CHAPITRE 1. Le vecteur principal de la protection du
droit d'asile par la Convention européenne des droits de l'Homme et des
libertés fondamentales
L'émergence de la protection du droit d'asile s'est
faite au travers de l'article 3 de la CEDH qui garantit un droit intangible. La
Cour a fait une utilisation originale de cet article essentiel de la Convention
pour garantir la protection du droit d'asile. Puis, cette construction
classique fondée sur l'article 3 (Section 1) s'est fortifiée par
une jurisprudence circonstanciée et des outils efficaces (Section 2).
SECTION 1. La protection du droit d'asile établie
sur un fondement classique de la Convention européenne des droits de
l'Homme
La Convention EDH comporte divers articles mais tous n'ont pas
la même valeur. L'article 3 de la CEDH selon lequel << Nul ne peut
être soumis à la torture ni à des peines ou traitement
inhumains ou dégradants » est primordial, dans la mesure où
il défend un droit intangible, à propos duquel la Cour a
parlé de << l'une des valeurs fondamentales des
sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l'Europe
20 ». En 2002, la Cour a rappelé que, <<
contrastant avec les autres dispositions de la Convention, [l'article 3] est
libellé en termes absolus, ne prévoyant ni exceptions ni
conditions, et d'après l'article 15 de la Convention il ne souffre nulle
dérogation.21». C'est donc naturellement, lorsqu'elle se
réfère à cet article, que la Cour opère une
protection majeure des demandeurs d'asile.
En outre cet article a fait l'objet d'une technique habituelle
de la part de la Cour EDH qui consiste à donner des définitions
autonomes à certaines notions. Ainsi elle se délie de conceptions
trop restrictives, souvent conformes au droit national, pour en faire des
conceptions européennes. Ce mode de formation bien connu du droit de la
Convention européenne a été appliqué par la Cour
européenne à la notion de << violation » au regard de
l'article 3 CEDH (Paragraphe 1), aboutissant par là même à
remettre en cause non pas le droit d'un Etat partie à la Convention mais
celui d'une autre organisation internationale, bientôt partie à la
Convention, l'Union européenne (Paragraphe 2).
20 Cour EDH, 07 juillet 1989, Soering c.
Royaume-Uni, Req. n° 14 038/88, §88.
21 Cour EDH, 29 avril 2002, Pretty c.
Royaume-Uni, Req. n° 2346/02, §49.
Paragraphe 1. L'extension des cas de violations par une
interprétation originale de l'article 3 de la CEDH
Deux formes originales de violation de l'article 3 de la CEDH
ont été dégagées par les juges de Strasbourg
concernant les demandeurs d'asile : la violation << virtuelle >>
(A), et par là même, la violation << indirecte >> (B),
découlant toutes deux du prononcé d'une expulsion ou d'une
extradition vers un autre Etat.
A/ La notion de violation « virtuelle22 » de
l'article 3 de la CEDH
Une violation de l'article 3 de la CEDH devrait, a priori,
être constatée lorsqu'il est admis qu'un individu a subi des
traitements inhumains ou dégradants. On pense par exemple, à des
violences physiques infligées pendant une garde à
vue23, ou encore à la durée excessive d'une
détention24. Cependant, la Cour EDH a admis des cas de
violations de l'article 3 de la Convention en se fondant sur autre chose qu'un
simple constat de souffrance éprouvée par une personne du fait
d'un traitement contraire à l'article 3. En effet, la Cour a
dégagé une notion de violation englobant de nouvelles situations,
et permettant ainsi d'autres cas de condamnation. Il s'agit
précisément de la notion de violation << virtuelle
>>.
Depuis l'arrêt Soering25 de 1989, la
Cour sanctionne le << risque réel >> que l'article 3 soit
violé. En d'autres termes, il n'y a pas encore eu de torture ou de
traitements inhumains ou dégradants mais la Cour condamne tout de
même le défendeur. C'est en ce sens que la violation est
potentielle, ou virtuelle. Condamner le risque ou la potentialité d'une
atteinte pour caractériser une violation étend largement le champ
d'application de l'article 3. La question que se pose la Cour dans ces cas
là est de savoir dans quelles circonstances une personne éprouve
un risque de subir un traitement inhumain ou dégradant de telle sorte
qu'il serait contraire à l'article 3 de la CEDH. Il n'est pas surprenant
que les juges européens appliquent ce type de raisonnement à
l'article 3 et non pas à un autre, car l'interdiction de la torture et
des traitements inhumains ou dégradants doit recevoir une protection
absolue en raison de sa nature même. La Cour a alors souhaité
étendre les cas de violations virtuelles.
22 Marc Bossuyt, Strasbourg et les demandeurs
d'asile : des juges sur un terrain glissant, Bruylant, 2010.
23 Cour EDH, 1er avril 2004, Rivas c.
France, Req. n°59584/00
24 Cour EDH, 27 août 1992, Tomasi c.
France, Req. n°12850/87
25 Cour EDH, 07 juillet 1989, Soering c.
Royaume-Uni, Req. n° 14 038/88
Dans un premier temps, la Cour admettait l'existence d'un
traitement dégradant uniquement lorsqu'il était infligé
par l'autorité publique.26 Désormais elle l'admet
également lorsqu'il est infligé par d'autres personnes
27 , en l'occurrence des personnes privées. Récemment,
ce fut le cas d'une famille dont le renvoi devait s'effectuer au Belarus, alors
que le père et l'un des fils faisaient partie du mouvement d'opposition
de ce pays28.
Elle pose cependant deux conditions à cette violation
potentielle par des personnes privées. Il faut démontrer un
risque réel comme pour toute violation virtuelle, mais encore
l'incapacité de l'Etat d'y obvier par une protection adéquate.
Par là même, elle fait peser sur les Etats la
responsabilité de contrôler l'état des garanties de la
protection des droits de l'Homme chez leurs voisins. En effet, un Etat auquel
on reproche une violation virtuelle de l'article 3 de la CEDH en raison du
risque réel que l'individu subisse un traitement inhumain ou
dégradant par des personnes privées dans un autre Etat, sera
condamné s'il a prévu d'envoyer l'individu dans ce pays alors
même que le risque de violation ne pouvait être
empêché par cet Etat.
Ainsi, le renvoi dans un autre Etat ne peut avoir lieu sans un
examen assez approfondi des risques que la personne pourrait courir de ce
fait.
La Cour européenne n'en est pas restée là
puisqu'elle a également permis que la responsabilité d'un Etat
soit engagée alors même qu'il n'aurait pas directement
violé l'article 3 de la Convention européenne.
|