Paragraphe 2. La conventionalité du droit de l'Union
européenne, un nouveau terrain de condamnations
En janvier 2011, le service presse de la Cour
européenne indiquait qu'environ 960 affaires pendantes concernaient la
question de la conventionalité du règlement << Dublin II
>>. Ceci en fait objectivement un motif de condamnation important des
ordres juridiques des Etats membres du Conseil de l'Europe, également
membres de l'Union européenne (A), mais encore de l'ordre juridique de
l'Union elle-même (B).
A/ La condamnation d'un ordre juridique interne
A l'origine, une violation indirecte était uniquement
reconnue lorsque l'Etat infligeant le traitement prohibé était un
Etat tiers à la Convention34. Aujourd'hui ce n'est plus le
cas. Dans l'affaire M.S.S., le renvoi litigieux était
effectué vers un État parti à la Convention EDH et membre
de l'Union européenne, au surplus en application du droit de cette
dernière. Les juges strasbourgeois touchaient alors à une
problématique récurrente, celle de la conventionalité du
règlement << Dublin II >>.
Cet examen de la conventionalité du règlement de
2003 engage les juges strasbourgeois à regarder de plus près la
présomption sur lequel il est fondé qui est double. D'une part,
la présomption s'appuie sur l'idée que << les États
membres [...] respectent tous le principe de non-refoulement >> des
demandeurs d'asile vers un pays où ils risquent à nouveau
d'être persécutés. D'autre part, le règlement
présume que tous les États membres de l'Union << sont
considérés comme des pays sûrs par les ressortissants de
pays tiers >>35. Le problème qui surgit de ces
présomptions c'est l'automaticité c'est-à-dire qu'elles
conduisent le premier État à procéder à une
réadmission quasi-automatique du demandeur d'asile vers l'État
compétent selon le règlement et au nom de la confiance
mutuelle36, et ce, indépendamment de savoir si ce dernier
respecte ou non les exigences de la Convention.
34 L'arrêt Soering
précédemment cité concernait, par exemple, la violation
indirecte de l'article 3 de la CEDH par le Royaume Uni qui devait extrader le
requérant vers les Etats-Unis d'Amérique où celui-ci
aurait subi l'interminable attente dans les couloirs de la mort.
35 Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil
de l'Union européenne du 18 février 2003 <<
établissant les critères et mécanismes de
détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une
demande d'asile présentée dans l'un des États membres par
un ressortissant d'un pays tiers >>, repris dans l'arrêt
MSS c. Belgique et Grèce, Considérant (2) - §
69.
36 H. Labayle, << Le droit européen de
l'asile devant ses juges : précisions ou remise en question ? >>
(1), RFDA 2011, p. 273.
Finalement, il s'agissait plus globalement pour les juges de
statuer sur le constat d'une contradiction potentielle entre des obligations
issues de deux organisations au coude à coude, à savoir, le
Conseil de l'Europe et en particulier les obligations issues de la Convention,
et l'Union européenne37. L'équilibre était
difficile à faire.
La Cour a préféré se positionner quant
à la responsabilité de l'Etat partie à la Convention - et
en même temps soumis aux exigences du règlement <<
Dublin II >>, plutôt que de se faire directement l'avocat
du droit de l'Union européenne. Ainsi, les juges européens ne
remettent pas en cause la présomption favorable à l'Union
européenne selon laquelle << l'organisation en question accorde
aux droits fondamentaux une protection à tout le moins
équivalente à celle assurée par la Convention38
>>. Elle se concentre sur le cas d'espèce, en montrant que la
Belgique est sortie du champ d'application de cette
présomption.39 Et ce, pour la simple raison que l'Etat en
question avait en l'espèce un pouvoir
d'appréciation40.
En effet, la Cour rappelle qu'au sein du mécanisme
<< Dublin II >> existe une clause à l'article 3.2
du Règlement appelée << clause de souveraineté
>> en vertu de laquelle << par dérogation au paragraphe 1,
chaque État membre peut examiner une demande d'asile qui lui est
présentée par un ressortissant d'un pays tiers, même si cet
examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le
présent règlement >>.
Dès lors, la Cour en a déduit que << les
autorités belges auraient pu, en vertu du règlement, s'abstenir
de transférer le requérant si elles avaient
considéré que le pays de destination, en l'occurrence la
Grèce, ne remplissait pas ses obligations au regard de la
Convention41 >>. Elle signifie là que la
présomption n'est finalement pas irréfragable puisque une
dérogation existe en vertu de l'art 3.2 du Règlement.
Or, il n'était pas difficile en l'espèce de
savoir que l'accueil réservé aux demandeurs d'asile en
Grèce est scandaleux. L'Europe le sait, ne serait-ce qu'en jetant un
oeil sur les multiples condamnations de la Grèce par la Cour
EDH42. Le Comité européen pour la prévention de
la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a
rendu dix visites en Grèce depuis 1993, et dès 1997 il faisait
part de ses préoccupations quant au traitement
37 . Cour EDH, G.C. 10 février 1999,
Matthews c. Royaume-Uni, Req. n° 24833/94 ; Cour EDH, G.C. 30
juin 2005, Bosphorus c. Irlande, Req. n° 45036/98
38 Cour EDH, 21 Janvier 2011, M.S.S. c. Belgique
et Grèce, Req. no 30696/09, § 338.
39 << présomption de protection équivalente
ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce >> (§ 340).
40 << un Etat demeure entièrement responsable au
regard de la Convention de tous les actes ne relevant pas strictement de ses
obligations juridiques internationales, notamment lorsqu'il a exercé un
pouvoir d'appréciation >> (§ 338).
41 Cour EDH, 21 Janvier 2011, M.S.S. c. Belgique
et Grèce, Req. no 30696/09, § 340.
42 Cour EDH, 11 juin 2009, S. D. c.
Grèce, Req. n° 53541/07 ; Cour EDH, 26 nov. 2009, Tabesh
c. Grèce, Req. n° 8256/07 ; Cour EDH, 22 juillet 2010,
A.A. c. Grèce, Req. n° 12186/08
réservé aux étrangers en situation
irrégulière placés en centre de
rétention43. Ainsi, il y a peu de chances pour que la
Belgique n'ait pas eu connaissance du risque réel qui était
encouru par le requérant s'il était expulsé vers la
Grèce.
Cette jurisprudence est novatrice et dévastatrice. Si
la Cour rappelle qu'effectivement elle ne consacre pas le droit de
séjourner librement dans un Etat dont on n'est pas ressortissant, elle
censure cependant une pratique indécente à l'égard des
demandeurs d'asile, tant du point de vue de l'Etat qui viole directement
l'article 3 de la Convention du fait de la carence
généralisée de son système, que du point de vue de
l'Etat qui éloigne un demandeur d'asile vers ledit pays, connu pour ses
lacunes.
Cela a des effets sur un certain nombre d'Etats, notamment la
France dont le ministre de l'Intérieur et de l'Immigration d'alors,
Brice Hortefeux, a annoncé, dans des lettres du 28 février 2011,
avoir pris des instructions à destination des préfectures de ne
plus procéder à des transferts vers la Grèce «
jusqu'à nouvel ordre ».
La bataille n'est pas gagnée, mais des
fléchissements face à la jurisprudence de la Cour EDH fleurissent
ici et là.
Face à une organisation européenne avec laquelle
le Conseil de l'Europe est en pourparlers concernant son adhésion
à la Convention, la Grande Chambre semble avoir trouvé un
compromis satisfaisant : ne pas condamner frontalement le système des
réadmissions « Dublin II », mais dégager un
angle permettant de contraindre chaque Etat partie - également membres
de l'Union - au respect des exigences conventionnelles sans qu'il ne puisse se
cacher derrière d'autres obligations européennes. Il n'en demeure
pas moins que la répercussion de cette jurisprudence dans l'ordre
juridique de l'Union européenne s'est rapidement manifestée.
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