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Féminisme, genre et développement en Amérique latine: le cas de Novib (ONG néerlandaise )

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par Zoé Maus
Université libre de Bruxelles - DEA pluridisciplinaire 2002
  

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B. Les femmes font leur entrée comme actrices du développement

83 On parle aujourd'hui d'aide au développement ou d'aide humanitaire, les deux domaines se distinguant assez nettement l'un de l'autre dans les méthodes utilisées et dans les visions sous-jacentes à leurs actions, même si les acteurs participant aux deux domaines sont souvent identiques. La différenciation principale entre les deux vient principalement de l'urgence dans laquelle agissent les organisations d'aide humanitaire. Cette urgence a des répercussions sur la totalité de leur action, tant au niveau de la conception, de la gestion que de l'évaluation de leurs projets.

84 HERMET Guy, Culture et développement, Presses de Sciences Po, Paris, 2000, p. 23.

Dans cette situation de "mal-développement", les femmes étaient les "invisibles parmi les invisibles" et la stratégie basée essentiellement sur la croissance du PIB ne faisait que contribuer à la dégradation de leur position. En particulier, le système économique libéral qui a succédé au colonialisme a perpétué la subordination des femmes.

Ce constat constitue la base de la thèse d'Ester Boserup. Celle-ci a contribué, gr%oce à son livre Women's role in Economic development, en 1970, à mettre le thème "femme et développement" à l'ordre du jour des institutions internationales.85 Si la thèse développée par Boserup dans son ouvrage est largement inscrite dans une vision productiviste du rTMle des femmes, elle a cependan t le mérite de mettre en avant la responsabilité occidentale capitaliste dans la détérioration du statut des femmes.

C'est donc au début des années 1970 que commence ce que Anita Anand appelle "course Femmes et développement" et qui désigne l'engouement qui a suivi la Conférence Internationale de l'Année de la femme en 1975.86 Véritable course en effet, tant les moyens humains et financiers mis en Ïuvre pour tenter de prendre en compte la femme dans le développement ont été importants.

Selon l'expression consacrée, intégrer la femme au développement signifie que celle -ci joue son rTMle, qu'elle participe à l'effort de développement et qu'elle s'intègre au marché. Il s'agit donc d'un développement qui reste essentiellement axé sur la croissance économique.

Alors qu'auparavant les femmes étaient considérées uniquement en tant que mères et épouses, elles sont devenues des "unités de production". A partir de la thèse de Boserup, les partisans du FED vont inscrire la subordination de la femme dans un cadre principalement économique. La différence de statut et de pouvoir des femmes est uniquement causée par leur exclusion du marché. Il suffirait donc simplement de faire en sorte qu'elles ne soient plus exclues de la sphère économique pour qu'elles puissent enfin revendiquer un statut égal à celui des hommes. Cependant cette thèse peut facilement se retourner contre les femmes. Comme le souligne ironiquement Jane Jacquette, si toute production mérite récompense, et s'il est admis que les femmes sont, pour des raisons physiques, moins productives que les hommes, il est alors normal que les femmes recoivent moins de ressources ce qui bien évidemment serait contraire à l'effet recherché.87 Les partisans du FED ont démontré que le manquement dans la reconnaissance et l'utilisation des rTMles productifs des femmes, au sein des foyers et en dehors, est une erreur de planification entra»nant une mauvaise utilisation des ressources. Il en découle que si l'on améliore l'accès des femmes aux technologies et aux crédits, leur productivité en sera augmentée et aura un impact positif sur le développement national. L'investissement dans les femmes aurait donc des conséquences positives en termes économiques mais également en termes sociaux.

Parallèlement, cette première époque voit l'émergence d'un fort courant féministe économiciste qui défie le concept d'efficacité des théories économiques néoclassique et qui élargit le discours de l'efficacité pour défendre un développement humain et durable. La stratégie qui consistait à concevoir des projets mettant l'accent sur les femmes, avec pour objectif plus d'équité et plus d'efficacité économique, a eu pour répercussion de donner la

85 BOSERUP Ester, Women's role in economic development, Earthscan Publications, London, 1989 (1970).

86 ANAND Anita, Un point de vue féministe sur le développement, in ISIS, Femmes et développement. Outils pour l'organisation et l'action, Editions d'en bas/L'Harmattan, Lausanne et Paris, 1988, p. 22.

87 La moindre productivité des femmes est évidemment toute relative. On dit souvent au contraire que les femmes ont une capacité de travail supérieure à celle des hommes. A ce propos, la plupart des personnes rencontrées lors de nos voyage en Amérique centrale, évoquaient le rTMle primordial des femmes dans la reconstruction après l 'Ouragan Mitch ainsi que la charge de travail particulièrement important qu'elles ont pris en charge.

priorité à ce que le développement attendait des femmes plutôt qu'à ce que les femmes attendaient du développement.

Or, comme le souligne Annie Vézina,

on remarque que les interventions et les discours féministes (IFD et GED)88, qui véhiculent l'idée que pour se libérer, les femmes doivent s'intégrer au développement en participant à des activités économiques, peuvent entrer en conflit avec les rôles qui sont traditionnellement dévolus aux femmes89.

Les modalités d'intégration de la femme dans le système économique productif dépendent des analyses mais on observera que lorsque l'aspect économique de cette intégration prime sur l'aspect social et politique, les cadres proposés sont inadaptés. La question de la pertinence de ce savoir se pose d'autant plus qu'il existe toujours un décalage entre la théorie et la pratique. De cette observation on peut faire deux constats:

Le premier est que cette meilleure connaissance "absolue" de la situation des femmes n'a pas contribué à une amélioration visible du sort des populations étudiées. Ce constat quelque peu pessimiste s'observe à la fois dans le domaine du développemen t et dans le domaine des femmes. J'étayerai cette assertion dans la partie consacrée au féminisme en Amérique latine.

Le deuxième constat, corollaire du précédent, est que l'acquisition de ce savoir n'ayant profité ni aux femmes, ni au développement en général, il a par contre été utile aux ONG et aux institutions qui en ont fait leur "fonds de commerce". Cette connaissance sur l'objet qu'est le développement, les femmes et le genre, s'est vue développée et instrumentalisée par les ONG et institutions, qui y ont puisé une certaine légitimité pour leurs actions, voire leur existence même. Cependant, le savoir utilisé reste largement dépendant d'une école de pensée particulière, d'une théorie qui reste assez statique alors que le défi à relever, si l'on veut que le genre contribue au dynamisme du développement, est celui de"s'orienter vers la découverte, la réinvention des cheminements, la dialectique d'un processus dans lequel on reconna»t à différentes cultures des significations qui ne sont pas nécessairement univoques."90

Or on observe ici que la plupart des théories qui émergent dans le domaine FED sont apolitiques, sans prises de positions claires. Il s'agit plutôt de constats, d'observations, de cadres qui sont élaborés sans que ceux-ci ne se rattachent à une réalité concrète. Dans la plupart des cas, la base de ces théories est une "resucée" édulcorée et dépolitisée du discours féministe (par exemple les cadres des rôles et des besoins que nous analyserons dans le chapitre suivant). Comme le fait remarquer Dagenais, on est frappés par le haut niveau d'abstraction du discours et le ton désabusé, sinon franchement cynique, adopté par beaucoup d'auteurs.91

Par ailleurs, on observe que certaines théoriciens, qui, à l'instar des féministes, préfèrent repolitiser les concepts et travailler à l'élaboration d'alternatives théoriques ou pratiques d'un autre développement, et n'hésitent donc pas à remettre en question le système global du développement et le patriarcat, sont peu prisés par les institutions. Lorsque les institutions se réapproprient leurs théories, elles perdent ce caractère novateur (en termes d'analyse des relations de genre et de leur répercussion sur l'organisation générale de la société). Pisano dit à cet égard que les connaissances ne se légitiment pas toutes de la même

88 IFD: Intégration des femmes dans le développement; GED: genre et développement.

89 VEZINA Annie: La micro-entreprise: une technique d'assujettissement des femmes dans le dispositif de développement Altérités. No 3 (janvier 2002). http://www.fas.umontreal.ca/ anthro/varia/alterites/n3/vezina. html.

90 GARCIA CASTRO, opcit., p.52.

91 DAGENAIS Huguette, Conceptions et pratiques du développement: contributions féministes et perspectives d'avenir, in BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirige par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à une problématique, Cahiers Genre et développement, n°1, 2000, AFED-EFI, Paris-Genève, p. 32

manière et que celles qui impliquent une action politique envers le patriarcat, le remettant en question, se "recyclent " de manière à les rendre impraticables, neutres et finalement, fonctionnelles pour le système. 92

Cette constatation n'a cependant rien d'extraordinaire puisqu'il est normal, lorsqu'une théorie ou une pensée est réappropriée par le politique, de voir cette théorie servir à confirmer, à conforter, et à justifier les actions des responsables politiques. Nous avions d'ailleurs abordé cette question de la perte d'imagination dès lors qu'il s'agit d'exercer réellement le pouvoir et la transformations de celui-ci en gestion

dans le chapitre précédent.

Dans la plupart des cadres et des approches que j'analyserai dans cette partie, on observera donc ce phénomène "d'adoucissement" du propos, phénomène qui donne l'impression que lorsqu'on parle d'intégrer le genre au développement, il s'agit plutôt de ÇrafistolagesÈ, d'intégration d'un élément mineur - femme ou environnement - comme on enfonce un dernier objet au fond de la valise avant de la fermer, lorsqu'elle est déjà pleine. En fait, il s'agit pour le développement de décider ce qu'il veut de la femme et non pas pour la femme de décider ce qu'elle veut du développement.

Paradoxalement à cet "adoucissement", on observe que la coopération internationale reste dans le pratique, dans le terre-à-terre, et rien n'est vraiment fait pour que le regard change. Ce regard, c'est souvent celui de l'expert, du spécialiste, du technicien et c'est celui-là qui influence les projets qui sont mis en place. Il semblerait donc qu'il y ait en quelque sorte un écart entre ce qui se dit et se projette dans les cénacles de la coopération internationale (au niveau institutionnel) et ce qui peut se voir dans la réalité des projets portés par les ONG. Les ONG se voient en effet confrontées à une double contrainte paradoxale qui les fait osciller en permanence entre une vision et une manière d'agir alternative et novatrice et la contrainte financière et souvent politique (malgré le "N" de leur nom) qui les oblige le plus souvent à adoucir leurs actions et propos et à se ranger dans le rang institutionnel.93 La situation n'est pas différente en ce qui concerne l'utilisation du concept de genre.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld