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Presse et responsabilité civile

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par Antoine Petit
Université Toulouse 1 Capitole - Master 2 droit privé fondamental 2012
  

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Paragraphe 2 : La nature de la faute engageant la responsabilité civile de son auteur

89. L'idée est d'évaluer si dans les interstices existant entre les divers textes spéciaux limitant la liberté de la presse, il serait opportun de borner la portée de l'article 1382 du Code civil. Compte tenu du caractère fondamental de la liberté d'expression, de sa nécessité dans une société démocratique191 et du relatif droit de nuire dont bénéficie le journaliste dans l'exercice de certaines de ses activités, une telle question apparaît tout à fait légitime tant la responsabilité pour faute, en raison de son extrême souplesse, pourrait potentiellement se transformer en instrument de censure.

90. Depuis la rédaction du Code civil de 1804, il est admis que toute faute, aussi légère soit-elle, quand bien même celle-ci résulterait d'une simple imprudence, suffit à engager la responsabilité civile de son auteur. Le principe est donc celui de l'unité de la faute civile génératrice de responsabilité civile. La gravité de la faute est sans incidence quelconque sur l'existence de la responsabilité192.

91. Pourtant, certains juges du fond ont jugé nécessaire, pour ce qui est du contentieux de la presse, de limiter la portée de l'article 1382 au nom de la liberté d'expression. En effet, à plusieurs reprises, la Cour d'appel de Paris a jugé dans les années quatre-vingt-dix que le principe de la liberté d'expression de l'article 11 de la Déclaration universelle des droits de l'homme impose que l'application en matière de presse des dispositions de l'article 1382 soit limitée aux hypothèses où l'abus en question constitue soit, une « atteinte aux droits fondamentaux de la personne », soit « une dénaturation ou une déformation des faits traduisant une intention malveillante ou une négligence manifeste dans la

191 V. Art. 10 Conv. EDH.

192 M. Bacache-Gibeili, Les obligations, la responsabilité civile extracontractuelle, 2ème éd., Economica, 2012, n°163.

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vérification de l'information »193. Dès lors, la mise en oeuvre de la responsabilité civile de l'auteur de l'abus sera conditionnée selon les juges du fond, par la gravité du dommage subi si l'on se trouve dans le premier cas, ou par la gravité de la faute dans le second. L'objectif de la Cour d'appel de Paris est donc simple : circonscrire l'application de l'article 1382 aux cas les plus graves où il peut être constaté soit une faute qualifiée, soit un préjudice conséquent.

92. Toutefois, malgré les efforts déployés par cette dernière, la Cour de cassation ne fut pas de cet avis. En effet, celle-ci effectua une multitude de cassations en refusant cette logique d'amputation de la responsabilité pour faute. Elle estima que les juges du fond - en limitant de la sorte la portée générale de l'article 1382 du Code civil en matière de presse - violaient le texte en question194. Alors qu'en penser ? La réaction de la Haute juridiction est-elle justifiée et si oui, est-elle pour autant souhaitable ?

D'un point de vue purement rationnel, l'argument paraît imparable. L'article 1382 a été volontairement pourvu d'une portée générale. Subordonner sa mise en oeuvre à l'existence d'un certain seuil de gravité contribue à lui rajouter des conditions qu'il ne comporte pas. Or, comme l'affirme le professeur Charles Debbasch, « là ou la loi ne distingue pas, il n'y a pas lieu de distinguer »195.

Cependant, une telle solution conduit tout de même à un résultat quelque peu paradoxal que l'on ne peut se permettre d'éluder. En effet, il convient de le rappeler, le dessein du législateur de 1881 était semble t-il de promouvoir la liberté de la presse tout en la limitant dans les cas où il était estimé que son usage était abusif196. Dès lors, le fait qu'en dehors de la loi spéciale, le journaliste soit en réalité beaucoup plus exposé à un risque de condamnation - dans la mesure où l'application pleine et entière de la clausula generalis veut que toute faute, aussi légère soit-elle, soit sanctionnée - ne faisait donc surement pas parti de ses prévisions. Si les travaux préparatoires de la loi de 1881 montrent que le maintien de l'application de l'article 1382 en complément du texte spécial fut admis par ses rédacteurs, on peut néanmoins douter que ces derniers, au risque de

193 Parmi les diverses décisions en ce sens : CA Paris, 19 nov. 1990, Légipresse 1990, n°79-III, p. 19 ; CA Paris, 1er nov. 1991, D. 1991, IR p. 70 ; CA Paris, 6 mars 1992, Légipresse 1992, n°95-1, p. 117 ; CA Paris, 27 avril 1993, Légipresse 1993, n°106-1, p. 136.

194 Civ. 2e, 5 mai 1993 : Bull. civ.II, n°167 ; Civ. 2e, 24 janv. 1996 : Bull. civ.n°14.

195 Ch. Debbasch, Droit des médias, Dalloz, 2e éd., 1999, p. 1046.

196 Rappelons qu'au cours des débats ayant précédés son adoption, le texte de 1881 fût présenté comme une « loi d'affranchissement et de liberté » : E. Lisbonne, in H. Celliez et C. Le Senne, Loi de 1881 sur la presse, accompagnée des travaux de rédaction avec observations et tables alphabétiques, Libr. A. Marescq Ainé, Paris, 1882, p.5.

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rétablir le délit d'opinion, aient souhaité qu'une simple imprudence ou maladresse commise par un journaliste, même de bonne foi, soit de nature à engager sa responsabilité197. Cette solution apparaît de surcroît incompatible avec certaines facettes de la liberté d'expression qui comme nous l'avons vu précédemment, comportent - dans une certaine mesure - une dimension nuisible nécessaire à leur épanouissement.

Ces diverses observations peuvent donc légitimement nous faire douter de la pertinence de la position adoptée par la Cour de cassation pour désapprouver les juges du fond. Il n'en demeure pas moins que si la question tenant à la nature de la faute susceptible d'engager la responsabilité civile de droit commun du journaliste ne manque pas d'intérêt théorique, une réalité doit être soulignée : la loi sur la liberté de la presse absorbe en pratique la majeure partie du contentieux de la presse, de sorte que l'utilisation de l'article 1382 en vue de définir de nouveaux abus ne concerne en réalité qu'un nombre très résiduel d'affaires198.

Nous allons d'ailleurs voir que ce nombre tend à s'amenuiser, tant le magnétisme du texte de 1881 vis à vis de la clausula generalis se fait sentir dans certains domaines.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry