B - L'arbitrabilité du traitement conventionnel des
difficultés des entreprises
62. Peuvent faire l'objet d'un arbitrage les litiges purement
contractuels même s'ils sont liés à une procédure
collective (1°), de même que les litiges portant non pas sur une
procédure collective judiciaire mais sur un traitement conventionnel des
entreprises en difficulté (2°).
1 CA Paris, 19 mai 1993, sté Labinal c/ stés Mors
et Westland Aerospace,<< l'arbitrabilité d'un litige n'est pas
exclue du seul fait qu'une réglementation d'ordre public est applicable
au rapport de droit litigieux È
CA Paris, 16 février 1989, Sté Almira Films c/
Pierrel, ès qualités.
Cass. Com., 14 janvier 2004 - Sté
Prodim et autres c/ Sté Evolys - n°02-15.541, Bull., 2004,
IV,n° 10, p. 12.
2 Article 6 Code Civil : << On ne peut déroger, par
des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre
public et les bonnes mÏurs È.
3 << L'arbitre doit appliquer l'ordre public, voire
sanctionner sa violation È, O. Caprasse, op cit.
1° Les litiges purement contractuels peuvent faire
l'objet d'un arbitrage
63. Tous les litiges d'ordre contractuel, nés entre le
débiteur et les tiers, qui ne trouvent pas leur origine dans
l'application d'une règle propre à la procédure collective
sont arbitrables1. En effet, le litige d'origine purement
contractuel, même s'il est lié à la procédure
collective, ne relève pas de la compétence exclusive des
tribunaux étatiques. Sont par exemple arbitrables les demandes en
paiement d'une somme d'argent ou les actions en résolution du contrat
conclues avant l'ouverture d'une procédure collective2.
2° Arbitrage du traitement conventionnel des
entreprises en difficulté
64. L'évolution des procédures collectives
montre une volonté du législateur de prendre en compte les
difficultés des entrepreneurs le plus en amont possible afin d'optimiser
leurs chances de redressement. Aussi le Professeur Dominique Vidal distingue
selon que la procédure collective est ouverte alors que l'entreprise est
ou non en cessation de paiement. En l'absence de cessation de paiement,
<< un traitement conventionnel est possible et ce mode de traitement est
cohérent avec un arbitrage car ils ont tous deux un fondement
contractuel3 È. Ainsi, on peut considérer que tout
litige sur un accord amiable ou une conciliation, dans le but de mettre fin aux
difficultés de l'entreprise, peut faire l'objet d'un arbitrage. Mais il
ne s'agit pas à proprement parler de procédures collectives.
Reste que les procédures collectives de sauvegarde ou de redressement
judiciaire sont ouvertes en l'absence de cessation de paiement mais cela ne
suffit pas à justifier leur arbitrabilité car elles ne sont pas
constitutives d'un traitement conventionnel des entreprises en
difficulté.
§ 2 Délimitation de l'arbitrabilité
des procédures collectives
65. Si la seule présence d'ordre public ne suffit pas
à rendre un litige inarbitrable, il n'en reste pas moins que certains
litiges demeurent inarbitrables en raison de leur nature ou du fait de
l'influence juridique des procédures collectives (A). Par
conséquent, un litige est arbitrable même si une procédure
collective est ouverte dès lors qu'il ne trouve pas son origine directe
dans la procédure collective (B).
1 P. Ancel, <<Arbitrage et procédures collectives
après la loi du 25 janvier 1985 È, Rev. arb. 1987, p. 127-132.
2 J-B Racine, op. cit.
3 D.Vidal, Procédures collectives et procédures
d'arbitrage : quelle rencontre ?, Gaz. Pal. 31 octobre 2009, n° 304, p.
3.
A - Litiges exclus de l'arbitrage en raison de leur
nature ou de l'impact des procedures collectives
66. L'inarbitrabilité du fait de la seule présence
d'ordre public reste néanmoins pertinente dans les matières qui
sont inarbitrables par nature1. Ainsi, on peut considérer que
certaines matières sont intrinsèquement inarbitrables car le
Professeur Dominique Vidal rappelle que s'impose parfois une Ç
constatation d'inarbitrabilité générale et
absolue2 È inhérente à la matière.
L'arbitre est incompétent dès lors que le recours à
l'arbitrage risque d'affecter les intérêts des tiers. On distingue
deux types de litiges qui relèvent exclusivement du juge étatique
: Ç les litiges nés de la procédure collective et ceux sur
lesquels la procédure collective exerce une influence juridique
È3.
67. Concrètement, l'arbitre ne peut pas appliquer une
règle spécifique aux procédures collectives car cette
compétence est attribuée exclusivement aux juridictions
étatiques, ainsi il ne peut pas se prononcer sur l'ouverture d'une
procédure collective. Dans cette conception, Ç
l'inarbitrabilité d'un litige ne tient donc pas à l'intervention
de l'ordre public mais à la réservation expresse d'un contentieux
à une juridiction étatique4 È.
Le Professeur Jean-Baptiste Racine5
détaille le domaine d'incompétence de l'arbitre dès lors
qu'un litige est né de la procédure collective. Car l'arbitre ne
peut pas appliquer une règle spécifique à la faillite.
Ainsi, il ne peut pas se prononcer sur l'ouverture d'une procédure
collective, ni annuler les actes passés pendant la période
suspecte, ni se prononcer sur la qualification ou la nature de la
créance. Le litige est donc inarbitrable par nature parce qu'il porte
sur une règle ou une situation qui appara»t du fait de la
procédure collective. Il doit donc être
déféré devant la juridiction compétente. Il en est
de même pour les litiges sur lesquels la procédure collective a
des répercussions importantes.
68. En effet, les litiges sur lesquels la procédure
collective exerce une influence juridique sont inarbitrables. Cela correspond
aux contestations qui ne seraient pas survenues si le débiteur n'avait
pas été soumis à une procédure
collective6. L'inarbitrabilité est donc étroitement
liée aux difficultés traitées par la procédure
collective.
Certains litiges sont donc inarbitrables du fait de leur
nature, d'autres en raison de l'impact des procédure collectives. Dans
ce cas, il convient d'examiner l'influence de l'ordre public des
procédures collectives sur le litige afin de déterminer s'il est
ou non arbitrable.
1 D. Vidal, Droit francais de l'arbitrage commercial
international, Gualino, 2004, p. 75 et s.
2 D. Vidal, op. cit.
3 J-B Racine, op. cit.
4 Ph. Fouchard, ÇArbitrage et faillite È, Rev. arb.
1998, p. 471 et s.
5 J-B. Racine, L'arbitrage commercial international et l'ordre
public, LGDJ 1999, p. 111 et s.
6 En ce sens, J-B. Racine, op. cit., p 114.
B - L'arbitrabilité des litiges ne trouvant pas
leur origine directe dans la procédure collective
69. En réalité, l'article 2060 du Code Civil,
interdisant l'arbitrage en présence d'ordre public, est appliqué
avec discernement selon le cas d'espèce. De sorte que, tantôt
l'ordre public n'écarte pas l'arbitrabilité du litige,
tantôt la portée de la règle impérative sur la
situation du litige est telle que le litige est inarbitrable. Il convient de
faire un examen au cas par cas afin de déterminer si l'ordre public des
procédures collectives s'oppose à ce que l'arbitre connaisse du
litige. Mais dès lors que le litige ne trouve pas sa source dans
l'application d'une règle des procédures collectives, il est
arbitrable1. Néanmoins, le litige arbitrable sera
subordonné au respect des règles d'ordre public des
procédures collectives2.
70. La question de l'arbitrabilité du litige peut
être soulevée soit par la partie qui l'invoque, soit par le
tribunal arbitral lui même. Dans le cadre d'un arbitrage international,
l'arbitre peut soulever d'office la question de l'arbitrabilité mais la
difficulté réside dans le fait de savoir, en fonction de quelle
loi l'arbitre devra déterminer si le litige est ou non arbitrable. En
effet, les règles d'inarbitrabilité d'un litige lié
à une procédure collective vu précédemment
correspondent à une conception française. Mais il se peut que la
question de l'arbitrabilité se pose en raison de l'ouverture d'une
faillite contre la partie à la convention d'arbitrage dans un pays
étranger.
71. En principe, l'arbitre doit statuer sur
l'arbitrabilité du litige en fonction de la loi applicable à la
convention d'arbitrage3. Mais il se peut que la convention
d'arbitrage ne prévoit pas l'application d'une loi étatique.
Aussi, le Professeur Bernard Hanotiau avance que l'arbitre statuera sur
l'arbitrabilité du litige par référence à l'ordre
public international du lieu du siège de l'arbitrage4. Ainsi,
si le tribunal arbitral est saisi en France, même si la procédure
collective a été ouverte à l'étranger, le litige
est inarbitrable dès lors qu'il est né de la procédure ou
que celle-ci exerce sur lui une grande influence juridique.
En outre, dans le cadre d'un arbitrage international, il est
fort probable que l'arbitre statue sur l'arbitrabilité du litige en
prenant également en compte les règles d'ordre public
international du lieu de l'exécution de la sentence5.
1 En ce sens, B. Hanotiau, << La loi applicable par
l'arbitre en cas de faillite d'une des parties à la procédure
>>, Rev. droit. aff. Int. 1996, p. 32.
2 infra Titre 1, Chapitre 2.
3 Art II (1)Convention de New-York: << 1. Each Contracting
State shall recognize an agreement in writing under which the parties undertake
to submit to arbitration (...) in respect of a defined legal
relationship>>
Art VI (2) Convention de Genève du 21 avril 1961:
<< Quand ils auront à se prononcer sur l'existence ou la
validité d'une convention d'arbitrage, les tribunaux des Etats
contractants statueront en ce qui concerne la capacité des parties,
selon la loi qui leur est applicable et en ce qui concerne les autres questions
: selon la loi à laquelle les parties ont soumis la convention
d'arbitrage >>.
4 B. Hanotiau, op. cit., p. 33.
5 V.B. Hanotiau, op. cit., p 33 et s.
|