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Presse et responsabilité civile

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par Antoine Petit
Université Toulouse 1 Capitole - Master 2 droit privé fondamental 2012
  

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B. L'exutoire offert par l'expression satyrique

181. « Le rire est le propre de l'homme » disait Aristote403. On se tord, on s'esclaffe, on éclate de rire. Les qualificatifs illustrant la dimension souvent incontrôlable de ce phénomène physiologique404 ne manquent pas. Mais l'homme peut-il rire de tout ? Cette question sonne comme une vielle rengaine. Elle trouve son essence dans toute l'ambigüité que peut parfois susciter le rire. Car les sujets du rire font rarement l'unanimité. Ce qui fait rire l'un ne fait pas toujours rire l'autre, de même que ce qui fait rire aujourd'hui ne fera pas nécessairement rire demain. Or, une chose est sûre, dans notre droit positif, tout comme dans la vie de tous les jours, le rire, le pastiche, la caricature, possèdent un extraordinaire pouvoir de dédramatisation permettant ainsi de repousser le seuil du « moralement correct ». Qui n'a pas été confronté un jour, à une raillerie blessante d'un ami proche suivie d'un banal « ça va, je plaisantais ! » ? Il s'agit là d'un exemple type de la vertu justificative de l'humour se traduisant en droit par un rehaussement du seuil de la faute susceptible d'engager la responsabilité civile de son auteur.

182. En l'absence de dispositions légales405 permettant de préciser les contraintes juridiques encadrant le droit à l'humour, c'est au juge qu'est revenu le rôle d'arbitre dans la détermination de la portée de la liberté d'expression accordée à l'humoriste406.

Très tôt, les juridictions françaises firent alors valoir que la satire, en tant que moyen d'expression, devait bénéficier d'une liberté plus importante que celle dont disposaient les autres modes d'expression, car procédant par nature de « l'excès », de la « déformation »407. C'est ainsi que le Tribunal de grande instance de Paris, à l'occasion d'une multitude de procès engagés à l'encontre de Canal plus pour la diffusion de son programme parodique « les Guignols de l'info », a dégagé toute une série de critères

403 Aristote, Des Parties des animaux, Livre III, Chapitre X, p. 673.

404 « Mouvement des zygomatiques, contraction du diaphragme, sonorités plus ou moins bruyantes, le rire mobilise muscles, glandes, viscères, larynx, presque tous les organes dans une sorte de désordre d'ensemble » : S. Manon, « Peut-on rire de tout », Philolog : http://www.philolog.fr/peut-on-rire-de-tout/

405 V. néanmoins, art. L 122-5.4e du Code de la propriété intellectuelle.

406 C. Bigot, « Les limites de l'humour », JCP 1998, II. 10010

407 TGI Paris, 17 juin 1987 : JCP G. 1998, II. 20957, obs. P. Auvret.

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permettant de définir les contours du droit à l'humour408. Ce même tribunal n'a d'ailleurs pas manqué de rappeler que cette tolérance en la matière était essentiellement justifiée par le fait que « le bouffon » remplissait « une fonction sociale éminente et salutaire » participant ainsi « à sa manière à la défense des libertés »409. Cette formule, à la vue d'un sondage récent réalisé par l'hebdomadaire Marianne, semble d'ailleurs conserver toute sa pertinence410.

Toutefois, c'est véritablement par un arrêt du 12 juillet 2000411 rendu en assemblée plénière, que la jurisprudence a consacré définitivement ce que Patrice Jourdain nommait un peu plus tard « l'effet justificatif de l'humour »412. Dans cette affaire, la responsabilité civile de Canal plus était une fois de plus recherchée à raison de propos tenus par la marionnette incarnant le chef d'entreprise de la société automobile Citroën et constitutifs, selon cette dernière, d'un dénigrement de la marque. La Cour fit alors valoir que les propos en question, s'inscrivant « dans le cadre d'une émission satirique », dès lors qu'ils ne créaient « aucun risque de confusion entre la réalité et l'oeuvre satirique », relevaient de la liberté d'expression. Le raisonnement suivi par celle-ci s'opéra donc en deux temps. Il s'agissait d'une part de rattacher les propos poursuivis à l'exercice satyrique pour ensuite en définir le régime juridique.

183. Cet arrêt, combiné avec les diverses décisions rendues par le Tribunal de grande instance de Paris évoquées ci-dessus, fait apparaître que l'effet justificatif de l'humour résulte finalement de la combinaison de deux conditions essentielles. Tout d'abord, la satire doit indispensablement être de nature à ne créer aucune confusion entre ce qui relève de la réalité et de la fiction. Dans le cas contraire, la Cour n'hésitera pas à faire tomber les propos litigieux sous le joug de l'article 1382 du Code civil413. Ensuite, la finalité poursuivie par la satire doit indubitablement être le rire de sorte que tout propos humoristique mû par une intention de nuire engagera toujours la responsabilité civile de

408 TGI Paris, 24 janv. 1990 confirmé par CA Paris, 11 mars 1991 : Légipresse n°91, I, p. 49 ; TGI Paris, 16 janv. 1991 : Légipresse n°84, III, p .92 ; TGI Paris, 9 janv. 1992 : Gaz. Pal. 1992, 1, p. 187, obs. P. Bilger.

409 TGI Paris, 24 janv. 1990 préc.

410 En effet, d'après un sondage réalisé par l'hebdomadaire, 72% des français estiment que les humoristes sont « utiles au débat politique et à la démocratie » : E et M. H, « Les humoristes ont-ils trop de pouvoir ? », Marianne, 7 avr. 2012, p. 19.

411 Cass. Ass. Plén. 12 juillet 2000 : Bull. civ. n°7.

412 P. Jourdain, « Vers un droit à la satire opérant comme un fait justificatif et repoussant le seuil de la faute », RTDciv. 2000, p. 845.

413 Condamnant ainsi Canal plus pour l'ambigüité du caractère fictif du message satirique diffusé par l'émission « les Guignols de l'info » : TGI Cusset, 8 juin 2000 : Légipresse n°174. III. 149, obs. P. Bilger.

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son auteur414. Une fois ces deux conditions réunies, l'exception de satire pourra très potentiellement constituer un exutoire de responsabilité civile.

Ce développement atteste donc incontestablement de la mise en place d'un système prétorien de justification tenant à l'expression humoristique en matière de presse. Néanmoins cet « échappatoire » que constitue le droit à la satire doit s'utiliser avec prudence. En tout état de cause, comme le disait Pierre Desproges il semblerait que l'« on peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui »415. L'avènement en jurisprudence du concept de dignité humaine comme limite absolue à la liberté d'expression en témoigne416et incite clairement à penser que « la tendance actuelle n'est pas à une conception débridée de ce droit de libre expression, fût-il couvert d'humour »417.

Ces instruments de défense mis à la disposition d'auteurs d'abus de la liberté d'expression, bien que répondant à des circonstances bien spécifiques, contribuent donc une fois de plus à l'épanouissement de la liberté d'expression au prix d'un amenuisement de la responsabilité civile. Et le phénomène ne fait que se développer. Dans des domaines, toujours plus sensibles.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault