A - Portée du principe de contradiction
226. Ç Le caractère juridictionnel de
l'arbitrage permet de mettre en oeuvre un ensemble de règles qui sont
autant de garanties et parmi lesquelles il faut privilégier le principe
de contradiction5 È. En effet, le principe de contradiction
est reconnu comme un principe constitutionnel et un principe
Nice 2004.
1 cf supra, Titre 2, Chapitre 1, Section 2, §2,
B.
2 Locution latine qui signifie Ç de prime abord
È.
3 En ce sens; J.-B. Racine, op. cit., p. 502, Ç les
décisions de refus d'exequatur sont rarissimes È.
4 Rev. arb. 1998, p. 577.
5 Ch. Jarrosson, Ç Les frontières de l'arbitrage
È, Rev. arb. 2001, p. 5.
d'ordre public international1. De ce fait, il est
essentiel à la régularité de la procédure arbitrale
car il permet à chaque partie d'être entendue2. Ainsi,
chacune peut conna»tre les arguments avancés par la partie adverse
ainsi que les pièces produites, afin de les contredire si besoin est.
L'arbitre, qu'il statue en droit ou en amiable composition, doit faire
respecter ce débat contradictoire, gage de loyauté et
d'équité.
Cette solution est conforme à l'article 1460 du nouveau
Code de procédure civile3 qui, s'il affirme en son
alinéa 1 la possibilité des arbitres de s'affranchir des
règles procédurales étatiques, précise toutefois en
son alinéa 2 l'obligation pour les arbitres de respecter les principes
directeurs du procès parmi lesquels se trouve le principe de
contradiction.
227. Cette solution consacrée de façon
constante par la jurisprudence4, recouvre en fait deux
réalités. Certes, les arbitres doivent faire respecter par les
parties le principe du contradictoire, mais ils doivent eux même s'y
soumettre5. Par conséquent, à l'instar des juges
étatiques, ils ne doivent pas juger dans la précipitation et ont
l'obligation de soumettre à la contradiction les moyens qu'ils
soulèvent d'office.
Par conséquent, le principe de contradiction est un
principe général qui s'impose tant à l'arbitrage,
qu'à la justice étatique, dans le cadre des procédures
collectives. En effet, Ç une mesure aussi grave que la mise en
redressement ou la liquidation d'une personne ne peut être prise sans que
cette dernière n'ait été en mesure de se défendre.
Le contradictoire doit donc être impérativement respecté
È. Il en résulte que ce principe gouvernant procédures
collectives et arbitrales constitue, lorsqu'elles coexistent, un point de
convergence.
228. En outre, le respect par l'arbitrage de ce principe
d'ordre public international est essentiel. En effet, dans le cas oü la
sentence ne serait pas exécutée spontanément par les
parties, elle ne pourra être exequaturée que si l'arbitre a
respecté le principe de contradiction. Il semble donc que ce principe
supérieur ne se contente pas de s'imposer à la justice
étatique et arbitrale, il permet leur coordination dans le cas oü
le juge de l'exequatur devrait rendre effective la sentence arbitrale en lui
donnant force exécutoire. `
229. Dans ce sens, la jurisprudence a affirmé que le
respect du principe de contradiction par l'institution d'arbitrage est, en
matière d'arbitrage international, Ç une condition minimale
imposée
1 En ce sens, D. Vidal, Droit français de l'arbitrage
commercial international, Gualino, 2004, p. 209.
2 Conformément à la locution latine : Audiatur
et altera pars, qui signifie Ç l'autre partie doit être
entendue È.
3 Art 1460 NCPCÇ Les arbitres règlent la
procédure arbitrale sans être tenus de suivre les règles
établies pour les tribunaux, sauf si les parties en ont autrement
décidé dans la convention d'arbitrage.
Toutefois, les principes directeurs du procès
énoncés aux articles 4 à 10, 11 (alinéa 1) et 13
à 21 sont toujours applicables à l'instance arbitrale
È.
4 CA Paris, 7 novembre 1996, Ç sont tenus de respecter les
principes directeurs du procès et spécialement le principe de
contradiction, toujours applicable dans l'instance arbitrale È
5 En ce sens, S. Guinchard, Ç L'arbitrage et le respect du
principe du contradictoire È, Rev. arb. 1997, p.190 et s.
par le droit français pour l'insertion d'une sentence
dans l'ordre juridique interne1 È. On peut
légitimement penser que le respect du contradictoire s'impose,
au-delà du droit français, à l'ensemble des
systèmes juridiques. Car selon le Professeur Serge Guinchard, outre son
caractère constitutionnel, il a aussi une << valeur
européenne È, puisque la CEDH le consacre comme un principe
constitutif du procès équitable, ainsi qu'une << valeur de
droit naturel È qui s'impose même s'il n'est pas prévu dans
les textes2.
Cependant dans les faits, la mise en oeuvre de ce principe est
plus complexe qu'il n'y para»t et la jurisprudence tempère
l'appréciation stricte de ce principe.
B - Prédominance de l'arbitrage justifiée
par une appréciation assouplie du principe de contradiction
230. L'arbitre n'est pas tenu de faire une application
stricte, voire bureaucratique, du principe de contradiction. C'est pourquoi, la
jurisprudence admet qu'il puisse librement apprécier le respect de ce
principe. En effet, le respect de la contradiction vise d'une part, à la
loyauté du débat entre les parties à l'instance arbitrale,
et d'autre part à une infomation complète de l'arbitre. Il ne
doit pas être un moyen pour l'une d'elle d'obtenir l'annulation de la
sentence au prétexte << d'imperfections È de
forme3, qui ne seraient que secondaires et ne mettraient pas
à mal l'esprit du principe de contradiction.
Cette appréciation assouplie de l'obligation de
l'arbitre de respecter et faire respecter le principe du contradictoire n'est
pas nouvelle et a été consacrée à plusieurs
reprises par la Cour de Cassation4. Déjà, dans un
arrêt du 23 octobre 19965, elle considérait que
l'arbitre n'avait pas violé le principe de contradiction car la partie
lui reprochait << de n'avoir pas ordonné une mesure qui serait
venue suppléer sa propre carence6 È. C'est en fait
l'attitude de la partie qui justifie selon la Juridiction suprême que
l'arbitre puisse rendre sa sentence sans accomplir certaines formalités
qui lui sont en principe imposées par le respect de la contradiction. En
effet, la partie n'ayant pas été diligente, elle ne peut pas par
la suite reprocher à l'arbitre une méconnaissance de certaines
règles (imposées par le principe de contradiction) qui
résulterait de son propre comportement.
231. De même, en 2004, une sentence7 a
été rendue malgré la défaillance du
défendeur, absent à l'audience prévue pour entendre les
témoins.
1 CA Paris, 16 février 1996.
2 En ce sens, S. Guinchard, << L'arbitrage et le respect du
principe du contradictoire È, Rev. arb. 1997, p.186
3 En ce sens, D. Vidal, Bulletin de la Cour internationale
d'arbitrage de la CCI, Vol.20/1, 2009, p. 60.
4 V.Cass., ass. plen., 24 novembre 1989.
V.Cassation, Civ. 2e, 23 octobre 1996, n° 95-17207.
5 Cassation, Civ. 2e, 23 octobre 1996, n° 95-17207.
6 S. Guinchard, << L'arbitrage et le respect du principe du
contradictoire È, Rev. arb. 1997, p.190.
7 Sentence CCI n° 12805, 2004.
En l'espèce, une liquidation judiciaire est ouverte
contre le défendeur à l'instance arbitrale, peu avant le
prononcé de la sentence. Globalement, le principe de contradiction avait
été respecté par les parties mais restait à
entendre les témoins. L'arbitre considère que l'absence du
défendeur ne justifie pas la méconnaissance du principe de
contradiction car ce principe a été respecté puisque les
parties avaient procédé à l'échange des
pièces, des témoignages écrits et de leurs
mémoires. En outre, l'arbitre insinue que cette défaillance
résulte d'une mauvaise volonté du défendeur1 et
il ne serait question qu'il agisse de façon à encourager <<
ce comportement procédural non coopératif2 È.
Par conséquent, l'arbitre considère qu'il est en droit de rendre
sa sentence. Cette solution met en exergue la nécessaire conciliation du
respect du principe du contradictoire avec la progression de l'instance
arbitrale. Mais elle traduit aussi l'intégration d'une procédure
d'insolvabilité à la procédure d'arbitrage.
232. L'intégration de la procédure collective
à l'instance arbitrale ne semble pas en l'espèce être
discutable car la sentence ne néglige pas d'indiquer les motifs sur
lesquels elle repose. En effet, selon le Professeur Dominique Vidal, il est
légitime que la procédure arbitrale s'affranchisse des
règles de la procédure collective afin de respecter ses propres
règles et objectifs. A savoir : << la nécessité
d'assurer la progression de l'instance, l'interprétation raisonnable du
principe de contradiction et l'attente légitime des parties de voir leur
différend résolu3 È.
233. Par conséquent, le principe de contradiction ne
se contente pas de gouverner les procédures collectives et arbitrales,
son interprétation par la jurisprudence tend à favoriser le
recours à l'arbitrage. En outre, d'autres principes régissent
leurs relations afin d'assurer une reconnaissance mutuelle des
procédures dans des conditions assainies.
§ 2 Le principe de l'estoppel
234. L'estoppel a été consacré par la
jurisprudence française comme un principe garantissant des relations
loyales entre une procédure collective et une procédure arbitrale
(A). Par le passé, dans des conditions différentes, c'est le
principe général de bonne foi qui avait été retenu
(B).
1 << non seulement la procédure était
proche d'être complète mais elle aurait dü l'être si
elle n'y avait pas manqué par la défaillance du défendeur
à participer à l'audience initiale (car en réalité
l'audience a été reporté) à un moment oii il devait
être conscient de ses difficultés financières È,
V.détails sentence CCI n° 12805.
2 D. Vidal, Bulletin de la Cour internationale d'arbitrage de la
CCI, Vol.20/1, 2009, p. 72.
3 D. Vidal, op. cit.
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