
LE DROIT D'ASILE
ET LA CONVENTION EUROPEENNE
DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME
ET DES LIBERTES FONDAMENTALES
Clémentine PLAGNOL

Mémoire pour le Master II de recherche en Droit
communautaire et européen Sous la direction de Madame Catherine
GAUTHIER Maître de conférences à l'Université
Montesquieu - Bordeaux IV
Remerciements
Mes remerciements s'adressent d'abord à Madame
Catherine Gauthier pour sa patience et sa disponibilité depuis notre
première rencontre.
J'adresse ensuite des remerciements tout particulier à
la Cimade et à tous ses bénévoles de Bordeaux grâce
à qui le sujet de mon mémoire a pris tout son sens.
Je voudrais enfin remercier ma famille et mes amis pour leur
soutien tout au long de l'année.
SOMMAIRE
INTRODUCTION 1
CHAPITRE 1. Le vecteur principal de la protection du
droit d'asile par la Convention européenne des droits de l'Homme et des
libertés fondamentales 10
SECTION 1. La protection du droit d'asile établie sur un
fondement classique de la Convention européenne des droits de l'Homme .
10
SECTION 2. La protection du droit d'asile renforcée par
des méthodes développées par la Cour européenne des
droits de l'Homme .19
CHAPITRE 2. Les fondements accessoires de la protection
du droit d'asile par la Convention européenne des droits de l'Homme et
des libertés fondamentales 36
SECTION 1. La protection développée des droits
procéduraux garantis par la Convention européenne des droits de
l'Homme ..36
SECTION 2. La protection inachevée des droits substantiels
garantis par la Convention européenne des droits de l'Homme ..53
Introduction
<< La vie est faite d'illusions. Parmi ces illusions,
certaines réussissent. Ce sont elles qui constituent la
réalité.1 »
On pourrait avoir l'impression que la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés
fondamentales (Convention européenne des droits de l'Homme ou CEDH) nous
berce d'illusions, en ce sens qu'elle prétend défendre les droits
de l'Homme et les libertés fondamentales, alors même que tous n'y
sont pas inscrits. Ainsi le droit d'asile est absent d'un texte international
aussi important que la CEDH.
Les difficultés de la reconnaissance de ce droit
persistent bien que l'Histoire des migrations et du droit d'asile soit
très ancienne. Au moyen âge, l'asile était conçu
comme la possibilité d'être accueilli sur un territoire, par une
autorité ou un établissement, afin de trouver refuge. L'asile
apparaissait alors comme une action altruiste de la part de celui qui
l'octroyait. L'asile donne à un territoire une dimension
particulière, protectrice. C'est ce qui ressort de l'alliance des
étymologies grecque et latine du mot asile2. L'asile
<< moderne » a émergé lentement aux XVIIIe, XIXe et
surtout XXe siècles, comme une institution, tendant à accorder
aux personnes injustement menacées le bénéfice d'un refuge
pour se protéger contre les menaces qui pèsent sur elles dans
leur pays d'origine. L'institutionnalisation du droit d'asile a
véritablement débuté dès les premiers conflits
mondiaux. Le XXème siècle, marqué par des conflits
religieux et politiques atroces et par le creusement du fossé entre pays
développés et pays en développement, a dû faire face
à des mouvements importants d'individus fuyant leurs pays d'origine.
La Première Guerre Mondiale de 1914 à 1918 a
été un prélude aux désastres subis par les
populations déplacées pour cause de guerre. A partir de là
émergea l'idée qu'il était nécessaire de
créer des normes pour protéger ces populations. La
Société des Nations (SDN), fondée afin de trouver des
solutions pacifiques aux conflits entre États, s'est alors
penchée sur la question et a créé le Haut Commissariat des
Réfugiés (H.C.R.). Si cette première tentative s'est
soldée par un échec, la SDN a néanmoins donné
quelques pistes de réflexion à l'Organisation des Nations Unies
(O.N.U.) fondée en 1945 à la suite de la Seconde Guerre
1Jacques Audiberti, L'Effet Glapion, Paris,
Gallimard, coll. Le manteau d'Arlequin, 1959.
2 Le mot asile provient du grec ancien
áóõëïí (asylon) << que
l'on ne peut piller » et du latin asylum << lieu
inviolable, refuge ».
Mondiale. Celle-ci ayant provoqué le déplacement
de 40 millions de personnes, de vives réactions permirent enfin de poser
les bases d'une protection renforcée des réfugiés.
L'O.N.U. s'est en effet emparée du sujet en
édictant la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948
dont l'article 14 énonce : << Devant la persécution, toute
personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile
en d'autres pays >>. Cette Déclaration adoptée au lendemain
de la Seconde Guerre Mondiale a influencé nombre de règles
juridiques internationales et nationales. Pour autant, elle n'a aucun effet
juridique contraignant. C'est surtout en entérinant la création
de l'Office du Haut Commissaire des Nations Unies pour les
réfugiés (H.C.R.) le 14 décembre 1950 que les Nations
Unies ont montré leur volonté de protéger les
réfugiés. Disposant d'un mandat limité à trois ans,
le H.C.R. s'est vu chargé de l'élaboration d'un texte.
Intitulé la Convention des Nations Unies relative au statut des
réfugiés ou << Convention de Genève >>, ce
fondement juridique de l'aide aux réfugiés a été
adopté le 28 juillet 1951. Elle crée une obligation pour les
Etats signataires de protéger toute personne qui correspond à la
définition donnée d'un << réfugié
>>3. Elle avait d'abord un champ d'application restreint
puisqu'elle concernait uniquement les personnes menacées << par
suite d'événements survenus avant le 1er janvier 19514
>> et l'Etat était tenu de préciser s'il s'agissait
d'évènements survenus en Europe ou en Europe et
ailleurs5. Il y avait donc une limitation du champ temporel, et un
libre choix des Etats dans l'application spatiale de la Convention. Le
Protocole de New York a mis fin à cette situation en 1967 en supprimant
la restriction temporelle et en interdisant la limitation
géographique6. La Convention de Genève devenait ainsi
universelle et intemporelle.
Même si ces instruments juridiques tiraient leur source
de la guerre mondiale qui les précédait, l'Histoire a
montré la nécessité de l'expansion de ceux-ci, car
l'O.N.U. a düintervenir par la suite dans des situations de
déplacement de personnes aux quatre coins du monde (déplacement
en Asie et en Amérique latine dans les années 70 et 80 par
exemple, puis
3 Convention de Genève, 1951, Article 1-A-2
: toute personne << qui, par suite d'événements survenus
avant le 1er janvier 1951 et craignant avec raison d'être
persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa
nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de
ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la
nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se
réclamer de la protection de ce pays... >>.
4 Ibid.
5 Convention de Genève, 1951, Article 1-B-1 :
<< Aux fins de la présente convention, les mots <<
événements survenus avant le 1er janvier 1951 >> figurant
à l'article 1, section A, pourront être compris dans le sens de,
soit : a) << événements survenus avant le 1er janvier 1951
en Europe >> ; soit b) << événements survenus avant
le 1er janvier 1951 en Europe ou ailleurs >> ; et chaque Etat contractant
fera, au moment de la signature, de la ratification ou de l'adhésion,
une déclaration précisant la portée qu'il entend donner
à cette expression au point de vue des obligations assumées par
lui en vertu de la présente convention. >>
6 Protocole de New York, 1967, Article
1er.
en Afrique). Ces déplacements n'ont pas diminué
au XXI° siècle, et le H.C.R. a été extrêmement
sollicité, qu'il s'agisse des crises majeures de la République
démocratique du Congo, de la Somalie ou de l'Asie. Une preuve de son
utilité est l'augmentation du budget de l'organisation : de 300 000
dollars la première année, il est passé à plus de
3,59 milliards de dollars en 2012.
Parallèlement aux avancées juridiques et
à la multiplication du nombre de situations de déplacement des
populations, les Etats européens se sont crispés et ont
radicalisé leurs politiques publiques anti-migratoires. Pour certains
auteurs il y aurait eu un « retournement » de situation en ce sens
que le droit d'asile s'est retourné contre les exilés
eux-mêmes7. La crainte des Etats européens face aux
flux migratoires est née. La protection du droit d'asile a alors fait
l'objet de conditions de plus en plus importantes car la peur de la «
pression migratoire » a amené nombre d'Etats à se
prémunir contre elle.
Cette crispation emblématique des Etats
européens a amené l'Union européenne à
réagir. Cette organisation internationale créée en
réaction à la Seconde guerre mondiale et comprenant 27 Etats
membres s'est effectivement chargée du droit d'asile alors que ses
compétences étaient au départ purement économiques.
Face à l'augmentation du nombre de personnes qui tentaient d'entrer dans
l'Union pour fuir les guerres, les persécutions, les catastrophes
naturelles, ou simplement dans l'espoir d'un avenir meilleur, l'Union
européenne a voulu créer des normes pour encadrer leur
circulation. Cela s'est traduit notamment par la création de normes
minimales concernant les demandeurs d'asile. Elle a par exemple établi
les règles concernant les modalités et le lieu du traitement des
demandes, l'accueil des demandeurs d'asile, le statut des personnes qui se
voient accorder l'asile et le rôle des autorités nationales dans
l'accomplissement de cette tâche.
Aujourd'hui, le droit d'asile existe donc à la fois au
sein du droit national, du droit international classique, et du droit de
l'Union européenne. La formalisation du droit d'asile au travers de ces
trois ordres juridictionnels a permis sa juridicisation mais il est
nécessaire de savoir quel est le sujet de ce droit? Qui peut s'en
prévaloir?
De prime abord, le « réfugié »
apparait comme le bénéficiaire historique du droit d'asile. Ce
terme retenu par les Nations Unies reste une référence. Pourtant
une autre catégorie de personnes doit être retenue : les
demandeurs d'asile.
7 Jérôme Valluy, Rejet des
exilés - Le grand retournement du droit de l'asile. Editions Du
Croquant, 2009.
La distinction entre réfugié et demandeur
d'asile tient au fait que le demandeur d'asile est un «
réfugié potentiel », ou encore un « candidat
réfugié8 ». C'est-à-dire qu'une fois que
l'on se voit accorder l'asile, on devient réfugié. Le
réfugié a donc forcément été demandeur
d'asile auparavant. La définition retenue du «
réfugié » est celle de la Convention de Genève
énoncée plus haut, mais elle ne mentionne pas le demandeur
d'asile. Elle opère une classification de droits auxquels il est
possible de prétendre en fonction de sa situation juridique. Or, le
demandeur d'asile est absent de l'énumération de ces situations.
On est alors en droit de se demander si le statut de demandeur d'asile n'est
pas une fiction permettant aux Etats de s'extraire des obligations que la
Convention fait peser sur eux. La demande d'asile serait une situation
juridique créée « clandestinement », de manière
dissimulée, révélant ainsi le libre arbitre dans l'octroi
des droits.
En effet, le demandeur d'asile ne relève d'aucun statut
établi par le droit international classique. Sa protection peut ainsi
faire l'objet du régime juridique choisi discrétionnairement par
chaque Etat. Il y a donc une véritable différence avec le
réfugié en termes de statut, car si l'un se trouve effectivement
sur le territoire d'un Etat auquel il souhaite demander protection, l'autre a
déjà obtenu l'autorisation d'y résider et d'y être
protégé. Les garanties réelles n'apparaissent donc que
lorsqu'un demandeur obtient le statut de réfugié. Les
problèmes se posent surtout avant cette fin heureuse, lorsque
l'étranger arrive dans un pays où il souhaite trouver refuge. Le
droit de l'Union européenne prévoit un régime
spécifique pour le demandeur d'asile qui est ainsi défini comme
« un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride ayant
présenté une demande d'asile sur laquelle il n'a pas encore
été statué définitivement9 ». Or
nous avons relevé précédemment le contexte de cette
législation européenne qui s'est construite d'abord pour
arrêter les flots de migrants aux portes de l'Europe dont les
frontières intérieures avaient été abolies.
Les demandeurs d'asile font ainsi face à une situation
particulièrement pénible tant ils sont soumis au risque des
régimes dérogatoires, dérogatoire au droit des
réfugiés et dérogatoire au droit des nationaux ou
ressortissants des Etats membres de l'Union européenne. Cette protection
nuancée n'a pas été démentie par la Cour
européenne des droits de l'Homme (Cour EDH). En effet, bien que
chargée de faire respecter la CEDH dans laquelle il n'est pas fait
mention du droit d'asile, la Cour européenne a montré un certain
intérêt à s'occuper de la protection de celui-ci.
8 Jean-Yves Carlier, Droit des
réfugiés, E. Story-Sientia, Bruxelles, 1989, p.409.
9 Directive 2003/9/CE dite directive « Accueil
», Article 2 (c.
Cette Cour est une juridiction internationale siégeant
à Strasbourg. Elle est composée d'un nombre égal de juges
à celui des Etats membres du Conseil de l'Europe ayant ratifié la
CEDH. Présenté dès sa création en 1949 comme le
précurseur d'une Europe en paix, le Conseil de l'Europe est
chargé d'une large mission sur un grand territoire qui comprend 47
Etats. Il a pour but de créer sur tout le continent européen un
espace démocratique et juridique commun, en veillant au respect de
valeurs fondamentales: les droits de l'homme, la démocratie et la
prééminence du droit. La défense des droits de l'Homme est
donc un des objectifs essentiels du Conseil de l'Europe depuis l'origine, et
son importance a été démontrée avec
l'élaboration de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l'Homme et des libertés fondamentales signée à
Rome le 4 novembre 1950.
Plus encore, l'effectivité de cette Convention s'est
confirmée en 1959 par la création de la Cour européenne
des droits de l'Homme qui se charge d'en contrôler le respect par les
Etats signataires. Elle développe une jurisprudence autonome et
dynamique. Son originalité est d'assurer une garantie juridictionnelle
grâce à un recours que les particuliers peuvent directement former
devant elle en cas de violation d'un des droits consacrés par la
Convention10.
De plus, l'article 1er de la Convention
prévoit que tous les individus, indépendamment de leur
nationalité, peuvent faire valoir leurs droits devant la Cour et faire
sanctionner l'insuffisance des Etats. Cet article énonce la règle
selon laquelle << Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à
toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés
définis au titre I de la présente Convention. ». C'est ainsi
qu'en dehors de toute considération de nationalité, un
étranger, même originaire d'un Etat non signataire de la
Convention, peut réclamer l'effectivité des droits contenus dans
le texte européen. C'est donc le cas des demandeurs d'asile. Mais,
paradoxalement, si ces derniers peuvent saisir la Cour européenne pour
faire valoir la violation d'un des droits que la Convention EDH, ils ne peuvent
pas invoquer le droit d'asile. Cette impossibilité tient à
l'absence de ce droit dans le texte car, s'attachant plutôt à
protéger les droits fondamentaux << classiques », les
rédacteurs de la CEDH n'ont pas prévu le droit d'asile. Il est
certain qu'il s'agit d'une lacune consciente, laissant aux Nations Unies le
monopole de la protection du droit d'asile. La protection qui a
été mise en oeuvre par le H.C.R. au moyen de la Convention de
1951 apparaissait comme autosuffisante aux yeux des rédacteurs de la
CEDH qui n'ont pas estimé nécessaire d'inscrire
10 Article 34 de la CEDH selon lequel : << La
Cour peut être saisie d'une requête par toute personne physique,
toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se
prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties
contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les
Hautes Parties contractantes s'engagent à n'entraver par aucune mesure
l'exercice efficace de ce droit. »
ce droit. Mais cela s'est avéré archaïque
de sorte que la Cour EDH a dépassé la carence textuelle en
puisant dans la Convention pour dégager un droit d'asile.
Celle-ci est devenue un instrument juridique indispensable
pour la défense des droits des individus. De 1959 à 2011, la Cour
EDH a rendu 12 425 arrêts constatant au moins une violation de droits
protégés par la CEDH. Et ceci ne rend pas compte de la
totalité des demandes adressées à la Cour puisque toutes
les requêtes n'aboutissent pas à un arrêt. Or, en 2011, 64
500 requêtes ont été attribuées à une
formation judiciaire de la Cour européenne, et ce chiffre augmente
d'année en année11. On voit ainsi que la charge de
travail qui est supportée par la Cour ne diminue pas, bien au contraire.
Cela a suscité des inquiétudes au point que l'on organise de
grandes conférences comme celle de Brighton en avril 2012. Le
thème de celle-ci souligne l'importance des problèmes puisqu'il
s'agissait de parler de << l'avenir de la Cour européenne
>>. Sans remettre en cause les dires de Winston Churchill, l'un des
pères fondateurs du Conseil de l'Europe selon lequel << il n'y
[avait] aucune raison de ne pas réussir à réaliser le but
et à établir la structure de cette Europe unie dont les
conceptions morales pourront recueillir le respect et la reconnaissance de
l'humanité, et dont la force physique sera telle que personne n'osera la
molester dans sa tranquille marche vers l'avenir >>12, les
Etats membres du Conseil de l'Europe ayant ratifié la Convention ont
dressé le constat d'une réforme nécessaire pour que la
Cour européenne soit en mesure d'exercer sa mission. La Convention
européenne est victime de son succès, mais il faut
également souligner que la Cour a gagné en
crédibilité grâce à une jurisprudence dynamique. En
effet, puisque le texte ne dit pas tout, la Cour EDH a souvent prouvé
qu'elle souhaitait étendre le champ d'application de la Convention. Elle
a ainsi développé une jurisprudence particulière afin de
garantir la protection d'un des droits inexistants dans le texte de la
Convention13 : le droit d'asile. C'est la technique de la protection
<< par ricochet >> qu'elle a adopté pour parer à
cette lacune. Cela signifie qu'elle protège le droit d'asile par le
biais d'autres articles de la Convention. En premier lieu, l'article 3 de la
CEDH qui interdit la torture et les traitements inhumains et dégradants
est un des articles les plus utilisés dans la défense du droit
d'asile. Ensuite, l'article 5 qui consacre le droit à la liberté
et la sûreté ainsi que l'article 13 qui prévoit le droit au
recours, permettent à la Cour de créer des garanties
procédurales du droit
11 En 2011, le nombre de requêtes
attribuées à une formation judiciaire a augmenté de 10%
par rapport à 2010.
12 Discours de Winston Churchill, alors Premier
ministre du Royaume-Uni, le 12 aout 1949.
13Cour EDH, 30 octobre 1991, Vilvarajah et autres
c. Royaume-Uni, série A n° 215, p. 34, par. 102 ; Cour EDH, 15
novembre 1996, Chahal c. Royaume-Uni, Req. n° 22 414/93, §73
: << les Etats contractants ont, en vertu d'un principe de droit
international bien établi et sans préjudice des engagements
découlant pour eux de traités internationaux y compris la
convention, le droit de contrôler l'entrée, le séjour et
l'éloignement des non nationaux. Elle note aussi que ni la convention ni
ses protocoles ne consacrent le droit à l'asile politique. >>.
Voir aussi, Cour EDH, 2 mai 1997, D. c. Royaume-Uni, Req. n°
30240/96, §46.
d'asile. Enfin la Cour se sert de l'article 8 afin de
protéger le droit à une vie privée et une vie familiale
des demandeurs d'asile.
Des textes ont bien été spécifiquement
prévus pour les étrangers, mais la Cour n'a pas eu souvent
recours à ceux-ci pour défendre les droits des demandeurs
d'asile. Les textes en question sont deux protocoles annexés à la
CEDH et un article de celle-ci : le Protocole n° 4 concernant
l'interdiction des expulsions collectives et le Protocole n° 7 dont
l'article 1er prévoit des garanties procédurales pour les
étrangers ainsi que l'article 14 de la CEDH interdisant les
discriminations. Le champ d'application limité des deux protocoles ne
permet pas de développer une protection complète, et ne laisse
aucune marge de manoeuvre aux juges européens. Il n'est donc pas
surprenant que la jurisprudence touchant à ces textes soit quasiment
inexistante. C'est un constat plus inattendu concernant l'interdiction des
discriminations car il paraitrait naturel qu'il s'applique dès lors
qu'un étranger fait l'objet d'une affaire devant la Cour
européenne. Pourtant là aussi l'article 14 est absent de la
jurisprudence relatif aux demandeurs d'asile. En conséquence, nous ne
nous intéresserons ni aux Protocoles additionnels ni à l'article
14 de la CEDH.
La technique de protection par ricochet qui permet
l'élargissement de la protection de certains droits de la CEDH à
des droits non expressément protégés par elle, n'est pas
sans soulever des interrogations quant à l'office du juge. La Cour
n'excède t-elle pas la compétence qui lui est attribuée ?
En 1978 ce questionnement existait déjà car le juge Matscher,
dans son opinion séparée jointe à l'arrêt
König contre Allemagne14 dénonçait alors
l'arbitraire d'un juge qui déborderait sa fonction
d'interprétation de la Convention pour « s'aventurer sur le terrain
de la politique législative ». C'est finalement une technique qui
permet de renforcer l'effectivité des droits garantis en
réduisant les zones d'inapplicabilité de la Convention. Or, pour
le droit d'asile on est en droit de se poser la question de la
légitimité des juges à protéger un droit qui n'est
pas directement visé dans le texte qu'ils doivent faire respecter. Cette
« proactivité » de la Cour européenne qui laisse
percevoir la reconnaissance implicite du droit d'asile, peut alors gêner
ou encourager. Il est certain qu'elle a des impacts multiples. La CEDH est un
outil de défense des droits de l'Homme reconnu à la fois par la
société internationale et notamment l'Union européenne qui
projette même d'y adhérer15, par les 47 Etats qui l'ont
signée individuellement mais également par les Etats tiers
à ces deux organisations qui y voient un modèle de défense
des droits de l'Homme. L'influence de la Convention et de la jurisprudence qui
en découle est importante, à la fois pour ceux qui en
14 Cour EDH, 28 juin 1978, König c.
Allemagne, Req. n° 6232/73.
15 Voir Article 6.2 Traité de l'Union
européenne.
sont bénéficiaires, et pour ceux qui sont sous
son influence. Les juges européens ont ainsi une lourde
responsabilité à supporter.
Il ne faut effectivement pas sous estimer les
difficultés que la Cour EDH peut rencontrer lorsqu'elle rend un
jugement, puisqu'elle doit toujours trouver un équilibre entre le droit
des Etats signataires qui ont leur propre politique, et le droit issu de la
Convention qu'elle entend faire respecter. De plus, certains Etats
appartiennent aussi à l'Union européenne qui s'attache fortement
à réglementer la situation des demandeurs d'asile. En 2011, 237
400 décisions de première instance ont été prises
dans l'Union européenne à l'égard des demandeurs d'asile
et le nombre enregistré de ceux-ci dans l'Union s'élevait
à 301 000 16 . Par ailleurs, les liens entre la Cour EDH et
la juridiction suprême de l'Union européenne, à savoir la
Cour de justice de l'Union européenne, sont assez étroits. En
effet, cette dernière respecte les droits fondamentaux notamment tels
qu'ils sont issus de la Convention EDH en vertu de l'article 6.3 du
Traité sur l'Union européenne17. Il y a donc une
imbrication complexe des instruments et instances de protection du droit
d'asile qu'il ne faut pas négliger, comme le prouve la jurisprudence
européenne récente18.
Dans cette relation à trois (Etats, Union
européenne et Conseil de l'Europe), l'imbroglio juridique voire
politique est un risque. La Cour de Strasbourg doit alors agir en
médiateur tout en jouant son rôle de gardienne des droits
fondamentaux. On pourrait presque y voir la réalisation de la
prédiction d'un autre père fondateur, Robert Schuman, qui
affirmait que le Conseil de l'Europe était << le laboratoire
où se préparait et s'expérimentait la coopération
européenne. 19>>. Pour le droit d'asile qui divise et
préoccupe, l'entreprise s'avère encore plus difficile.
16 Chiffres Eurostat, STAT/12/46.
17 << Les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis
par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des
libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des traditions
constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de
l'Union en tant que principes généraux. >>
18 Cour EDH, 21 janvier 2011, G.C. M.S.S. c.
Belgique et Grèce, Req. no 30696/09 ; puis, CJUE, Gr.
Ch., 21 décembre 2011, N.S. contre Secretary of State for the Home
Department & M.E. et alii contre Refugee Applications Commissioner,
Minister for Justice, Euquality and Law Reform, affaires jointes, C-411/10
& C493/10. Voir à ce sujet, Marie-Laure Basilien-Gainche, <<
Les gens de Dublin ont des droits : la qualification de pays d'origine
sûr appliquée aux Etats membres de l'Union est une
présomption réfragable >>, in Lettre «
Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 29
décembre 2011.
19 Discours de Robert Schuman, alors Ministre des
Affaires étrangères française, le 10 décembre
1951.
Il y a un dynamisme certain dans le travail de la Cour
strasbourgeoise qui découvre la protection de droits occultés par
la CEDH. Il en est ainsi pour le droit d'asile.
Pour autant, est-ce que la Cour EDH est véritablement
parvenue, en partant de rien, à découvrir une protection
complète de ce droit fondamental ?
Les juges européens ont réussi à faire de
la Convention une boite de pandore pour défendre le droit d'asile.
Aujourd'hui on ne peut même plus parler de droit d'asile sans parler de
la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales. Le droit d'asile est ainsi une illusion «
qui a réussi » puisqu'il constitue aujourd'hui une
réalité.
Néanmoins, si les avancées en ce domaine ne sont
pas négligeables, la protection offerte par la Cour EDH aux demandeurs
d'asile est à parfaire car des zones d'ombres subsistent. Un vecteur
principal existe pour protéger efficacement le droit d'asile par la
Convention EDH (Chapitre 1), mais la protection offerte ainsi est loin
d'être achevée. En effet, la protection assurée sur
d'autres fondements laisse à désirer (Chapitre 2).
|