Chapitre 2
L'Existence Juridique d'un « Droit au Retour
».
Le droit au retour des réfugiés palestiniens
constitue une question délicate qui ne peut être abordée
qu'à travers une analyse profonde du droit international.
Deux grandes catégories de règles permettent
d'établir le « droit au retour » des réfugiés
palestiniens dans leurs foyers.
Il y a d'abord les regles issues du droit international
général (Première Section).
Il y a une autre catégorie de regles dont la valeur
obligatoire est disputée : il s'agit des résolutions des
Nations-Unies (Deuxième Section).
Section 1
Les Principes Généraux du Droit
International
Les palestiniens exilés et jusqu'ici interdits de revenir
chez eux sont soutenus dans leur revendication d'un droit au retour par des
normes générales du droit international.
Gelles-ci sont à la base à la fois de l'exercice
individuel de ce droit, comme plusieurs branches du droit international
coutumier (sous-section une) et de l'exercice collectif du droit au retour,
comme un droit collectif articulé au droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes (sous-section deux).
§1- Les Réfugiés Palestiniens et le
Droit Individuel de Retour.
« Selon le droit international, tous les individus ont un
droit de retour.
Le droit de retour garantit à tous les individus un
droit fondamental de retourner dans leurs foyers (communément
appelés les «foyers d'origine») chaque fois qu'ils ont
été déplacés, en raison de circonstances
indépendantes de leur volonté »59.
Ce que l'on désigne par « droit de retour » dans
le cas des palestiniens, n'est en réalité qu'une pièce
d'un droit plus large, celui de disposer de la liberté d'aller et de
venir, un droit parmi ceux proclamés en faveur des individus par la
Charte Internationale des Droits de l'Homme. L'ensemble des règles qui
fondent ce droit se sont formées à la suite de la seconde guerre
mondiale dans une situation qui élucide fortement ce qui était
recherché : entamer un statut universel de l'humain et de ses
libertés et lui donner partout des garanties permettant que des
situations de violence, de malheur, d'indignités comme celles connues
par tant de personnes avant et pendant la guerre, ne puissent plus se
reproduire.
59 Ibid, p.5.
L'objectif de cette section est de démontrer qu'en
vertu du droit international, les réfugiés palestiniens de 1948
ont le droit de retourner dans leurs foyers d'origine à
l'intérieur de ce qu'on appelle aujourd'hui Israël.
Pour le faire, ce document passe en revue quatre sources du
droit international relatif au « droit au retour » individuel.
Le droit individuel de retour est ancré dans quatre
entités distinctes du droit international: le droit de la
nationalité, le droit humanitaire, les droits de l'homme et le droit des
réfugiés.
1-Le « Droit au retour >> et le Droit de la
Nationalité Relatif à l'Ordre de Succession des Etats60 .
La loi de la nationalité est une branche de la «
loi des nations », qui régit les obligations entre Etats, cette loi
soutient le droit des réfugiés palestiniens au retour par les
principes et règles suivants :
1.1- Les limites à la liberté des
États dans la régulation du statut de leur
nationalité.
Le premier principe pour le «droit au retour», est
celui de la liberté des Etats dans la régulation du statut de
leur nationalité, c'est-à-dire dans l'attribution ou le retrait
de la nationalité à un individu.
Cependant, les limites de cette liberté sont clairement
définies sous le Droit International. La liberté des Etats
à réguler le statut de leur nationalité n'est reconnue par
le Droit International que dans la mesure où cette liberté
n'enfreint pas ce dernier.
Ce principe est reconnu universellement, et a
été réaffirmé en 1923 par une étude rendue
publique par la Cour Permanente Internationale de Justice61; en 1930
dans la convention de Hague62 concernant certaines questions
relatives aux lois sur les conflits de nationalités, et par la Cour
Internationale de Justice en 195563 ; il a également
été clairement formulé par divers organes des Nations
Unies, y compris la Sixième Commission (juridique) de l'Assemblée
générale64 et le Haut Commissariat pour les
réfugiés65.
60 Nous nous inspirons dans la répartition de cette
partie de l'article de Gail Boling, «The 1948 Palestinian Refugees and the
Individual Right of Return, an International Law Analysis», BADIL, Seconde
Edition: Juillet 2007.
61 Décrets de nationalité en Tunisie et au
Maroc, avis consultatif, CPJI, 1923, indiquant que «dans l'état
actuel du droit international, les questions de nationalité sont, en
principe, au sein de la compétence nationale des Etats
réservés», mais la qualification de la déclaration
par l'expression «en principe» à prévu des cas
où le droit international serait pertinent à la
détermination du statut de nationalité et peut renverser les
décisions du droit interne.
62 Convention concernant certaines questions relatives aux
conflits de lois sur la nationalité, la Ligue des Nations Recueil des
Traités, vol. 179 (1930). L'article I énonce qu'il appartient
à chaque Etat de déterminer par sa législation quels sont
ses ressortissants. Cette législation doit être reconnue par
d'autres États dans la mesure où elle est conforme aux
conventions internationales, coutumes internationales et principes de droit
généralement reconnus en matière de nationalité.
Id., art. I
63 Affaire Nottebohm, 1955 CIJ , énonce le principe que
la détermination d'un Etat en ce qui concerne l'octroi du statut de la
nationalité peut seulement être reconnue par d'autres Etats, si
celle-ci est dans le cadre des normes internationales relatives à
l'existence d'un «lien substantiel» entre l'individu et
l'état.
64 « Assemblée générale documents
officiels », 51eme session, la Commission du droit international, 48e
session, deuxième rapport sur la succession d'Etats et son impact sur
la nationalité des personnes physiques et morales, p. 9, U.N.
Doc. A/CN.4/474,1996, (observing that in the UN General Assembly Sixth
Committee debate, «it was generally recognized that, while
Le droit international fournit une norme qui sert à
mesurer l'existence des « liens étroits et durables " entre une
personne et « son propre pays " par l'ensemble des critères
énoncés en 1955 par la Cour Internationale de Justice.
Dans l'arrêt historique rendu dans l'affaire «
Nottebohm " sur la détermination de la nationalité, la cour a
considéré que l'existence de liens «réels" et
«effectifs" entre un individu et un Etat était basée sur
« (...) un rattachement, un lien réel d'existence,
d'intérêts et de sentiments ". La Cour a également fait
observer : « Les éléments [pris] en considération
sont divers et leur importance varie d'un cas à l'autre : il y a le
domicile de l'intéressé, mais aussi le siège de ses
intérêts, ses liens de famille, sa participation à la vie
publique, l'attachement à un pays manifesté par
l'éducation des enfants, etc. " Parmi les autres critères
cités par la cour figurent les traditions culturelles, le mode de vie,
les activités et les intentions pour l'avenir proche. Les
critères fixés par la cour sont également pertinents pour
déterminer le « propre pays " d'un individu dans la mesure
où ils sont considérés comme étant la norme pour
mesurer l'existence effective des liens entre l'individu et l'Etat.
Selon le droit de nationalité, les Etats sont
limités dans leur liberté domestique de régulation du
statut de nationalité par plusieurs obligations additionnelles en vertu
du droit international, comme il est présenté ci-dessous.
1.2- La Loi de succession d'Etats.
La Loi de Succession d'Etats s'applique lorsqu'un territoire
subit un changement de souveraineté66. Ce principe exige que
le nouvel Etat souverain offre aux habitants habituels du territoire
géographique subissant le changement de souveraineté, sa
nationalité.
En vertu de la loi, les habitants67 du territoire
géographique relevant de la souveraineté du nouvel Etat se voient
offrir la nationalité de ce dernier. Plus encore, cette regle s'applique
indépendamment de la présence ou de l'absence physique sur le
territoire concerné, des habitants habituels, au moment du changement de
souveraineté. Cette règle constitue une norme coutumière,
elle lie68 tous les pays et s'applique à tous les
Etats69.
nationality was essentially governed by internal law, certain
restrictions on the freedom of action by States derived from international
law»).
65 UNHCR, Regional Bureau for Europe, Division of
International Protection, «The Czech and Slovak Citizenship Laws and the
Problem of Statelessness», (February 1996) (stating that «Nationality
matters fall within the sovereign domain of each State and it is for each State
to define the rules and principles governing the acquisition and loss of
nationality provided these rules do not contradict international law»).
66 I. Brownlie, «Principles of Public International
Law», Oxford: Clarendon Press, (1990), p. 654.
67 Communément dénommés "résidents
habituels": «Habitual residents» are inhabitants of a
particular geographical area whose long-term residence there has established
that area as their place of permanent residence, containing their homes of
origin. Regarding the selection of the concept of «habitual
residents» as the operative concept upon which to base the rules of the
law of state succession, see General Assembly Resolution A/RES/55/153, (12
December 2000), «Articles on Nationality of Natural Persons in Relation to
the Succession of States,» which endorsed the International Law
Commission's choice of «habitual residents» as the operative
concept.
68 Voir par exemple: UNHCR , «Comment: UNHCR and Issues
Related to Nationality,» Vol. 14, no. 3 Refugee Survey Quarterly ,
91, 102, (1995), (stating that «State practice internationally
reinforces the rule that, in principle, the population goes with the territory
and, therefore, receives nationality corresponding with residency»).
69 Article 14 des Articles sur la nationalité des
personnes naturelles en relation avec la succession d'État.
L'Assemblée générale a adopté
70 un ensemble de principes juridiques qui montrent que selon les
règles de la loi de succession d'Etats, les réfugiés
palestiniens de 1948 ont le droit absolu de retourner dans leurs foyers
d'origine à l'intérieur des lignes d'armistice de 1949. Ces
principes sont appelés les « articles sur la nationalité des
personnes physiques en relation avec la succession d'Etats ».
Ils ont été préparés par la
Commission du Droit International (CDI), qui est un organe onusien d'experts
juridiques chargés de clarifier des sujets spécifiques du droit
international qui lui sont confiés par l'Assemblée
générale pour les étudier. L'Assemblée
générale a adopté les articles de la CDI sur la
Nationalité/Succession d'États textuellement comme ils sont
présentés par celle-ci71 à l'Assemblée
générale, et a demandé aux États de les suivre dans
leur pratique sur l'attribution de nationalité dans le cadre de la
succession d'Etats72.
Ainsi, les articles de la CDI sur la
Nationalité/Succession d'Etats reflètent une règle
contraignante du droit international coutumier, puisque leur but est de
clarifier l'application de certaines règles du droit de la succession
d'Etats.
Article 14 (2) des articles de la CDI sur la
Nationalité/Succession d'Etats énumère
spécifiquement un «droit de retour» dans la loi de succession
d'Etats pour tous les résidents habituels d'un territoire objet d'un
changement de souveraineté. Ce «droit de retour» est
basé uniquement sur le statut d'une personne à titre de
résident habituel sur le territoire objet du changement de
souveraineté:
Article 14 : Statut de résident habituel
« 1. La succession d'États n'affecte pas le statut
des personnes concernées en tant que résidents habituels.
2. Un État concerné doit prendre toutes les
mesures nécessaires pour permettre aux personnes concernées qui,
en raison d'événements liés à la succession
d'États, ont été forcées de quitter leur
résidence habituelle sur son territoire d'y retourner
»73.
On peut déduire de cet article :
Premièrement, que le «droit au retour» est
indépendant de la nationalité des résidents habituels
à qui il est conféré (dans ce cas, la nationalité
n'est pas un élément requis à l'existence du `droit de
retour'), que le droit de retour s'applique par ses termes à tous les
résidents habituels d'un territoire géographique donné qui
est l'objet d'un changement de souveraineté, même s'ils
étaient effectivement en dehors du territoire géographique
concerné dans la réelle « date de succession ».
Deuxièmement, que la mise en oeuvre de l'article 14 (2)
est obligatoire pour tous les États successeurs, comme cela est
indiqué par l'utilisation du mot « doit ».
70 Voir, Assemblée générale
résolution A/RES/55/153du 12 Décembre 2000, «Articles sur la
nationalité des personnes physiques en relation avec la
succession».
71 Voir le rapport de la Commission du droit international sur
les travaux dans sa cinquante et unième session,( 3 mai - 23 Juillet
1999).
72 Voir Assemblée Générale résolution
A/RES/55/153 (12 Décembre 2000).
73 Voir, CDI, «Articles sur la nationalité des
personnes physiques en relation avec la succession», art. 14.
L'article 5 des articles de la CDI sur la
Nationalité/Succession d'États présente la même
règle que l'article 14 (2), mais, il la formule dans la langue
traditionnelle de la loi de la nationalité. Article 5:
Présomption de nationalité
« Sous réserve des dispositions des
présents articles, les personnes concernées qui ont leur
résidence habituelle sur le territoire affecté par la succession
d'États sont présumées acquérir la
nationalité de l'État successeur à la date de cette
succession »74.
Il est évident que les réfugiés
palestiniens de 1948 sont concernés par cet article, parce qu'ils ont
leur résidence habituelle sur le territoire qui a subi le changement de
souveraineté et auraient dû être considérés
automatiquement comme ressortissants de l'Etat successeur (Israël) et
acquérir la nationalité de ce dernier à compter de la date
de la succession.
1.3- La mise en oeuvre du « Droit de Retour »
est une obligation due par un Etat à tous les autres Etats.
En vertu de la loi de la nationalité, l'obligation de
mettre en oeuvre le « droit de retour » des personnes est due par un
Etat pour tous les autres Etats.
La règle est que les Etats sont tenus de
réadmettre leurs propres ressortissants (par exemple, permettre
d'exercer leur `droit au retour'), y compris les personnes temporairement
déplacées en cas de succession d'Etats, parce que, refuser de le
faire équivaudrait à imposer à un autre pays une
obligation de recevoir ou d'accueillir l'individu rejeté. Ce principe
est connu comme la « règle de réadmission ».
La règle repose sur le principe selon lequel un Etat ne
peut choisir de rejeter ou de laisser brin un ressortissant hors de ses
frontières en refusant sa réadmission, parce qu'une telle action
serait imposer un fardeau inacceptable à un autre Etat (recevant) pour
qu'il accepte la personne en détresse75.
1.4- L'interdiction de dénationalisation.
Il existe une autre règle coutumière
contraignante en vertu de la loi de la nationalité connue sous le nom
d'« interdiction de la dénationalisation ». Cette règle
interdit un Etat d'utiliser la révocation du statut de la
nationalité (dénationaliser) comme le moyen d'éviter la
réadmission de ses propres ressortissants. En outre, comme la
règle de la réadmission, elle avait atteint le statut coutumier
bien avant les événements de 1948.
L'interdiction de la dénationalisation existe dans un
projet de convention internationale datant de 193076 et faisant
autorité dans diverses déclarations
régionales77 et dans des résolutions d'organes des
Nations Unies78.
74Voir, CDI, «Articles sur la nationalité
des personnes physiques en relation avec la succession», art. 5.
75G. Boling, «The 1948 Palestinian Refugees and
the Individual Right of Return», BADIL Resource Center, p.41.
76 Research in International Law, Harvard Law School,
«Nationality, Responsibility of States, Territorial Waters: Drafts of
Conventions Prepared in Anticipation of the First Conference on the
Codification of International Law, The Hague, (1930),» The Law of
Nationality, 23 American Journal of International Law 13, 16 (1929)
(Article 20, of which, provides that «A State may
La dénationalisation est interdite en vertu du droit
international, dans le cas d'une instance unique affectant une seule personne.
Son interdiction est donc beaucoup plus forte quand elle est mise en oeuvre sur
une grande échelle et quand le gouvernement agissant de la sorte a
l'intention de chasser toute une classe importante de ressortissants de
l'organisme politique de l'Etat. Mais paradoxalement, à travers sa
« loi sur la nationalité », qui a été
adoptée en 1952, Israël a interdit tous les réfugiés
palestiniens de retourner dans l'Etat d'Israël. La Loi israélienne
de 1952 sur la nationalité pour les «non-Juifs » viole
complètement la règle de la loi de la nationalité
interdisant la dénationalisation.
Israël a deux lois régissant la
citoyenneté: une pour les juifs et une autre pour les non-juifs. La loi
conférant la citoyenneté des Juifs est la loi du
retour79, elle fournit automatiquement la citoyenneté
israélienne à tout Juif dans le monde qui désire immigrer
en Israël80.
En revanche, la loi de 1952, celle de la nationalité
pour les non-juifs, impose des exigences strictes. Ainsi, les personnes
demandant la nationalité (ou citoyenneté) fondée sur la
présente loi doivent répondre à trois conditions:
- avoir résidé en Israël le jour de sa
fondation;
- y avoir résidé le jour où la loi sur la
nationalité est entrée en vigueur ;
- avoir été enregistré en tant que tel dans
un registre spécifique.
De ce fait, la grande majorité des
réfugiés palestiniens de 1948 se sont rendus incapables de
répondre à cette loi dure qui exigeait leur présence
physique en Israël et les empêchait à jamais de retourner
à domicile et d'acquérir la citoyenneté
israélienne, leur refusant par conséquent d'être entendu
par la justice pour mettre en question la légalité de la loi
israélienne sur la nationalité.
Toutefois, le droit interne ne peut pas l'emporter sur le
droit international coutumier et « la loi de retour » d'Israël
enfreint les obligations légales envers les réfugiés
palestiniens et viole les normes internationales contre la
dénationalisation arbitraire et la discrimination.
not refuse to receive into its territory a person, upon his
expulsion by or exclusion from the territory of another State, if such person
is a national of the first State or if such person was formerly its national
and lost its nationality without having or acquiring the nationality of any
other State»).
77La Déclaration de Strasbourg,
ratifiée le 26 novembre 1986 garantit les droits de tout être
humain de quitter un pays, et en particulier son pays d'origine, ainsi que le
droit d'y retourner, art. 6, para. (b).
78 Draft Principles on Freedom and Non-Discrimination in
Respect of Everyone to Leave Any Country, Including His Own, and to Return to
His Country, U.N. Sub commission on Prevention of Discrimination and Protection
of Minorities, Res. 2B(XV), U.N. Doc. E/CN.4/846 (1963) p. 44 at p. 46
(paragraph II(b) of which states «No one shall be arbitrarily deprived of
his nationality... as a means of divesting him of the right to return to his
country»).
79 Voir, Les lois de l'État d'Israël 114 (1950).
80 Les lois de l'État d'Israël 114 (1950) L'article 1
de la loi dispose: «Tout Juif a le droit de venir dans ce pays
(Israël) comme un oleh (immigrant juif)".
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