Section 2 : L'appréciation des règles
impératives assouplie en matière arbitrale
194. L'arbitre dispose d'une grande liberté à
l'égard du juge, mais tout l'intérêt de l'arbitrage
résulte dans la liberté qu'il possède vis-à-vis du
droit. En effet, l'arbitre n'est pas obligé d'appliquer une loi et
dispose d'une grande liberté dans le choix des règles applicables
(§1). L'étendue de leur compétence est renforcée en
matière internationale car si l'arbitre est tenu au respect des
règles d'ordre public, la jurisprudence admet qu'il en soit fait une
appréciation plus souple (§2).
§ 1 La possible liberté des arbitres dans le
choix des règles applicables
195. La liberté des arbitres quant aux règles
applicables est double. D'une part, ils ne sont pas systématiquement
tenus de suivre les règles procédurales applicables aux
juridictions étatiques (A). D'autre part, ils bénéficient
d'une grande liberté quant aux règles applicables pour trancher
le fond du litige (B).
1 En ce sens, Ph. Fouchard, rev. arb. 2003, p. 209, b.
2 cf supra, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, Sous section
2, §2, A.
A - Affranchissement des règles de la
procédure judiciaire
196. Le recours à l'arbitrage ayant une nature
contractuelle, les parties sont libres de définir conventionnellement
les règles de procédures applicables. Elles peuvent donc,
conformément à l'article 1460 alinéa 1 du nouveau Code de
procédure civile1, stipuler librement dans la convention
d'arbitrage les règles applicables et choisir ou non de recourir aux
règles applicables devant le juge étatique. Mais si les parties
n'ont rien prévu, les règles applicables seront fixées par
les arbitres eux mêmes.
B - Liberté des arbitres dans les règles
applicables
197. Si la nature contractuelle de l'arbitrage affaiblie la
compétence de l'arbitre, en ce sens qu'il est subordonné au
respect des règles d'ordre public de la procédure collective, il
en tire aussi des avantages2. En effet, il dispose d'une grande
liberté eu égard aux règles de droit applicables. Ce
principe d'autonomie de l'arbitre dans le choix du droit applicable
résulte de la nature contractuelle de l'arbitrage. Les parties en s'en
remettant à lui pour trancher leur litige, lui font
confiance3 pour appliquer la solution qui lui para»t la plus
juste et qui ne correspond pas nécessairement à une règle
de droit.
198. En effet, la volonté des parties détermine
l'étendue des pouvoirs de l'arbitre. Il peut recevoir mission de statuer
en droit et dans ce cas, il appliquera alors les mêmes règles de
droit que le juge étatique, en prenant en compte la nature et la
situation géographique du litige. Il en est d'ailleurs ainsi si les
parties n'ont rien prévu4.
Mais les parties peuvent tout à fait décider que
l'arbitre statuera en amiable composition. Dans ce cas, l'arbitre tranche le
litige en fonction de considérations d'équité. Cette
faculté justifie bien souvent le recours à l'arbitre. Aristote en
son temps affirmait déjà : << l'arbitre vise à
l'équité, le juge à la loi, l'arbitrage a
été inventé pour que l'équité soit
appliquée5 È. Ainsi il pourra retenir la solution qui
lui para»t la plus juste en prenant en compte les règles de droit
s'il les estime appropriées ou si telle est la volonté des
parties. Mais bien souvent il statuera en équité ou encore en
référence aux usages du commerce consacrés dans la lex
mercatoria6.
1 Art 1460 NCPC : << Les arbitres règlent la
procédure arbitrale sans être tenus de suivre les règles
établies pour les tribunaux, sauf si les parties en ont autrement
décidé dans la convention d'arbitrage È.
2 En ce sens, L. Gouiffès, << L'arbitrage
international propose-t-il un modèle original de justice ? È,
Recherche sur l'arbitrage en droit international et comparé,
mémoire, LGDJ, 1997, p. 5 et s., << Fondement contractuel en fait
sa force mais aussi sa faiblesse È.
3 En ce sens, P. Mayer, << La sentence contraire à
l'ordre public au fond È, Rev. arb. 1994, p. 615 et s.
4 Art 1474 NCPC : << L'arbitre tranche le litige
conformément aux règles de droit, à moins que, dans la
convention d'arbitrage, les parties ne lui aient conféré mission
de statuer comme amiable compositeur È.
5 Aristote, Rhétorique. Tome II (Livre II). trad. M.
Dufour., C.U.F., Les Belles Lettres, 1938, 1374 b.
6 En général, la lex mercatoria << exclut
les normes de nature étatique ou inter-étatiqueÈ bien que
B. Goldman avance l'hypothèse contestée d'une
<<absorption des principes généraux du droit È par
la lex mercatoria, P. Lagarde, << Approche
199. De même dans le cadre d'un arbitrage
international, l'article 1496 du nouveau Code de procédure civile
dispose que << l'arbitre tranche le litige conformément aux
règles de droit que les parties ont choisies, à défaut
d'un tel choix, conformément à celles qu'il estime
appropriées È.
Une sentence arbitrale1 a ainsi reconnu une totale
liberté de choix à l'arbitre lorsqu'il doit statuer en droit sans
que les parties n'aient déterminé le droit applicable. Cette
solution se situe dans la lignée du principe d'autonomie de l'arbitrage
eu égard au contrat principal. En effet, l'arbitre statuant en droit est
libre de choisir la loi applicable, indépendamment de celle qui
régit le contrat. Le Professeur Racine en conclut qu'il n'y a <<
pas de conflits de loi dans le domaine de la convention d'arbitrage
È2.
En outre, l'arbitre est libre de se référer
à d'autres règles que les lois étatiques. Cependant, en
présence d'une procédure collective, il doit
nécessairement respecter les règles d'ordre public. Mais, sous
l'approbation de la Haute juridiction, le respect de l'ordre public par
l'arbitre est apprécié de façon modérée.
§ 2 Appreciation assouplie de l'ordre public par
les arbitres
200. Si les arbitres disposent d'une liberté dans les
règles applicables au litige, il sont tenus de respecter l'ordre public.
Cependant, en matière internationale, l'ordre public limite moins
intensément les pouvoirs de l'arbitre (A). Le regain de la
compétence arbitrale qui en résulte est validé par la
jurisprudence qui consacre un contrôle minimaliste du respect par
l'arbitre de l'ordre public (B).
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