A - Interdiction légale de compromettre en cours de
procédure collective affaiblie
94. L'impossibilité de principe des organes de la
procédure collective de compromettre pendant le déroulement de la
procédure se justifie (1°) du fait de l'existence d'une disposition
légale mais aussi par la nature même de l'acte qui tend à
saisir l'institution arbitrale. Cependant, cette interdiction légale de
compromettre conna»t des limites (2°) qui tiennent à la
possibilité d'arbitrer certains litiges malgré l'ouverture d'une
procédure collective. Il en résulte une faculté de
compromettre sur les litiges qui ne relèvent pas de la compétence
exclusive des juridictions étatiques. Mais cette faculté sera
elle-même limitée par l'impossibilité faite au
débiteur de compromettre lorsqu'il est dessaisi de l'administration de
son patrimoine. Cependant, même dans ce cas, un mécanisme
d'habilitation judiciaire permettra de compromettre.
1 Justifications à l'interdiction de compromettre
en cours de procédure collective
95. L'article L 622-21 (I) du Code de commerce dispose :
Ç I.-Le jugement d'ouverture [...] interdit toute action en justice de
la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas
mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant : à la
condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ; à la
résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme
d'argent È.
Il en résulte que dès lors qu'une
procédure collective est ouverte, on applique la règle selon
laquelle il est interdit d'ouvrir une action en justice. Or l'arbitrage est
considéré comme une action en justice. Par conséquent,
l'ouverture d'une procédure collective interdisant de saisir un tribunal
arbitral, s'oppose à ce que les organes de la procédure
collective puissent compromettre.
1 C'est à dire sur un litige qui ne serait pas directement
lié à la procédure collective et qui peut par
conséquent faire l'objet d'un
arbitrage. cf supra Titre 1,
Chap 1, Sect 1, Sous-section 2, A.
Cette solution semble conforme à la centralisation des
contentieux des procédures collectives1, en ce qu'elle
implique une attribution exclusive de compétence aux seuls tribunaux
étatiques.
96. En outre, si compromettre est considéré
comme un acte de gestion normale de l'entreprise2, il n'en est pas
de même dans le cadre d'une entreprise en difficulté. Ainsi le
Professeur Le Corre souligne que << la gravité de certains actes
pour l'entreprise justifie leur interdiction, tant pour l'administrateur
judiciaire que pour le débiteur3 >>4. Dans
le même sens, le Professeur Philippe Fouchard affirme que la conclusion
d'une convention d'arbitrage, après le jugement d'ouverture d'une
procédure collective, n'est pas une simple <<opération de
gestion5 >>6. Elle est considérée
comme un acte grave car elle peut altérer la consistance du patrimoine
ou rompre l'égalité des créanciers.
97. Par conséquent, l'interdiction de compromettre,
faite aux organes de la procédure collective, semble doublement
justifiée. D'une part, car elle rejoint l'interdiction légale
d'ouvrir une instance arbitrale en cours de procédure collective;
d'autre part, parce que compromettre est un acte grave qui ne doit pas mettre
en péril les objectifs des procédures collectives. Pourtant,
cette argumentation conna»t des limites.
2° Limites à l'interdiction : la
possibilité de compromettre sur les litiges arbitrables
98. Si l'interdiction légale de compromettre
résultant de l'article L 622-21 du Code de commerce n'est pas
contestable, il n'en reste pas moins que l'argument, consistant à dire
que cette solution est conforme à l'objectif de centralisation des
contentieux des procédures collectives, est imparfait. En effet, il a
été démontré précédemment7
qu'il ne résultait pas une inarbitrabilité générale
des litiges liés à la procédure collective. En effet,
lorsque le litige est d'ordre contractuel8, il n'est pas directement
lié à la procédure collective car le litige ne trouve pas
son origine dans une règle propre à la procédure
collective.
Par conséquent, on peut tout à fait concevoir la
possibilité pour les acteurs de la procédure de
1 En ce sens, P. Ancel, <<Arbitrage et procédures
collectives après la loi du 25 janvier 1985 >>, Rev. arb. 1987, p.
128.
2 En ce sens, T. Clay, << L'arbitre >>, Nouvelle
Bibliothèque de Thèses, Dalloz, 2001, p. 175 et s.
3 P-M Le Corre, Droit et pratique des procédures
collectives, Dalloz action, 2009, n°422-11.
4 En ce sens, C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en
difficulté, Montchrestien, 6e éd., p.316, n°535.
5 Ph. Fouchard, <<Arbitrage et faillite >>, Rev. arb.
1998, p. 493, n°51.
6 NB : Il ne faut pas voir de contradiction entre le fait que
le Professeur Phillipe Fouchard qualifie la clause compromissoire comme
<< acte de gestion normale >> (P. Fouchard, op. cit., 187,
n°35 ; cf supra, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, Sous-section 1,
§1, A, 1°) qui doit être respecté par la
procédure collective qui survient en cours d'arbitrage ; et qui par
ailleurs considère que la conclusion d'une clause compromissoire ou d'un
compromis postérieurement à l'ouverture d'une procédure
collective << n'est pas (...) un acte de gestion courante >> (P.
Fouchard, op. cit, p 483, n°51). En effet, la qualification de la clause
compromissoire est appréciée différemment selon le
contexte.
7 cf supra, Titre 1, Chap 1, Sect 1, Sous-section 2,
§1, A.
8 En ce sens, P. Ancel, <<Arbitrage et procédures
collectives après la loi du 25 janvier 1985 >>, Rev. arb. 1987, p.
128. En ce sens, Ph. Fouchard, <<Arbitrage et faillite >>, Rev.
arb. 1998, p. 492.
compromettre, mais uniquement pour les litiges qui ne rentrent
pas dans le champ d'application de la compétence exclusive des tribunaux
étatiques1.
99. Pourtant, le Professeur Pascal Ancel précise que
le débiteur n'a pas toujours le pouvoir de passer une convention
d'arbitrage en cours de procédure collective, même si le litige
n'est pas directement lié à la procédure
collective2.
En effet, le débiteur ne dispose pas de la
faculté de compromettre dans la liquidation judiciaire, du fait de son
dessaisissement. Il en est de même dans le cadre d'un redressement
judiciaire, car si le débiteur n'est pas dessaisi de ses fonctions, des
lors qu'il est assisté dans sa gestion de l'entreprise, il n'a plus le
pouvoir de compromettre seul3. Ainsi, la jurisprudence a jugé
nul un compromis passé par le débiteur sans l'assistance de
l'administrateur4, au motif que la présence de ce dernier
était imposée dans le jugement d'ouverture de la procédure
collective.
Pour autant, le débiteur, à l'instar de
l'administrateur judiciaire ou du liquidateur, va se voir accorder la
possibilité de compromettre sur habilitation judiciaire .
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