 : Persistance de la compétence de
l'arbitre
187. Si on ne peut pas nier l'incidence d'une
procédure collective sur un arbitrage en cours2, ni
même sur l'ouverture d'une instance arbitrale3, il n'en reste
pas moins que l'examen de la jurisprudence récente tend à
démontrer la persistance de la compétence arbitrale en
présence d'une procédure collective. Ainsi, dans certaines
circonstances Ç l'ouverture de la procédure collective n'entame
pratiquement pas la compétence des arbitres pour conna»tre des
litiges qui leur ont été contractuellement confiés
4>>. Lorsqu'une procédure collective est en cours mais
que l'instance arbitrale n'a pas été saisie, la jurisprudence
limite la compétence du juge commissaire (1) une fois la
procédure de vérification des créances effectuées.
Il en résulte un regain d'efficacité de la compétence
arbitrale (2).
§ 1 Compétence du juge commissaire
limitée lorsque l'instance arbitrale n'est pas saisie
188. La Cour de cassation, dans un arrêt
sociétés Cutting et Industry contre Alstom Power Turbomachines,
en date du 2 juin 20045, statue sur la question de la
compétence du juge commissaire afin de déterminer s'il peut
statuer sur le bien fondé de créances en présence d'une
clause d'arbitrage. En l'espèce, les sociétés Cutting et
Industry sont mises en redressement judiciaire. La société Alstom
Power Turbomachines déclare ses créances à la
procédure afin de pouvoir faire valoir ses droits à paiement
à la clTMture de la procédure. Mais lors de la
vérification de ses créances, la société invoque
une clause d'arbitrage.
1 E. Loquin, RTD Com. 1999, p. 380.
2 cf infra, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, Sous-section
1.
3 cf infra, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, Sous-section
2.
4 P. Ancel, rev. arb. 2004, p. 591 et s.
5
Cass. Com., 2 juin 2004 - Sté
Industry et autres c/ Sté Alstom Power Turbomachines - n°
02-18.700, Bull. civ. 2004, IV,n° 110, p. 114.
La juridiction commerciale considère que le juge
commissaire est compétent pour statuer sur la contestation du bien
fondé des créances. Mais la Cour d'appel infirme le jugement et
la Cour de cassation confirme cette solution au motif que << lorsque
l'instance arbitrale n'est pas en cours au jour du jugement d'ouverture, le
juge commissaire, saisi d'une contestation et devant lequel est invoquée
une clause compromissoire, doit, après avoir, le cas
échéant, vérifié la régularité de la
déclaration de la créance, se déclarer incompétent
à moins que la convention d'arbitrage ne soit manifestement nulle ou
inapplicable È.
189. Par conséquent, lorsqu'une clause compromissoire
est invoquée devant le juge commissaire, celui-ci doit se
déclarer incompétent et sa seule mission est de vérifier
la régularité de la déclaration de la créance.
Ainsi, la juridiction étatique doit se déclarer
incompétente lorsque le tribunal arbitral n'est pas encore saisi,
à moins que la convention d'arbitrage soit manifestement nulle ou
inapplicable.
190. Le créancier muni d'une clause compromissoire ne
peut saisir le tribunal arbitral qu'après déclaration et
vérification de sa créance. Mais désormais, une fois cette
formalité accomplie, le juge commissaire n'est plus compétent et
seul l'arbitre peut statuer sur le bien fondé de la créance.
Même si la Haute juridiction ne le dit pas, on peut penser que la
compétence des arbitres résulte de l'article 1458 du nouveau Code
de procédure civile qui consacre le principe de
compétencecompétence de l'arbitre1, puisque une fois
déclaration et vérification des créances
effectuées, la question de leur bien fondé échappe au juge
commissaire.
191. Le Professeur Alain Lienhard souligne la
modularité du juge commissaire qui en l'espèce
<<décline sa compétence au profit du tribunal
arbitral2 È. Ainsi, tantôt le juge commissaire a un
rôle incontournable de vérification des
créances3, tantôt sa compétence est
écartée au profit de l'arbitre qui est seul habilité
à statuer sur le bien fondé de la créance.
§ 2 Regain d'efficacité de la
compétence arbitrale
192. Cette solution est une véritable révolution.
Auparavant, la jurisprudence4 considérait que lorsque
l'ouverture de la procédure collective était antérieure
à l'instance arbitrale, le créancier ne pouvait
1 En ce sens, D. Touchent, LPA, 21 juillet 2004, n°145, p.
15 et s.
2 A. Linhard, op. cit.
3 cf supra, Titre 1, Chapitre 2, Section 1, Sous-section
2.
4 << lorsque la procédure d'arbitrage n'a pas
commencé avant l'ouverture du redressement, le créancier... ne
peut plus saisir le tribunal arbitral mais seulement déclarer sa
créance et attendre sa vérification È.
CA Paris, 30 mars 1999,Consorts de Coninck c/ M. Zanzi et
société Torelli ès qual.
CA Paris, 3 mars 1998, sté toulousaine d'exploitation
cinématographique c/ sté Polygram Film Distribution.
plus saisir le tribunal arbitral et le juge commissaire se
voyait réserver la décision d'admission ou de rejet de la
créance1.
Désormais, le tribunal arbitral est seul
compétent pour statuer sur l'existence et le montant d'une
créance dès lors que l'instance arbitrale n'était pas en
cours au jour du jugement d'ouverture. Cela à pour effet, malgré
les défaillances de l'entreprise, de faire primer la liberté
contractuelle des parties, maintes fois malmenée par la Cour de
Cassation.
193. Pour conclure, il résulte des deux arrêts
du 2 juin 2004, l'arrêt dit Gaussin contre Alstom vu
précédemment2 et celui dit Industry contre Alstom, une
complémentarité. La primauté de la règle de
l'arrêt des poursuites individuelles empêche la mise en oeuvre
d'une procédure arbitrale dès lors qu'une procédure
collective a été ouverte. En effet, cette règle
étant d'ordre public interne et international, l'institution arbitrale
bien que reconnue par les juridictions étatiques ne peut s'y
soustraire.
Mais une fois les créances valablement
déclarées et vérifiées par le juge commissaire,
l'égalité des créanciers est assurée. Par
conséquent, la convention d'arbitrage retrouve son empire. En effet, les
parties pourront mettre en oeuvre la convention d'arbitrage qu'elles
s'étaient promises préalablement à l'ouverture de la
procédure collective et seuls les arbitres seront compétents pour
décider si la contestation relève ou non de leur
compétence. On peut en conclure qu'une fois les règles des
procédures collectives respectées, l'arbitrage retrouve son
empire.
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