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La politique de coopération décentralisée: rhône-alpes/ saint-louis du sénégal

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par El Hadji TOURE
Université de Montpellier 1 - Master 2 Sciences Politique 2009
  

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PARTIE2 - Modes de traductions et finalités réelles des projets

2.A. Des actions diversifiées dans les sinuosités du développement local

L'approche coopération décentralisée repose, à présent, sur le passage de l'aide-projet (les gestes ponctuels et donations), composé de phases clairement séparées, limitées dans le temps et basées sur des objectifs, moyens et budgets définis avant la mise en oeuvre du projet, à l'adoption d'une approche par programme ciblé et durable. Ce changement d'orientation a été pressenti, dès le départ, pour redynamiser les mouvements de coopération notamment le partenariat Rhône-Alpes et Saint-Louis.

Cependant les acteurs du nord n'ont jamais pu accorder leur « confiance » aux élus, acteurs et agents locaux du Sud, à cause des rumeurs de détournements et de corruption qui gangrènent les pays du Sud. Ainsi, la réussite de ce partenariat doit passer par une meilleure compréhension entre les acteurs de la région Rhône-Alpes et leurs homologues de Saint-Louis.

2.A.1. Une traduction multiforme des projets

En 1997, lors de la première convention signée entre le conseil régional de Rhône-Alpes et le conseil régional de Saint-Louis, les thématiques privilégiées étaient : l'appui au développement, la lutte contre la pauvreté (à travers la santé et l'éducation). Avec la signature des OMD en 2000, par la communauté internationale, la région Rhône-Alpes décline ses actions dans le cadre réalisation des OMD, l'amélioration des services de base offerts à la population de Saint-Louis et la promotion des dynamiques du genre. En outre, Rhône-Alpes met à la disposition de Saint-Louis, ses expériences acquises dans le cadre de la décentralisation et de la gouvernance locale. Ainsi elle appuie la capacité des acteurs de Saint-Louis et oeuvre pour le renforcement institutionnel de son partenaire de la vallée du Fleuve Sénégal. Ce qui se traduit par une variation des thématiques mises en oeuvre.

Les réalisations les plus importantes concernent l'éducation, la jeunesse et la formation professionnelle. En effet, avec les partenariats de Saint-Louis et Matam une filière de formation en froid climatisation a été mise en place au centre de formation professionnel Peytavin de Saint-Louis, en 2000. C'est un programme de formation technique et

professionnelle qui a mobilisé 180.000 €. Dans cet ordre d'idée, Rhône-Alpes a financé la création d'une filière électro-bobinage/ réfection des moteurs, où le Conseil régional de Saint-Louis a été placé directement en situation de maître d'ouvrage.

Toujours dans le secteur éducatif, Rhône-Alpes a subventionné l'électrification et l'équipement en matériel informatique des collèges de Podor et de NDioum avec un montant de trente (30) millions de francs CFA depuis 2007, sur la demande de Saint-Louis.

Toutefois, le programme le plus ambitieux réalisé concerne l'appui à l'éducation de Podor. On y retrouve plusieurs aspects inhérents à la coopération décentralisée Nord-Sud.

En 2006, pour lutter contre le chômage, l'exode rural et l'immigration clandestine, la région Rhône-Alpes, le Conseil régional de Saint-Louis associés à l'ARD ont démarré un programme de formation et d'insertion des jeunes à Podor. L'Association pour la coopération et le développement du Sud (Aced-Sud) a été désignée par Rhône-Alpes comme opérateur dudit projet. Son fondateur Alain Guérini, est un ancien fonctionnaire des établissements pénitenciers en France, il met ainsi en oeuvre son expérience acquise dans l'accompagnement de personnes en difficultés ou désocialisées au profit de la jeunesse de Podor. Cependant, le choix porté sur Aced-Sud en qualité d'opérateur pour conduire le projet témoigne du fameux recours aux professionnels de développement bien que les acteurs de la région de Saint-Louis sont très présents dans la mise en oeuvre.

En choisissant Podor pour réaliser un projet de cette envergure, Rhône-Alpes réagit aux invitations de Saint-Louis qui cherchait à rationaliser les interventions sur son territoire, conformément aux inégalités des collectivités qui la composent. Par ailleurs, ce projet a mobilisé une dynamique d'acteurs dont le Préfet de Podor, le Conseil régional de Saint-Louis et les agents municipaux. Il y avait, également, la participation du Crrej (centre régional de ressources pour l'emploi des jeunes), le Centre départemental de formation professionnelle de Podor (Cdfp) et l'inspection départementale de l'éducation nationale (Iden). En outre, les domaines d'intervention du centre sont axés sur l'insertion professionnelle, le sanitaire, le social, le sport et le culturel. Ce programme offre à la jeunesse de Podor, la possibilité de se former dans les métiers de l'agriculture, à la mécanique automobile et informatique. Grâces aux modules de formation en informatique et électronique de niveau CAP, les ressources humaines devraient être valorisées, dans ces milieux défavorisés. C'est une réorientation aux besoins, comme en témoigne l'ouverture d'une filière d'initiation aux techniques agricoles.

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Avec un tel centre, il s'est agit surtout d'améliorer les capacités des élèves de Podor en leur inculquant un savoir faire technique et une culture d'entreprise. D'ailleurs, à la fin du programme, un fonds est prévu pour le financement des projets montés par les bénéficiaires. Dans ce cadre, les diplômés de la filière agricole et de l'insertion trouveront d'autres possibilités avec la Grande offensive agricole pour la nourriture et l'abondance (Goana). Bien que cette politique mise en oeuvre par le président sénégalais Abdoulaye Wade n'en est qu'à ses balbutiements et n'a pas encore démontré son efficacité.

Ce type de réalisation symbolise les avancées considérables survenues dans la poursuite du partenariat Rhône-Alpes et Saint-Louis. L'aide-projet qui est très manifeste dans certains types de partenariat fortement teintés d'humanitaire, à l'instar de Rhône-Alpes et Tombouctou (Mali), est une variable latente dans la coopération Rhône-Alpes et Saint-Louis. Pour illustrer cela, Philippe Bayon, vice-président de la délégation française de Rhône-Alpes s'est rendu à Podor en 2008. Il a pu visiter avec Waly Guèye, du Conseil régional de St-Louis, le tout nouveau lycée de Podor que Rhône-Alpes a électrifié mais surtout les réalisations du programme de formation et d'insertion professionnelle des jeunes de la région par la remise des diplômes aux premiers sortants. Rhône-Alpes ne se contente plus de financer des projets, sous-traités par un opérateur, à Saint-Louis mais veille au suivi et à l'évaluation lors du comité de pilotage comme celui du 14 Avril 2008 qui s'est déroulé au siège du conseil régional de Rhône-Alpes sous la présence de Philippe Bayon, vice président délégué à la coopération décentralisée, et d'Aliou Niang, président du conseil régional de Saint-Louis. D'autres initiatives existent parmi lesquelles les commissions mixtes ou les visites régulières sur place.

Depuis la mise en fonction du Crrej (centre régional de ressources pour l'emploi des jeunes) à Saint-Louis en 2005, Rhône-Alpes soutient et accompagne son autonomisation institutionnelle financière et son développement en partenariats avec le Nord Pas de Calais et la région Midi Pyrénées, bien que son engagement doive se terminer en 2009. C'est l'un des rares projets où la maîtrise d'ouvrage de Saint-Louis est bien réelle. Mais force est de constater, qu'une fois encore la question de la mobilisation des ressources, après 2009, pour maintenir les services proposés par ce centre, n'est pas encore résolue. C'est une des plus grandes limites de la coopération décentralisée. Donc, la région Rhône-Alpes fait beaucoup dans le domaine éducatif mais l'absence de fonds propres à la région de Saint-Louis ne permet pas de pérenniser les services.

La santé, l'hygiène et l'action sociale emboîtent le pas à l'éducation. Secteur prioritaire au même titre que l'éducation, la santé fait l'objet d'une attention particulière par Rhône-Alpes. Ainsi, l'hôpital de Saint-Louis travaille en étroite collaboration avec le CHU de Rhône-Alpes qui contribue, également, à l'équipement de l'hôpital de NDioum. Située dans le département de Podor NDioum est une des 14 communes de Saint-Louis. Cette relation s'est concrétisée, en 2002, par une session de formation, du personnel de l'Hôpital de Saint-Louis à la sécurité sanitaire financée par Rhône-Alpes pour un budget global de 80.000 €.

Pendant longtemps, la plus part des actions était, donc, axée dans les domaines de l'éducation, l'appui à des projets en direction des jeunes, ainsi que dans le domaine sanitaire. Cependant avec les OMD et les maigres impacts que les projets ont sur les populations de Saint-Louis, de nouvelles thématiques sont mises en oeuvre.

Dans cette optique, l'appui institutionnel a concerné la réalisation de schémas régionaux d'aménagement du territoire (SRAT), mais surtout les échanges d'expériences entre élus des deux collectivités lors de stages appropriés. En 2003, une séance de formation de trois jours a été financée par le conseil régional de Rhône-Alpes pour les élus locaux de Saint-Louis.

Dans le domaine du développement rural, Rhône-Alpes soutient les activités économiques, parmi lesquelles deux initiatives :

D'une part, avec l'expérience de Guélakh qui est très significative à ce niveau. En effet, elle s'est fortement engagée dans la construction de la ferme de Guélakh qui connaît une véritable réussite car ce projet est opérationnel et visible. Même le président sénégalais s'est laissé tenter en affirmant qu'il veillerait à l'installation de ce type de ferme dans chaque communauté rurale.

Et d'autre part, avec la signature d'un accord de partenariat entre la Fédération des Alpages de l'Isère (Rhône-Alpes), et la Maison des Eleveurs de Saint Louis du Sénégal, en Août 2001, après plusieurs années d'échanges. Les interactions portent sur la formation et la mise en oeuvre d'un programme d'aménagement dans le Nord du Sénégal, région sahélienne d'élevage extensif, pratiqué depuis toujours par les Peuls, ethnie d'éleveurs semi nomades. Ce jumelage est soutenu financièrement par la Région Rhône-Alpes. Depuis 2003, 4 voyages d'études ont été effectués dans le cadre de ce partenariat. Par exemple en Octobre 2008, pour finaliser leur

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module d'Education au Développement, 12 étudiants et apprentis du Lycée Agricole et du CFPPA de la Côte Saint André accompagnés par 3 enseignants et formateurs se sont rendus à la région de Saint-Louis. Ces échanges répondent, de manière concrète, aux critères de la mise en synergie des acteurs des deux territoires.

Tableau 5: récapitulatif des acteurs de Rhône-Alpes présents à Saint-Louis en 2002 et les types d'action réalisés :

Acteurs

Localités

Réalisations

Commune de Saint-Pierre de Boeuf (42)

Diaranguel et Walla

Projet d'adduction d'eau au village

Fédération des Oeuvres Laïques (42)

Saint-Louis

Construction d'écoles et de salles de classes

ACERA (69)

 

Suivi et animation de la coopération dans le domaine économique

Le Conseil Régional Rhône- Alpes (69

Saint Louis

Coopération décentralisée Appui à l'aménagement du marché de Matam

Fédération des Alpages de l'Isère (38)

St Louis

Appui à la maison des éleveurs

Nangadef (38)/

St Louis

Coopération scolaire

Sources: RESACOOP, « l'évolution des partenariats entre acteurs de Rhône-Alpes et du Sénégal », Privas, 28 juin 2002.

Donc, en 2002, les acteurs de Rhône-Alpes présents à Saint-Louis étaient multiples (Conseil régional, acteurs non-constitutionnels, une commune, des établissements scolaires et des associations et ONG) et les projets diversifiés (le scolaire, l'adduction d'eau, le développement rural et la coopération économique). Par conséquent, il s'agissait plutôt de financer ou d'appuyer des projets et non d'impulser un développement stratégique pérenne de la région de Saint-Louis.

A présent, suite aux maigres impacts que les projets ont eus sur la population, un changement d'orientation était nécessaire. En effet, Pour réduire durablement la pauvreté à laquelle sont exposées les populations de Saint-Louis, Rhône-Alpes apporte une contribution manifeste aux FAIL. Le fonds d'appui aux initiatives locales a mobilisé le montant de 415. 215.000 francs CFA, dont 88% alloués aux initiatives génératrices de revenus et le reste accordés au renforcement des institutions de micro finance (I-M-F) soit 83.043.000 francs CFA.

Ce fonds cherche principalement à rendre effective la réduction de la pauvreté. D'après les estimations trois milles (3.000) personnes devraient en profiter pour sortir de la précarité. Ainsi, l'indice de pauvreté passerait alors de 41,2% à 36,7% soit une baisse de 4,5% dans la région de Saint-Louis, toujours enclin au paupérisme. En 2007, il a été prévu dans le cadre du Fail la création d'un réseau régional des mutuelles avec, d'une part, l'appui aux financements pour 80% du budget et, d'autre part, le renforcement des capacités pour 20%. Ses effets programmés du FAIL, ont motivé les bailleurs, notamment la région Rhône-Alpes dont la contribution de Rhône-Alpes s'est élevée à hauteur de quarante (40) millions de francs CFA soit 10,38% du total En 2008, en 2009 Trente six (36) millions et en 2010 elle devrait tourner autour de trente deux (32) millions de francs CFA.

Ainsi, la région Rhône-Alpes cherche, globalement, à améliorer les services de base offerts par la région de Saint-Louis à ses populations. L'eau qui touche, en général, des projets d'adduction dans les villages n'est pas une compétence transférée. Elle est du ressort de l'Etat central qui à travers le PEPAM essaye d'atteindre les objectifs prioritaires des OMD, mais quelques projets de Rhône-Alpes sont orientés dans ce sens. Par contre, la santé et l'éducation sont bien deux priorités pour les pouvoirs locaux. Les populations défavorisées de la région de Saint-Louis sont, ainsi désignés comme cibles prioritaires de la région Rhône-Alpes. Par conséquent, les réalisations n'ont de sens que par la reconnaissance des destinataires.

Le secteur du développement économique est très peu présent. Mais ceci n'est pas la seule spécificité du partenariat Rhône-Alpes et Saint-Louis. En effet, au niveau national, l'étude des projets selon leur approche dominante montre, que seul 1 projet sur 3 présente une approche économique forte ou modérée tandis que 3 projets sur 4 présentent une approche sociale forte ou modérée.

Le Conseil régional de Saint-Louis doit arriver à satisfaire durablement les demandes de sa population avec des politiques de développement local pérennes, des financements réguliers et des objectifs à long terme. Dans ce cadre si les contributeurs du FAIL, comme RhôneAlpes, stoppent leurs cofinancements en 2010, et que Saint-Louis ne soit pas en position de mobiliser d'autres fonds, ils auront encore une fois investi des sommes considérables sans qu'il y'ait un impact permanent sur les habitants.

Malgré ces interventions plurielles de la région Rhône-Alpes, se pose un problème de
visibilité des projets réalisés à Saint-Louis. Les populations ne se sentent pas concerner et

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considèrent dans bien des cas qu'il y a, sans doute, des détournements d'objectifs. L'information ne circule pas entre les acteurs et les habitants, sauf, quand on accueille les dignitaires de la région Rhône-Alpes à Saint-Louis, pour des visites de prospection ou de suivi des projets. Ce type d'événement ne mobilise, en général, que le coté folklorique de la population de Saint-Louis et non les vrais dynamiques à appuyer.

Après analyse des actions réalisées par Rhône-Alpes, il apparaît, d'une part, que le renforcement institutionnel et la maîtrise d'ouvrage directe de Saint-Louis, très présents dans les discours, sont très peu appliqués. Pourtant, les projets n'étaient qu'un prétexte pour accompagner le renforcement des capacités des acteurs de la région de Saint-Louis.

Et d'autre part, le développement durable, domaine le plus mobilisateur avec les changements climatiques, , ne fait pas l'objet d'une grande considération.

Par ailleurs, l'autonomie financière locale réclamée par les acteurs de Saint-Louis, conformément aux textes de la décentralisation, parait illusoire et la responsabilisation des élus locaux trop ambitieux.

Enfin, l'absence de connaissances suffisantes sur le contexte politico-culturel local des pays en développement par les collectivités partenaires du Nord ne permet pas d'instaurer une coopération de confiance. Mieux, elle légitime le recours aux opérateurs de terrain par les partenaires du Nord. Sans ébranler la popularité des mouvements de coopération Nord-Sud, il s'avère urgent de résoudre cette énigme de la crédibilité des collectivités du Sud qui impacte sur les modes de traduction et les usages.

En somme, une fois encore, forces est de constater que l'une des plus grandes faiblesses des jumelages est de prêter le flanc à des soupçons de détournements frauduleux et, plus généralement, des détournements sociopolitiques au profit de certains groupes privilégiés (...), (A. Marie, 2005).

C'est le cas de se demander si les contradictions rencontrées dans l'exécution des projets, ont fini par avoir raison de la coopération décentralisée dont l'ambition était de redynamiser le développement local au Sud?

2.A.2. Les ambiguïtés dans la mise en oeuvre des projets : sous-traitance du développement et manoeuvres étatiques

Il convient, au préalable, de donner une définition claire et succincte des concepts de maître d'ouvrage et de maître d'oeuvre afin d'éviter les risques de confusion.

· Le maître d'ouvrage est celui qui est à l'origine du projet. Il finance et est le futur propriétaire. C'est l'entité porteuse du besoin, définissant l'objectif du projet, son calendrier et le budget consacré à ce projet. Le résultat attendu du projet est la réalisation d'un produit, appelé ouvrage. Lorsque le maître d'ouvrage ne possède pas l'expérience métier nécessaire au pilotage du projet, il peut faire appel à une maîtrise d'ouvrage déléguée (dont la gestion de projet est le métier). La maîtrise d'ouvrage déléguée est chargée de faire l'interface entre le maître d'oeuvre et le maître d'ouvrage afin d'aider le maître d'ouvrage à définir clairement ses besoins et de vérifier auprès du maître d'oeuvre si l'objectif est techniquement réalisable. La maîtrise d'ouvrage déléguée ne se substitue pas pour autant à la maîtrise d'ouvrage et n'a donc pas de responsabilité directe avec le maître d'oeuvre.

· Le maître d'oeuvre est l'ensemblier. C'est l'entité retenue par le maître d'ouvrage pour réaliser l'ouvrage, dans les conditions de délais, de qualité et de coût fixées par ce dernier conformément à un contrat. La maîtrise d'oeuvre est donc responsable des choix techniques inhérents à la réalisation de l'ouvrage conformément aux exigences de la maîtrise d'ouvrage. Le maître d'oeuvre a ainsi la responsabilité dans le cadre de sa mission de désigner une personne physique chargée du bon déroulement du projet (on parle généralement de maîtrise du projet), il s'agit du chef de projet.

Sources : M. Chassot, Dix ans de coopération décentralisée française au Sénégal: Quelle contribution au processus de décentralisation?, Rapport de Stage DESS coopération et action humanitaire, Paris Sorbonne, 2004-2005

La coopération décentralisée fait souvent appel à des traducteurs externes. En raison de leur savoir faire technique de leurs moyens propres, de leur capacité d'expertise et de leur expérience, ils exécutent bon nombre de projets pour les collectivités du Nord. Soit on sollicite une ONG qui a en charge la délégation de maîtrise d'ouvrage, un professionnel du développement ou un comité de jumelage (Pays de Savoie Solidaire pour les départements de Savoie et Haute-savoie par exemple)... Ou les agences de l'eau si le projet concerne l'adduction d'eau dans un village, les chambres d'agriculture de commerce et d'industrie si le projet touche le secteur agraire, commercial ou industriel...

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Ces opérateurs peuvent mettre en oeuvre la totalité des projets de la coopération (à l'instar du Partenariat qui gère l'ensemble de la coopération Nord-Pas-de-Calais et Saint-Louis) ou se charger d'un seul volet (comme Aced-sud traducteur d'un projet de Rhône-Alpes concernant le volet éducation de Podor, département de Saint-Louis). Donc nouer des rapports de partenariat avec une collectivité lointaine n'implique pas forcément une présence sur place. D'ailleurs en 2005, sur les 57 partenariats actifs ou nouveaux recensés au Sénégal par le SCAC, la moitié était en délégation de maîtrise d'ouvrage. Seule une petite dizaine dispose d'un relais local permanent (Chassot, 2005). Parmi lesquels il faut compter la région RhôneAlpes avec un correspondant sénégalais (Adama Sow) basé à Saint-Louis et Matam.

Par ailleurs, avec ces sous-traitants du développement, il importe souvent d'établir des accords, de passer des conventions et de formaliser les rôles et les apports respectifs. Parfois lorsque les collectivités n'ont pas les moyens de mener, elles mêmes, leur action sur le terrain, elles leurs confient la maîtrise d'oeuvre sur place. La formalisation de ces rapports invente de nouvelles routines et par conséquent alourdie considérablement les charges.

Poumon économique de la « région du fleuve Sénégal », Saint-Louis ne gère pas la totalité des fonds qui lui sont accordés par la région Rhône-Alpes. En réalité, une partie de ce budget servira à solder les frais de fonctionnement des opérateurs qui, dans certains cas, ont en charge la totalité des fonds. Finalement l'idée d'une coopération directe entre Rhône-Alpes et Saint-Louis est totalement vide en substance. Une analyse cognitiviste de cette situation permettrait de se rendre compte de la contradiction phénoménale qui existe entre les idées, autour desquelles il y a un consensus, et les actes individualisés, éparpillés sans aucun souci de rationalité. Ainsi, Saint-Louis, se trouve aujourd'hui dans un engrenage entre une coopération qui risque de lui échapper à cause des vices cachés et une intervention étatique à dominante jacobine.

L'extrait23 ci-dessous, témoigne parfaitement de ce recours aux sous-traitants du développement et ses conséquences :

« En revanche, il est un domaine où je ne vois aucune avancée, c'est celui des circuits de financement. Alors que la coopération décentralisée transfère des fonds publics vers des institutions publiques, pratiquement aucune collectivité du Nord ne respecte, sur ce chapitre, les normes de la comptabilité publique du pays d'accueil. Les fonds sont placés sur des comptes privés ou transféré à des associations qui les gèrent pour le compte de la collectivité partenaire. Résultat, ils ne rentrent pas dans le budget des communes et leur allocation n'est

23 Sources : B. Husson, il faut en finir avec l'aide projet, alternatives internationales, Juin 2007

pas nécessairement votée par le conseil municipal, qui n'a pas de comptes à rendre. La signature, souvent codétenue par un représentant sur place de la collectivité française, fait que ce dernier a in fine un fort pouvoir de décision. Dans plusieurs villes ouest-africaines, ce représentant est surnommé « le dixième adjoint ». C'est à lui et non aux élus que les associations de quartier s'adressent pour financer des projets au demeurant fort utiles. La crainte de la corruption et le souci d'éviter les lenteurs administratives expliquent ces contournements. Mais de telles pratiques ont des conséquences désastreuses. Comment prétendre soutenir la construction de la démocratie et les institutions locales si dans le même temps l'on s'affranchit du droit et des procédures ? Comment ces institutions seraient-elles légitimes aux yeux des citoyens si dans le même temps, les appuis apportés les décrédibilise ?». (B. Husson, 2007)

Cette situation est d'autant plus problématique qu'au Sénégal le système financier local était inadapté aux impératifs de développement.

Tout d'abord d'un point de vue global, les budgets des collectivités étaient entièrement encadrés par le pouvoir central. Ainsi toutes les décisions prises en matière de dépenses et de recettes devaient toujours être approuvées par l'autorité de tutelle en l'occurrence le Ministre de l'économie et des finances. L'Etat par cette tutelle serrée sur celle-ci se comportait comme un maître incontesté des finances locales. Ensuite du point de vue de la gestion financière proprement dite, les ressources disponibles (taxes, impôts, emprunts) à défaut d'être recouvrées sont insuffisantes pour assurer la couverture de l'ensemble des besoins locaux. La finalité optimale de la décentralisation des transferts de compétences est donc l'éradication de la faiblesse du système financier local d'alors par l'octroi d'une autonomie financière à toutes les collectivités sénégalaises. L'Etat sénégalais met en place un fonds de dotation destinés au fonctionnement des collectivités et un fonds d'équipement destiné aux investissements. Le FECL date de 1977 mais il a été intégré au budget global de l'Etat depuis 1997. Malgré ces efforts les collectivités sénégalaises sont très loin de pouvoir satisfaire leurs nouvelles compétences.

Il est question d'autonomie financière et d'action afin que la décentralisation puisse être effective. Une des solutions était l'ouverture de Saint-Louis aux partenaires étrangers mais là encore sous prétexte de lutter contre le l'absence de structures techniques fonctionnelles au Conseil régional de Saint-Louis, l'Etat s'incruste au coeur du dispositif.

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Si le Conseil région Saint-Louis dispose de la co-maîtrise d'ouvrage de ses projets avec Rhône-Alpes conformément aux accords signés, c'est l'ARD qui en assure l'appui technique. L'agence régionale de développement implantée dans chaque région sénégalaise est un établissement public local à caractère administratif. Pourtant sa création relève de l'initiative des collectivités locales (conformément à l'article 37 du CCL). C'est le décret 98-399 du 05 Mai 1998 qui la complète en l'espèce et fixe les missions, les organes, les ressources financières et les règles de gestion de la structure. Elle est placée sous la tutelle technique du ministère en charge de la décentralisation et sous la tutelle financière du ministère des finances. L'ARD est chargée d'impulser de coordonner et de mettre en oeuvre le développement économique, social, éducatif, culturel et scientifique de la région de Saint-Louis. Depuis son installation en Juin 2000, l'ARD de Saint-Louis est dirigée par Monsieur Bouna WARR. Son personnel est composé d'un statisticien, d'un géographe, d'un socioéconomiste, d'un planificateur, d'une assistante, d'un agent administratif et comptable et de deux chauffeurs. Ils ont des compétences techniques que le personnel politique de la région ne possède.

Dans cette optique, l'ARD a pour missions d'appuyer la facilitation et la planification du développement local; de renforcer la mise en cohérence des interventions entre les collectivités locales de la région de Saint-Louis et avec les politiques et plans nationaux d'autre part. Son rôle consiste, également, à la communication, l'information et la mise en synergie des interventions, la formation des élus, l'appui institutionnel et le renforcement des capacités des organisations communautaires de base.

Par conséquent, l'ARD était la porte d'entrée de la coopération décentralisée à Saint-Louis jusqu'en 2004, date à la quelle le Conseil régional de Saint-Louis lui a repris la main. Cependant par rapport à ses antécédents et la réputation dont elle jouit auprès des partenaires du Nord, on sollicite régulièrement ses services. A ce titre, Elle contribue à l'élaboration des projets, l'appui à l'exécution et le suivi des contrats de mise à disposition des services extérieurs de l'Etat. Sa place est d'autant plus rayonnante qu'elle s'occupe du suivi évaluation des programmes et plans d'actions de développement local, de la recherche de partenaires financiers et techniques au profit des collectivités et des opérateurs locaux (bailleurs, coopération décentralisée, ONG, opérateurs etc.) et de l'appui technique à la maîtrise d'ouvrage.

La nécessité d'avoir un soutien technique pour le pilotage des actions remet en jeu l'ARD de Saint-Louis car le Conseil régional n'a pas ce type de structures. Ainsi, à travers son antenne technique, l'ARD, contribue à l'amélioration des méthodologies de la planification à Saint-Louis. Cet établissement renforce, également, le caractère participatif pour que tous les partenaires puissent s'approprier les plans locaux de développement en intégrant un forte capacité de lecture des enjeux mondiaux. Elle a l'obligation également d'organiser des conférences d'Harmonisation qui doivent regrouper tous les acteurs de Saint-Louis. Dans cette perspective, M. Bouna Warr Directeur de l'ARD de Saint-Louis considère qu': « avec l'approche développement durable à l'échelon international, les préoccupations environnementales doivent être inclues dans les plans locaux de développement ».

Avec l'invention d'une stratégie de relance des économies locales (SREL) l'ARD a expérimenté une nouvelle méthodologie de planification composée de 4 étapes dont : le cadrage; l'élaboration des termes de référence; la concertation publique pour un consensus basé sur une vision et des engagements ; et la mise en oeuvre. Elle dispose ainsi d'un savoir faire confirmé dans les méthodologies de la planification lui permettant de tirer son épingle du jeu par rapport aux autres services de la région.

L'ARD représente, désormais, la structure clé de la coopération à Saint-Louis et tous les partenaires du Nord, notamment Rhône-Alpes, ont salué ses prestations. D'ailleurs, en 2008, son budget a été réévalué pour passer de 85 millions de Fcfa, en 2003, à 104 Millions, selon un article de l'APS (l'agence de presse sénégalaise). Ce nouveau budget englobe, alors, la contribution de l'Etat pour 40 millions, la cotisation des collectivités locales pour 13 millions, la participation de la coopération décentralisée pour 10 millions et la coopération luxembourgeoise pour environ 33 millions de Fcfa.

Au cours de ces dernières années l'ARD de Saint-Louis a enregistré de nombreuses réalisations. Elle a mise en oeuvre, entre autres réalisations, la construction de la maison du quartier de Diamaguene pour un montant de 26 millions.

De même, l'appui à la filière avicole s'est traduit par la création de l'association des aviculteurs, la constitution d'une mutuelle et l'implantation d'une fabrique d'aliments de volaille. C'est donc plus qu'un travail d'accompagnateur ou de facilitateur mais de porteur de projets. Par ailleurs, l'ARD a réalisé des tableaux de bords pour les communes de Saint-Louis, de Dagana et de Richard-Toll (les jardins de Richard) et le Plan Régional du Développement

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Intégré (PRDI) pour la Région. Même dans le cadre de l'exécution du Programme d'Appui aux Régions, (PAR), l'ARD joua un rôle primordial. Toutefois le PAR a eu un coup d'arrêt depuis la cessation des financements de l'Union européenne. Tout le problème se situe, donc, au niveau de la gestion des ressources.

Néanmoins, l'ARD a en charge des projets d'envergure, parmi lesquels, il y a la réactualisation du PRDI (plan régional de développement intégré) et la mise en place d'un système d'information géographique (SIG). Pour renforcer la démocratie participative, elle a créé de cadres locaux de concertation. Dans le domaine de l'appui à la planification de Saint-Louis, elle a piloté la réalisation de PIC (Plans d'investissement Communaux).

Au fur et à mesure de ses interventions l'ARD est devenu le poumon de l'action publique locale à Saint-Louis. Ce truchement du développement local par les organes déconcentrés reste d'actualité. En effet, les politiques internationales, à l'image des OMD, sont exécutées directement par l'Etat bien que c'est destiné aux habitants des collectivités.

On peut en déduire qu'avec la mise en place de ces établissements locaux directement rattachés à deux ministères (finances et décentralisation) occupées par des « savants » nommés par le « politique », l'Etat sénégalais a fini par court-circuiter le système de coopération dans la région de Saint-Louis. Si les mêmes critères avaient été employés pour doter le Conseil Régional de Saint-Louis d'une structure technique avec des personnels à la mesure des compétences requises, la région de Saint-Louis gagnerait en autonomie.

Ainsi, le Secrétaire général du Conseil régional de Saint-Louis M. Amath Dia tire la sonnette d'alarme en ces termes: «Quand on prend les grandes politiques internationales du PNUD ou des OMD qui sont pilotées au niveau national, c'est le retour du jacobinisme, de la centralisation après la décentralisation».

Le principe de libre administration des collectivités locales est, pour ainsi dire, intégralement vidé en substance par des pratiques étatiques occultes.

L'Etat sénégalais pratique, également, un pouvoir exclusif de contrôle sur les collectivités locales. Ce contrôle administratif ou de légalité est exercé sans retenue par le représentant de l'Etat auprès des collectivités (le gouverneur pour la région, le préfet pour la commune et le sous-préfet pour la communauté rurale). Pourtant les critères d'objectivité sont parfois

marginalisés par des pratiques souterraines. Une collectivité qui a à sa tête un élu de l'opposition, du parti socialiste (PS) par exemple, peut se voir refuser des réalisations par le contrôleur étatique bien que les études de faisabilité aient été satisfaisantes et les textes respectés. Robert SAGNA ex-maire PS en Casamance en aurait fait les frais. En effet ce dernier a du renoncer à plusieurs projets de coopération décentralisée avec le Nord au détriment des populations casamançaises. M. Dia Secrétaire Général du conseil régional de Saint-Louis disait à cet égard: « Quelque soit la situation si l'Etat veut bloquer une collectivité, il a toujours le moyen de le faire. Il est déjà arrivé à Saint-Louis que le gouverneur pose son veto pour l'exécution d'un acte, mais généralement on fait ce qu'il faut pour être conforme aux textes ».

Nonobstant les projets qui dépassent 100 000 € le contrôle de légalité s'exerce à posteriori par le gouverneur de la région de Saint-Louis. Ce contrôle est considéré par certains élus comme une véritable entorse et un frein à la réussite du processus de décentralisation.

Toutefois, l'inégalité des rapports centre-périphérie n'est pas exclusivement un phénomène qui sévit dans les pays du Sud. Certes l'ampleur parait moindre mais on localise des comportements similaires en France. A ce titre la dépendance des collectivités françaises, vis à vis, de l'Etat tient au fait que ce dernier avec son MAEE est un acteur important des relations de coopération. En effet, le MAEE met en oeuvre des budgets de cofinancement réservés à la réalisation des projets de développement durable et à l'appui aux actions de coordination et de sensibilisation à la solidarité internationale. L'objectif optimal étant d'universaliser, en douceur, les modes de gouvernance locale. Par des dispositifs de coordination et des cofinancements réguliers, l'Etat central et ses appareils déconcentrés se sont révélés être plus que de simples partenaires-facilitateurs mais de véritables co-maîtres d'ouvrage des projets de coopération décentralisée.

C'est volonté affichée, en trompe l'oeil, de mieux soutenir financièrement l'action extérieure des entités françaises connaît un relatif succès. Cependant, par ce que la région Rhône-Alpes sollicite des fonds propres, elle ne devrait par subir cette immixtion dans son partenariat avec la région de Saint-Louis.

A présent, tout le problème, se situe au niveau du déficit de concertation entre les collectivités françaises qui interviennent à Saint-Louis. Elles ne sont pas très disposées à harmoniser leurs actions afin d'éviter les risques de doublons. Même si cette rationalisation permettrait d'équilibrer le niveau d'évolution des collectivités et de rendre performante la coopération.

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Le rapport d'activités ci-dessous, de la commission « coopération décentralisée » des Cités et Gouvernements Locaux (CGLU), traduit parfaitement cette situation : « chaque action de coopération décentralisée est encore trop souvent « une chasse gardée » pour les pouvoirs locaux. De nombreuses collectivités territoriales du Nord résistent à mutualiser leurs expertises, partager leurs ressources, coordonner des actions de coopération en direction du même partenaire».

La coopération décentralisée prête, donc, le flanc à une bureaucratisation qui alourdit les procédures et un contrôle étatique qui en diminue les effets. Dans ce contexte exacerbé de vices cachés et d'effets pervers, comment peut-on espérer rendre effective la décentralisation à Saint-Louis?

2. B. Rendre opérationnelle la décentralisation à Saint-Louis ou dépasser la symbolique des donations

Depuis sa consécration juridique, même bien avant la coopération décentralisée a effectué un grand bon en avant notamment sur l'axe Nord-Sud. Ses principaux objets ont été revus et corrigés dans certains cas notamment avec les pays émergents, mais dans d'autres on peut encore identifier les mêmes types d'actions tels que : les donations, les coopérations-cadeaux, l'aide-projet ou ponctuelle. Pourtant de nos jours, les enjeux sont autres. Il s'agit, entre autres, de contribuer au renforcement institutionnel des collectivités du Sud comme Saint-Louis. Une réelle orientation aux besoins est, également, souhaitée. Situation qui devrait permettre d'instaurer une notion de service public, de prendre en compte les demandes des groupes sociaux minoritaires, d'inciter à l'élaboration des plans locaux de développement travaillés en concertation avec l'Etat et d'appliquer des systèmes fiscalités locales à Saint-Louis. Autrement dit, l'action publique locale gagnerait à être recentrée dans le champ du développement à partir des problèmes concrets que le Conseil régional de Saint-Louis doit résoudre. Parmi lesquels il y'a l'absence chronique de moyens financiers, techniques et surtout humains et la non formation du personnel de l'administration publique locale. Pour y parvenir l'adoption d'une approche stratégique globale de développement conduite par des structures et dispositifs fiables et pérennes s'avère indispensable.

2.B.1. Aider à la maîtrise d'ouvrage des acteurs du développement au Sud

La coopération décentralisée a été saluée avec enthousiasme dans le monde entier par ce qu'elle devait oeuvrer à la mise en place d'une coopération des peuples afin d'offrir un « visage humain à la mondialisation » pour reprendre M. Bouna WARR de l'ARD de Saint-Louis.

Cependant sur le plan empirique, l'aspect mise en rapport des acteurs et partage d'expérience fait défaut. En effet pour la plupart des projets, il y a les acteurs de Rhône-Alpes qui se chargent de leur exécution.

D'après le secrétaire général du Conseil régional de Saint-Louis M. Amath Dia : « jusqu'en 2006 seuls 5% des projets étaient gérés par la région de Saint-Louis ». Ce qui diminue considérablement l'apport financier et ne permet pas aux élus locaux de se perfectionner dans la gestion budgétaire. Pourtant la maîtrise d'ouvrage de Saint-Louis est reconnue dans les accords conventionnels, mais force est de constater, qu'elle reste lettre morte. Cette attitude partagée par les collectivités françaises n'est pas tout à fait déplorable car une collectivité comme Saint-Louis ne dispose d'aucune structure ou dispositif technique fonctionnelle responsable de la coopération décentralisée indépendamment des services étatiques déconcentrés. Par conséquent les raisons de ce dysfonctionnement sont évidemment à rechercher de part et d'autres.

D'abord à Saint-Louis, la coopération décentralisée est une chasse gardée pour certains responsables. Ça leurs offre une légitimité auprès des citoyens, des réseaux internationaux de relation et notamment des voyages en France. Dans cette perspective, ce n'est pas faire injure aux élus locaux du Sud, en reconnaissant qu'une proportion d'entre eux considère les voyages à l'étranger, à la solde de leur collectivité, comme une récompense pour services rendus. Ils mettent, ainsi, en oeuvre des stratégies de contrôle et d'accaparement des avantages au grand dam des populations. Pour nourrir des fins personnelles les élus locaux du Sud font usage de la coopération décentralisée. Pourtant de tels comportements ne sont pas méconnus des collectivités du Nord, ce qui peut laisser penser à des complicités entre élus.

La décentralisation ne signifie pas le retrait des élites qui détenaient ou détiennent le pouvoir
d'Etat. Le pouvoir local peut être confisqué par de petits groupes de personnes, comme l'était
le pouvoir central, confortés par les appuis extérieurs qu'ils ont négociés. Les collectivités

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locales ne sont pas à l'abri d'un contrôle par les oligarchies locales, écrans entre les aspirations des citoyens et les opérateurs du Nord (B. Husson)24.

Autrement à Rhône-Alpes, on se pose des questions sans doute légitimes, car depuis 1997 on finance des projets mais d'un point de vue qualitatif personne ne peut dire quels sont leurs impacts sur les cibles. Entre 1997 et 2008, la région de Saint-Louis a englouti 8.245.085 € de la région Rhône-Alpes. Ce montant est colossal et les résultats peu probables.

Malgré cela, on tend de plus en plus vers la maîtrise d'ouvrage de la collectivité du Sud. En effet, avec le CRREJ et l'électrification de Podor (cf. Partie2-A-1), le conseil régional de Rhône-Alpes concrétise son engagement de renforcer la maîtrise d'ouvrage de Saint-Louis. Bien que depuis 2003 le personnel n'a pas été mobilisé pour effectuer des stages de formation à Rhône-Alpes, il y a de réelles initiatives dont la création d'une filière électro-bobinage et l'appui au centre de formation. Dans cette optique, la région Rhône-Alpes a subventionné la dotation en matériels informatiques des collectivités de Podor (département de Saint-Louis). Avec un budget global de 80.000 € Rhône-Alpes a également financé l'organisation, en 2002, d'une session de formation à la sécurité sanitaire aux personnels de l'Hôpital de Saint-Louis. Dans le cadre des échanges interprofessionnels entre acteurs de Rhône-Alpes et Saint-Louis une première bourse a été octroyée à M. FAYE Babacar, chargé des affaires administratives au Conseil régional de Saint-Louis. En outre, à travers l'université d'été de la francophonie certains membres du personnel ont bénéficié d'une formation.

Certes Rhône-Alpes met à disposition ses expériences acquises dans la conduite des politiques de développement local, mais elle se heurte à l'absence chronique d'une administration territoriale de qualité. Par conséquent les initiatives sont insuffisantes et le recours aux traducteurs et sous-traitants du développement se substitue à la nécessité de former des acteurs locaux qualifiés.

L'appui à la maîtrise d'ouvrage de Saint-Louis passe donc par la formation professionnelle du personnel territorial et l'échange d'expériences entre élus lors de stages appropriés ou de visites entre acteurs du développement. Ce types d'actions entrent dans le domaine des échanges institutionnels et marginalisent de fait l'idée d'un renforcement des capacités des acteurs du Sud, indispensable à la réussite du processus de décentralisation.

24 Sources : B. Husson, la coopération décentralisée, légitimer un espace public local au Sud et à l'Est, CIEDEL

Cependant, étant donné que la politique de coopération ne vaut que par la reconnaissance des publics cibles, on peut se demander comment la région Rhône-Alpes doit réorienter ses interventions afin qu'elles répondent concrètement aux besoins des populations ?

II. B. 2. Renforcer les capacités institutionnelles d'administration et de gestion de Saint-Louis

Les collectivités françaises ont progressivement pris conscience de la nécessité de renforcer les capacités d'administration de leurs partenaires du Sud. Cette thématique connue sous le terme de « l'appui institutionnel », dans le jargon de la coopération décentralisée était un élément récurrent dans les discours. A présent, elle a franchi un palier car des discours on devrait passer à l'acte. Dit autrement, l'échange institutionnel basé sur des « voyages cocktails » entre élus, est entrain de céder, de manière lente mais graduelle, la place à l'appui institutionnel.

C'est une probable évolution, bien qu'il ne faille pas aller très vite en besogne car le stade des promesses n'est pas complètement désuet. A ce titre une distinction précise entre les termes d'échange institutionnel et d'appui institutionnel s'avère nécessaire.

Echange institutionnel

Appui institutionnel

L'échange institutionnel peut être défini

L'appui institutionnel peut être défini comme

comme des rencontres, des visites, des

le renforcement d'une collectivité :

échanges d `expérience sur l'organisation et

Dans sa capacité à établir et programmer des

le fonctionnement d'un service ou d'un

priorités réalistes en prenant en compte les

ensemble de services et plus généralement
sur l'organisation et le fonctionnement d'une

contingences sociales, économiques,

politiques et financières ; dans ces

collectivité locale.

compétences pour assurer la maîtrise

d'ouvrage des équipements relevant de ses attributions,

dans sa capacité à organiser et pérenniser les services collectifs nécessaires à améliorer les conditions de vie des populations.

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Sources : B. Husson, «Coopération décentralisée et renforcement institutionnel, une dynamique à construire»,CIEDEL, in II conferencia anual del Observatorio de cooperacion decentralizada UE-AL, Guatemala, Mayo 2007, p.14

Donc, pour ce dernier, à la différence de l'échange institutionnel, l'appui institutionnel est « un processus par lequel les organisations, les institutions -dont les collectivités locales- acquièrent la capacité d'exercer leurs responsabilités, de se fixer des objectifs et de mettre en oeuvre les moyens pour les atteindre dans les domaines qui relèvent de leur compétences ».

Sur la base de cette définition, l'enjeu principal est celui de la gouvernance locale. Il faut, par conséquent, aider les agents et acteurs de la région de Saint-Louis à renforcer leurs capacités de gestion et d'organisation, et non les dessaisir de leurs responsabilités.

A priori il n'y aurait pas de recette type à appliquer. Tout dépend de la volonté politique des élus du Nord et du Sud. Quelques recommandations sont apodictiques à ce niveau.

Le premier est d'aider les collectivités de la région de Saint-Louis à se doter d'un système de fiscalité locale malgré la faiblesse des moyens qui sont les leurs. Cette question exige une réponse urgente par ce que l'aide étrangère est tout sauf un soutien permanent. A ce tire M. FAYE Babacar du Conseil régional de Saint-Louis reconnaît que : « la coopération décentralisée n'est pas un financement crédible du développement local. Elle doit être accompagnée d'une vision stratégique de la décentralisation et du développement local ».

En fait, il y'a des projets qui s'attaquent aux vrais problèmes (comme l'éducation des jeunes, l'assistance apportée aux enfants de la rue « les talibés », la fourniture en équipement sanitaire des hôpitaux ou la construction de case de santé dans les villages...) de Saint-Louis. Pourtant, dès que les financements s'estompent, suite à la fin d'engagement du ou des bailleur(s), tout s'écroule. Tant que les ressources de financement seront aléatoires, l'idée d'un développement durable de la région de Saint-Louis restera totalement vide de sens. En réalité, il s'agit d'un « simulacre » de développement qui ne vient pas forcément de la région RhôneAlpes ni des élus de Saint-Louis, mais plutôt du niveau de développement faible auquel la région Rhône-Alpes doit faire face. Par exemple, au niveau de la mobilisation des ressources, les collectivités doivent pouvoir assurer la pérennité des services proposés à leurs habitants.

Le nombre de prestations offert par Saint-Louis n'a de sens que si les populations y ont durablement accès. Eu égard cette situation préoccupante, il y'a lieu d'espérer. Au Nord et au Sud, la volonté politique affichée par la nouvelle génération d'élus pourrait redorer le blason de la coopération décentralisée en effectuant une réorientation aux besoins. Ainsi, la région Rhône-Alpes, par exemple, a adopté le principe des fonds locaux de développement dans certaines de ces coopérations. Il serait plus adéquat d'appliquer le même principe pour la région de Saint-Louis. Cependant, faire évoluer les pratiques, améliorer la qualité de l'aide induit des coûts. Cela nécessite de l'expertise, de la formation et beaucoup de temps.

Si Rhône-Alpes n'hésite pas à dépenser de l'argent pour organiser des comités mixtes qui ne sont qu'un suivi-évaluation politique, elle ne voit pas, en règle générale, l'importance de consacrer ses fonds à la mise en place de structures financières opérationnelles. Force est de constater qu'avec de telles pratiques, c'est encore la logique du don qui prime.

Par ailleurs, les collectivités locales du Nord ont des compétences tangibles, mais celles qui appuient leurs partenaires du Sud dans le recouvrement des recettes se comptent sur les doigts de la main. Il est d'autant plus urgent d'agir que la situation actuelle entretient des effets pervers.

En effet, les Etats du Sud comme le Sénégal ne doivent plus être les concurrents directs de leurs collectivités locales mais des interlocuteurs sans lesquels la décentralisation ne pourra jamais être effective. La région Rhône-Alpes, bien qu'elle écarte toute ingérence étatique dans son action extérieure, doit reconnaître le rôle central inhérent à l'Etat sénégalais. Ce dernier à travers les efforts qu'il entreprend, en toute légitimité, est le lieu d'élaboration des règles de la vie commune, il est aussi garant de la cohésion sociale et des instances de définition des règles de fonctionnement démocratique. Autrement dit, les collectivités sénégalaises gagneraient en renforçant leur collaboration avec l'Etat central, plutôt que de laisser s'instaurer un rapport de force. A cet égard, le responsable du Partenariat (ONG opérateur permanent du partenariat Nord Pas de Calais et Saint-Louis) reconnaît que : « les informations circulent bien entre acteurs locaux à Saint-Louis mais c'est avec les programmes nationaux de développement qu'il y a très peu de concertation ».

Il faut, deuxièmement, équilibrer les relations bilatérales de collectivité à collectivité par la
prise en compte de leur impact sur les collectivités voisines sous peine d'entretenir des
inégalités locales. Un maire du Sud qui a fait des études et jouit de relations à l'étranger a

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moins de mal à établir une coopération décentralisée avec le Nord, tandis que celui du village voisin, analphabète et sans relations, restera sur la touche, (Bernard Husson, 2007).

La région Rhône-Alpes devrait inclure dans ses principes d'action une meilleure articulation et répartition des interventions à Saint-Louis. Certes, de prime abord, ça paraît difficile car la population de la région de Saint-Louis est inégalement répartie sur son territoire mais avec du volontarisme politique, on peut tout surmonter. En effet, le département de Saint-Louis, avec seulement 879 km2 soit 5% du total régional, concentre 30,8% de la population. Le département de Podor qui constitue 68,0% de la superficie régionale est habité par 41,5% de la population régionale. Dagana est caractérisé par l'équilibre entre sa superficie et sa population qui représentent respectivement 27,4% et 27,7% du total de la région.

Donc, la densité de la population de Saint-Louis ne correspond pas à sa situation géographique, ce qui accentue les déséquilibres régionaux. Par ailleurs, le SIG (système d'information géographique) mis en oeuvre par l'ARD de Saint-Louis, est un outil qui doit permettre de situer les localités les plus exposées à la pauvreté. C'est-à-dire là où tous les seuils des IDH (indices de développement humain) sont largement franchis.

Ces inégalités de contexte et de situation se retrouvent à plusieurs niveaux. Par exemple la ville de Saint-Louis dispose d'une meilleure couverture internationale, à cause de son passé, son personnel administratif plus qualifié et ses élus dotés de réseaux, que les autres collectivités locales de la même région. C'est la raison pour laquelle, en 2006, lors des comités mixtes organisés en France, Saint-Louis a invité le Conseil régional de Rhône-Alpes à concentrer ses actions sur le département de Podor qui était dans l'abandon. Des initiatives, de ce type, sont prises par les structures de coordination, comme RESACOOP, entre autres, ou lors des rencontres annuelles, à l'instar, des Journées de la coopération décentralisée organisées au Sénégal, dont l'édition de 2006 s'est déroulée à Saint-Louis. Toujours est-il que la concertation entre les différents partenaires français de Saint-Louis, n'est pas bien ancrée dans les dynamiques de cette coopération bilatérale des collectivités franco-sénégalaises.

La réforme consiste donc à rationaliser les actions menées et à construire une dynamique globale de développement. Pour y arriver, il faut élaborer une planification stratégique de la région de Saint-Louis. Ainsi les demandes adressées à Rhône-Alpes ne ressembleront plus à «une liste de courses au supermarché» mais plutôt aux besoins prioritaires identifiés en concertation avec les populations locales, par le biais des dispositifs de participation bien ancrés à Saint-Louis.

Enfin, malgré quelques avancées soulignées précédemment, force est de constater que l'aideprojet est encore très présente dans la coopération Rhône-Alpes et Saint-Louis. Pour sortir de cette situation, seule la région Rhône-Alpes détient les clés. En finançant des fonds locaux de développement, le Conseil régional de Saint-Louis serait décideur ultime de l'engagement des dépenses. Par contre, la région Rhône-Alpes pourrait, désormais, lui exiger des comptes rendus périodiques sur l'utilisation des fonds. Certaines initiatives répondent déjà à cette donnée, mais il faut sortir du cadre cérémonieux, mondain ou folklorique et dialoguer, en termes, de technicité et d'expérience. Toutefois, cette situation ne peut être réalisable que si des structures de suivi-évaluation des réalisations, d'ordre technique, sont mises en place. D'autant que, les comités mixtes organisés chaque année pour faire le point sur les projets mis en oeuvre ou en cours d'exécution, interviennent uniquement, sur le plan politique. Avec de telles avancées, la gestion des fonds devrait pouvoir répondre à aucun souci d'efficacité et de rigueur.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo