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L'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun

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par Etienne KENFACK TEMFACK
Université de Douala-Cameroun - D.E.A. de droit public 2005
  

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SECTION 2: L'AFFERMISSEMENT DE LA SUPREMATIE CONSTITUTIONNELLE

Elle résulte d'un contrôle de constitutionnalité effectif, dont la décision du 28 novembre 2002 semble être la pierre principale. Le contrôle de la suprématie constitutionnelle a été pensé au Cameroun depuis 1961, mais pratiquement la loi demeurait supérieure ou tout au moins égale à la Constitution. La Constitution de 1996 a posé en termes clairs le principe de la primauté des règles issues de la législation constitutionnelle. La loi du 21 avril et la jurisprudence constitutionnelle autorisent à postuler désormais la normativisation de la règle constitutionnelle (paragraphe 1) et mieux encore la construction d'un droit constitutionnel camerounais rénové (paragraphe 2).

PARAGRAPHE 1: LA NORMATIVISATION DE LA REGLE CONSTITUTIONNELLE

Le constituant camerounais a choisi de ne plus laisser aux pouvoirs constitués l'alternative de respecter la Constitution ou non. Ceci par l'institutionnalisation de la justice constitutionnelle, qui» seule "transforme donc en normes véritablement juridiques ce qui seulement se voulait tel"(32). Par la médiation du juge constitutionnel (I) et l'autorité qui est attachée à ses décisions (II) , la norme constitutionnelle "devient ainsi et ainsi seulement la règle de droit suprême"(33).

I- LA MEDIATION DU JUGE CONSTITUTIONNEL DANS LA NORMATIVISATION DE LA CONSTITUTION

La dynamique constitutionnelle camerounaise mise en relation avec l'autorité de la norme fondamentale est illustratrice de ce que la Constitution ne possède pas une signification

31 Voir à ce propos G. Burdeau et alii. Droit constitutionnel, LGDJ, Paris, 26'°° éd. 1999, pp 61 et SS.

32 Ch. Eisenmann, La justice constitutionnelle et la haute cour constitutionnelle d'Autriche, Economica, PUAM, Marseille, 1972, p 22

33 Ch. Eisenmann, ibid.

s'imposant aux acteurs constitutionnels (34). Aussi la justice constitutionnel est considérée comme le "messie" de la Constitution, car "la parole du souverain ne s'affirme comme parole normative que par l'agir juridictionnel"(35). La "résurrection" de la loi fondamentale camerounaise repose sur le positionnement du juge constitutionnel comme gardien de sa suprématie qui dans son office met en avant le motif tiré de la violation de la Constitution (A) et sanctionne la norme inférieure inconstitutionnelle (B).

A) La mise en avant du motif tiré de la violation de la Constitution: le cas du règlement

intérieur de l'Assemblée nationale

Le contrôle de constitutionnalité consiste selon Charles Eisenmann, "uniquement à vérifier qu'une règle quelconque ne déroge pas irrégulièrement à la Constitution" (3 6). La loi du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel conforte cette thèse qui dispose que "le Conseil constitutionnel est l'instance compétente en matière de contrôle de constitutionnalité". D'où la mise en avant du motif tiré de la violation de la Constitution dans le contrôle de la régularité matérielle (1) et de la régularité formelle de l'acte (2).

1- Le contrôle de la régularité matérielle de la loi

La loi n'est plus un acte général. La Constitution énumère les matières qui ressortissent de la compétence du législateur (37). Aussi, en disposant hors de ce champ matériel défini par le constituant, la loi viole la Constitution. La loi ne doit empiéter ni dans le domaine du règlement ni dans celui du constituant. Ce contrôle, qualifié de "contrôle de la constitutionnalité interne", consiste selon D. Rousseau à "vérifier d'abord si le Parlement n'a pas porté atteinte aux droits et libertés par suite d'une erreur commise sur la signification des principes constitutionnels, sur ce qu'ils permettaient de décider"(38) Mais il s'agirait aussi pour le juge constitutionnel de s'assurer que "le législateur n'a pas commis une erreur d'appréciation des faits et des circonstances sur lesquels il a fondé sa loi"(39). Le contrôle matériel de la loi déborde donc le simple cadre de la conformité pour s'intéresser à l'opportunité même de la loi. Mais il ne s'agit là que d'un développement du contrôle corrélative à une emprise progressive de la justice constitutionnelle. On s'attend tout au moins

34 L'affirmation selon laquelle "la Constitution est un corps de règles obligatoires ou n'est rien" ne se charge de sens qu'avec la justice constitutionnelle, qui par la sanction donne consistance et forme à cette obligation. Lire aussi D. Rousseau, "Une résurrection: la notion de Constitution", in RDP, 1990.

35 D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op cit. p 486.

36 Ch. Eisenmann, La justice constitutionnelle et la haute cour constitutionnelle d'Autriche, op cit. p 20.

37 Voir l'article 26

38 D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op cit. p 140.

39 D. Rousseau, ibid.

à ce que le juge constitutionnel camerounais s'assure que l'acte pris par le Parlement relève bien du domaine de la loi. Toutefois cet acte doit également être pris dans les formes requises.

2- Le contrôle de la régularité formelle de la loi

Ce contrôle s'intéresse à l'élaboration de la loi pour s'assurer qu'elle l'a été selon les règles constitutionnelles. En France, ce contrôle s'articule autour du vice de procédure et de l'incompétence. L'incompétence signifie que "la loi entre bien dans la compétence du Parlement, mais non dans celui qui l'a prise". Il en est ainsi à cause de la procédure particulière qui caractérise l'adoption des lois dites "organiques". La Constitution française, contrairement à la loi fondamentale camerounaise, distingue la procédure d'adoption des lois ordinaires de celle des lois organiques (40). Aussi, en élaborant une loi organique par la procédure législative, le législateur ordinaire empiète-t-il dans le domaine du législateur organique. Le droit constitutionnel camerounais ne fait pas cette distinction de procédure, ou tout au moins cette distinction a été abandonnée, qui figurait dans la Constitution du 04 mars 1960. Le contrôle du Conseil ne portera alors que sur le respect par le législateur des règles constitutionnelles qui président à l'élaboration des lois. Le contrôle aboutit nécessairement à une décision.

B) La sanction du contrôle de la norme inférieure

Le contrôle du juge aboutit à une décision. Aux termes de l'article 23 de la loi du 21 avril 2004 "la décision du Conseil constitutionnel déclarant qu'une disposition de la loi n'est pas contraire à la Constitution met fin à la suspension du délai de promulgation". Mais la décision du juge constitutionnel peut aussi être négative, comme cela a été le cas du règlement intérieur de l'Assemblée nationale (1) En matière législative, l'inconstitutionnalité de la loi s'analysera surtout en une sanction du législateur ordinaire (2).

1- La sanction du règlement intérieur de l'Assemblée nationale: la décision du 28/11/2002

Vidant sa saisine le 28 novembre 2002, la Cour suprême dans l'exercice de ses prérogatives de juge constitutionnel (41), allait poser les bases d'une jurisprudence volontariste en matière de garantie de la suprématie constitutionnelle. Le juge constitutionnel estime en effet que "la procédure de validation" organisée par le règlement intérieur de la

40 Lire à ce sujet l'article 46 de la Constitution du 4 octobre 1958.

41 Ces prérogatives lui sont reconnues sur le fondement de l'article 67 alinéa 4 de la Constitution. Il faut ainsi relever, à la suite de A.D Olinga, que "la Cour suprême agit en tant que juge constitutionnel sans l'être tout à fait, ni du point de vue organique, ni du point de vue procédural."

chambre et "en vigueur avant l'institution du Conseil constitutionnel (...) ne trouve plus sa raison d'être".(42)

Cette procédure est, au terme de l'argumentaire du juge constitutionnel, considérée comme un"contrôle a posteriori de la décision du Conseil constitutionnel déclarant élu des candidats à l'élection législative". Or les décisions de cette institution sont revêtues de l'autorité absolue de chose jugée et s'imposent erga omnes. Aussi cela ne peut être interprété que comme une violation de la Constitution, c'est d'ailleurs à cette conclusion que parvient le juge qui décide que "les dispositions des articles 3 alinéa 2, 3, 4, 5, 6 et 7, 4 nouveau, 5 nouveau, 6 nouveau, 7 nouveau et 10 in fine sont déclarés contraires à la Constitution". Le juge constitutionnel, juge de la Cour suprême a fait montre ici d'une rigueur appréciable dans l'interprétation de la lettre de la Constitution. Comme le soutient Claude Momo, "la Cour a rejoint la doctrine qui considérait que la validation des mandats était en contradiction flagrante avec le rôle nouveau de juge électoral dévolu au Conseil constitutionnel."(43) Bien plus, cette décision rassure quant à la primauté de la norme constitutionnelle sur les règles d'organisation interne des assemblées, alors que cette suprématie sur la loi reste encore au stade normatif.

2- L'inconstitutionnalité de la loi et la sanction du législateur ordinaire

La sanction de la loi c'est la sanction de son auteur. En l'occurrence le Parlement. L'inconstitutionnalité apparaît ainsi en dernière analyse comme une "incompétence du législateur". Parce que la Constitution procède à une distribution de la compétence législative entre législateur et constituant, le législateur ne saurait, sans commettre un "excès de pouvoir" ou un "détournement de pouvoir" disposer dans un domaine qui est réservé au constituant. Le Pr. Eisenmann dit fort à propos qu'"il n'existe pas de règle de droit qui puisse à aucun moment faire définitivement obstacle à l'insertion valable dans le système du droit d'une disposition quelconque, à sa transformation régulière en norme juridique"(44). Pour l'éminent Professeur, l'interrogation ne peut porter que sur l'autorité compétente pour édicter la règle. Ceci justifie que la disposition déclarée inconstitutionnelle puisse être validée par une seconde lecture du Parlement (45). Cette disposition conforte la thèse selon laquelle la règle peut être posée, mais pas par le législateur. Il s'ensuit normalement l'exigence d'une majorité absolue (46) pour l'adoption. Dans ce cas il est intéressant de s'interroger sur la valeur de la décision du juge constitutionnel.

42 Décision n° 001/CC/02-03 du 28/11/2002

43 C. Momo, "Heurs et malheurs de la justice constitutionnelle au Cameroun", article inédit

44 Ch. Eisenmann, op cit. pp 18 -19.

45 Article 26 in fine de la loi du 21 avril 2004

46 Article 19 alinéa 3 et article 24 alinéa 3 de la Constitution

II- L'AUTORITE DES DECISIONS DU JUGE CONSTITUTIONNEL

Selon l'article 50 alinéa 1 de la Constitution, "les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives, militaires et juridictionnelles, ainsi qu'à toute personne physique ou morale". A cette autorité absolue (A), la loi du 21 avril 2004 apporte quelques bémols (B).

A) Une autorité absolue dans son principe

Le Conseil constitutionnel rend des décisions souveraines (1) ayant valeur constitutionnelle (2).

1- Une décision souveraine

Le Conseil statue souverainement, c'est-à-dire avec une autorité telle qu'il ne peut en être de plus élevée. U rend par conséquent des décisions revêtues de la même autorité. La Constitution et la loi portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel s'accordent pour dire que "une fois la sentence rendue, elle est tenue pour définitivement acquise". La souveraineté des décisions du Conseil signifie également qu'elles s'imposent à tous, car "une décision déclarée inconstitutionnelle ne peut être ni promulguée ni mise en application". Le caractère normatif ne lui est pas reconnu sur le fondement que "un acte législatif contraire à la Constitution n'est pas une loi". Dans le même sens "le règlement intérieur n'entre en vigueur qu'après avoir été reconnu dans sa totalité conforme à la Constitution" (47). En fin de compte, la compétence reconnue au Conseil peut se transformer en un pouvoir.

2- Une décision ayant valeur constitutionnelle

La doctrine intègre dans le "bloc de constitutionnalité" les décisions du juge constitutionnel (48). Elles ont valeur constitutionnelle en ce qu'elles s'imposent au respect de tous. Le juge constitutionnel parle avec l'autorité de la Constitution; il est constituant. Mais il ne s'agit que d'un pouvoir constituant dérivé qui s'explique par le pouvoir d'interprétation qui lui est reconnu et par lequel il "tue le texte constitutionnel, le dévore ensuite pour mieux se l'approprier, prendre sa place et le faire revivre par sa voix, son action jurisprudentiel"(49).Cependant si les décisions du juge constitutionnel s'imposent à tous, il demeure une limite certaine: le pouvoir constituant.

47 Article 27 alinéa 5 de la loi portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel

48 Voir R.G Niep, Cours de droit administratif général, Université de Douala, année 2000-2001

49 D. Rousseau, "Une résurrection: la notion de Constitution", op cit.

B) Une autorité cependant limitée

Le juge constitutionnel n'est pas le Souverain. S'il est admissible qu'il n'existe aucune norme au-dessus de la Constitution, le Souverain est au-dessus de la Constitution (50). Par conséquent une inconstitutionnalité peut être contournée en recourant à lui (1) ou en procédant à une seconde délibération (2). Ainsi est annihilée toute possibilité d'un éventuel « gouvernement des juges" en droit constitutionnel camerounais.

1- L'inconstitutionnalité contournée par le recours au Constituant

Cette hypothèse n'est pas expressément prévue par les textes. Mais en reprenant la thèse de Charles Eisenmann selon laquelle toute règle peut être posée mais par l'autorité compétente, la décision d'inconstitutionnalité n'empêche pas le constituant qui "peut tout faire » parce que souverain, de prendre le contre-pied de la décision du juge. Cela s'est déjà vu en France à propos de la loi sur le droit d'asile (51). Aucun obstacle ne peut se dresser en face du souverain puisque "un peuple a le droit imprescriptible de changer ses lois, même les meilleures"(52). Il ne serait pas étonnant qu'une loi déclarée inconstitutionnelle puisse devenir constitutionnelle par la modification de la Constitution. En définitive, il semble bien qu'il n'ait d'inconstitutionnalité que de l'incompétence du législateur ordinaire, puisque la loi du 21avril prévoit aussi un moyen de contourner la décision du juge.

2- L'inconstitutionnalité contournée par la seconde délibération

Elle est prévue dans le cas où une seule disposition de la loi serait déclarée inconstitutionnelle; ladite disposition étant séparable de l'ensemble de la loi. Mais il faut encore que le Président de la République, à qui l'option revient en tant que gardien du respecte de la Constitution, le demande. Dans ce cas la disposition est adoptée suivant une procédure qui n'est pas celle de la loi ordinaire. La question qui se pose alors est celle de savoir si le Parlement se réunit en Congrès ou alors s'il suffit que la disposition soit adoptée à la majorité absolue par les membres de chacune des deux chambres. Au regard de la procédure législative de la Constitution du 18 janvier 1996 on peut dire que la loi étant votée par les deux chambres et la demande de seconde lecture étant prévue tant pour le Sénat que pour l'Assemblée nationale, le Parlement doit se prononcer sur la disposition déclarée inconstitutionnelle

.50 Les deux révisions constitutionnelles intervenues au Togo après la mon du Président Eyadema démontrent que le souverain n'est pas lié par les règles qu'il a posées. En cela on rejoint la position du théoricien allemand C. Schmitt qui estime que le véritable constituant est celui qui peut à tout moment décider de "l'exception". Il s'agit ni plus ni moins que de la soumission de la loi fondamentale au pouvoir et à ceux qui le détiennent. Lire aussi J. Du Bois de Gaudusson, "Trente ans d'institutions constitutionnelles et politiques. Points de repère et interrogation", in Afrique contemporaine. n° spécial, 4'"" trimestre, 1992, pp 56 et SS.

51 Voir D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op cit. p 163.

52 JJ. Rousseau, cité par JP Camby, "Supra constitutionnalité: la fin d'un mythe", in RDP, n°l, 2003, p 671

L'inconstitutionnalité est neutralisée par le vote à la majorité absolue; ce qui marque la primauté des représentants du peuple sur les juges. Pourtant il est certain que la justice constitutionnelle augure d'un nouveau droit camerounais.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand