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Presse et responsabilité civile

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par Antoine Petit
Université Toulouse 1 Capitole - Master 2 droit privé fondamental 2012
  

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Section 2 : Les abus mettant en cause un intérêt extrapatrimonial

121. Les intérêts extrapatrimoniaux renvoient aux attributs inhérents à la personne en tant que sujet de droit. Parmi ces attributs, incessibles, intransmissibles, figurent notamment le droit à l'honneur, à la dignité, ou encore, le droit au respect de la vie privée261 souvent nommés « droits de la personnalité ». Leur atteinte ne génère pas un préjudice d'ordre

259 En effet, parmi les propos poursuivis, figuraient notamment : « les viticulteurs négligent la qualité de leur vin en augmentant leur productivité » ; « font pisser la vigne pour produire un maximum de vin » ; ou encore « vendent des produits de mauvaise qualité ».

260 V. notamment : Civ. 2e, 8 avr. 2004 : Bull. civ.II. n°182 ; Civ. 1e, 5 juil. 2006 : Bull. civ.I. n°356.

261 R. Guillien et J. Vincent, Lexique des termes juridiques 2012, Dalloz, 19e éd., 2012, p. 391.

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économique, mais d'ordre moral262. Ce sont donc les intérêts moraux de la personne qui sont ici en cause.

122. La protection des intérêts moraux de la personne est principalement assurée par la loi du 29 juillet 1881 qui conserve un véritable monopole de compétence en la matière. Les infractions de diffamation et injure, dont la répression permet de sanctionner des atteintes à l'honneur ou à la considération de la victime, nourrissent à ce titre la grande majorité du contentieux de la presse. « De tous les biens, le plus précieux à soigner est, sans contredit, celui d'une bonne réputation »263 disait Dareau. Mais quelle est la place occupée par l'article 1382 du Code civil en ce domaine ?

123. Si la jurisprudence du 27 septembre 2005264 semblait vouloir mettre un terme définitif à la fonction complétive de l'article 1382 pour consacrer au texte de 1881 le monopole de l'arbitrage des intérêts moraux des victimes, cette ambition fut rapidement détractée par ses commentateurs. Et cela, tant sur le plan théorique que pratique (Paragraphe 1). Depuis cet arrêt, la faute regagne donc sa place et continue, au gré des espèces qui lui sont confiées, de « définir la protection minimale mise à la disposition de toutes les victimes qui ne disposent pas d'un instrument plus efficace » 265 (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : les enseignements de la jurisprudence du 27 septembre 2005

124. Après s'être penché dans la première partie266 sur la question de la légitimité théorique de cette jurisprudence de 2005 au regard des grands principes gouvernant notre droit, et fondamentalement ceux encadrant la responsabilité civile extracontractuelle267, il convient de s'intéresser maintenant à la portée pratique de cette jurisprudence. En effet, en théorie nous l'avons vu, les arguments penchent de façon nettement favorable pour une application complétive de l'article 1382 du Code civil vis à vis du texte spécial. Or, la pratique nous permet-elle de tirer des conclusions semblables ? La vocation subsidiaire de

262 Il convient toutefois de préciser que la lésion d'un intérêt moral n'exclu pas pour autant celle concomitante d'un intérêt économique. Il ne faut donc pas cloisonner ces intérêts en ce sens que les frontières les séparant sont souvent bien maigres. Nul doute que la révélation au grand public d'une information à caractère diffamatoire et au contenu dégradant relative à un entrepreneur puisse être largement nuisible pour l'image de son entreprise et donc pour la prospérité économique de cette dernière.

263 F. Dareau, Traité des injures dans l'ordre judiciaire, 1777, Discours préliminaire, p. vij.

264 Attention, nous parlons ici de la jurisprudence du 27 septembre 2005 étudiée dans la Partie I (Supra n°80) et non de celle rendue en matière de diffamation et dénigrement étudiée dans la Partie II (Supra n°118).

265 G. Viney, « Pour ou contre un principe général de responsabilité pour faute?», Mél. P. Catala, Litec 2001, p. 557.

266 V. Supra n°81 et s.

267 V. sur ce point : P. Jourdain, Les principes de la responsabilité civile, Dalloz, 7e éd., 2007.

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la responsabilité pour faute ne constitue t-elle pas une menace au contact de la liberté d'expression ?

125. Rappelons-le, mardi 27 septembre 2005, la première chambre civile de la Cour de cassation déclara que « les abus de la liberté d'expression envers les personnes ne peuvent être poursuivis sur le fondement de l'article 1382 du Code civil »268 : la formule retentit alors comme un coup de tonnerre. Aucun abus de la liberté d'expression dont la portée attente à la personne - à ses intérêts extrapatrimoniaux - ne peut désormais fonder une action au regard de la responsabilité civile de droit commun. Il importe donc peu que l'intérêt lésé soit ou non pris en considération par la loi sur la liberté de la presse, aucune allusion n'étant faite à celle-ci par la première chambre.

126. Sauf à considérer que la loi du 29 juillet 1881 se suffit à elle-même pour assurer l'équilibre entre la liberté d'expression d'une part et le droit des personnes de l'autre269, il semblerait qu'il puisse y avoir des abus de la liberté d'expression dont les conséquences dommageables ne justifieront aucune réparation. Pourtant, si une approche théorique permettait déjà aisément de s'incommoder d'un tel constat270, nous pouvons d'ores et déjà affirmer que la pratique paraît corroborer ce sentiment d'indignation. En effet, comment avec une telle jurisprudence, les victimes de propos ne se confondant ni avec la diffamation ni avec l'injure publique, mais dont le caractère dénigreur est incontestable, trouveront réparation271 ? Comment espérer que soient sanctionnés les propos heurtant de façon délibérée les convictions religieuses, tout en sachant que les articles de la loi sur la presse censés les protéger 272 , sont inaptes à remplir cette tâche de manière satisfaisante273? Comment aussi sanctionner le directeur de publication n'assurant pas son rôle de contrôle et de surveillance des annonces qu'il diffuse274 ? Comment rappeler à

268 Civ. 1e, 27 sept. 2005 préc.

269 Conformément au Doyen Carbonnier : V. J. Carbonnier, « Le silence et la gloire », D. 1951, chron. p. 119.

270 V. Supra n°96 et s.

271 Pour des exemples de dénigrement de la personne retenus en jurisprudence : Civ. 2e, 15 avr. 1999 : Comm. com. électr. 1999, comm. 14 ; Civ. 2e, 5 juillet 2001 : LPA 24 sept. 2001, p.7 ; Civ. 2e, 13 fév. 1991 : Bull. civ.II. n°51.

272 La protection des convictions religieuses est assurée par les délits de provocation à la haine religieuse (Art. 24 al. 6) et d'injure et diffamation à caractère discriminatoire (art. 32 et 33) de la loi du 29 juillet 1881.

273 V. en ce sens : Ph. Malaurie, Les personnes, Les incapacités, Défrénois, 3e éd., 2007, n°328 ; E. Dreyer, « Disparition de la responsabilité civile en matière de presse », D. 2006, p. 1140 ; G. Lécuyer, Traité de droit de la presse et des médias, Lexisnexis, 1ère éd., 2009, p. 720.

274 V. Civ. 2e, 10 juin 2004 : RTDciv. 2004, p. 728, appliquant l'article 1382 contre un directeur de publication publiant des petites annonces mensongères.

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l'ordre le journaliste méconnaissant son obligation de vérification de l'exactitude des informations qu'il diffuse275 ou manipulant l'histoire pour accréditer ses thèses276?

127. Alors bien évidemment, ces espèces sont relativement rares et ne recouvrent qu'une proportion infime du contentieux de la presse. Mais ne suffisent-elles pas à discréditer les tenants de la thèse du « système juridique clos » partisans d'une éradication complète de la responsabilité civile de droit commun dans le domaine de la liberté d'expression ? On peut se le demander. Bien entendu, face au phénomène d'objectivation que connaît la responsabilité civile se traduisant en partie par la multiplication des régimes spéciaux277, la subsidiarité semble être devenue l'essence même de l'article 1382 du Code civil278. Mais ce constat est, et doit demeurer, un signe de perfection de notre droit. Cela permet en effet d'éviter l'inconfortable situation à laquelle certaines victimes sont parfois injustement confrontées : le vide juridique279.

Heureusement, un certain nombre d'arrêts rendus postérieurement à cette décision attestent du prosélytisme inépuisable dont fait preuve la responsabilité civile de droit commun. Comme le souligne le professeur Philippe Brun, « deux siècles plus tard, le totem est encore debout »280. Le paysage jurisprudentiel en atteste, et semble finalement avoir transformé l'arrêt du 27 septembre 2005 en une brèche sans conséquences.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille