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Le conseil constitutionnel et la continuité des services publics au Maroc

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par Anass KIHLI
Université Med premier Oujda - Master en Droit public 2011
  

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CHAPITRE II

La continuité des services publics et l'exercice du droit de grève

Nous avons opté pour la réservation d'un chapitre entier à l'étude de la grève pour deux raisons. La première, est l'ampleur de l'impact de l'exercice du droit de grève sur l'application du principe de la continuité des services publics ; dont le respect est considéré comme une condition sine quo non à la bonne marche, et à la constance des prestations fournies par ces services. En effet, lorsque les services publics gérés par l'administration ou contrôlés par elle font l'objet d'une rupture, même limitée dans le temps, les conséquences sont graves, surtout quand il s'agit des services vitaux, tels que le service de la santé, l'enseignement ou la justice.

Les conséquences des grèves sont également pénibles quantitativement si nous osons dire, car parmi les phénomènes qui peuvent toucher la bonne marche des services publics, c'est la grève qui en l'altère le plus, et ce pour le fait qu'elle touche le nombre le plus élevé de la population « les usagers des services publics » et davantage lorsqu'elle est répétitive, dans ce cas elle agit comme une bombe à fragmentation pour anéantir le principe de la continuité et le vider carrément de son essence.

Avant d'entamer le vif du sujet, il convient de commencer par un éclaircissement terminologique de la notion du droit de grève pour la différencier des autres concepts voisins Le professeur Roger LA TURNERIE définit la grève comme étant tout arrêt collectif du travail de la part les salariés ou les fonctionnaires d'une institution donnée, ou plusieurs institutions à la fois, en vu de faire pression sur l'employeur pour qu'il obtempère à leurs revendications. De sa part Hélène SINAY, la définit comme un refus collectif et délibéré du travail qui exprime la volonté des salariés ou des fonctionnaires de se mettre temporellement hors le contrat qui les lient à l'employeur pour garantir la réalisation de leurs attentes. Concernant la doctrine marocaine, et notamment le professeur Saïd BANNANI, il pense que la grève est le refus des salariés ou des fonctionnaires, tous ou en partie de travailler en ayant la volonté de faire grève, et ce à la suite d'un litige collectif, pour forcer l'employeur de répondre à leurs revendications objet dudit litige114(*).

Le droit de grève occupe une position très importante dans le registre des droits inhérents à la personne humaine. En effet, plusieurs instruments juridiques l'ont eu comme objet, et ce, à compter du droit international aux droits internes relatifs à chaque Etat, c'est un droit qui à un aspect international, pour ne pas dire universel, il est toujours le corollaire du droit syndical. Les employés dans les secteurs privés ne sont pas les seuls à en jouir, les fonctionnaires également ont le plein droit d'adhérer à des syndicats et exercer leur droit qui leur permet de faire grève. C'est ce qui a poussé le bureau international du travail, notamment sa commission de la liberté syndicale d'appeler à donner une importance spéciale à la question du droit syndical pour les fonctionnaires publics ; et de lui réserver une des session de la conférence internationale du travail afin de trouver les solutions adéquates pour résoudre les problématiques qui en découlent. Chose qui a permis la consécration d'une commission spéciale à la fonction publique qui a présenté un rapport détaillé sur la question en 1977115(*). Au Maroc, le droit de grève est garanti constitutionnellement.

Comme il résulte des précédents titres de ce mémoire, le principe de la continuité des services publics est un principe qui dispose de la valeur constitutionnelle, c'est-à-dire qu'il a la même valeur juridique que la constitution écrite. Or, comment peut-il cohabiter dans la même couche de normes juridiques  avec le droit de grève, qui en vertu de l'article 14 de la constitution est un droit constitutionnel? De part cette interrogation il devient intéressant d'étudier l'exercice du droit de grève en l'opposant au principe de la continuité des services publics en tant que principe à valeur constitutionnel pour en déchiffrer la nature de cette cohabitation et en rendre compte.

Pour ce faire il convient de diviser le présent chapitre en deux sections la première aura comme objet de rendre compte du cadre théorique de l'exercice du droit de grève en dressant ses soubassements juridiques et la position jurisprudentielle à son propos, la deuxième portera sur son application pratique et une simulation de ses perspectives.

Section 1 : Cadre juridique de l'exercice du droit de grève et la position

jurisprudentielle

Sous-section 1 : Cadre juridique

1) Au Maroc la législation relative au droit de grève est passée par plusieurs étapes. Au début du siècle, et spécialement dan la période du protectorat, précisément de 1912 à 1958 les employés et fonctionnaires marocain étaient privés d'exercer le droit de grève. Les autorités françaises réservaient ce droit aux fonctionnaires français et étrangers, mais cela n'a pas empêché les marocains de participer de facto dans les grèves organisées par les syndicats français116(*). Cette discrimination a été maintenue à l'égard des fonctionnaires marocains car les autorités du protectorat craignaient l'adhésion de masse des marocains à des mouvements de protestation via les organisations syndicales et l'exercice du droit de grève en vu de plaider des revendications politiques. Les fonctionnaires dépendants de la métropole (les français et les étrangers fonctionnaires au Maroc) ne pouvaient se voir refuser le droit de faire grève, pour des raisons pragmatiques : ils formaient l'appareil administratif concrétisant la présence de la France au Maroc, et pour qu'ils restent ils doivent bénéficier des mêmes droits que leurs collègues en France.

Avec la montée des mouvements de protestations, surtout dans les années 1954 et 1955, les autorités françaises ont procédé à l'émission de plusieurs circulaires interdisant le droit de grève pour les marocains. Ces circulaires exposaient les sanctions infligées à ceux qui tentent de bafouer la réglementation en vigueur, parmi les sanctions :

Ø L'arrêt immédiat du travail avec la suppression des salaires,

Ø Les fonctionnaires contractuels ou journaliers ne peuvent être réinfectés dans leurs postes qu'après approbation de l'administration et l'étude des dossiers cas par cas,

Ø Dans tous les cas il ne peut être procédé à la rémunération des jours de travail manqués117(*).

Il est à souligner qu'au Maroc il n'existe aucune définition légalement admise de la grève, en dépit du fait que toutes les constitutions du Maroc en reconnaissent la jouissance. A en croire la réglementation en interdisant l'exercice il serait : « toute cessation concertée du travail, et tout acte d'indiscipline caractérisée ... », Mais cette définition est absolument réfutable car elle considère la grave comme un acte contraire au droit en la comparant à un acte d'indiscipline caractérisée. Il est très important également de préciser que la sa portée juridique est passée par plusieurs étapes successives.

2) La deuxième étape est relative à la période pré-constitutionnelle, où l'instrument juridique applicable en la matière est le décret du 5 février 1958. Le paradoxal en ce décret c'est qu'il reconnaît le droit des fonctionnaires des administrations de l'Etat et les institutions publiques à adhérer et de s'organiser dans des syndicats professionnels, sauf ceux qui font l'objet de l'article 4 : les fonctionnaires de police, des forces auxiliaires..., et leur refuse en même temps le droit de faire grève. L'interdiction d'exercer le droit de grève fait l'objet de l'article 5 qui stipule : « pour tous les personnels, toute cessation concertée du service, tout acte collectif d'indiscipline caractérisée pourra être sanctionné en dehors des garanties disciplinaires ». Ce texte a permis à l'administration d'avoir une marge de manoeuvre très large, qui lui permet d'intervenir et de sanctionner les fonctionnaires tombant sous l'emprise de l'article 5 du décret de 1958, en justifiant ses actes par le manquement des fonctionnaires à leurs obligations, et les exigences du service public dans lequel ils travaillent. En effet, à toutes les reprises l'administration opposait aux fonctionnaires grévistes, la condition sine quo non des services publics de fonctionner normalement et sans discontinuité, qu'il qu'en soit le prix !

Plusieurs législations ont allé dans le sens du décret précité en interdisant le droit de grève et syndical à certaines catégories de fonctionnaires, notamment les administrateurs du ministère de l'intérieur, les magistrats, les militaire, les fonctionnaires de l'administration carcérale...118(*)

3) Avec l'arrivée de l'ère constitutionnelle à partir de 1962, le droit de grève a vu s'octroyer une portée effective au Maroc. En effet, toutes les constitutions marocaines reconnaissent le droit de grève, en l'occurrence celle de 1962, de 1970, de 1972, de 1992 et celle de 1996. Elles comportent toutes un article (Art. 14) stipulant : «  le droit de grève demeure garanti, une loi organique précisera les conditions et les formes dans lesquelles ce droit peut s'exercer ». Seulement, il est à souligner que le texte de l'article 14 de la première constitution marocaine (celle de 1962) comportait une expression, qui est d'emblée toujours en son sein, mais à l'époque un certain nombre d'auteurs ont inlassablement essayé de démontrer que l'exercice du droit de grève a été resté figé dans la même situation qu'il avait avant l'entrée en vigueur de la constitution de 1962. Pour cela, ils ont dressé une interprétation basée sur le côté linguistique du texte qui s'articule sur le terme Demeure qui en résulte : puisque l'article 14 comporte le terme demeure, donc l'exercice du droit de grève demeure garanti pour ceux qui en avaient le droit de jouissance avant l'ère constitutionnelle, et puisque les fonctionnaires publics ne jouissaient pas de l'exercice de ce droit, conformément aux stipulations de l'article 5 du décret du 5 février 1958, l'article 14 de la constitution n'apporte aucun changement pour eux.

Il se pourrait que cet acharnement d'une certaine partie de la doctrine, qui aspire à sauvegarder le statut quo pour la jouissance des fonctionnaires du droit de grève, qui a poussé le constituant de 1970 de changer les terme de l'article 14 en sa version arabe119(*). En effet, l'expression : les conditions qui doivent) ÇáÔÑæØ ÇááÇÒãÉ ( est changée par l'expression : les conditions et les formes dans lesquelles ce droit peut s'exercer, en arabe : ÇáÔÑæØ æ ÇáÅÌÑÇÁÇÊ ÇáÊí íãßä ãÚåÇ ããÇÑÓÉ åÏÇ ÇáÍÞ..120(*)

L'intervention du constituant de 1970 pour changer la formation terminologique de l'article 14 de la constitution, un changement qui est maintenu dans les autres constitutions qui ont succédé, atteste que l'exercice du droit de grève referme le caractère de la généralité. De ce fait, dire que les fonctionnaires publics n'ont pas le droit de jouissance, c'est systématiquement s'induire en erreur.

Même après la promulgation de la constitution de 1962, l'administration a resté obstinée sur sa position, il semble que l'administration n'assimilait pas qu'est ce que une constitution en édictant des actes, et des décisions administratives allant dans le sens d'interdire l'exercice du droit de grève. Elle pensait qu'en garantissant l'exercice du droit de grève, l'article 14 de la constitution entendait les salariés et non pas les fonctionnaires de l'Etat, alors que cet article est général et ne fait pas de distinction entre les salariés et les fonctionnaires. Il est surprenant de savoir que l'administration se tenait à cette attitude, alors que la constitution, qui normalement le texte légal qui possède la plus grande force juridique, et subordonne la loi et le règlement, en consacre la portée.

Il est encore plus surprenant que l'administration est restée attachée à sa position qui fait valoir un règlement, en l'occurrence le décret du 5 avril 1958 sur le texte constitutionnel plus d'une trentaine d'années121(*) ! C'est ce qui est tout simplement contre nature. Normalement, l'administration devait consacrer la suprématie du texte constitutionnel. La normalité exige également que le décret du 5 avril 1958 soit abrogé dés l'entrée en vigueur de la constitution de 1962.

Selon la doctrine marocaine, cette situation a perduré pour trois raisons :

Ø L'administration n'a pas été contrainte de changer de positon par le gouvernement auquel elle est subordonnée.

Ø Le législateur organique qui est mandaté par le texte constitutionnel d'émettre une loi organique régissant la jouissance du droit de grève été carrément absent.

Ø La justice n'avait pas le courage requis pour trancher cette aberration juridique.

Le champ juridique marocain en matière d'organisation du droit de grève reste caractérisé par l'absence de la loi organique qui devrait préciser les modalités et les conditions de l'exercice du droit de grève. D'emblée nous nous demandons pourquoi cette réticence du législateur à en adopter, surtout que ces dernières années ont étaient marquées par la montée en puissance des mouvements de protestations du fonctionnariat notamment dans les secteurs de l'enseignement et de la justice.

Ce vide juridique cause deux situations non saines. La première est le défaut de traçage de la frontière entre la légalité et la non légalité en matière de la jouissance du droit de grève. En effet, les grèves prolongées dans leur cadre temporel surtout dans les secteurs sensibles tels que la santé, et l'enseignement outrepassent les limites de la légalité en privant les usagers des services publics d'en recevoir les prestations ; ce qui va à l'encontre du principe de la continuité. La deuxième c'est le manquement du législateur à son obligation d'intervenir pour organiser et déterminer le cadrage juridique de l'exercice du droit de grève. Par cette passivité le législateur se fait verser dans une situation de non-conformité au droit. Il est responsable par omission. Pour combler ce vide le juge administratif en sa qualité de gardien de la légalité intervient pour organiser l'exercice du droit de grève, il exerce cette compétence par intérim. Ce dernier point fait l'objet d'étude du prochain titre.

Sous-section 2 : La position jurisprudentielle

Dans le cadre du précédent titre, nous avons tenté d'exposer le cadrage juridique de l'exercice du droit de grève en dressant les différentes étapes de la réglementation en la matière. Où nous avons délibérément omit de dresser la position jurisprudentielle, car elle fait l'objet d'un titre à part, il en va de même pour les prises de positions doctrinales, car l'objet de l'inclusion du chapitre consacré à l'exercice du droit de grève ne vise pas à étudier l'exercice du droit de grève en soi, mais l'examiner sous l'angle de l'application du principe à valeur constitutionnelle de la continuité des services publics qui fait l'objet du présent travail.

Nous sommes conscient de l'ampleur des controverses que représente l'exercice de la grève, surtout entre les tenants de l'idée selon laquelle le droit de grève serait un droit absolu puisqu'il est protégé constitutionnellement, et ceux qui soutiennent que la jouissance de ce doit n'est pas encore légale car l'existence de la loi organique régissant la matière fait toujours défaut. Là, ce sont deux positions radicales dont la rigidité rend les deux positions réfutables, car elles n'intègrent pas les solutions apportées par la jurisprudence.

Nous serons amener à rendre compte de l'exercice du droit de grève au Maroc, et ce, en faisant la rétrospective de l'intervention judiciaire sur la question de savoir est ce que faire la grève est légal ou on au Maroc ? Commençons par un arrêt de cours suprême très connu chez les administrativistes sous le nom d' ELHIHI122(*), dont les faits se présentent comme suit : Monsieur ELHIHI est fonctionnaire de la jeunesse et des sports dépendant du ministère de l'éducation nationale, le 25 mars 1960 il participe à une grève, ce qui a poussé le ministre de l'éducation nationale de prendre à son encontre des mesures de sanction très sévères ; le renvoi et la radiation des cadres de la jeunesse et des sports. Cette sanction été prononcée en application du décret de 1958 stipulant dans son article 5 : « Pour tous les personnels, toute cessation concertée des services, tout actes d'indiscipline caractérisée, pourra être sanctionné en dehors des garanties disciplinaires ».

Monsieur ELHIHI a saisit la cours suprême en reprochant au ministre l'application de ce décret. Seulement, c'est ce décret qui a fait l'objet d'ossature de l'arrêt du juge de la cours suprême. En effet, pour rendre son verdict, le juge s'est épaulé sur sa substance, pis dans cette décision juridictionnelle, la cours suprême avait considéré que le président du conseil (le premier ministre), est en droit de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la bonne marche et la continuité de tous les services publics du pays123(*).

De part cet arrêt, on peut extraire la conclusion disant que la position des juridictions, notamment la cours suprême été conforme aux aspirations de l'administration et aux actes de celle-ci. Loin de donner gain de cause au requérant, le juge de la cours suprême a considéré que l'administration n'exerçait que ses prérogatives en vertu de la réglementation en vigueur, et lui a signé un chèque sur blanc en incluant dans l'un des considérants de l'arrêt que le président du conseil est habilité à prendre les mesures nécessaires imposant le respect de la bonne marche des services publics dans tout le Maroc. Ce qui laisse entendre que la grève était carrément interdite.

L'arrivée de l'ère constitutionnelle inaugurée par la constitution de 1962 qui comportait en son sein un article 14 qui stipulait que le droit de grève demeure garanti, d'ailleurs c'est un article qui est resté le même dans les autres constitutions qui l'on succédé. Une nouvelle application jurisprudentielle du droit de grève était en perspectives. Mais les attentes étaient vaines, la cours suprême a resté sur sa position exprimée dans l'arrêt ELHIHI, elle faisait valoir le texte du décret de 1958 sur l'article 14 de la constitution.

Cette position on peut la déduire de son arrêt datant de 25/05/1984 opposant Monsieur Idris NIDAE au ministre de la poste et des télécommunications124(*), dons les faits : Monsieur Idris NIDAE est révoqué de son poste, par motif que l'administration lui reproche les allégations selon lesquelles ce dernier aurait arrêté de manière concertée le travail, incité à la grève, et provoquer la rupture dans la marche du service public. Pour annuler la décision administrative, il saisit le juge de chambre administrative de la cours suprême, Mais l'arrêt de celui-ci est allé dans le même sens du précédent jurisprudentiel de la cours suprême en la matière (arrêt ELHIHI), en affirmant : « Considérant qu'il n'existe aucun texte imposant à l'administration de motiver sa décision objet de ce recours...Mais contrairement au moyen évoqué par le requérant aspirant à appliquer les dispositions de l'article 66 de la loi de la fonction publique qui a déterminé les sanctions disciplinaires, l'article 5 du décret du 5 février 1958 relatif à l'exercice du droit syndical par les fonctionnaires applicable au présent cas d'espèce stipule que tout arrêt concerté du travail ou acte d'indiscipline caractérisée, et tout arrêt collectif délibéré qui a pour objet de porter atteinte aux règles de disciplines est sanctionné en dehors des garanties disciplinaires. De ce fait l'administration n'est pas obligée de faire bénéficier le demandeur de ces garanties disciplinaires citées par loi de la fonction publique». Donc la cours suprême a resté figée sur sa position du départ, et ce, en dépit de l'écoulement de plusieurs années après l'inauguration de l'ère constitutionnelle.

Cette situation récurrente a persisté, mais avec la création des tribunaux administratifs en 1994 un nouvel air de changement s'apprêtait à souffler sur l'exercice du droit de grève, mais quand même on a dû attendre quelques années encore pour que le juge administratif intervienne pour en garantir la jouissance ! L'air du renouveau a soufflé la première fois le 11 juillet 2001 à Méknès. En effet, par son jugement communément connu sous le non de Chibane125(*), le tribunal administratif de Méknès a rendu un verdict favorable à la jouissance du droit de grève, un jugement dont il convient de citer les faits afin de comprendre sa portée.

Monsieur Chibane, un instituteur qui ne s'est pas présenté à son poste le 1er mars 2000 car il faisait grève, seulement ce jour a coïncidé avec le passage de l'inspecteur. De ce fait il a reçu une sanction disciplinaire de la part du Ministre de l'éducation nationale un avertissement motivé par le manquement, et la négligence de ses fonctions. Convaincu qu'il n'exerçait que son droit, Monsieur Chibane a saisi le juge administratif de Mekhnès pour annuler la décision administratif lui infligeant la sanction. Le juge de la légalité a joué un rôle déterminant en affirmant : « Si l'article 5 du décret du 15 Rajab 1377 correspondant 5 février 1958 relatif à la l'activité syndicale des fonctionnaires énonce que « pour tous les personnels, toute cessation concertée du travail, tout acte d'indiscipline caractérisée pourra être sanctionné en dehors des garanties disciplinaires » les dispositions de cet article qui constituent une interdiction absolue du droit de grève, sont incompatibles avec les dispositions constitutionnelles confirmées dans les constitutions qui se sont succédées ; de ce fait, cette disposition s'efface compte tenu de son absence de compatibilité avec les dispositions de la constitution »126(*).

En effet, le juge administratif a donné gain de cause au requérant, il est clair qu'il s'agit là d'un revirement jurisprudentiel ; mais le plus surprenant que ce revirement a été l'oeuvre d'un juge du premier degré. Le juge du tribunal administratif renverse une position jurisprudentielle du juge de la cours suprême, il y'a de quoi s'étonner !

Une partie de la doctrine se verse dans des démonstrations et interrogations allant dans le sens de poser la question suivante : est ce que le juge administratif a apprécié la constitutionnalité du décret de 1958 en résultant à son incompatibilité ? À notre sens, il n'est pas si importante cette question car il est clair que le juge administratif n'a pas agit en juge constitutionnel, ce dernier n'apprécie pas la constitutionnalité du règlement ; et à quoi servirait une constitution si -entre autres- les autorités judiciaires ne se référent pas à ses règles127(*) !

Par contre, nous jugeant bon de poser une question très importante à nos yeux ; est ce que ce revirement jurisprudentiel effectué par un juge du premier degré est si fiable au point qu'il résistera à l'écoulement des années et au risque de voir la cours suprême émettre un arrêt qui corrobore sa position antérieure ? En réponse, nous pensons que la tendance va dans le sens du jugement Chibane, mais juridiquement parlant il reste que pour la tradition juridique marocaine c'est la cours suprême qui dispose de la mission de réguler la jurisprudence de toutes les juridictions du pays, qui lui sont inférieurs. Donc il faut attendre la confirmation de la haute juridiction.

Cette réticence à se fier sans réserves à l'émancipation de la tendance du jugement Chibane, a été exprimée par la doctrine avisée. En effet, le professeur BENABDELLAH (M.A), l'exprime au début de son commentaire du jugement Chibane, alors que le professeur ROUSSET (M), auteur de l'ouvrage Droit administratif marocain n'en a pas tenu compte dans sa 6éme édition revue et mise à jour datant de 2003.128(*)

Puisque le législateur n'a pas encore joué son rôle en matière d'adoption de la loi organiques relative à l'exercice du droit de grève, le juge administratif intervient de manière très habile, non pas pour garantir le droit de grève seulement, mais pour instaurer un équilibre entre sa jouissance et les exigences du service public, notamment la continuité. En suivant les ornières de son homologue français, le juge administratif marocain applique un certain nombre de critères pour que l'exercice du droit de grève soit légal :

Ø Elle (la grève) ne doit pas s'étaler sur une période excessive,

Ø Elle doit défendre que des intérêts professionnels, elle ne doit pas être utilisée comme un moyen de contestation politique,

Ø L'appel à la grève, doit être fait par un syndicat national,

Ø Un préavis doit être adressé à l'autorité administrative compétente.

Pour illustrer l'emploi jurisprudentiel de ces critères, il convient de dresser le dernier considérant du jugement Chibane : « Considérant que, tenant compte de ce qui précède et les détails de l'affaire, il ressort que la grève dans laquelle a participé le demandeur avec les autres instituteurs le 1er mars 2001 a respecté la procédure du préavis comme il est démontré par la copie du télégramme envoyé au délégué provincial du ministère de l'éducation nationale de Errachidia jointe au dossier. L'appel à la grève a été fait par les syndicats nationaux dont l'union Marocaine du Travail, et ce comme il ressort du dossier, ce que l'administration ne le rejette guère, et que la période de la grève été limitée à une seule journée, et qu'elle en a pas une vocation politique, ce qui n'est pas contesté par l'administration. De ce fait, la grève qui a fait l'objet de motif de la sanction du demandeur en lui alléguant qu'il a été négligeant et qu'il a manqué à ses obligations professionnelles, ne justifie pas la sanction de l'avertissement ».

Comme nous avons pu le constater, le juge administratif comble les insuffisances législatives imputables au législateur, et de ce fait il s'autoproclame créateur de normes et remplit bien sa mission. Dans les actes administratifs dont il a la possibilité de contrôler en matière de l'exercice du droit de grève, il fait triompher la norme constitutionnelle (Art.14), sur le décret de 1958, ce qui est tout à fait juste. Par l'application de ces critères pour garantir le droit de grève le juge de l'administration trace la frontière entre la légalité de l'exercice du droit de grève, et les exigences de la marche des services publics qui ont un caractère intransigeant et indéniable tel que la continuité des services publics.

Hormis le fait que le juge administratif à une forte conviction en ce qui concerne la jouissance des fonctionnaires du droit de grève, il en demeure pas moins qu'il est soucieux de garantir au gouvernement et à l'administration le droit de sanctionner tout dérapage dans l'exercice de ce droit. Il est très regardant en ce qui concerne les motifs de la grève, qui ne doivent guère poursuivre la défense ou l'expression d'une revendication politique. Il en examine également l'effectivité de l'adhésion du fonctionnaire en question, autrement dit ; est ce que l'absence été justifiée par une grève ou bien une simple négligence des obligations professionnelles ? Dans ce cas il reconnaît à l'administration le droit de sanction afin d'empêcher toute atteinte au rendement et à la bonne marche des services publics. De ce fait, le travail du juge de la légalité rime en parfaites cohérence avec les stipulations de la constitution, notamment sont article 61 qui dispose : « Sous la responsabilité du premier ministre, le gouvernement assure l'exécution des lois et dispose de l'administration »  : « Il est nécessaire que son exercice ( La grève) soit conforme aux règles évitant un mauvais usage de ce droit et tendant à garantir son adaptation avec le fonctionnement normal des services publics de sorte qu'il n'afflue pas sur leur rendement ; et que si de nature de ce droit est de causer des troubles graves dans le fonctionnement d'un service public ou de présenter un danger à l'ordre public, l'administration à le droit, voire l'obligation de sanctionner ceux des fonctionnaires qui l'organisent », ( jugement Chibane). Somme toute, le droit de grève doit s'exercer dans le respect des principes inhérents à la bonne marche des services publics.

En fin, il est à dire que l'exercice du droit de grève porte des altérations majeures au principe de la continuité des services publics, s'il n'est pas régi de manière à respecter certaines normes. Le juge administratif s'est intervenu pour combler un vide juridique causé par la l'absence de la loi organique relative à l'exercice du droit de grève, et il faut dire qu'il accomplie sa mission avec succès, mais l'adoption d'une loi organique est incontournable pour la stabilité de l'ordonnancement juridique, personne ne peut nier le fait que la situation actuelle est fluctuante. Dans la section suivante nous allons tenter de mettre en relief les dispositions du projet de loi organique relative à l'exercice du droit de grève en perspectives, on examinera également comment est-il aménagé en France.

* 114 Définitions citées in, ELACHRI (B), « La légalité de la grève des fonctionnaires publics au Maroc », Actes de colloque : la grève et la fermeture entre la restriction et la liberté, publication de la Fsjes Marrakech, série colloques et journées d'études n° 29, p.327. Titre en langue arabe : ( (ÇáÅÖÑÇÈ æ ÇáÅÛáÇÞ Èíä ÇáÊÞííÏ æ ÇáÅØáÇÞ.

* 115 Liberté syndicale et la procédure de détermination des conditions d'emploi dans les fonctions publiques. Bureau international du travail Genève 1977, Rapport I. cité in ibid.

* 116 BOUJEMA (R), Droit des services public (en arabe), éd Annajah Al Jadida, Casablanca, 2000, p.p. 12.

* 117 Circulaires émise par le secrétariat du protectorat le 05/08/1954, portant n° 897 cité in, ELHARCHI (B),. op. cit. ; .p.349.

* 118 Décret n° 2.57.1465, relatif de l'exercice du droit syndical par les fonctionnaires, B.O n° 2372 du 11/05/1958.

* 119 ELACHRI (B), op. , cit. p.356.

* 120 Version arabe de l'article 14 de la constitution 1962 :

ÍÞÇáÅÖÑÇÈ ãÖãæä æÓíÈä ÞÇäæä ÊäÙíãí ÇáÔÑæØ æÇáÅÌÑÇÁÇÊ ÇááÇÒãÉ áããÇÑÓÉ åÐÇ ÇáÍÞ

* 121 ELACHRI (B), op. cit. , p366.

* 122 Arrêt de la cours suprême, chambre administrative, Mohamed ELHIHI c./ Ministre de l'éducation nationale, datant du 17/05/1961, portant n° 135, publié en langue française dans le recueil des arrêts de la cours suprême de 1970, Tome III.

* 123 BENABDELLAH (M.A), « la constitutionnalité du droit de grève dans la fonction publique », REMALD, n° 44-45, 2002, p.129 et suiv.

* 124 Arrêt de la cours suprême, chambre administrative, Idris NIDAE c. / Ministre des télécommunications, datant du 25/05/1984. Cité in : Hassan SAHIB, « Quelques problématiques de l'exercice du doit de grève au Maroc », (en arabe), actes des colloques publiés par Fsjes Marrakech, op. cit.p.377.

* 125 Tribunal administratif, Mekhnès, Chibane c. / Ministre de l'éducation national, datant du 12/07/2001, n° 63/2003, publié in REMALD n° 42, p 170.

* 126 BENABDELLAH (M.A), op.cit.

* 127 ERBII (H), «  Le droit de grève entre la jurisprudence de la cours suprême et les tribunaux administratifs ; commentaire du jugement du tribunal administratif de Ménès Chibane c. / Ministre de l'éducation nationale, REMARC, n°, 2004, p.82.

* 128 ROUSSET (M) & GARAGNON (J), Droit administratif marocain, Rabat, La Porte, 2003, p.p. 333-336.

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